Tribunal administratif de Paris, 3ème Chambre, 20 octobre 2022, 2006810

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Paris
  • Numéro d'affaire :
    2006810
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Satisfaction partielle
  • Rapporteur : M. Abrahami
  • Commentaires :
  • Président : Mme Versol
Voir plus

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 avril 2020 et 4 mai 2022, l'association Francophonie Avenir (A.FR.AV), représentée par son président, M. C B, demande au tribunal, dans le dernier état de ses conclusions : 1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a rejeté son recours gracieux présenté le 24 janvier 2020, tendant à ce qu'il renonce à utiliser l'expression " Health Data Hub " dans l'espace public ; 2°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé et à tout autre service de l'Etat de ne plus utiliser l'expression " Health Data Hub " et son sigle " HDH " dans l'espace public ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 100 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la décision attaquée : - méconnaît les articles 1er, 2 et 14 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ; - constitue une atteinte à l'ordre public, en raison de l'absence d'exemplarité du ministère chargé de la santé ; - porte préjudice aux valeurs défendues par l'association, en particulier la diversité linguistique, l'enseignement du français et le soutien de la francophonie internationale. Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce qu'une éventuelle annulation soit modulée dans le temps et n'intervienne pas avant vingt-quatre mois à compter du jugement à intervenir. Il soutient que : - les conclusions de la requête tendant à déclarer illégale la marque " Health Data Hub " sont irrecevables ; - les moyens soulevés par l'association Francophonie Avenir ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. A, - les conclusions de M. Abrahami, rapporteur public, - et les observations de M. D, représentant l'association Francophonie Avenir.

