PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VIHOS c. GRÈCE
(Requête no 34692/08)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2011
DÉFINITIF
10/05/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Vihos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 janvier 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 34692/08) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Panayotis Vihos (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 juillet 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par le Greek Helsinki Monitor, une organisation non-gouvernementale ayant son siège à Glyka Nera. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M. K. Georgiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat.
3. Le requérant allègue en particulier un dépassement du « délai raisonnable » garanti par l'article 6 § 1 de la Convention ainsi qu'une violation de l'article 13.
4. Le 3 février 2010, le président de la première section a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 6 § 1 (délai raisonnable) et 13 au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1944 et réside à Athènes.
6. Le requérant est musicien professionnel, professeur de musique et syndicaliste. Il est aussi membre du parti révolutionnaire des travailleurs et trotskystes et contribue au journal bimensuel du parti « Nea Prooptiki ».
7. Le 21 février 2003, trois officiers de police procédèrent à une perquisition à son domicile à Athènes. Ils déclarèrent agir dans le cadre d'une enquête préliminaire, suite à une plainte déposée par une avocate de l'île de Crète, dont le nom et les coordonnées se trouvaient sur un site pornographique d'internet comme recherchant des partenaires sexuels. Les policiers saisirent le disque dur de l'ordinateur du requérant et lui demandèrent de signer le procès-verbal de saisie. Il ressortait de ce document que l'enquête concernait des infractions de faux et de diffamation aggravée.
8. Le requérant fut convoqué le même jour à la direction générale de la police d'Athènes pour y faire une déposition. Selon lui, les questions posées concernaient la prétendue mise sur le site pornographique du nom de l'avocate, mais aussi sur son implication dans la gestion de ce site, qui touchait également à la pornographie pédophile. Le requérant prétendit qu'il recherchait des informations sur de tels sites pour pouvoir les dénoncer. Il se plaignit qu'il s'agissait d'une tentative de la police de porter atteinte à sa crédibilité en raison de procès en cours relatifs à un trafic de femmes à Santorin qu'il avait dénoncé le 5 septembre 1998 et qui mettait en cause des membres de la police de l'île.
9. Le 23 février 2003, un tabloïd, l'« Espresso », publia un article qui présentait le requérant comme soupçonné d'être membre d'un réseau pornographique sur internet et indiquait la police comme source de ces informations. L'article avait pour titre « Un réseau organise des orgies - arrestation d'un musicien connu qui clame son innocence ». Il précisait que ce réseau avait été dénoncé par une jeune avocate de Crète dont les informations avaient conduit la police jusqu'aux organisateurs de ces « parties ». Il ajoutait que la police impliquait le musicien connu Panayotis Vihos, qui soutenait qu'il s'agissait là d'un complot à son encontre en raison de son appartenance à un mouvement de gauche. L'article précisait que les policiers spécialisés dans le crime électronique avaient traqué pendant des mois les annonces parues sur internet afin d'en identifier leurs auteurs.
10. Plus précisément, le passage concernant le requérant indiquait ce qui suit :
« Par la suite, les hommes de la sécurité ont repéré l'homme et (...), à 11h du matin, ils se sont rendus chez lui. Une équipe de la police a perquisitionné l'appartement de Panayotis Vihos, en présence d'un procureur. L'ordinateur, les livres et les CDs du musicien connu et responsable du site internet « contre-information » ont été fouillés par les policiers afin de trouver des éléments incriminants. M. Vihos a été conduit à la direction générale de la police d'Athènes. Après avoir déposé pendant plusieurs heures et répondu aux questions des policiers, il a été relâché, sans qu'il soit précisé si une action pénale a été engagée contre lui. Selon des sources policières, le dossier a été transmis au procureur compétent, qui pourrait engager des procédures contre les personnes impliquées ».
11. Le 6 mai 2003, l'enquête de police pour faux et diffamation aggravée était close et le dossier envoyé au parquet d'Athènes. La police y mentionnait qu'elle avait entre-temps à nouveau interrogé la plaignante, qui avait déclaré que, depuis sa plainte, son ex-compagnon lui avait révélé que c'était sa nouvelle amie qui avait mis son nom sur le site pornographique. Tant l'ordinateur de cette femme que le disque dur du requérant furent envoyés au laboratoire de la police pour examen.
12. Le 16 février 2004, le parquet d'Athènes décida de transmettre l'affaire au parquet d'Héraklion, en Crète, comme le suspect principal dans cette affaire - l'amie de l'ex-compagnon de l'avocate - habitait cette île. Celle-ci fut renvoyée en jugement devant la cour d'appel criminelle d'Héraklion le 28 juin 2007.
