Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Lyon, à titre principal, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme totale de 43 715,75 euros en réparation de ses préjudices, et subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale.
Par un jugement n° 1905482 du 18 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2020, Mme B..., représentée par Me Orhan-Lelievre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement rendu le 18 février 2020 par le tribunal administratif de Lyon ;
2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser une somme de 43 715,75 euros en réparation des préjudices subis à raison de l'accident médical non fautif dont elle a été victime ;
3°) subsidiairement, d'ordonner une nouvelle expertise au contradictoire de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux iatrogènes et des infections nosocomiales ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux iatrogènes et des infections nosocomiales les entiers dépens ainsi qu'une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal s'est borné à entériner l'avis de la CRCI fondé sur les conclusions de l'expertise diligentée dans le cadre de la procédure devant cette commission, sans répondre aux arguments soulevés en première instance ; ces conclusions sont erronées quant à l'évaluation de la gravité de son préjudice qu'elle n'a pu discuter au cours de la procédure d'expertise ;
- elle a été victime d'un accident médical non fautif indemnisable au titre de la solidarité nationale conformément à l'article
L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- la date de consolidation à retenir est le 5 janvier 2016, date du dernier électromyogramme ; à la date du 7 septembre 2015, l'état séquellaire de la contusion du tronc sciatique gauche n'était pas consolidé car les soins actifs se poursuivaient, ce qui a permis l'amélioration électromyographique et clinique notée le 5 janvier 2016 ;
- contrairement à ce que les experts ont retenus dans le rapport d'expertise déposé devant la CRCI, le critère de gravité prévus à l'article
L. 1142-1 du code de la santé publique était rempli, lui ouvrant droit à indemnisation, au titre de la solidarité nationale, par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux iatrogènes et des infections nosocomiales, de ses préjudices à raison de l'accident médical non fautif dont elle été victime : celui-ci lui a en effet occasionné des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence au sens de ces dispositions.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Saumon, conclut au rejet de la requête et à ce que la cour statue ce que de droit sur les dépens.
L'office expose que :
- les divers sous-critères de gravités prévus à l'article L. 11420-1 du code de la santé publique ne sont, au cas d'espèce, pas remplis ;
- notamment l'absence de troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence de Mme B... ne permet pas d'envisager l'intervention de la solidarité nationale ;
- aucun des moyens soulevés par la requérante n'est donc fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Conesa-Terrade, première conseillère,
- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,
- et les observations de Me de Bernon, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit
:
1. Mme A... B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices causés par l'accident médical non fautif, dont elle a été victime à la suite de la pose d'une prothèse totale de hanche gauche, le 26 septembre 2013.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La requérante soutient que le tribunal administratif de Lyon a entériné l'avis de la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) sans répondre aux arguments soulevés devant lui à l'encontre des conclusions de l'expertise quant à l'évaluation de la gravité de son préjudice. Toutefois, il ne ressort pas de la lecture du jugement attaqué que celui-ci aurait ainsi insuffisamment motivé sa réponse quant à l'appréciation de la gravité du préjudice résultant de l'instruction. Par suite, à le supposer soulevé, le moyen tiré d'un irrégularité du jugement pour insuffisance de motivation doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Mme B... soutient que c'est à tort que le tribunal, qui n'est pas lié par l'avis rendu par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, a entériné les conclusions expertales dont elle conteste le bien-fondé, notamment au regard de l'appréciation de la gravité du préjudice subi causé par l'accident médical non fautif. Elle soutient, en outre, ne pas avoir été en mesure de discuter cette appréciation dans le cadre de la procédure d'expertise. Toutefois, elle n'assorti ce moyen tiré d'un défaut de contradictoire lors des opérations d'expertise d'aucune précision susceptible de permettre au juge d'en apprécier le bien-fondé. Le moyen doit, par suite être écarté.
4. Aux termes de l'article
L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. (...) ". Aux termes de l'article
D. 1142-1 du même code, qui définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives, " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article
L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article
L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état, et que leur gravité excède le seuil défini à l'article
D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Il en va ainsi des troubles, entraînés par un acte médical, survenus chez un patient de manière prématurée, alors même que l'intéressé aurait été exposé à long terme à des troubles identiques par l'évolution prévisible de sa pathologie. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
6. Il résulte de l'instruction que Mme A... B..., née le 3 mai 1946, a été opérée le 26 septembre 2013 de la hanche gauche, au centre hospitalier Lyon Sud qui dépend des hospices civils de Lyon, en raison de douleurs de hanche dont elle souffrait depuis 2009, causées par une coxarthrose bilatérale sévère. Les suites de l'intervention qui consistait en une voie postéro-externe accompagnée de la pose d'une prothèse de hanche gauche, ont été marquées par l'apparition d'une paralysie sciatique complète de la jambe gauche, nécessitant une reprise le jour même. Il n'était pas retrouvé d'hématome de nature à expliquer l'atteinte neurologique. Les électromyogrammes réalisés par la suite démontraient une atteinte axonale subaiguë sévère du tronc sciatique gauche. Mme B... a bénéficié d'une rééducation jusqu'en septembre 2016. Il est constant qu'elle conserve une diminution de la force de la jambe gauche et de la mobilité en dessous du pied gauche avec des sensations de froid. Elle a saisi, le 30 janvier 2017, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux de Rhône-Alpes d'une demande d'indemnisation. Le professeur Pierre Labauge, neurologue, et le professeur Gérard Asencio, chirurgien orthopédique, ont été désignés comme experts par la Commission et ont conclu que les dommages subis par Mme B... étaient imputables à un accident médical non fautif, en la date de consolidation au 7 septembre 2015. Ils ont évalué le déficit fonctionnel permanent à un taux inférieur au taux de 24 % ouvrant droit à une prise en charge au titre de la solidarité nationale en application des dispositions précitées du code de la santé publique. Suite à la remise de ce rapport d'expertise le 1er août 2017, la commission s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande présentée par Mme B..., en estimant que le critère de gravité requis n'était pas satisfait.