Considérant ce qui suit

: 1. Par un courrier du 24 janvier 2020, l'association Francophonie Avenir a demandé au directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère chargé de la santé de ne plus utiliser, dans l'espace public, la marque " Health Data Hub ". En l'absence de réponse de l'administration, une décision implicite de rejet de cette demande est née, dont l'association requérante demande l'annulation. Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre des solidarités et de la santé : 2. Si le ministre des solidarités et de la santé soutient que les conclusions de la requête tendant à déclarer que la marque " Health Data Hub " contrevient aux articles 1, 2 et 14 de la loi du 4 août 1994 sont irrecevables, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de " déclarer " l'illégalité d'une décision, il ressort des écritures de l'association requérante que cette mention doit être interprétée comme un simple développement appuyant les conclusions principales de la requête, tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé a rejeté son recours gracieux présenté le 24 janvier 2020. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense doit être écartée. Sur les conclusions aux fins d'annulation : 3. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française : " Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. / Elle est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics. / Elle est le lien privilégié des Etats constituant la communauté de la francophonie. ". L'article 2 de la même loi dispose que : " Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire. / Les mêmes dispositions s'appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. / () ". Aux termes de son article 6 : " Tout participant à une manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française a le droit de s'exprimer en français. Les documents distribués aux participants avant et pendant la réunion pour en présenter le programme doivent être rédigés en français et peuvent comporter des traductions en une ou plusieurs langues étrangères. / Lorsqu'une manifestation, un colloque ou un congrès donne lieu à la distribution aux participants de documents préparatoires ou de documents de travail, ou à la publication d'actes ou de comptes rendus de travaux, les textes ou interventions présentés en langue étrangère doivent être accompagnés au moins d'un résumé en français. / Ces dispositions ne sont pas applicables aux manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ni aux manifestations de promotion du commerce extérieur de la France. " Son article 14 dispose, s'agissant des marques, que : " I. L'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française () / II. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux marques utilisées pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la présente loi ". 4. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, pour les noms de marque de fabrique, de commerce ou de service, l'obligation d'emploi de la langue française, dont le principe est posé par l'article 2 de la loi du 4 août 1994, obéit aux dispositions particulières de l'article 14 de cette loi qui prévoit que l'emploi, dans le nom d'une marque utilisée pour la première fois après l'entrée en vigueur de la loi, d'une expression ou d'un terme étranger à la langue française, n'est interdit aux personnes morales de droit public que s'il existe une expression française de même sens approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel de la République française. Il en résulte également que pour les manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ainsi que les manifestations de promotion du commerce extérieur de la France, l'obligation d'emploi de la langue française n'est pas applicable. 5. En l'espèce, la marque litigieuse est constituée des trois termes anglais " Health ", " Data " et " Hub ". Le terme " Health " a fait l'objet d'une traduction approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 3 juin 2003, proposant le mot " santé ". Le terme " Data " a fait l'objet d'une traduction approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 22 septembre 2000, proposant le mot " donnée ". Enfin, le terme " Hub " a fait l'objet d'une traduction approuvée par la commission d'enrichissement de la langue française et publiée au Journal officiel du 16 mars 1999, proposant le mot " concentrateur ". Par suite, dès lors qu'il existait des expressions françaises de même sens que les termes anglais utilisés au sein de la marque " Health Data Hub ", approuvées par la commission d'enrichissement de la langue française et publiées au Journal officiel de la République française, l'utilisation de cette marque anglophone méconnaît l'article 14 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française. Par suite, la décision litigieuse est, sur ce fondement, entachée d'erreur de droit. 6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3 de la loi du 4 août 1994 : " Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l'information du public doit être formulée en langue française (). " Aux termes de l'article 6 de cette loi : " Tout participant à une manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes physiques ou morales de nationalité française a le droit de s'exprimer en français. Les documents distribués aux participants avant et pendant la réunion pour en présenter le programme doivent être rédigés en français et peuvent comporter des traductions en une ou plusieurs langues étrangères. / Lorsqu'une manifestation, un colloque ou un congrès donne lieu à la distribution aux participants de documents préparatoires ou de documents de travail, ou à la publication d'actes ou de comptes rendus de travaux, les textes ou interventions présentés en langue étrangère doivent être accompagnés au moins d'un résumé en français. / Ces dispositions ne sont pas applicables aux manifestations, colloques ou congrès qui ne concernent que des étrangers, ni aux manifestations de promotion du commerce extérieur de la France. " 7. L'association requérante produit un courrier du 22 juin 2020 du directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère chargé de la santé, selon lequel le dossier de dépôt de la marque " Health Data Hub " auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) aurait été retiré. Cependant, elle produit également un document de l'INPI attestant du dépôt de la marque, le 4 février 2019, par le directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère chargé de la santé, puis de son enregistrement. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Etat français aurait, en application de l'article L. 714-2 du code de la propriété intellectuelle, engagé auprès de l'INPI un processus de renonciation aux effets de l'enregistrement de cette marque. 8. Au demeurant, à supposer que les termes " Health Data Hub " doivent être regardés comme une simple expression, et non comme une marque déposée au sens des dispositions de l'article 14 de la loi du 4 août 1994, le ministre des solidarités et de la santé soutient que l'expression " Health Data Hub " a seulement vocation à favoriser l'activité internationale de la plateforme de données de santé et n'est utilisée qu'à destination d'un public étranger ou à l'extérieur du territoire national. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'expression en cause n'est pas seulement utilisée dans les activités de promotion de la plateforme des données de santé à l'étranger, mais également dans les supports de communication disponibles sur le territoire français et à destination de la population française, en français, dans de nombreuses manifestations publiques. Par suite, l'association requérante est fondée à soutenir que l'usage de ces termes méconnaît les dispositions précitées des articles 3 et 6 de la loi du 4 août 1994. 9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu d'annuler la décision implicite de rejet opposée à la demande de l'association requérante tendant au retrait de l'appellation anglaise " Health Data Hub " des supports de communication publique du gouvernement à destination de la population française. Sur les conséquences de l'illégalité de la décision litigieuse : 10. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. 11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la disparition rétroactive de la décision portant refus de retirer l'appellation anglaise " Health Data Hub " des supports de communication publique du gouvernement à destination de la population française entraînerait des conséquences manifestement excessives, eu égard aux intérêts en présence et aux inconvénients que présenterait une limitation dans le temps des effets de son annulation. Il n'y a pas lieu, par suite, d'assortir l'annulation de cette décision d'une telle limitation. Sur les conclusions à fin d'injonction : 12. Le présent jugement implique nécessairement que l'administration procède au retrait de l'expression " Health Data Hub " et du sigle HDH de ses supports de communication destinés au public français sur le territoire national. Il y a lieu d'enjoindre à l'administration d'y procéder d'ici le 20 avril 2023. Sur les frais liés au litige : 13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 100 euros que demande l'association requérante en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite de rejet opposée par le ministre des solidarités et de la santé à la demande de l'association Francophonie Avenir tendant au retrait de l'appellation " Health Data Hub " de ses supports de communication publics est annulée. Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé et de la prévention de procéder au retrait de l'expression " Health Data Hub " et du sigle " HDH " de l'ensemble des supports de communication destinés au public français sur le territoire national, d'ici le 20 avril 2023. Article 3 : L'Etat versera à l'association Francophonie Avenir la somme de 100 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l'association Francophonie Avenir et au ministre de la santé et de la prévention. Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, à laquelle siégeaient : Mme Versol, présidente, M. Pény, premier conseiller, M. Doan, conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022. Le rapporteur, R. A La présidente, F. Versol La greffière, A. Cardon La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement. 2/6-3