Vu les procédures suivantes :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 2110299 le 22 juillet 2021 et des mémoires, enregistrés les 26 janvier 2023 et 2 février 2024, Mme B A, représentée par Me Ravaine, demande au tribunal :
1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts et de la taxe prévue à l'article 1609 nonies G du même code, mis à sa charge au titre d'une cession de parts sociales intervenue le 19 décembre 2017 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les parts sociales constituent des biens meubles qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 244 bis A du code général des impôts ;
- les stipulations de l'article 18 de la convention fiscale franco-belge font obstacle à l'imposition en France de la plus-value en litige.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 janvier 2022, 27 février 2023 et 27 février 2024, la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 2309314 le 1er août 2023 et un mémoire, enregistré le 9 avril 2024, Mme A, représentée par Me Ravaine, demande au tribunal :
1°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du prélèvement de solidarité, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social, mis à sa charge au titre de la cession du 19 décembre 2017 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le paragraphe XIV de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ne peut être interprété comme l'a fait l'administration ;
- les impositions en litige méconnaissent l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2024, la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme A ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 15 avril 2024, la clôture de l'instruction a été reportée au 30 avril 2024.
Un mémoire présenté par la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents a été enregistré le 2 mai 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ;
- la convention signée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique, tendant à éviter les doubles impositions et à établir les règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur le revenu, modifiée ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fabre,
- les conclusions de M. Khiat, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. Les requêtes n° 2110299 et n° 2309314 présentées par Mme A concernent la situation d'une même personne et concernent des impositions ayant le même fait générateur. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.
2. Mme A, résidente de Belgique, a cédé l'intégralité des parts sociales qu'elle détenait dans une société civile à immobilière, pour un prix de 6 461 290 euros le 19 décembre 2017. L'administration a soumis cette plus-value au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts, à la taxe prévue à l'article 1609 nonies G du même code ainsi qu'au prélèvement de solidarité, au prélèvement social et à la contribution additionnelle au prélèvement social. Ces impositions supplémentaires, d'un montant total, en droits et pénalités, de 846 581 euros et 324 827 euros, ont été mises en recouvrement le 2 décembre 2020 et le 14 février 2022. A la suite de deux réclamations rejetées par le service le 2 avril 2021 et le 25 avril 2023, Mme A demande au Tribunal la décharge de cette même somme.
Sur l'impôt sur le revenu :
3. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
4. Aux termes du I de l'article 244 bis A du code général des impôts : " 1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon les taux fixés au III bis. () / 2. Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : / a) Les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B ; () / 3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : / a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens ; () ". Aux termes du I de l'article 1609 nonies G du même code : " Il est institué une taxe sur les plus-values réalisées dans les conditions prévues aux articles 150 U et 150 UB à 150 UD par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter et dans celles prévues à l'article 244 bis A par les contribuables non domiciliés fiscalement en France assujettis à l'impôt sur le revenu. () "
5. L'article 244 bis A du code général des impôts, applicable aux plus-values immobilières réalisées par les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B, soumet à ce régime les plus-values que ces personnes réalisent lors de la cession de parts qu'elles détiennent dans les sociétés ou organismes, quelle qu'en soit la forme, dont l'actif est principalement constitué, directement ou indirectement, de biens ou droits immobiliers. La loi fiscale assimile ainsi à des biens immobiliers, notamment, les parts des sociétés civiles à prépondérance immobilière, lors de leur aliénation par une personne qui n'est pas fiscalement domiciliée en France.
6. En l'espèce, il est constant que le litige est relatif à la cession par une personne non domiciliée en France de droits portant sur un bien immobilier. Il en résulte que l'administration était fondée à imposer la plus-value en résultant sur le fondement de l'article 244 bis A du code général des impôts ainsi que, par voie de conséquence, sur le fondement de l'article 1609 nonies G du même code.
