Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 14 décembre 2022, 21/02619

Mots clés Demande en garantie des vices cachés ou tendant à faire sanctionner un défaut de conformité · vente · procédure civile · vices cachés · préjudice · forclusion · rapport · référé · résolution · délai · prescription · subsidiaire

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro affaire : 21/02619
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Président : Mme Edwige WITTRANT

Texte

N° RG 21/02619 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I2AO

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 14 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

19/00541

Tribunal judiciaire du Havre du 22 avril 2021

APPELANTE :

Madame [Z] [B]

née le 4 juillet 1969 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Caroline LECLERCQ de l'AARPI LECLERCQ & TARTERET, avocat au barreau du Havre

INTIMES :

Monsieur [T] [U]

né le 11 juillet 1987 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté et assistée par Me Ghislaine VIRELIZIER de la Selarl KREIZEL VIRELIZIER, avocat au barreau du Havre plaidant par Me Estelle LANGLOIS

Madame [S] [F] épouse [U]

née le 27 décembre 1987 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Ghislaine VIRELIZIER de la Selarl KREIZEL VIRELIZIER, avocat au barreau du Havre plaidant par Me Estelle LANGLOIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 26 septembre 2022 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,

M. Jean-François MELLET, conseiller,

Mme Magali DEGUETTE, conseillère,

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER,

DEBATS :

A l'audience publique du 26 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 décembre 2022.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Rendu publiquement le 14 décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors du prononcé.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Par acte authentique du 15 juillet 2014, Mme [Z] [B] a vendu à M. [T] [U] et Mme [S] [F], son épouse, une maison d'habitation, située [Adresse 2], pour le prix de 173 000 euros.

Suivant ordonnance du 16 juin 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance du Havre, saisi le 31 mai 2016 par M. et Mme [U] se plaignant de l'existence d'infiltrations d'eau dans leur maison, a fait droit à leur demande de réalisation d'une expertise. Il a désigné M. [V] [G] à cet effet. Cette mesure a été étendue à leur voisin, M. [J] [D], par ordonnance du 9 mars 2018.

L'expert judiciaire a établi son rapport d'expertise le 30 juillet 2018.

Par acte d'huissier de justice du 26 février 2019, M. et Mme [U] ont fait assigner leur venderesse devant le tribunal de grande instance du Havre aux fins de résolution de la vente et d'indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Suivant jugement du 22 avril 2021, le tribunal judiciaire du Havre a :

- prononcé la résolution de la vente du bien immobilier situé [Adresse 2], intervenue par acte authentique en date du 15 juillet 2014, pour vices cachés,

en conséquence,

- condamné Mme [Z] [B] à restituer à M. et Mme [U], ensemble, la somme de 173 000 euros correspondant au prix de vente, avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 2019,

- condamné M. et Mme [U] à restituer à Mme [Z] [B] le bien immobilier sus-visé,

- condamné Mme [Z] [B] à verser à M. et Mme [U] ensemble la somme de 34 691,49 euros au titre de leur préjudice matériel avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- condamné Mme [Z] [B] à verser à M. et Mme [U] ensemble la somme de 5 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- condamné Mme [Z] [B] à payer à M. et Mme [U] ensemble une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision, à l'exception du chef de dispositif sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné Mme [Z] [B] aux dépens de la présente procédure.

Par déclaration du 25 juin 2021, Mme [Z] [B] a formé un appel contre ce jugement en toutes ses dispositions.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 3 août 2022, Mme [Z] [B] demande de voir en application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, 1641 et suivants, 1648, et 2231 du code civil :

à titre principal,

- prononcer l'irrecevabilité de l'action en résolution de la vente pour vice caché pour cause de forclusion et pour cause de non publication de l'assignation aux hypothèques,

statuant à nouveau,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire du Havre du 22 avril 2021 en toutes ses dispositions,

- débouter M. et Mme [U] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner M. et Mme [U] à payer les entiers dépens de première instance et d'appel et à lui verser 5 000 euros au titre des frais de procédure,

à titre subsidiaire,

- juger que le bien des intimés n'est pas affecté d'un vice caché,

- infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. et Mme [U] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner ces derniers à payer les entiers dépens et à lui verser 5 000 euros au titre des frais de procédure,

