Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 mars 2025 et le 18 mars 2025, le syndicat CFDT Interco de la Haute-Garonne et de l'Ariège, le
syndicat SUD collectivités territoriales 31, le syndicat CGT CD-31 et le syndicat FO des personnels des services du département de la Haute-Garonne, représentés par Me
Laclau, demandent au juge des référés sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner au président du conseil départemental de la Haute-Garonne de mettre fin sans délai à la suspension des adresses de messagerie électronique des organisations syndicales décidée le 7 mars 2025 dès l'intervention de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
2°) de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la mesure de suspension des adresses fonctionnelles de messagerie électroniques attribuées aux organisations syndicales a pour effet de les empêcher de communiquer collectivement et individuellement avec leurs adhérents et plus largement avec les agents du département alors que le contexte inhérent au dialogue social et des échéances importantes pour l'administration du département et des personnels impliquent qu'ils puissent assurer cette communication à brève échéance ;
- cette décision porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale, au droit de grève, à la liberté de manifestation et de réunion et à la liberté d'expression ;
- la décision est entachée de vice de procédure au regard des obligations consultatives posées par l'article
R. 253-7 du code général de la fonction publique car le comité social territorial n'a pas été consulté ;
- la décision du 7 mars 2025 suspendant l'utilisation des adresses de messageries fonctionnelles méconnaît le droit des organisations syndicales aux technologies de communication reconnu par l'article
4-1 du décret du 3 avril 1985 et la circulaire du ministre de l'intérieur du 20 janvier 2016, qui est opposable au département de la Haute-Garonne ;
- l'atteinte portée aux libertés fondamentales est disproportionnée au regard des motifs qui la fondent ;
- une atteinte grave et manifestement illégale est donc portée aux libertés fondamentales dont se prévalent les obligations syndicales requérantes.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 mars 2025, le département de la Haute-Garonne, représenté par Me
Le Chatelier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des syndicats requérants en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable car la demande présentée au juge des référés ne tend pas à l'obtention d'une mesure provisoire mais à une mesure équivalente à celle qui résulterait de l'annulation de la décision du 7 mars 2025 ;
- les fonctions des représentants des organisations syndicales requérantes ne sont pas déterminées et ceux-ci ne sont pas habilités par les organes ayant vocation à décider des actions en justice, de telle sorte que leur qualité pour agir n'est pas établie ;
- aucune urgence n'est caractérisée ;
- aucune atteinte grave et manifestement illégale n'est portée aux libertés fondamentales dont se prévalent les obligations syndicales requérantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Grimaud pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 18 mars 2025 à 14 heures, tenue en présence de Mme Tur, greffière d'audience :
- le rapport de M. Grimaud, juge des référés,
- et les observations de Me
Laclau, représentant le syndicat CFDT Interco de la Haute-Garonne et de l'Ariège, le
syndicat SUD collectivités territoriales 31, le syndicat CGT CD-31 et le syndicat FO des personnels des services du département de la Haute-Garonne et de Me Riffard substituant Me
Le Chatelier et de Mme A, représentant le département de la Haute-Garonne, qui reprennent et précisent les conclusions et moyens exposés dans la requête.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Par un protocole d'accord conclu le 30 mars 2021 pour une durée de trois ans, le président du conseil départemental de la Haute-Garonne et six organisations syndicales représentées au sein des services de cette collectivité ont défini, sur le fondement de l'article
4-1 du décret du 3 avril 1985 alors en vigueur, les moyens de communication électronique mis à la disposition de ces organisations syndicales. Au terme de ce protocole, chaque organisation syndicale bénéficiait d'un compte générique de messagerie électronique permettant notamment la diffusion de publications syndicales, par voie de listes de diffusion, à l'ensemble des agents de la collectivité, ainsi que la réception et l'envoi de messages individuels émanant ou destinés à des agents du département. Ce même protocole prévoyait la mise à disposition d'un espace sur l'intranet du département au bénéfice de chaque organisation syndicale. Par une décision du 7 mars 2025, le directeur général des services du département a suspendu à titre conservatoire la possibilité d'envoi de messages depuis les adresses génériques mises à disposition de chacune des organisations syndicales pour une durée de trois mois. Cette mesure a été modifiée le 17 mars 2025, les services du département ayant alors rétabli la possibilité d'envoi de courriels depuis les adresses génériques octroyées aux organisations syndicales, dans la limite de dix destinataires par message, et ayant modifié les conditions d'utilisation des rubriques syndicales de l'intranet en permettant aux agents de s'inscrire à des listes de diffusion des organisations syndicales sur les espaces ouverts aux syndicats sur l'intranet départemental.
Sur la
recevabilité :
2. En premier lieu, lorsque les dispositions ou stipulations applicables à une personne morale subordonnent à une habilitation par un de ses organes la possibilité pour son représentant légal d'exercer en son nom une action en justice, le représentant qui engage une action devant une juridiction administrative doit produire cette habilitation, au besoin après y avoir été invité par le juge. Toutefois, cette obligation ne s'applique pas, eu égard aux contraintes qui leur sont propres, aux actions en référé soumises, en vertu des dispositions applicables, à une condition d'urgence ou à de très brefs délais. Il en résulte que le département de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que la requête présentée par les représentants des organisations syndicales requérantes, qui est au demeurant accompagnée des décisions de leurs organes délibérants les habilitant à agir, serait irrecevable.