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-belge :
7. Aux termes de l'article 3 de la convention fiscale franco-belge : " 1. Les revenus provenant des biens immobiliers, y compris les accessoires, ainsi que le cheptel mort ou vif des entreprises agricoles et forestières ne sont imposables que dans l'Etat contractant où ces biens sont situés. / 2. La notion de bien immobilier se détermine d'après les lois de l'Etat contractant où est situé le bien considéré. () / 4. Les dispositions des paragraphes 1 à 3 () s'appliquent également aux bénéfices résultant de l'aliénation de biens immobiliers ". Aux termes de l'article 18 de la même convention : " Dans la mesure où les articles précédents de la présente Convention n'en disposent pas autrement, les revenus des résidents de l'un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat ". Aux termes de l'article 22 de cette convention : " Tout terme non spécialement défini dans la présente Convention aura, à moins que le contexte n'exige une autre interprétation, la signification que lui attribue la législation régissant, dans chaque Etat contractant, les impôts faisant l'objet de la Convention ". Le paragraphe 2 du protocole final de cette convention stipule enfin : " L'article 15, paragraphe 1, ne s'oppose pas à ce que la France, conformément aux dispositions de sa loi interne, considère comme des biens immobiliers, au sens de l'article 3 de la Convention, les droits sociaux possédés par les associés ou actionnaires des sociétés qui ont, en fait, pour unique objet, soit la construction ou l'acquisition d'immeubles ou de groupes d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées à leurs membres en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d'immeubles ainsi divisés. La Belgique pourra toutefois imposer, dans les limites fixées aux articles 15, paragraphes 1 et 2, et 19-A, paragraphe 1, les revenus tirés par des résidents de la Belgique de droits sociaux représentés par des actions ou parts dans lesdites sociétés résidentes de la France ".
8. Pour déterminer la notion de bien immobilier au sens et pour l'application de la dernière phrase du paragraphe 4 de l'article 3 de la convention, il convient, conformément aux stipulations de cet article, de se référer aux lois de l'Etat contractant où est situé le bien considéré et, ainsi qu'il est prévu à l'article 22, de retenir, à moins que le contexte exige une autre interprétation, la signification que lui attribue la législation régissant, dans chaque Etat contractant, les impôts faisant l'objet de la convention. Sont dépourvues d'incidence à cet égard, les stipulations du paragraphe 2 du protocole final de cette convention, qui ont pour unique objet de qualifier de biens immobiliers, au sens de la convention, les parts de sociétés relevant de l'article 1655 ter du code général des impôts.
9. Dès lors qu'ainsi qu'exposé au point 5, la loi fiscale assimile à des biens immobiliers, notamment, les parts des sociétés civiles à prépondérance immobilière, lors de leur aliénation par une personne qui n'est pas fiscalement domiciliée en France, la plus-value en litige est imposable en France en application des stipulations de l'article 3 de la convention franco-belge.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de décharge du prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts et de la taxe de l'article 1609 nonies G doivent être rejetées.
Sur le prélèvement de solidarité, le prélèvement social et la contribution additionnelle au prélèvement social :
11. En premier lieu, l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 a supprimé le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts dont le produit était affecté au Fonds de solidarité vieillesse puis, s'agissant des impositions dont le fait générateur est intervenu à compter du 1er janvier 2018, au budget général de l'Etat, les prélèvements sociaux mentionnés aux articles
L. 245-14 et
L. 245-15 du code de la sécurité sociale dont le produit était affecté au Fonds de solidarité vieillesse et à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article
L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles dont le produit était affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. L'article 26 de cette même loi a substitué à ces prélèvements, à compter du 1er janvier 2019, un prélèvement de solidarité prévu à l'article 235 ter du code général des impôts dont le produit est entièrement affecté au budget général de l'Etat. Ces dispositions s'appliquent, en vertu du A du IX de l'article 26 aux faits générateurs d'imposition intervenant à compter du 1er janvier 2019 et, pour ce qui concerne les prélèvements assis sur les revenus mentionnés à l'article
L. 136-6 du code de la sécurité sociale, à compter de l'imposition des revenus de l'année 2018.
12. Le C du XIV de ce même article dispose que : " () le produit des prélèvements prévus à l'article 1600-0 S du code général des impôts, aux articles
L. 245-14 et
L. 245-15 du code de la sécurité sociale et à l'article
L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, dans leurs rédactions antérieures à la présente loi, ainsi que des contributions additionnelles prévues au III de l'article
L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles dans sa rédaction résultant de l'article 3 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion est affecté dans les mêmes conditions que celles prévues pour les prélèvements mentionnés à l'article 235 ter du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la présente loi ".