à titre très subsidiaire,

- juger qu'elle n'avait pas connaissance du vice affectant son habitation lorsqu'elle l'a vendue et que la clause restrictive de garantie des vices cachés contenue dans l'acte de vente s'applique au cas d'espèce,

- infirmer ledit jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. et Mme [U] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner ces derniers à payer les entiers dépens et à lui verser 5 000 euros au titre des frais de procédure,

à titre infiniment subsidiaire, si la cour d'appel venait à confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente du 15 juillet 2014 pour vice caché,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire du Havre du 22 avril 2021 en ce qu'il l'a condamnée à payer les sommes de 34 691,49 euros au titre du préjudice matériel,

5 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. et Mme [U] de leurs demandes de dommages et intérêts non justifiés et réduire à de plus justes proportions l'indemnité au titre des frais de procédure.

Par dernières conclusions notifiées le 31 août 2022, M. [T] [U] et Mme [S] [F], son épouse, sollicitent, en application des articles 1641, 1644, 1645, 1648 et 2239 du code civil et 564 du code de procédure civile, de :

- se voir déclarer recevables et bien fondés en leurs demandes,

- voir dire et juger que la maison située [Adresse 2], était atteinte de vices cachés au jour de la vente, que Mme [B] en avait connaissance et était donc de mauvaise foi lors de la vente, et que la clause de non garantie au titre des vices cachés est nulle et de nul effet,

à titre principal,

- voir prononcer la résolution de la vente dudit bien,

- voir condamner Mme [B] à leur rembourser la somme de 173 000 euros correspondant au prix de vente, à charge pour eux de lui restituer le bien vendu,

- voir condamner Mme [B] à leur payer les sommes suivantes :

. 14 000 euros au titre des frais de notaire,

. 17 122,61 euros au titre des intérêts du crédit Caisse d'Epargne primolis souscrit pour le financement de la maison, selon décompte arrêté provisoirement au 31 décembre 2018,

. 735,07 euros au titre des intérêts du crédit Logéo souscrit pour le financement de la maison, selon décompte arrêté provisoirement au 31 décembre 2018,

. 2 833,88 euros au titre des intérêts du crédit Caisse d'Epargne primo souscrit pour le financement de la maison, selon décompte arrêté provisoirement au 31 décembre 2018,

. 23 040 euros au titre du préjudice de jouissance, selon décompte provisoirement arrêté au 31 décembre 2018,

. 10 000 euros au titre du préjudice moral,

à titre subsidiaire,

- voir condamner Mme [B] à leur payer les sommes suivantes :

. 60 000 euros au titre de la restitution d'une partie du prix de vente équivalente au montant des

travaux réparatoires nécessaires,

. 23 040 euros au titre du préjudice de jouissance, selon décompte provisoirement arrêté au 31 août 2022,

. 10 000 euros au titre du préjudice moral,

en tout état de cause,

- voir condamner Mme [B] à leur payer la somme de 5 500 euros au titre des frais occasionnés par la présente procédure tant devant le juge des référés et durant l'expertise que devant le tribunal judiciaire du Havre et la juridiction de céans, outre les entiers dépens de l'instance,

- voir débouter Mme [B] de ses demandes,

- voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 31 août 2022.


MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action fondée sur la garantie des vices cachés

L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Mme [B] fait valoir que M. et Mme [U] ont eu connaissance du vice qu'ils allèguent dès leur courrier recommandé qu'ils lui ont adressé le 19 janvier 2015 ; qu'ils en ont eu la confirmation aux termes d'un courrier de l'entreprise Thomas TP du 27 février 2015 et de l'expertise amiable qui a eu lieu le 8 avril 2015 ; que le délai de forclusion biennale de l'article 1648 du code civil qui n'est pas soumis à l'article 2239 du même code a été interrompu par l'assignation en référé du 31 mai 2016 ; qu'un nouveau délai a couru à compter de l'ordonnance de référé du 16 juin 2016 ; que M. et Mme [U] l'ont faite assigner le 26 février 2019, soit plus de deux ans après, de sorte que leur action est irrecevable comme forclose.

