Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 mars 2021, 8 septembre et 2 novembre 2022 et 1er février 2023, Mme B, représentée par Me Barbarin, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 15 janvier 2021 par lequel le maire de Grenoble lui a infligé la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonction de 15 jours ;
2°) d'annuler la décision du 27 janvier 2021 par laquelle, M. A, adjoint au maire a notifié la sanction contestée ;
3°) d'enjoindre à la ville de Grenoble de retirer de son dossier individuel l'ensemble des pièces de la présente procédure disciplinaire ainsi que les décisions et arrêtés annulés dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Grenoble une somme de 1 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la décision attaquée :
- est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter utilement sa défense faute d'avoir eu accès à l'intégralité de son dossier individuel en méconnaissance du principe général des droits de la défense et des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 :
- est entachée d'un vice de procédure en raison de la présence continue de l'autorité investie du pouvoir disciplinaire lors du conseil de discipline portant atteinte au caractère non public de la séance ;
- le caractère partial et déloyal de l'enquête administrative, en raison de l'absence de prise en compte des faits d'août 2020 remontés par Mme B à sa responsable, entache la décision attaquée d'un vice de procédure.
- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 février, 29 novembre 2022 et 10 mars 2023, la commune de Grenoble, représentée par Me Laborie, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la requérante une somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune conteste les moyens invoqués.
Par lettre du 19 aout 2022, les parties ont été informées qu'en application des dispositions de l'article
R. 611-11-1 du code de justice administrative l'instruction est susceptible d'être close le 9 septembre 2022, par l'émission d'une ordonnance de clôture ou d'un avis d'audience, sans information préalable.
La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée le 1er juin 2023, par l'avis d'audience du même jour.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'absence de caractère décisoire du courrier d'accompagnement du 27 janvier 2021.
Vu :
- la décision attaquée et les autres pièces du dossier ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fourcade,
- les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,
- et les observations de Me Barbarin, représentant Mme B, et de Me Vial-Grelier, représentant la ville de Grenoble.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B, ajointe administrative de 1er classe, employée par la ville de Grenoble, occupe les fonctions d'agent d'accueil au Musée de Grenoble depuis 1990. Par l'arrêté contesté du 15 janvier 2021 elle a fait l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de fonction de 15 jours.
Sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation du courrier du 27 janvier 2021.
2. Le courrier d'accompagnement de l'arrêté RH21-000356 du 15 janvier 2021 ne comporte aucune décision distincte de ce dernier et ne fait donc pas grief. Par suite, les conclusions tendant à son annulation sont irrecevables.
Sur la légalité de l'arrêté du 15 janvier 2021.
3. Aux termes du troisième alinéa l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 : " le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ".
4. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application des dispositions précitées, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.
5. Lors de la consultation de son dossier le 20 novembre 2020 Mme B a pu constater que le rapport disciplinaire était fondé sur un mail de signalement daté du 10 août 2020 et sur 5 témoignages recueillis le 16 octobre 2020 dans le cadre d'une enquête administrative destinée à faire la lumière sur les faits signalés le 10 août. Toutefois, ni ce mail ni les procès-verbaux des auditions n'étaient présents au dossier, ce que Mme B a relevé dans le cadre des observations écrites qu'elle a produit préalablement à la séance du conseil de discipline et qui n'est pas contesté en défense.
6. En l'espèce, la circonstance que les témoignages n'aient pas été retranscrits sous la forme classique d'un procès-verbal mais d'un tableau Excel ne fait pas obstacle au caractère communicable de cette pièce qui constitue, avec le mail du 10 août 2020, les matériaux sur la base desquels les faits reprochés ont été regardés comme établis par l'autorité territoriale.
7. Le droit à communication dont bénéficie l'agent objet des poursuites disciplinaires, doit être concilié avec l'exigence de protection des témoins, notamment lorsque l'intéressé est en position, à l'issue de la procédure engagée contre lui de prendre des mesures de rétorsion contre les personnes dont les témoignages ont servi à établir les manquements. En l'espèce, deux des personnes entendues, dont l'auteur du mail du 10 août, qui avaient mis en cause Mme B en des termes particulièrement véhéments, avaient quitté la collectivité à la date de l'engagement des poursuites disciplinaires. S'agissant, des trois autres personnes auditionnées, toujours en poste au sein du musée, aucune possibilité de rétorsion n'est établie compte tenu du positionnement hiérarchique de Mme B au sein de la collectivité. Par suite, aucun motif tenant à la protection des témoins n'était de nature à faire obstacle à la communication de ces documents.
8. La communication au cours de la séance du conseil de discipline du seul tableau anonymisé puis postérieurement à l'édiction de la sanction contestée du tableau avec l'identité des personnes interrogées et du mail du 10 août 2020, n'a pour effet de régulariser la procédure.
9. Enfin, la ville de Grenoble fait valoir que l'intéressée a pu organiser sa défense en se contentant des faits résumés par le rapport disciplinaire et le courrier l'informant de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre. Toutefois, il n'y a pas lieu de rechercher si le tableau traçant les auditions et le mail du 10 aout 2020 étaient effectivement utiles à la défense de l'intéressée, cette utilité étant présumée.
10. Il résulte de ce qui précède, que la requérante qui n'a pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'elle était en droit d'obtenir en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 préalablement à l'intervention de la sanction et a ainsi été privée d'une des garanties de la procédure disciplinaire, est fondée à soutenir que la sanction qui lui a été infligée a été prise au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, elle est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté qu'elle attaque.
Sur les conclusions à fins d'injonction et d'astreinte :
11. Aux termes de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
12. Compte tenu du motif d'annulation du présent jugement, ce dernier implique seulement le retrait de la sanction annulée du dossier de l'intéressée et non celui des pièces de la procédure disciplinaire. Il y a lieu d'impartir à la ville de Grenoble un délai d'un mois pour retirer la sanction contestée du dossier de Mme B. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la ville de Grenoble la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la ville de Grenoble, la partie perdante, doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêté du maire de Grenoble 15 janvier 2021 infligeant la sanction d'exclusion temporaire de fonction de 15 jours à Mme B est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Grenoble retirer l'arrêté annulé du dossier de l'intéressée dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : La ville de Grenoble versera à Mme B la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme C B et à la commune de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Vial-Pailler, président,
M. d'Argenson, premier conseiller,
Mme Fourcade, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2023.
La rapporteure,
F. FOURCADE
Le président,
C. VIAL-PAILLERLe greffier,
G. MORAND
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.