Cour de cassation, Première chambre civile, 25 février 2016, 14-21.233, 14-29.234

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2016-02-25
Cour d'appel de Metz
2013-11-07

Texte intégral

CIV. 1 FB COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 25 février 2016 Cassation partielle Mme BATUT, président Arrêt n° 198 F-D Pourvois n° U 14-21.233 et R 14-29.234 JONCTION Aide juridictionnelle partielle en défense au profit des époux [G]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 28 novembre 2014. Aide juridictionnelle partielle en demande au profit des époux [G]. Admission du bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation en date du 23 septembre 2014. R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ I - Statuant sur le pourvoi n° U 14-21.233 formé par la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], contre un arrêt rendu le 7 novembre 2013 par la cour d'appel de Metz (1re chambre), dans le litige l'opposant : 1°/ à M. [Y] [G], 2°/ à Mme [J] [E] divorcée [G], domiciliés tous deux [Adresse 3], 3°/ à la société Compagnie européenne de garantie et caution, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défendeurs à la cassation ; II - Statuant sur le pourvoi n° R 14-29.234 formé par : 1°/ M. [Y] [G], 2°/ Mme [J] [E] divorcée [G], contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant : 1°/ à la société Compagnie européenne de garantie et caution, 2°/ à la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne, défenderesses à la cassation ; La demanderesse au pourvoi n° U 14-21.233 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Les demandeurs au pourvoi n° R 14-29.234 invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l'audience publique du 2 février 2016, où étaient présentes : Mme Batut, président, Mme Ladant, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Laumône, greffier de chambre ; Sur le rapport de Mme Ladant, conseiller, les observations de Me Blondel, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne, de la SCP Vincent et Ohl, avocat de M. et Mme [G], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de la société Compagnie européenne de garantie et caution, l'avis de M. Cailliau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Vu leur connexité, joint les pourvois n° U 14-21.233 et R. 14-29.234 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne (la banque) a consenti à M. et Mme [G] (les emprunteurs) deux prêts destinés au financement de la construction d'une maison d'habitation et garantis par la société Compagnie européenne de garantie et caution (la caution) ; que la déchéance du terme ayant été prononcée à la suite de la défaillance des emprunteurs, la banque les a assignés en paiement et que la caution, qui avait exécuté son engagement, a exercé contre eux son recours personnel ; qu'alléguant un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, les emprunteurs ont sollicité reconventionnellement la condamnation de la banque et de la caution à leur verser des dommages-intérêts ;

Sur le moyen

unique du pourvoi n° R 14-29.234, ci-après annexé :

Attendu que les emprunteurs font grief à

l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la caution la somme de 207 556,74 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2009, et de rejeter leur demande reconventionnelle ; Attendu que, d'abord, ayant relevé sans être contredite sur ce point, que la caution avait procédé au paiement sur la réclamation de la banque, la cour d'appel a, par ce seul motif, écarté à bon droit l'application des dispositions de l'article 2308, alinéa 2, du code civil invoquées par les emprunteurs ; qu'ensuite, la compensation n'ayant lieu qu'entre deux personnes débitrices l'une envers l'autre, la cour d'appel a exactement énoncé que la demande d'indemnisation formée contre la banque par les emprunteurs ne visait pas à faire déclarer éteinte leur dette envers la caution ;

D'où il suit

que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le moyen

unique du pourvoi n° U 14-21.233, qui est recevable comme étant de pur droit :

Vu

l'article 1147 du code civil ;

Attendu que, pour fixer à la somme de 280 000 euros le montant de la réparation du préjudice subi par M. et Mme [G] en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde, l'arrêt retient

que les emprunteurs sont fondés en leur demande de dommages-intérêts à hauteur du montant des sommes dont ils sont débiteurs, en principal et intérêts, vis-à-vis de la caution et de la banque ;

Qu'en statuant ainsi

, alors que le préjudice né de la défaillance de la banque s'analysait en une perte de chance, laquelle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, la cour d'appel, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: Met sur sa demande hors de cause la Compagnie européenne de garantie et caution ; CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne à payer à M. et Mme [G] la somme de 280 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 7 novembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ; Condamne M. et Mme [G] aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille seize.