M. et Mme [U] répondent qu'en application de l'article 2239 du code précité, les opérations d'expertise judiciaire ont suspendu le délai de prescription de deux ans, lequel avait été interrompu par l'assignation en référé en mai 2016 et n'a recommencé à courir qu'à compter du dépôt du rapport d'expertise le 30 juillet 2018, date à laquelle ils ont eu une connaissance certaine et complète des vices cachés affectant leur maison, qu'ayant assigné Mme [B] le 26 février 2019, soit avant l'expiration dudit délai, leur action est donc recevable.

Selon l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

L'article 2220 du même code précise que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par les textes sur la prescription extinctive.

L'article 2241 du même code prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

L'article 2242 du même code indique que l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

Le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l'article 1648, est un délai de forclusion. Il peut être interrompu par une demande en justice jusqu'à l'extinction de l'instance. En revanche, il n'est pas susceptible de suspension telle que celle prévue par l'article 2239 du code précité lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Ce texte régit uniquement le délai de prescription.

En l'espèce, aux termes de leur réclamation recommandée adressée à leur venderesse le 21 janvier 2015, M. et Mme [U] ont dénoncé notamment une infiltration d'eau par la toiture du garage, la moisissure d'une plinthe dans la salle de bains et le salon, et des infiltrations d'eau dans la cave et par le parquet flottant du salon. Ils ont indiqué qu'ils s'étaient rapprochés d'un professionnel concernant l'infiltration d'eau dans la cave et le salon qui leur avait dit que ce problème avait pris naissance antérieurement à la vente et que de l'eau s'infiltrait sous toute la maison. Ils ont ajouté qu'une recherche de fuite était nécessaire pour confirmer les dires de celui-ci, dont ils ont demandé à Mme [B] de prendre en charge les frais, ainsi que le coût des réparations pour empêcher l'eau de s'infiltrer à l'intérieur de la maison.

Le 16 février 2015, ils ont fait intervenir la Sarl Thomas TP qui leur a précisé dans son courrier du 27 février 2015 avoir constaté des infiltrations au niveau des planchers et des fondations dues à des remontées par dallage et par manque de drainage. Elle a préconisé d'enlever entièrement le carrelage et de casser le dallage pour effectuer un drainage complet de la maison.

M. [W] de la Sa Cunnigham Lindsey France, expert amiable intervenu à la demande de l'assureur protection juridique des époux [U], a indiqué, dans son rapport d'expertise du 2 juin 2015, que l'origine la plus vraisemblable des remontées d'eau dans l'habitation était liée à l'absence de drainage en périphérie du mur semi-enterré, l'eau s'infiltrant alors dans la dalle béton du logement et remontant par capillarité dans l'ensemble de celui-ci.

Postérieurement, l'expert judiciaire a rejoint les conclusions de l'expert amiable (page 28/30 de son rapport d'expertise).

C'est donc à compter du rapport d'expertise amiable du 2 juin 2015 que M. et Mme [U] ont eu connaissance de l'ampleur des infiltrations et de leur provenance.

Le délai de deux ans a donc commencé à courir à compter de ladite date. Il a été interrompu par l'assignation en référé expertise du 31 mai 2016 jusqu'à la désignation de l'expert judiciaire le 16 juin 2016, date à laquelle ce délai a de nouveau couru.

A défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans ce nouveau délai qui expirait le 16 juin 2018, M. et Mme [U], qui ont engagé tardivement leur action le 26 février 2019, sont forclos.

Le jugement du tribunal ayant accueilli cette action sera infirmé.

Sur les dépens et les frais de procédure

Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront infirmées.

Partie perdante, les époux [U] seront condamnés solidairement aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'est pas inéquitable de les condamner également à payer à l'appelante soldiairement la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS



La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable pour cause de forclusion l'action en garantie des vices cachés engagée par M. [T] [U] et Mme [S] [F], son épouse à l'encontre de Mme [Z] [B],

Condamne solidairement M. [T] [U] et Mme [S] [F], son épouse, à payer à Mme [Z] [B] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne solidairement M. [T] [U] et Mme [S] [F], son épouse, aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, La présidente de chambre,