COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section B
ARRET DU 11 DECEMBRE 2007
Numéro d'inscription au répertoire général : 07 / 00794
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 DECEMBRE 2006
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEZIERS
No RG 01 / 2332
APPELANTE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE NARBONNE, société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité limitée, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualité au siège social
Place de l'Hôtel de Ville
BP 129
11101 NARBONNE CEDEX
représentée par la SCP ARGELLIES-WATREMET, avoués à la Cour
assistée de Me Pierre PUJOL, avocat au barreau de NIMES
INTIMES :
Monsieur Marcel Y...
né le 02 Décembre 1953 à FORT DE FRANCE (97200)
de nationalité Française
...
...
34310 CRUZY
représenté par Me Michel ROUQUETTE, avoué à la Cour
assisté de Me Jean-Claude ALLE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Monsieur Jacques A...
né le 24 Janvier 1944 à AGEN (47000)
de nationalité Française
...
31100 TOULOUSE
représenté par la SCP AUCHE-HEDOU AUCHE AUCHE, avoués à la Cour
assisté de Me Murielle MOLINE, avocat au barreau de BEZIERS
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 08 Novembre 2007
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles
786 et
910 du nouveau Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 NOVEMBRE 2007, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M Gérard DELTEL, Président, chargé du rapport et M Georges TORREGROSA Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M Gérard DELTEL, Président
M Yves BLANC-SYLVESTRE, Conseiller
M Georges TORREGROSA, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Myriam RUBINI
ARRET :
-contradictoire.
-prononcé publiquement par M Gérard DELTEL, Président
-signé par M Gérard DELTEL, Président, et par Mme Myriam RUBINI, Greffier, présente lors du prononcé.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par un acte notarié du 22 mars 1988 la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne a consenti à la Société Civile Immobilière-SCI-Les Terrasses du Levant un prêt de 600. 000 Frs remboursable en soixante échéances trimestrielles (soit 15 ans).
Ce prêt était destiné au financement de l'" acquisition de quatre appartements neufs usage locatif sis rue des pêcheurs et promenade du front de mer 11100 Narbonne Plage ".
Le 28 août 2001, la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Béziers Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y..., associés de la SCI au moment de l'action du prêt, pour obtenir leur condamnation à lui payer, au titre du solde du prêt, avec intérêts au taux contractuel à compter du 2 novembre 1999 :
-Monsieur A... la somme de : 688. 097,28 Frs,
-Monsieur Y... la somme de : 229. 325,76 Frs.
Le 4 décembre 2006 le Tribunal de Grande Instance de Béziers a prononcé le jugement suivant :
" Dit que Monsieur Y... et A... sont bien tenus des obligations découlant de leur qualité d'associés de la SCI Les Terrasses du Levant ;
Tenant l'absence de cause de l'obligation invoquée par le Crédit Mutuel,
Déboute le Crédit Mutuel de Narbonne de l'intégralité de ses demandes ;
Condamne le Crédit Mutuel de Narbonne à porter et payer à Monsieur A... et Y..., chacun, la somme de 1. 500 € en application de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Condamne le Crédit Mutuel de Narbonne aux dépens ".
La Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne a relevé appel de ce jugement le 1er février 2007.
Par conclusions auxquelles il est expressément fait référence pour le détail de leur argumentation, les parties formulent les demandes suivantes :
-La Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne
" Constater que le Crédit Mutuel a consenti le 22 mars 1988 un emprunt amortissable sur 15 ans à un taux révisable de 13,5 % d'un montant de 600. 000 Frs à la SCCV Les Terrasses du Levant dont Messieurs A... et Y... étaient associés, et que les fonds ont bien été mis à disposition de la SCCV Les Terrasses du Levant, aux fins de réalisation de son objet social ;
Constater que les échéances dudit emprunt ont été régulièrement remboursés pendant cinq années ;
Constater que le Crédit Mutuel justifie que son prêt ne lui a pas été remboursé à compter de l'échéance du 25 avril 1993, que la déchéance du terme à été prononcée et que le prêt précité constitue un passif à la charge de la SCCV Les Terrasses du Levant ;
Constater que la mise en demeure adressée le 01 septembre 1999 à la SCCV Les Terrasses du Levant est restée infructueuse ;
Constater que le Crédit Mutuel a préalablement mis en demeure les associés de la SCCV Les Terrasses du Levant, et notamment Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y..., par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 1999 ;
Constater que le Crédit Mutuel justifie qu'il lui est du à la date des mises en demeure adressées à Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y... le 2 novembre 1999, la somme de 139. 866,34 €, à majorer de l'intérêt contractuel au taux de 13 %, au titre de son prêt de 1988 ;
Dire que la créance du Crédit Mutuel fondé sur un prêt consenti à la SCCV Les Terrasses du Levant est parfaitement causé ;