7. Recherchant la mise en œuvre de la solidarité nationale en réparation de son préjudice, Mme B... se prévaut des quatre rapports d'expertise du docteur C..., expert diligenté par son assureur, dont le dernier rapport vise à fournir des arguments concernant les critères de gravité du préjudice subi par la requérante et dont les conclusions tant en ce qui concerne la date de consolidation à retenir ainsi que l'évaluation des préjudices se démarquent des conclusions de l'expertise rendue devant la CCI.
8. En premier lieu, le taux de déficit fonctionnel permanent fixé à 15 % par le docteur C..., soit un taux inférieur à celui de 24 % prévu par les dispositions combinées précitées du code de la santé publique, ne remet pas en cause les conclusions expertales devant la CCI, qui l'avaient fixé à 10 %.
9. En deuxième lieu, Mme B... étant à la retraite à la date de l'acte médical non fautif, elle ne peut justifier d'un arrêt de travail de six mois consécutifs ou de six mois non consécutifs sur une période de douze mois.
10. En troisième lieu, Mme B... soutient que l'évaluation de la gravité de ses préjudices telle qu'elle ressort de l'expertise devant la CCI est erronée. Si elle fait valoir que la date de consolidation à retenir doit être fixée au 5 janvier 2016, date du dernier électromyogramme, et non le 7 septembre 2015 comme l'a retenu le rapport d'expertise, ceci n'a aucune incidence sur l'évaluation du déficit fonctionnel temporaire. S'agissant du taux et de la durée de ce déficit fonctionnel temporaire la requérante se prévaut du rapport non contradictoire, établi à la demande de son assureur par le docteur C..., postérieurement à l'avis par lequel la commission s'est estimée incompétente, pour démontrer que les critères de gravité du déficit fonctionnel temporaire et des troubles dans les conditions d'existence sont remplis. Les experts désignés par la commission avaient retenu l'existence d'un déficit fonctionnel total du 1er octobre 2013 au 29 novembre 2013, et ont évalué le déficit fonctionnel temporaire à 25 % sur la période allant du 29 novembre 2013 au 30 avril 2014, puis à 10 % sur la période allant du 1er mai 2014 au 7 septembre 2015, date de consolidation. Le docteur C... évalue quant à lui le déficit fonctionnel temporaire total sur la période du 29 novembre 2013 au 30 avril 2014, puis à 50 %sur une durée de soixante jours, puis à 25 %, puis à 10 %. En soulignant l'existence d'un déficit des releveurs du pied gauche, des troubles de la sensibilité de la semelle plantaire, des douleurs neuropathiques et allodyniques, du trouble trophique au niveau du pied gauche et en se prévalant de la circonstance que l'intéressée marchait alors la plupart du temps avec deux cannes, le Dr C... n'établit toutefois pas en quoi l'évaluation des experts mandatés par la CRCI serait erronée. En effet, même si la reprise de la marche à compter du 29 novembre 2013 n'excluait pas une certaine gêne, il ne résulte pas de l'instruction que le déficit fonctionnel temporaire correspondant dépassait un taux de 25 % et atteignait le taux de 50 % susceptible de lui ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale en vertu des dispositions précitées du code de la santé publique.
11. En dernier lieu, s'agissant des troubles dans les conditions d'existence, y compris d'ordre économique, dont la requérante se prévaut, celle-ci étant à la retraite à la date de l'accident médical, ne pouvait, dès lors, être déclarée inapte à l'exercice de l'activité professionnelle exercée avant l'accident et n'établit pas avoir subi une perte de revenus à raison de cet accident. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que les troubles dans ses conditions d'existence que cet accident lui aurait occasionnés présenteraient un caractère de gravité qui pourrait être, à titre exceptionnel reconnu, au sens des dispositions précitées du 2° de l'article
D. 1142-1 du code de la santé publique.
12. Dès lors, il résulte des points précédents que les conditions d'une indemnisation du dommage au titre de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l'article
L. 1142-1 du code de la santé publique ne sont pas remplies s'agissant du critère de gravité du dommage.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre d'un accident médical non fautif. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné une nouvelle expertise, et tendant à l'application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Gayrard, président de la formation de jugement,
Mme Conesa-Terrade, première conseillère,
M. Pin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 30 novembre 2021.
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N° 20LY01310