AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Jean Vidal Créations, société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 29 septembre 1998 par la cour d'appel de Riom (Chambre sociale), au profit :
1 / de M. Philippe C..., demeurant ...,
2 / de l'ASSEDIC, dont le siège est ...,
défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 janvier 2001, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Rouquayrol de Boisse, conseiller référendaire rapporteur, MM. Ransac, Lanquetin, Bailly, conseillers, Mme Lebée, M. Funck-Brentano, conseillers référendaires, M. Duplat, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Rouquayrol de Boisse, conseiller référendaire, les observations de Me Cossa, avocat de la société Jean Vidal Créations, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. C..., les conclusions de M. Duplat, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que M. Philippe Vidal, président de la société Jean C..., a cédé ses parts le 31 juillet 1992 et est devenu directeur de la fabrication ; qu'il a été licencié par lettre du 11 juillet 1995 après mise à pied conservatoire du 23 juin 1995 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Riom, 29 septembre 1998) d'avoir réformé le jugement entrepris en ce qu'il avait dit que le licenciement de M. Vidal avait une cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné à verser au salarié des indemnités de rupture et des dommages intérêts, alors, selon le moyen :
1 / qu'en omettant de prendre en considération les attestations de Mmes A..., Y... et B... desquelles il ressortait clairement que M. Vidal avait pris une semaine de congés à compter du 29 mai 1995 sans en informer au préalable la société Jean C..., et qui étaient ainsi de nature à établir la faute grave qui lui avait été imputée de ce chef, la cour d'appel a dénaturé par omission ces écrits, en violation de l'article
1134 du Code civil ;
2 / que tout jugement doit être motivé à peine de nullité, le juge ne pouvant procéder par voie de pure affirmation ; que, dès lors, en affirmant que M. Vidal "partait (en congé) avec l'accord verbal de l'employeur", sans cependant faire état à cet égard d'éléments de fait circonstanciés permettant de corroborer la véracité de cette affirmation dont il appartenait en tout état de cause au salarié de rapporter la preuve, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le juge ne peut se prononcer par des motifs hypothétiques ; que, dès lors, en énonçant, au soutien de sa décision, que "l'étonnement manifesté par M. X... auprès de Mme A... le 29 mai pouvait avoir été feint", et que "l'embauche d'une salariée comme manutentionnaire, du 1er juin au 12 juillet pour "travaux exceptionnels et saisonniers" n'apparaissait pas liée à une absence du directeur de fabrication", alors que la solution du litige exigeait une affirmation catégorique quant à la réalité de ces éléments de fait, la cour d'appel s'est déterminée à cet égard par une motivation hypothétique, en violation de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / qu'en application des dispositions de l'article
L.122-44 du Code du travail, l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à faire état d'un fait fautif commis plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire pour justifier le prononcé d'une sanction aggravée ;
qu'en l'espèce, la société Jean C... avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'au niveau administratif, il incombait à M. Vidal et à la comptable, Mme B..., de vérifier que les factures adressées par les fournisseurs correspondaient bien aux commandes passées et aux tarifs en vigueur, tandis que le président-directeur général, M. X..., qui ne pouvait en contrôler la régularité, se bornait à les signer et à indiquer les délais de paiement ; qu'elle avait également ajouté que ce n'était que lors de la mise à pied à titre conservatoire infligée le 23 juin 1995 à M. Vidal, que M. X... avait découvert que ce dernier avait fait supporter par la société exposante les frais de livraison d'une marchandise de 260 kg intervenue le 28 octobre 1994, et dont le destinataire était son frère demeurant à Saint-Rémy de Provence ; qu'il s'ensuit, qu'en retenant simplement, au soutien de sa décision, que M. X... ne contestait pas avoir visé la facture relative à cette livraison en vue de son paiement, sans cependant rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce dernier n'avait pas été effectivement informé de l'existence de ladite livraison que postérieurement à l'engagement de la procédure disciplinaire concernant M. Vidal, et s'il n'avait pas été ainsi en droit d'en faire état à l'appui du licenciement litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