Dire que Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y..., associés de la SCCV les Terrasses du Levant, sont tenus à l'égard du Crédit Mutuel au paiement de la somme de 139. 866,34 € à majorer des intérêts au taux de 13 % à compter du 2 novembre 1999, au prorata des droits sociaux dans le capital de cette société, qu'ils détenaient lors de la mise en place du prêt précité ;
En conséquence,
Confirmer la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Béziers le 04 décembre 2006, en ce qu'elle déclare que Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y..., sont tenus des obligations qui découlent de leur qualité d'associés de la SCCV les Terrasses du Levant ;
Infirmer la décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Béziers le 04 décembre 2006, en ce qu'elle juge à l'absence de cause de l'obligation invoquée par le Crédit Mutuel et le déboute de l'intégralité de ses prétentions et le condamne à payer à Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y..., chacun la somme de 1. 500 € en application de l'article
700 du nouveau code de procédure civile et au entier dépens ;
Condamner Monsieur Jacques A... au paiement de la somme de 104. 899,75 € au titre du solde du prêt octroyé à la SCCV Les Terrasses du Levant le 12 janvier 1988, à majorer de l'intérêt contractuel au taux de 13 % à compter du 02 novembre 1999 ;
Condamner Monsieur Marcel Y... au paiement de la somme de 34. 966,58 € au titre du solde du prêt octroyé à la SCCV Les Terrasses du Levant le 12 janvier 1988, à majorer de l'intérêt contractuel au taux de 13 % à compter du 02 novembre 1999 ;
Débouter Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y... de l'ensemble de leurs prétentions ;
Condamner Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y... solidairement à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne la somme de 5. 000 € au titre de l'article
700 du Nouveau code de procédure civile ;
Condamner Monsieur Jacques A... et Monsieur Marcel Y... aux entiers dépens de première instance, et de la présente instance... ".
-Monsieur Jacques A...
Vu le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Béziers le 4 décembre 2006 ;
Vu l'appel interjeté par la Caisse du Crédit Mutuel de NARBONNE ;
Vu les dispositions des articles 1315,
1382 et
1358 du Code Civil ;
Confirmer le jugement dont appel ;
Débouter la Caisse de Crédit Mutuel de NARBONNE de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire,
Mettre hors de cause Monsieur A... ;
Dire et juger que la Caisse de Crédit Mutuel de NARBONNE a commis une faute en ne s'assurant pas de garanties suffisantes lors de l'octroi du prêt ;
Dire et juger que la Caisse de Crédit Mutuel de NARBONNE a commis une faute en donnant mainlevée de l'inscription lors de la vente des lots no 28 & 38 ;
Dire et juger que la Caisse de Crédit Mutuel de NARBONNE a commis une faute par un soutien abusif de la SCI Les Terrasses du Levant ;
Dire et juger que ces fautes ont causé à Monsieur A... un préjudice en le privant des garanties attachées à son recours subrogatoire ;
Dire et juger que ce préjudice est au minimum égal aux prétentions de la Caisse de Crédit Mutuel de NARBONNE, soit la somme de 104. 899,75 € majorés des intérêts contractuels au taux de 13 % à compter du 2 novembre 1999 ;
Condamner la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne prise en la personne de son représentant légal en exercice au paiement de ladite somme à titre de dommages et intérêts ;
Ordonner compensation entre les sommes éventuellement dues par Monsieur A... et les dommages et intérêts dus à lui par l'établissement bancaire ;
Condamner la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne au paiement de la somme de 4. 000 € au titre de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Condamner la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne aux entiers dépens de première instance et de la présente instance... ".
-Monsieur Marcel Y...
Réformant le jugement sur les articles
1857 du Code Civil, et L. 211-2 C. C. H. ;
Dire et juger que Y... n'est pas tenu à la dette réclamée ;
Et débouter la Caisse de crédit Mutuel de Narbonne ;
Et si la cour dit que Y... est tenu dans les liens des textes ci-dessus, confirmer alors le jugement du 4 décembre 2006, mais en substituant les motifs et statuant comme suit :
-Vu l'aveu judiciaire de la fraude (art.
1356 du Code Civil) ;
-Vu l'adage « Fraus omnia corrumpit » et la jurisprudence de
la Cour de cassation (cass. civ. 1er,4 décembre 1990 : JCP 91 IV 44 ; Bull. civ. I no 278, p. 197) ;
-Déclarer inopposable à Y... l'acte de prêt, et débouter CCMN en tout ;
-Vu le choix des parties de soumettre le prêt au Code de la
consommation ; l'inexistence de la vente et l'article
L. 311-21 du Code de la consommation ;
-Dire et juger nul l'acte de prêt ; et déclarer irrecevable la
demande contre Y... sur ce fondement ;
-Vu l'article
1382 du Code Civil, dire et juger la caisse
CCMN auteur d'une faute ayant causé à Y... un préjudice équivalant au montant total de toutes les condamnations demandées contre lui ;
En conséquence,
-Condamner CCMN à ce total en principal et accessoires ;
-Vu l'article
1315 du Code Civil, dire et juger que CCMN ne
justifie pas des montants de sa réclamation et la débouter en tout ;
En toute hypothèse,
Condamner CCMN à 5. 000 € au titre de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux dépens d'instance et d'appel... ".