13. Les dispositions contestées ont ainsi pour effet d'affecter au budget général de l'Etat le produit des cotisations dues au titre de l'ancien prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts, des prélèvements sociaux mentionnés aux articles
L. 245-14 et
L. 245-15 du code de la sécurité sociale et de la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article
L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles recouvrées par l'administration des impôts à compter du 1er janvier 2019, à raison de faits générateurs antérieurs à cette même date. Par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration était fondée à assujettir la cession du 19 décembre 2017 au prélèvement de solidarité, au prélèvement social et à la contribution additionnelle au prélèvement social.
14. En second lieu, Mme A soutient que les impositions en litige auraient pour effet de porter atteinte à une situation légalement acquise et de remettre en cause les effets pouvant légitimement en être attendus par les contribuables, sur le fondement de l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
15. Avant l'entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, les prélèvements sociaux mentionnés aux articles
L. 245-14 et
L. 245-15 du code de la sécurité sociale, la contribution additionnelle à ces prélèvements mentionnée à l'article
L. 14-10-4 du code l'action sociale et des familles et, s'agissant des impositions dont le fait générateur est intervenu avant le 1er janvier 2018, le prélèvement de solidarité prévu à l'article 1600-0 S du code général des impôts, entraient dans le champ d'application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale du fait de l'affectation de leur produit respectif à des organismes servant des prestations entrant elles-mêmes dans le champ de ce règlement, de sorte que les dispositions de l'article 11 de ce règlement faisaient obstacle à ce qu'ils puissent être perçus auprès de contribuables affiliés à un régime de sécurité sociale d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France. Leur produit étant depuis le 1er janvier 2019, en vertu des dispositions de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018, intégralement affecté au budget général de l'Etat, ces prélèvements ne peuvent plus, lorsqu'ils ont été recouvrés par l'administration fiscale à compter de cette date, être regardés comme présentant un lien direct et pertinent avec les lois qui régissent les branches de la sécurité sociale au sens de ce même règlement.
16. Toutefois, les règles d'affectation du produit d'une imposition de toute nature, qui traduisent les choix opérés par le législateur pour le financement de l'action publique, que celui-ci a la faculté de modifier à tout moment, ne sauraient être regardées, pour le redevable légal de cette imposition, comme présentant le caractère d'une situation légalement acquise à la date de son fait générateur. Par suite, en se bornant à affecter au budget général de l'Etat le produit de prélèvements fiscaux recouvrés à compter du 1er janvier 2019, alors même que leur fait générateur serait antérieur à cette date, les dispositions du C du XIV de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, dénuées de toute portée rétroactive, ne portent atteinte à aucune situation légalement acquise. Par ailleurs, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la faculté de se prévaloir des règles d'affectation du produit d'une imposition en vue d'en obtenir la décharge constituerait un effet de la législation dont le maintien pourrait être légitimement attendu. Par suite, en appliquant les dispositions du C du XIV de l'article 26 de la loi du 22 décembre 2018 susvisée pour fonder les impositions en litige, l'administration n'a pas porté atteinte au principe d'espérance légitime protégé par l'article 1er du protocole n° 1 de convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin de décharge du prélèvement de solidarité, du prélèvement social et de la contribution additionnelle au prélèvement social doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme A demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes Nos 2110299 et N°2309314 de Mme A sont rejetées.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et à la directrice chargée de la direction des impôts des non-résidents.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2024 où siégeaient :
M. Le Garzic, président,
Mme Syndique, première conseillère,
Mme Fabre, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2024.
La rapporteure,
A.-L. Fabre Le président,
P. Le Garzic
Le greffier,
S. Werkling
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 2110299 et 2309314