CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 janvier 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 44 F-D
Pourvoi n° G 23-18.821
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 JANVIER 2025
1°/ M. [P] [S], domicilié [Adresse 4],
2°/ Mme [R] [Z], divorcée [S], domiciliée [Adresse 6],
3°/ la société Clevan, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° G 23-18.821 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [Y] [E],
2°/ à Mme [B] [U], épouse [E],
3°/ à M. [J] [U],
tous trois domiciliés [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [S], de Mme [Z] et de la société Clevan, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [E] et de M. [U], après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 mai 2023), rendu en référé, M. et Mme [E], ainsi que M. [U] (les consorts [E]-[U]), ont acquis en 2006 une parcelle cadastrée section F n° [Cadastre 2].
2. M. [S], Mme [Z] et la société civile immobilière Clévan (la SCI) sont chacun propriétaires de diverses parcelles, issues de la division d'un même fonds, contiguës par le nord à la parcelle propriété des consorts [E]-[U].
3. Se prévalant d'un bornage amiable intervenu en 2001, les consorts [E]-[U] les ont assignés en référé en démolition de constructions édifiées en 2009 qui, selon eux, empiètent sur leur parcelle.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [S], Mme [Z] et la SCI font grief à l'arrêt de retenir l'existence des deux empiétements sur la propriété des consorts [E]-[U], constitutifs d'un trouble manifestement illicite et d'ordonner qu'il y soit mis un terme par la suppression de tous les ouvrages empiétant, alors « qu'une cour d'appel ne peut retenir l'existence d'un trouble manifestement illicite, lorsque le droit de propriété prétendument violé n'est fondé que sur un procès-verbal de bornage ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un double empiétement sur la propriété de M. et Mme [E] et de M. [U], la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur le procès-verbal de bornage en date du 6 décembre 2001, dont elle estime qu'il constitue un accord de l'auteur des exposants à limiter l'étendue de sa propriété ; qu'en statuant ainsi, alors que le procès-verbal de bornage n'est pas un acte translatif de propriété et ne peut, seul, fonder l'attribution de la propriété d'une parcelle litigieuse, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un trouble manifestement illicite en violation des articles
544,
646 et
835 du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Les consorts [E]-[U] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent que les demandeurs n'ayant contesté que l'opposabilité du bornage du 6 décembre 2001 signé par leurs auteurs respectifs, le moyen, à la fois contraire à leurs écritures, nouveau et mélangé de fait et de droit, est, à ces deux titres, irrecevable.
6. Cependant, le moyen, qui est de pur droit pour ne se référer à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, n'est pas contraire à la position soutenue par M. [S], Mme [Z] et la SCI dans leurs écritures d'appel.
7. Il est, par conséquent, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu
l'article 835 du code de procédure civile et les articles
544 et
646 du code civil :
8. Aux termes du premier de ces textes, le président peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
9. Selon le deuxième, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue.
10. Selon le dernier, tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës.
11. Il est jugé que le caractère manifestement illicite du trouble n'est pas établi lorsqu'un doute sérieux existe quant au droit revendiqué par le demandeur (3e Civ., 12 septembre 2024, pourvoi n° 23-11.543, publié) et qu'un procès-verbal de bornage, qui ne constitue pas un acte translatif de propriété, ne permet pas à lui seul d'attribuer la propriété d'une portion de terrain et d'ordonner la démolition des ouvrages qui y ont été construits (3e Civ., 8 décembre 2004, pourvoi n° 03-17.241, Bull. 2004, III, n° 227 ; 3e Civ., 10 novembre 2009, pourvoi n° 08-20.951, Bull. 2009, III, n° 247; 3e Civ., 10 juillet 2013, pourvoi n° 12-19.416, 12-19.610, Bull. 2013, III, n° 97).
12. Pour dire que le trouble invoqué par les consorts [E]-[U] est manifestement illicite et ordonner la destruction sollicitée de divers ouvrages, l'arrêt retient que le plan de bornage du 6 décembre 2001 et le projet de procès-verbal de bornage et rétablissement de limites établi par le même géomètre, le 15 janvier 2021, établissent clairement la limite séparative des fonds des parties, que le constat d'huissier de justice dressé sur la base de cette limite révèle qu'une partie d'un mur déborde de la clôture en direction de la parcelle cadastrée section F n° [Cadastre 1] appartenant aux consorts [E]-[U], de sorte que les deux empiétements de 30 m² et 15 m² dénoncés sont à l'évidence établis.
13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est exclusivement fondée sur un procès-verbal de bornage pour constater la propriété des consorts [E]-[U] sur une portion de terrain, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS
, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne M. et Mme [E] et M. [U] aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille vingt-cinq.