13. Entre-temps, le disque dur du requérant avait fait l'objet d'un examen et d'un rapport de la police d'Héraklion daté du 21 décembre 2006. Ce rapport fut transmis, le 12 mars 2007, au parquet d'Héraklion, puis le 23 mars 2007 au parquet d'Athènes, lieu de résidence du requérant. Selon le requérant, le disque dur avait déjà antérieurement fait l'objet d'un examen par la police, en dépit du refus du procureur de lever le secret de communication au motif que l'acte reproché au requérant ne tombait pas sous le coup de la loi prévoyant une telle levée.
14. Le 17 avril 2007, le parquet d'Athènes ouvrit un nouveau dossier. Il porta contre le requérant une accusation du chef d'avoir facilité la débauche d'autrui, de pornographie pédophile et de proxénétisme. Le 17 août 2007, le dossier fut scindé en raison du risque de prescription du délit d'avoir facilité la débauche d'autrui. Ce dossier fut envoyé le 14 septembre 2007, aux fins d'enquête préliminaire, à la direction de la répression du crime électronique, trafic d'antiquités et mœurs. Le dossier fut confié à un procureur le 25 octobre 2007.
15. Le 3 octobre 2007, le requérant fut cité à comparaître devant la police pour y être entendu. Il fut alors informé que les accusations contre lui n'étaient plus celles de faux et de diffamation aggravée, mais d'avoir facilité la débauche d'autrui. Il fut autorisé à faire une copie du dossier et, à sa lecture, il se rendit compte, selon lui pour la première fois, qu'il y avait en outre une instruction ouverte à son encontre pour pornographie pédophile et proxénétisme. Selon l'acte d'accusation, le requérant était soupçonné d'avoir été, entre les 17 juillet et 25 novembre 2002, l'administrateur de sites pornographiques pédophiles. Le requérant souligne qu'aucun document du dossier n'indiquait les éléments de preuve sur lesquels les accusations étaient fondées, sauf les heures auxquelles il se connectait sur internet.
16. Le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal correctionnel d'Athènes du chef d'avoir facilité la débauche d'autrui dans un but d'enrichissement personnel. Par un jugement du 7 janvier 2008 (mis au net le 28 novembre 2008), il fut acquitté sur proposition du procureur qui plaida que « le dossier était lacunaire et qu'il n'était pas démontré que l'accusé avait commis des actes répréhensibles dans un but d'enrichissement ».
17. Le dossier relatif aux chefs d'accusation de pornographie pédophile et de proxénétisme fut transmis au tribunal correctionnel aux fins de l'instruction et confié à un procureur le 17 août 2007. Le 25 février 2010, le procureur près le tribunal correctionnel adressa à la chambre d'accusation de celui-ci une proposition motivée d'acquittement du requérant. Le 22 avril 2010, la chambre d'accusation retourna le dossier au procureur qui, le 23 avril 2010, le transmit au procureur près la cour d'appel d'Athènes pour que celui-ci détermine s'il y avait des motifs suffisants pour renvoyer le requérant en jugement. Le 16 juin 2010, le procureur près la cour d'appel transmit le dossier au président de la cour d'appel en indiquant qu'il existait suffisamment de preuves concernant la pornographie impliquant des mineurs pour renvoyer le requérant en jugement. Le 24 juin 2010, le président rendit le dossier au procureur en exprimant son accord pour le renvoi du requérant devant la cour d'appel criminelle d'Athènes composée de trois membres.
18. Le 24 août 2010, le procureur près la cour d'appel renvoya le requérant en jugement pour pornographie impliquant des mineurs. L'audience devant la cour criminelle d'appel fut fixée au 16 février 2011.
19. Le 22 octobre 2010, la chambre d'accusation décida de ne pas poursuivre le requérant du chef de proxénétisme.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
20. Le requérant allègue que la durée des deux procédures pénales à son encontre, celle concernant l'accusation d'avoir facilité la débauche et celle visant la pornographie pédophile et le proxénétisme, a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
21. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.
22. Le requérant soutient, qu'entendu le 21 février 2003 après une perquisition à son domicile, il a été acquitté dans la première procédure le 7 janvier 2008 par le tribunal correctionnel, alors que l'autre est encore pendante.
A. Sur la recevabilité
23. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
24. Le Gouvernement soutient que la durée des deux procédures n'est pas excessive. La procédure relative au chef d'accusation d'avoir facilité la débauche d'autrui a débuté le 17 avril 2007 et a été achevée dans un délai de cinq mois, à savoir du 18 août 2007 au 7 janvier 2008, date du jugement du tribunal correctionnel. Celle relative au chef d'accusation de pornographie pédophile et de proxénétisme a commencé le 17 avril 2007 et est encore en partie pendante devant la cour d'appel criminelle d'Athènes. Toutefois, un tel délai n'est pas déraisonnable dans une affaire qui concerne la commission de crimes contre des mineurs.
25. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).
26. La Cour note que le 21 février 2003, trois officiers de police ont procédé à une perquisition au domicile du requérant à Athènes. Ils ont déclaré agir dans le cadre d'une enquête préliminaire, suite à une plainte déposée par une avocate. L'enquête concernait des infractions de faux et de diffamation aggravée. Le requérant a, le même jour, été convoqué à la direction générale de la police d'Athènes pour déposer. Le disque dur du requérant a fait l'objet d'un examen et d'un rapport de la police d'Héraklion daté du 21 décembre 2006. Ce rapport a été transmis, le 12 mars 2007, au parquet d'Héraklion puis, le 23 mars 2007, au parquet d'Athènes, lieu de résidence du requérant.
27. Il apparaît que c'est suite à l'examen du disque dur du requérant que, le 17 avril 2007, le parquet d'Athènes a ouvert un nouveau dossier et porté une accusation contre le requérant, d'une part, pour avoir facilité la débauche d'autrui, et, d'autre part, pour pornographie pédophile et proxénétisme.
28. Si la mise en accusation a effectivement eu lieu le 17 avril 2007 comme le soutient le Gouvernement, la Cour rappelle qu'en matière pénale, la période à considérer en matière de poursuites pénales peut commencer antérieurement si les soupçons dont un requérant fait l'objet ont des répercussions importantes sur sa situation, notamment lorsque les autorités procèdent à une perquisition et effectuent une saisie (Eckle c. Allemagne, arrêt du 13 juillet 1982, série A no 51, § 73). Or, tel était le cas en l'espèce le 21 février 2003, lorsqu'il y a eu perquisition et saisie de l'ordinateur du requérant, sur la base duquel les accusations ont été ultérieurement portées, et audition liée à la gestion du site internet en cause. Au cours de celle-ci, les questions posées concernaient, selon les affirmations du requérant non contredites par le Gouvernement, non seulement la prétendue mise sur le site pornographique du nom de l'avocate, mais aussi son implication dans la gestion de ce site, qui touchait également à la pornographie pédophile. En outre, la Cour note qu'en ce qui concerne l'accusation d'avoir facilité la débauche d'autrui, il était clairement fait état, dans l'article du tabloïd « l'Espresso » du 23 février 2003, que les soupçons en la matière provenaient de source policière. A la lumière de ces éléments, c'est donc la date du 21 février 2003 qui constitue aux yeux de la Cour le dies a quo pour les deux procédures.
29. Quant au dies ad quem de la première procédure, la Cour retient la date du 7 janvier 2008, et non celle de la mise au net, car le procureur n'a pas formé appel contre le jugement du tribunal correctionnel. Enfin, la deuxième procédure est encore en partie pendante devant la cour d'appel criminelle d'Athènes. Il s'ensuit que la première a duré un peu moins de cinq ans pour un seul degré de juridiction et la seconde plus de sept ans pour la seule phase de l'instruction.
30. La Cour considère que de tels délais ne sont pas compatibles avec les exigences d'un procès dans un délai raisonnable et conclut donc à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en l'espèce.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
31. Le requérant se plaint qu'il n'existe en Grèce aucune juridiction à laquelle il aurait pu s'adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l'article 13 de la Convention aux termes duquel :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
32. Le Gouvernement soutient que l'article 13 ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, car, selon lui, il n'y a pas eu dépassement du « délai raisonnable ». Il soutient aussi que le requérant aurait pu saisir le tribunal administratif d'Athènes d'une action en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil.
A. Sur la recevabilité
33. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
34. La Cour rappelle que l'article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d'une méconnaissance de l'obligation, imposée par l'article 6 § 1, d'entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI).
35. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l'occasion de constater que l'ordre juridique hellénique n'offre pas aux intéressés un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d'une procédure (Fraggalexi c. Grèce, no 18830/03, 9 juin 2005, §§ 18-23). De plus, dans l'affaire Tsoukalas c. Grèce (no 12286/08, 22 juillet 2010), la Cour a jugé que la voie de recours offerte par l'article 105 précité ne répondait pas aux exigences de l'article 13 de la Convention car elle n'existait pas à un degré suffisant de certitude et que le seul arrêt existant en la matière, rendu par une juridiction de premier degré le 31 octobre 2008, était postérieur à la date d'introduction de la requête, comme c'est le cas aussi dans la présente affaire.
