Vu le recours du ministre de l'intérieur enregistré le 12 février 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le ministre de l'intérieur demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 21 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la saisine de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;
2°) statue sur la saisine de la commission fondée, en application de l'article
L. 52-15 du code électoral, sur la décision du 17 octobre 1995 par laquelle ladite commission a rejeté le compte de campagne de M. Dominique Y..., candidat aux élections municipales des 11 et 18 juin 1995 dans la commune de Tonneins (Lot-et-Garonne) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code
électoral ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Struillou, Auditeur,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Sur la
fin de non-recevoir opposée par M. Y... :
Considérant que, par un jugement du 21 décembre 1995, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme tardive la saisine de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques lui transmettant, en application de l'article
L. 52-15 du code électoral, sa décision en date du 18 octobre 1995 rejetant le compte de campagne de M. Dominique Y..., candidat aux élections municipales des 11 et 18 juin 1995 dans la commune de Tonneins (Lot-et-Garonne) ; que le ministre de l'intérieur, au même titre que la commission, a qualité pour faire appel, au nom de l'Etat, dudit jugement ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter la fin de non-recevoir opposée par M. Y... ;
Sur le recours du ministre de l'intérieur :
Considérant qu'aux termes de l'article
L. 52-12 du code électoral : "Dans les deux mois qui suivent le tour de scrutin où l'élection a été acquise, chaque candidat ou candidat tête de liste présent au premier tour dépose à la préfecture son compte de campagne et ses annexes" ; qu'aux termes de l'article
L. 118-2 du même code : "Si le juge administratif est saisi de la contestation d'une élection dans une circonscription où le montant des dépenses électorales est plafonné, il surseoit à statuer jusqu'à réception des décisions de la commission instituée par l'article L. 52-14 qui doit se prononcer sur les comptes de campagne des candidats à cette élection dans le délai de deux mois suivant l'expiration du délai fixé au deuxième alinéa de l'article L. 52-12" ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées, la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques dispose, lorsque le juge administratif est saisi d'une contestation de l'élection, pour saisir le juge d'un délai de deux mois suivant l'expiration du délai dans lequel doivent être remis les comptes de campagne, lui-même fixé à deux mois et courant à compter de la date du scrutin ; qu'il résulte de l'instruction que les opérations électorales organisées le 18 juin 1995, à l'issue desquelles l'élection de M. Y..., a été acquise, ont été contestées devant le tribunal administratif de Bordeaux ; que la saisine dudit tribunal par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a été enregistrée avant le 19 octobre 1995, date à laquelle expirait le second délai de deux mois susmentionné, lequel, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ne courait pas à compter du 27 juillet 1995, date à laquelle M. Y... avait déposé son compte de campagne ; que le ministre de l'intérieur est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement du 21 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif, se fondant sur le caractère tardif de la saisine de la commission, l'a rejetée ;
Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par le 4ème alinéa de l'article
R. 120 du code électoral est expiré ; que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer immédiatement sur la saisine de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;
Considérant qu'aux termes de l'article
L. 52-4 du code électoral : "Pendant l'année précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection a été acquise, un candidat à cette élection ne peut avoir recueilli des dons en vue du financement de sa campagne que par l'intermédiaire d'un mandataire nommément désigné par lui, qui est soit une association de financement électorale soit une personne physique dénommée "le mandataire financier" ..." ; que l'article
L. 52-6 du même code dispose : "Le candidat déclare par écrit à la préfecture de son domicile le nom du mandataire financier qu'il choisit ... Le mandataire financier est tenu d'ouvrir un compte bancaire ou postal unique retraçant la totalité de ses opérations financières. L'intitulé du compte précise que le titulaire agit en qualité du mandataire financier du candidat, nommément désigné ..." ;
Considérant qu'en raison de la finalité poursuivie par les dispositions précitées de l'article
L. 52-4 du code électoral, l'obligation de recourir à un mandataire constitue une formalité substantielle à laquelle il ne peut être dérogé ; qu'il résulte de l'instruction que M. Y... a recueilli des fonds en vue du financement de sa campagne sans l'intermédiaire d'un mandataire désigné par lui ; qu'il est constant que les dépenses engagées par l'intéressé en vue de son élection ont été réglées par un tiers, qui n'avait pas été désigné en qualité de mandataire dans les conditions prévues par les dispositions de l'article
L. 52-6 et qui agissait en qualité de trésorier de l'association "Agir pour Tonneins", laquelle ne pouvait être regardée, selon d'ailleurs les propres déclarations de M. Y..., comme une association de financement ; que, par suite, c'est à bon droit que la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté son compte de campagne ;
Considérant que l'article
L. 118-3 du code électoral tel qu'il est issu de la loi n° 96-300 du 10 avril 1996 dispose que : "Saisi par la commission instituée par l'article L. 52-14, le juge de l'élection peut déclarer inéligible pendant un an le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. Dans les autres cas, le juge de l'élection peut ne pas prononcer l'inéligibilité du candidat dont la bonne foi est établie, ou relever le candidat de cette inéligibilité. Si le juge de l'élection a déclaré inéligible un candidat proclamé élu, il annule son élection ..." ; que ces dispositions sont d'application immédiate ; que, dans les circonstances de l'espèce, la bonne foi de M. Y... n'est pas établie ; que, par suite, en application des dispositions précitées de l'article
L. 118-3 du code électoral, il y a lieu de constater l'inégibilité de M. Y... en qualité de conseiller municipal et d'annuler son élection ;
Considérant qu'aux termes de l'article
L.270 du code électoral : "La constatation par la juridiction administrative de l'inégibilité d'un ou plusieurs candidats n'entraîne l'annulation de l'élection que du ou des élus inéligibles. La juridiction saisie proclame en conséquence l'élection du ou des suivants de liste" ; qu'en application de ces dispositions, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de proclamer élu M. Claude X... inscrit sur la liste où figurait M. Y... immédiatement après le dernier élu de cette liste ;
Article 1er
: Le jugement en date du 21 décembre 1995 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : M. Y... est déclaré inéligible en qualité de conseiller municipal pour une durée de un an à compter de la présente décision.
Article 3 : L'élection de M. Y... comme conseiller municipal est annulée.
Article 4 : M. X... est proclamé élu en qualité de conseiller municipal de Tonneins.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à M. Dominique Y..., à M. Claude X... et à la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.