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyen produit au pourvoi n° U 14-21.233 par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la Caisse d'épargne et de prévoyance de Lorraine-Champagne Ardenne. Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Lorraine Champagne-Ardenne à payer à Monsieur et Madame [G] la somme de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts au taux légal à compter de la date de la décision ; AUX MOTIFS QU'il est constant que la Banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenue à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques d'endettement né de l'octroi du prêt ; qu'il appartient de prouver qu'il a satisfait à son obligation de mise en garde et non à l'emprunteur de démontrer une faute de la Banque ; qu'en l'espèce, il résulte des éléments versés au dossier par la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Lorraine Champagne-Ardenne et notamment du dossier constitué par le courtier AFCM, sur la base duquel elle s'est déterminée pour consentir les crédits litigieux, que les époux [G] avaient deux enfants à charge, que Monsieur [G] après avoir exercé son métier de carreleur comme tâcheron, avait opté très récemment pour le salariat, que sur la base d'un salaire simulé (l'intéressé n'ayant pas encore perçu son premier salaire), la rémunération qu'il devait percevoir pouvait s'élever dans le meilleur des cas à 1.802 euros par mois en tenant compte d'une vingtaine d'heures supplémentaires, de l'indemnité de panier et des frais de trajet, que Madame [G] venait de reprendre un petit travail rémunéré au Luxembourg pour un salaire s'élevant à 1.348 euros par mois ; que le couple, qui avait acquis par voie de crédit en 2001 un immeuble modeste à usage d'habitation, qu'il se proposait de revendre, devait acquitter le crédit immobilier correspondant et divers crédits à la consommation pour un montant de 990 euros par mois, que les époux [G] bénéficiaient enfin des allocations familiales à hauteur d'environ 300 euros par mois ; qu'il est constant que les époux [G] ne disposaient strictement d'aucun apport personnel et ne justifiaient d'aucune économie ; qu'ainsi leur situation était particulièrement précaire alors surtout que la seconde échéance du crédit payable le 5 juillet 2008 s'élevait à la somme d'importance de 5.721 euros et que, faute pour eux d'avoir réussi à vendre leur bien immobilier à cette date, le couple était exposé à rembourser, sur un actif mensuel de 3.500 euros au mieux, une somme de 990 euros pour le prêt immobilier subsistant et les prêts à la consommation, majorée du prêt Caisse d'Épargne à hauteur de la somme de 1.120 euros par mois, soit un solde pour vivre de 1.390 euros pour quatre personnes ; que le taux d'endettement était alors très largement supérieur à celui de 33 % communément considéré comme seuil d'endettement à risque ; que de fait, les époux [G] qui, compte tenu d'un marché immobilier atone, n'ont pu vendre leur appartement avant le mois de juillet 2009, ont été dans l'incapacité de régler la seconde échéance du prêt pas plus que les suivantes ; que la Caisse d'épargne ne justifie en rien avoir mis en garde les époux [G], qui, compte tenu de leurs professions et de leur inexpérience, doivent être considérés comme des emprunteurs non avertis, à raison de leurs capacités financières et au regard du risque de l'endettement né de l'octroi du nouveau crédit immobilier pour le cas où leur appartement ne serait pas vendu avant le mois de juillet 2008, date à laquelle les échéances de remboursement prendraient effet ; que dans ces conditions, il échet de constater que la Caisse d'épargne et de Prévoyance de Lorraine Champagne-Ardenne a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle sur le terrain de l'article 1147 du Code civil ; ET AUX MOTIFS ENCORE QUE cette faute a incontestablement causé un préjudice direct aux époux [G], exposés à rembourser à la Banque ou à la caution des sommes très importantes qu'ils ne sont pas en mesure d'acquitter ; qu'ainsi, les époux [G] sont fondés en leur demande de dommages et intérêts à hauteur du montant des sommes dont ils sont débiteurs, en principal et intérêts, vis-à-vis de la caution et de la Banque et que la Cour, infirmant sur ce point la décision déférée, évalue à la somme de 280.000 euros, somme au paiement de laquelle la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Lorraine Champagne-Ardenne sera condamnée avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil ; ALORS QUE, D'UNE PART, le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter ; qu'en énonçant que le manquement de la Caisse d'Épargne à son devoir de mise en garde envers les époux [G] leur a causé un préjudice direct consistant à devoir rembourser à la Banque ou la caution l'intégralité des sommes qu'ils ne sont pas en mesure d'acquitter, la Cour viole l'article 1147 du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile ; ALORS QUE, D'AUTRE PART, et en tout état de cause, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en fixant les dommages et intérêts dus par la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Lorraine Champagne Ardenne en réparation d'un manquement à son obligation de mise en garde à hauteur de l'intégralité des sommes dont les époux [G] sont débiteurs, en principal et intérêts, vis-à-vis de la Banque et de la caution, la Cour viole derechef l'article 1147 du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile.Moyen produit au pourvoi n° R 14-29.234 par la SCP Vincent et Ohl, avocat aux Conseils pour M. et Mme [G]. En ce que l'arrêt attaqué, par confirmation de l'un des jugements dont appel (n° 09/01083), a condamné solidairement [Y] [G] et [J] [E] épouse [G] à payer à la SA Compagnie Européenne de Garantie et de Caution la somme de 207.556, 74 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2009 et les a déboutés de leurs demandes reconventionnelles ; Aux motifs que les époux [G], qui sollicitent reconventionnellement la condamnation de l'intimée au paiement à titre de dommages et intérêts de la somme qu'elle-même réclame en qualité de caution, excipent ensuite des dispositions de l'article 2308 du Code civil suivant lesquelles « lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n'aura de recours contre lui dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur aurait eu les moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contres les créanciers » ; en l'espèce, que s'il est exact que l'intimée n'a pas avisé les époux [G] qu'elle procédait au règlement de la dette réclamée par la Caisse d'Epargne, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas justifié des moyens utiles par lesquels ces derniers auraient pu faire déclarer la dette éteinte ; que la demande reconventionnelle formée par les époux [G] en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde a pour l'objet l'obtention de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et ne vise pas à faire déclarer la dette éteinte ; qu'au surplus, il est de règle que le débiteur poursuivi par un créancier subrogé dans les droits de son créancier originaire peut opposer au dit créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire, il n'en va pas de même lorsque la caution exerce son recours personnel dès lors qu'il est acquis en ce cas qu'elle ne détient plus ses droits du créancier originaire mais en tant que nouveau créancier ; qu'en l'espèce, l'intimée a expressément, dans ses écritures tant de première instance que d'appel, énoncé qu'elle entendait exercer son recours personnel et non son recours subrogatoire ; qu'il en résulte que les époux [G] ne sont pas fondés à opposer à la caution le moyen de défense tiré du manquement par la banque à son devoir d'information et d'alerte alors qu'ils sont en droit d'engager à ce titre la responsabilité de la banque (arrêt attaqué, p.7, dernier § - p.8 § 4) ; 1°/ Alors que selon l'article 2308 du code civil, alinéa 2, lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n'aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du payement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; que la déchéance ainsi prévue s'applique tant au recours subrogatoire exercé par la caution qu'à son recours personnel ; qu'en décidant le contraire cependant que le texte ne distingue pas les recours dont la caution est privée, la cour d'appel en a violé les dispositions ; 2°/ Et alors qu'en retenant que la demande reconventionnelle formée par les époux [G] en raison du manquement de la banque à son obligation de mise en garde a pour objet l'obtention de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et ne vise pas à faire déclarer la dette éteinte, cependant que l'indemnisation sollicitée avait pour objet et pour conséquence l'extinction par voie de compensation de la dette desdits époux, la cour d'appel a encore violé l'article 2308 alinéa 2 du code civil, ensemble l'article 1289 du même code.