36. La Cour ne distingue en l'espèce aucune raison de s'écarter de cette jurisprudence.
37. Dès lors, la Cour estime qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 13 de la Convention en raison de l'absence en droit interne d'un recours qui eût permis aux requérants d'obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
38. Le requérant se plaint, en outre, de deux violations supplémentaires de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention : il n'a pas bénéficié du droit à un procès équitable car, lors de sa déposition à la police, le 21 février 2003, il n'a pas été assisté par un avocat ; puis, il n'a pas eu accès à tous les éléments de preuve, notamment le disque dur de son ordinateur saisi, et enfin le seul élément incriminant contre lui provenait de l'examen du contenu du disque dur qui était illégal, car le procureur avait refusé de lever le secret des communications. En outre, il n'a pas pu interroger les officiers de police qui ont rédigé le rapport l'incriminant. Enfin, il n'a pas été informé de la nature et de la cause des accusations portées contre lui, car celles-ci n'était fondées sur aucun élément matériel.
39. Le requérant se plaint également de la violation du principe de la présomption d'innocence, garanti par l'article 6 § 2, en raison de la publication par un magazine d'information provenant de la police et le présentant comme l'auteur d'infractions pour lesquelles il n'avait pas encore été jugé.
40. Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint aussi de l'examen de son disque dur par la police alors que le procureur avait refusé de lever le secret des communications. Se référant à l'arrêt Craxi c. Italie (no. 2) (no 25337/94, 17 juillet 2003) et à l'affaire Anastassakos et autres c. Grèce (no 41380/06, pendante devant la Cour), il se plaint de l'omission des autorités de garantir la confidentialité des informations le mettant en cause et divulgués dans un tabloïd. Le requérant dénonce aussi l'absence d'un recours effectif pour se plaindre de la divulgation d'informations confidentielles durant la phase de l'instruction (articles 8 et 13 combinés).
41. Enfin, dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant allègue une violation de l'article 34 de la Convention, car, selon lui, la décision de le renvoyer en jugement est une mesure de représailles des autorités contre lui pour avoir saisi la Cour.
42. La Cour note d'abord, s'agissant des griefs tirés des articles 6 § 2 et 8 du fait des informations publiées dans le tabloïd que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes faute d'avoir introduit une quelconque action à cet égard.
43. En ce qui concerne les autres griefs tirés de l'article 8 et de ceux relatifs à l'article 6 §§ 1 et 3, la Cour note qu'ils sont prématurés pour autant qu'ils sont dirigés contre la seconde procédure, celle-ci est de toute évidence toujours pendante devant les juridictions internes. Dans la mesure où ils visent la première procédure, la Cour note qu'il n'apparaît pas que le requérant ait soulevé dans ce cadre les violations alléguées de l'article 8, de sorte qu'il n'a pas sur ce point épuisé les voies de recours internes. Par ailleurs, l'acquittement du requérant a fait disparaître sa qualité de victime au sens de l'article 34 de la Convention pour les griefs tirés de l'article 6 (voir Serraino c. Italie (déc.), no 47570/99, 10 janvier 2002, et Pütün c. Turquie (déc.), no 31734/96, CEDH 2004-XII (extraits)).
44. Quant au grief tiré de l'article 34 de la Convention, la Cour rappelle que pour que le mécanisme de recours individuel instauré par cet article soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs. A cet égard, le terme « presse[r] » vise non seulement la coercition directe et les actes flagrants d'intimidation, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader les requérants, ou à les décourager de se prévaloir du recours qu'offre la Convention (Tanrikulu c. Turquie, [GC], no 23763/94, § 130, CEDH 1999-IV).
45. Or, rien dans le dossier ne permet à la Cour de conclure que le renvoi du requérant en jugement soit lié à l'introduction de sa requête à la Cour.
46. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable, comme étant manifestement mal fondée, en application de l'article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
47. Le requérant formule des demandes tant au regard de l'article 41 qu'au regard de l'article 46 de la Convention. La Cour est d'avis que les demandes ne doivent être examinées que sous l'angle des dispositions de l'article 41 de la Convention.
48. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
49. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi en raison de la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention et 10 000 EUR en cas de constat de violation de l'article 34 de la Convention.
50. Le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante, et ajoute que si la Cour estime devoir accorder une indemnité, celle-ci ne devrait pas dépasser 2 000 EUR.
51. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 6 500 EUR au titre du préjudice moral.
2. Frais et dépens
52. Le requérant demande également 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour à verser directement à son représentant devant la Cour.
53. Le Gouvernement considère ce montant injustifié et se déclare prêt à verser 1 000 EUR.
54. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde au requérant. Elle accueille aussi la demande de celle-ci concernant le versement direct de cette somme sur le compte bancaire du représentant.
3. Intérêts moratoires
55. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 (délai raisonnable) et 13 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par le requérant, pour les frais et dépens encourus devant la Cour, à verser sur le compte bancaire de son représentant ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Nina Vajić
Greffier Présidente