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu que la SCI Les Terrasses du Levant avait pour objet la construction d'un immeuble en vue de sa vente par fractions ;
Que dès lors les associés sont tenus du passif social sur tous leurs biens à proportion de leurs droits sociaux, conformément aux dispositions de l'article
L. 211-2 du Code de la Construction et de l'Habitation ;
Que l'associé qui se retire d'une société de construction-vente reste tenu du passif né de l'inexécution des engagements pris par la société à l'époque où il était encore associé, même si l'exigibilité de la créance sur la société est postérieure à son retrait ;
Qu'au moment de la souscription du prêt, Monsieur A... et Monsieur Y... étaient les seuls associés de la SCI Les Terrasses du Levant, le premier détenant 75 % des parts et le second 25 % ;
Que la mise en demeure adressée par la banque à la SCI est restée infructueuse ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que Monsieur A... et Monsieur Y... étaient tenus des obligations découlant de leur qualité d'associés de la SCI Les Terrasses du Levant, le premier à proportion de 75 %, et le second à proportion de 25 % ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que le montant du prêt, soit 600. 000 Frs, a été porté au crédit du compte de la SCI Les Terrasses du Levant ;
Que les échéances trimestrielles de remboursement ont été réglées jusqu'en janvier 1993, soit pendant 5 ans ;
Que s'il semble que le prêt n'a pas été utilisé pour l'objet indiqué dans le contrat, soit l'acquisition de 4 appartements, ce contrat n'en était pas pour autant dénué de cause, celle-ci étant constituée par la remise des fonds à l'emprunteur ;
Attendu que les intimés ne peuvent reprocher à la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne d'avoir, en 1988,1989 et 1990, donné mainlevée des inscriptions hypothécaires dont elle bénéficiait sur les lots vendus par la SCI sans exiger le remboursement du prêt ;
Que les sommes provenant des ventes ont été portées au crédit du compte bancaire de la SCI (et non des comptes courant des associés comme indiqué dans le jugement), qui a pu ainsi bénéficier du maintien du prêt ;
Que si l'un des reproches formulés à l'encontre du fondé de pouvoir de la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne, dans la lettre de licenciement du 6 décembre 1993, était d'avoir donné mainlevée des garanties hypothécaires détenues par la Caisse, supprimant ainsi toute garantie réelle sur le prêt consenti à la SCI Les Terrasses du Levant, cette mainlevée a été profitable à la SCI ;
Qu'il ne s'agissait pas pour autant d'un soutien abusif, la SCI Les Terrasses du Levant ayant continué à fonctionner normalement, et à rembourser les échéances du prêt, pendant plusieurs années ;
Attendu que les intimés sont recherchés en qualité d'anciens associés de la SCI Les Terrasses du Levant, et ne peuvent se prévaloir des dispositions de l'article
2037 du Code Civil (devenu article 2314) qui ne concernent que les cautions ;
Attendu que la créance de la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne pour un montant de 139. 866,34 € au 2 novembre 1999 est justifiée par les décomptes produits ;
Que la somme de 9. 989,13 € mentionnée sur la pièce no9 de l'appelante concerne les intérêts de retard sur les échéances impayées calculés jusqu'au 31 décembre 1995 ;
Que la somme de 11. 155,52 € figurant dans les conclusions de l'appelante (page no7) n'inclut pas les intérêts sur le capital restant dû du 1er novembre au 31 décembre 1996, motif pour lequel elle est inférieure à celle figurant sur la pièce no9 (15. 564,15 €) ;
Attendu en conséquence que les intimés seront condamnés à payer les sommes suivantes à la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne, avec intérêts au taux contractuel de 13 % à compter du 2 novembre 1999 :
-Monsieur Jacques A... :
139. 866,34 € x 75
= 104. 899,75 € ;
100
-Monsieur Marcel Y... :
139. 866,34 € x 25
= 34. 966,85 € ;
100
Attendu que les intimés seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel, et à payer chacun la somme de 600 € en application des dispositions de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
REÇOIT en la forme l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne, et LE DIT bien fondé ;
CONFIRME le jugement en ce qu'il a dit que Monsieur A... et Monsieur Y... étaient tenus des obligations découlant de leur qualité d'associés de la SCI Les Terrasses du Levant ;
LE RÉFORME en ses autres dispositions ;
CONDAMNE Monsieur Jacques A... à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne :
-La somme de 104. 899,75 €, avec intérêts au taux de 13 % à
compter du 2 novembre 1999,
-La somme de 600 € en application des dispositions de
l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE Monsieur Marcel Y... à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Narbonne :
-La somme de 34. 966,85 €, avec intérêts au taux de 13 % à
compter du 2 novembre 1999 ;
-La somme de 600 € en application des dispositions de
l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE Monsieur A... et Monsieur Y... aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP ARGELLIES WATREMET, Avoué ;
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes, plus amples ou contraires.