5 / que le doute du juge prud'homal au bénéfice du salarié doit avoir un caractère irréductible ; que, dès lors, en relevant successivement, pour déclarer qu'il existait un doute sérieux concernant l'existence du grief d'utilisation à des fins personnelles du téléphone de l'entreprise qui avait été reproché à M. Vidal, que "l'usage du téléphone ne paraît pas avoir été abusif jusqu'à la fin mai 1995, et que la seule production de factures postérieures à février 1995 tend à révéler que M. Vidal ne dépassait pas un usage toléré jusqu'alors", sans cependant justifier d'une telle affirmation, et "qu'il en va autrement à partir de mai 1995, fait que M. Vidal explique par les négociations nécessaires à la vente de la clinique de sa femme à Lyon pour en acheter une autre à Saint-Etienne et avoir eu pour ce faire l'accord de M. X...", sans toutefois établir la réalité d'un tel accord, et en s'abstenant ainsi d'ordonner des mesures d'instruction susceptibles de démontrer, le cas échéant, la réalité de la tolérance relative à l'usage du téléphone à des fins personnelles dans l'entreprise ou l'autorisation personnelle dont aurait bénéficié M. Vidal à cet égard, et en l'absence desquelles le doute ne pouvait être retenu comme irréductible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L.122-6,
L.122-8 et
L.122-9 du Code du travail, ensemble les articles
L.122-14-3 et
L.122-14-4 du même Code ;
6 / que les comportements professionnels fautifs de nature à préjudicier à l'entreprise sont constitutifs d'une faute grave, à tout le moins d'une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que, dès lors, en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les conclusions d'appel de la société Jean C..., si, en adressant des échantillons défectueux de bandeaux serre-tête au client "Tartine et Chocolat", faute d'avoir fait procéder au préalable au réglage spécifique de la machine à coudre utilisée à cet effet, ce qui avait conduit ce client à les retourner accompagnés d'une lettre de protestation, M. Vidal n'avait pas manqué à ses obligations inhérentes à sa qualité de directeur de fabrication et d'unique responsable des problèmes techniques, dans des conditions justifiant son licenciement pour faute grave, à tout le moins pour cause réelle et sérieuse, et en se bornant à retenir à cet égard qu'il n'était pas démontré que l'intéressé "avait ou devait avoir la capacité de régler une machine n'appartenant pas à l'entreprise", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L.122-6,
L.122-8 et
L.122-9 du Code du travail, ensemble les articles
L.122-3 et
L.122-4 du même Code ;
7 / qu'est constitutif d'une faute grave, à tout le moins d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, le comportement professionnel fautif ayant entraîné un préjudice commercial et financier pour l'entreprise ; qu'en l'espèce, il a été constaté par l'arrêt que la société Céline avait adressé en mars 1995 à la société Jean C... un cahier des charges précis en vue de la fabrication de boîtes haut de gamme avec un couvercle noir portant la marque "Céline Z..." en or et un fond rouge, et que M. Vidal a transmis à un imprimeur une commande de 1 000 boîtes de ce type en inversant les couleurs, ce qui a conduit ce client à refuser le conditionnement réalisé et la société Jean C... à faire fabriquer à ses frais de nouvelles boîtes ; que, dès lors, en refusant d'attribuer un caractère fautif à ce comportement dont elle admettait l'existence, au motif inopérant et non établi que la société Céline aurait délivré au salarié un bon à tirer au vu du prototype erroné, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui en découlaient nécessairement au regard des articles
L.122-6,
L.122-8 et
L.122-9 du Code du travail, à tout le moins au regard des articles
L.122-3 et
L.122-4 du même Code, qu'elle a ainsi violés ;
8 / que les juges du fond peuvent réduire d'office l'indemnité contractuelle de licenciement dont le montant est manifestement excessif;
qu'en l'espèce, M. Vidal avait exigé, en contrepartie de la cession de l'intégralité de ses parts sociales à M. X..., l'insertion dans son contrat de travail d'une clause lui attribuant une substantielle indemnité en cas de licenciement non motivé par une faute professionnelle ; qu'il s'ensuit qu'en s'abstenant de rechercher, avant d'allouer de ce chef au salarié la somme de 200 000 francs, si, eu égard à cette circonstance, le montant de l'indemnité prévue n'était pas effectivement excessif et s'il ne convenait donc pas de procéder à sa réduction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article
1152 du Code civil. ;
Mais attendu, que les juges du fond, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis ont estimé que les faits reprochés au salarié, soit n'étaient pas établis, soit n'étaient pas sérieux ; que les griefs qui se bornent à remettre en discussion cette appréciation, ne peuvent être accueillis ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Jean Vidal Créations aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Jean Vidal Créations à payer à M. Vidal la somme de 15 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille un.