3. En second lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles
L. 511-1,
L. 521-2 et
L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article
L. 521-2 de ce code et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.
4. En l'espèce, si le département de la Haute-Garonne soutient que la demande présentée au juge des référés ne tend pas à l'obtention d'une mesure provisoire mais à une mesure équivalente à celle qui résulterait de l'annulation des décisions adoptées le 7 mars 2025 et le 17 mars 2025, il résulte de la nature des décisions adoptées par l'administration et des conditions dans lesquelles se présente le litige qu'une mesure dépourvue de caractère provisoire est seule à même de préserver l'exercice des libertés fondamentales dont se prévalent les organisations syndicales requérantes. La fin de non-recevoir soulevée sur ce point par le département de la Haute-Garonne doit donc être écartée.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative :
5. Aux termes de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
En ce qui concerne l'urgence :
6. Les organisations syndicales requérantes soutiennent, pour établir l'urgence à suspendre l'exécution de la décision de restriction d'envoi depuis les adresses de messagerie génériques, que celle-ci les empêche de communiquer de manière rapide et utile avec les agents du département alors, d'une part, que le dialogue social au sein de la collectivité est nourri en raison d'évolutions à la baisse des effectifs devant être décidées à brève échéance, notamment lors du vote du budget de la collectivité les 25 et 26 mars 2025 et, d'autre part, que plusieurs instances administratives importantes, dont des commissions administratives paritaires, doivent se tenir au début du mois d'avril 2025.
7. S'il est vrai que les nouvelles modalités de limitation de l'usage de la messagerie adoptées par le département le 17 mars 2025 assurent, d'une part, la possibilité d'un rétablissement des communications entre les organisations syndicales et des groupes limités à dix agents et, d'autre part, la possibilité de communication institutionnelle de ces organisations par le biais de l'intranet départemental, il n'en demeure pas moins que celles-ci se trouvent, au jour de la présente ordonnance, privées de la possibilité d'adresser rapidement des communications globales à l'ensemble des agents du département afin de les informer de la situation de la collectivité et des évolutions en cours et, le cas échéant, de les inviter à exercer leurs droit statutaires, notamment syndicaux, ou à se joindre à des actions revendicatives. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la dispersion des sept mille deux cents agents du département sur de très nombreux sites et entre des métiers différents répartis sur tout le territoire de la collectivité limite l'impact des procédés d'affichage ou de distribution de tracts, de telle sorte que les requérants établissent la nécessité de recourir à ce procédé de communication électronique, qui n'apparaît pas pouvoir être relayé par la fonctionnalité d'inscription des agents sur l'espace intranet syndical, lequel n'avait enregistré qu'environ trois cents inscriptions d'agents à la date de l'audience. Enfin, indépendamment du contenu respectif des communications émanant des autorités de la collectivité et des syndicats représentés au sein de celle-ci, la circonstance que les élus et services du département prennent le soin de communiquer sur les évolutions en cours afin de les expliquer aux agents ne saurait être regardé, tout au moins dans le cadre du présent litige, comme une alternative à la communication des organisations syndicales à destination de leurs mandants et, plus largement des agents du département. Dans ces conditions, les organisations syndicales requérantes doivent être regardées comme établissant une urgence de nature à justifier l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article
L. 521-2 du code de justice administrative.
En ce qui concerne l'atteinte portée à une liberté fondamentale :
8. Aux termes des dispositions de l'article
R. 213-62 du code général de la fonction publique : " Le ministre chargé de la fonction publique, pour les administrations de l'Etat, les établissements publics administratifs de l'Etat et les autorités administratives ou publiques indépendantes, et le ministre chargé de la santé, pour les établissements mentionnés à l'article
L. 5, définissent le cadre général de l'utilisation par les organisations syndicales, au sein des services, des technologies numériques et des données à caractère personnel contenues dans les traitements automatisés relatifs à la gestion des ressources humaines ainsi que les conditions dans lesquelles sont garantis les principes mentionnés à l'article
R. 213-64 ". Aux termes de l'article
R. 213-63 du même code : " Les conditions et les modalités d'utilisation par les organisations syndicales des technologies et données mentionnées à l'article
R. 213-62 sont fixées, après avis du comité social compétent, par décision : / 1° Du ministre ou du chef de service au sein de chaque ministère, établissement public administratif de l'Etat et autorité administrative ou publique indépendante ; / 2° De l'autorité territoriale au sein de chaque collectivité territoriale ou établissement mentionnés à l'article L. 4 ; / 3° Du directeur de l'établissement au sein de chaque établissement mentionné à l'article
L. 5 ". En vertu de l'article
R. 253-7 de ce code : " Le comité social territorial est saisi pour avis : / () 5° Des projets de décision relatifs aux modalités d'utilisation des technologies numériques par les organisations syndicales, en application des dispositions de l'article
R. 213-63 ; () ".
9. Il résulte des dispositions qui précèdent que, dans la fonction publique territoriale, il appartient à l'autorité territoriale, après avis du comité social territorial, de définir les conditions d'utilisation des technologies de l'information et de la communication par les organisations syndicales représentées au sein de la collectivité en tenant compte, notamment, des contraintes administratives et techniques pesant sur celle-ci et de la nécessité d'assurer le libre exercice des droits syndicaux.
10. En l'espèce, si le protocole d'accord conclu entre le président du conseil départemental de la Haute-Garonne et les organisations syndicales représentées au sein des services de cette collectivité cité au point 1 de la présente ordonnance était caduc à la date d'intervention des mesures de restriction objets du litige, le département a maintenu la possibilité d'utilisation de ces instruments par les organisations syndicales au-delà de la durée de validité de ce protocole, sans qu'il résulte de l'instruction que l'usage des adresses de messagerie génériques octroyées aux organisations syndicales ait engendré de difficultés entre les parties. Le département de la Haute-Garonne soutient toutefois, d'une part, que depuis la fin de l'année 2023, le contexte budgétaire et de dialogue social a conduit les organisations syndicales à augmenter leur communication à destination des agents par ce biais dans des proportions et avec des contenus que l'administration estime anxiogènes pour les agents de la collectivité. Il fait valoir, d'autre part, qu'à la suite du suicide d'un ancien agent de la direction générale des ressources humaines, les représentants de quatre organisations syndicales ont, le 3 mars 2025, adressé à l'ensemble des agents de cette direction un appel à exercer leur droit de retrait faisant explicitement mention du suicide d'un agent de la direction puis, que, le 6 mars suivant, l'une des organisations syndicales a adressé à l'ensemble des agents du département une caricature relative au climat social au sein de la collectivité contenant, selon le département, une allusion déplacée au suicide survenu au début du mois de mars.
11. Bien que la réception des deux messages envoyés par les organisations syndicales par le biais d'adresses de messagerie génériques les 3 et 6 mars 2025 a, ainsi qu'en attestent les pièces produites par le département, affecté certains agents, notamment au sein de la direction générale des ressources humaines en raison de la sensibilité née du caractère récent de l'évènement malheureux qui les avait affectés, il ne résulte néanmoins pas de l'instruction que l'usage par les organisations syndicales des adresses de messagerie électronique génériques mises à leur disposition par le département aurait constitué au cours des derniers mois, par leur volume ou leur contenu, une source de dysfonctionnement, de trouble ou d'anxiété pour les agents du département de la Haute-Garonne, dont il est d'ailleurs constant qu'ils peuvent se désabonner des listes de diffusion des organisations syndicales, les messages électroniques envoyés par celles-ci mentionnant, conformément au protocole d'accord cité au point 1 de la présente ordonnance, la possibilité pour l'agent destinataire de se désabonner. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, il résulte de l'instruction que la restriction apportée à l'usage des adresses de messagerie génériques, bien que sa portée ait été limitée après l'intervention de la décision modificative intervenue le 17 mars 2025, restreint de manière très importante la capacité des organisations syndicales à s'adresser de manière collective aux agents du département, les évolutions apportées à l'intranet des services ne pouvant à ce stade être regardées comme assurant des possibilités équivalentes. Dès lors, les organisations syndicales requérantes sont fondées à soutenir que la mesure de suspension des possibilités d'envoi groupés de messages électroniques adoptée par le département, imposée à l'ensemble des syndicats représentés au sein de la collectivité, sans exception et sans limitation de temps porte dans les circonstances de l'espèce, au regard des motifs sur lesquels elle se fonde et de ses modalités, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale.
12. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au département de la Haute-Garonne de mettre fin à la suspension des envois groupés depuis les adresses de messagerie électronique génériques des organisations syndicales dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Haute-Garonne la somme globale de 1 000 euros à verser au syndicat CFDT Interco de la Haute-Garonne et de l'Ariège, au
syndicat SUD collectivités territoriales 31, au syndicat CGT CD-31 et au syndicat FO des personnels des services du département de la Haute-Garonne sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce que la somme demandée par le département de la Haute-Garonne soit mise à la charge des personnes morales requérantes, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
O R D O N N E :
Article 1er : Il est enjoint au département de la Haute-Garonne de mettre fin à la suspension des envois groupés depuis les adresses de messagerie électronique générique des organisations syndicales dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 2 : Le département de la Haute-Garonne versera la somme globale de 1 000 euros au syndicat CFDT Interco de la Haute-Garonne et de l'Ariège, au
syndicat SUD collectivités territoriales 31, au syndicat CGT CD-31 et au syndicat FO des personnels des services du département de la Haute-Garonne sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat CFDT Interco de la Haute-Garonne et de l'Ariège, au
syndicat SUD collectivités territoriales 31, au syndicat CGT CD-31, au syndicat FO des personnels des services du département de la Haute-Garonne et au département de la Haute-Garonne.
Fait à Toulouse, le 20 mars 2025.
Le juge des référés,
P. GRIMAUD
La greffière,
P. TUR
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
la greffière en chef,
ou par délégation, la greffière,