AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société d'Exploitation du Village du Chat, dont le siège est "Village du Chat", Commune d'Ecuras à Montbron (Charente),
2 / la société Marchand Chat, dont le siège est Commune d'Ecuras à Montbron (Charente), en cassation d'un arrêt rendu le 8 mars 1993 par la cour d'appel de Bordeaux (1ère chambre), au profit :
1 / de M. Klaas A..., demeurant "Village du Chat", commune d'Ecuras à Montbron (Charente),
2 / de Y... Uta Christine Z..., épouse A..., demeurant "Village du Chat", commune d'Ecuras à Montbron (Charente), défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt :
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 mars 1995, où étaient présents : M. Nicot, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Lacan, conseiller référendaire, rapporteur, M. Vigneron, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Lacan, les observations de Me Cossa, avocat de la société d'Exploitation du Village du Chat et de la société Marchand Chat, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des époux A..., les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué que, le 2 janvier 1986, la Société Marchand Chat (la SMC), dont le gérant est M. X..., a acquis du syndic de la liquidation des biens de la société Le Chat, 112 des 204 pavillons composant le village de vacances du Chat, créé auparavant par cette dernière ;
que, le même jour, la Société d'Exploitation du Village du Chat (la SEVC), dont M. X... est également le gérant, a acquis du syndic un fonds de commerce de gestion d'immeubles situés dans ce village ;
qu'un différend a opposé la SMC et la SEVC à M. A... et à son épouse, qui assuraient depuis 1979, en qualités de salariés, la gestion et l'entretien du village et qui occupaient des locaux réservés à cet usage à l'entrée de celui-ci ;
qu'à la suite d'un accord intervenu le 17 mars 1988 entre la SMC et la SEVC, d'une part, et les époux A..., d'autre part, il a été convenu que ces derniers libèreraient les locaux qu'ils occupaient jusqu'alors, tandis que M. X... s'engageait "à appuyer de son vote", lors de l'assemblée générale de l'Association des Acquéreurs Le Chat, la résolution qui confierait à M. et Mme A... un contrat de gestion et d'entretien pour les parties communes pour les années 1989/90/91" ;
que, lors de l'assemblée générale qui s'est tenue le 28 mai 1988, M. X... a voté contre cette résolution, provoquant ainsi son rejet ;
que les époux A... ont assigné la SMC et la SEVC en réparation du préjudice qu'ils estimaient avoir subi, tandis que les deux sociétés formaient à leur encontre une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen
, pris en ses sept branches :
Attendu que la SMC et la SEVC reprochent à l'arrêt d'avoir accueilli la demande des époux A..., alors, selon le pourvoi, de première part, que l'objet principal du litige, tel qu'il résultait des conclusions de la Société d'Exploitation du village du Chat et de la société Marchand de Chat était de savoir si, en s'installant dans la villa n 93 pour y exercer une activité commerciale de location qui, tout à la fois, était interdite par le règlement du groupe d'habitations Le Chat et concurrençait celle desdites sociétés, les époux A... n'avaient pas manqué à leurs obligations contractuelles résultant du protocole d'accord du 17 mars 1988 et si, par voie de conséquence, M. X..., gérant desdites sociétés ne s'était pas trouvé lui-même délié de son engagement d'appuyer de son vote, lors de la prochaine assemblée générale des copropriétaires, la résolution confiant aux époux A... un contrat de gestion et d'entretien pour les parties communes ;
que, dès lors, en raisonnant comme s'il n'était reproché aux époux A... que de s'être installés au sein du village et de s'être livrés à une concurrence déloyale en poursuivant l'activité de gestion et d'entretien des parties communes prévue au protocole d'accord, la cour d'appel a méconnu, en les réduisant, les termes du litige, et a ainsi violé l'article
4 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de deuxième part, que du même coup, en se fondant sur des motifs qui se réfèrent exclusivement au protocole d'accord et ignorent l'activité réellement exercée par les époux A... dans le pavillon n 93, la cour d'appel s'est déterminée par des considérations inopérantes au regard de la question en litige, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles
1134,
1147 et
1184 du Code civil ;
alors, de troisième part, qu'il résulte des constatations mêmes du jugement dont l'arrêt a adopté les motifs que les époux A... exerçaient dans le pavillon n 93 un activité différente de celle prévue dans le protocole d'accord du 17 mars 1988 ;
que, dès lors, en affirmant que ces derniers étaient légitimement fondés à s'installer dans ce pavillon "pour y continuer leur activité", la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient au regard des articles
1134,
1147 et
1184 du Code civil, qu'elle a ainsi violés ;
alors, de quatrième part, que, en adoptant purement et simplement les motifs du jugement énonçant qu'aucun des accords ou règlements dont le contenu avait été comuniqué au Tribunal avec une précision suffisante n'interdisait aux époux A... l'exercice d'une activité commerciale dans la lvilla n 93, sans procéder à l'analyse de ces documents ni préciser leur nature, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles
455 et
458 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de cinquième part, que la Société d'exploitation du village du Chat et la ayant précisé dans leurs conclusions d'appel le contenu de l'article 5 du règlement du groupe d'habitations Le Chat d'ailleurs produit aux débats, dont il résulte clairement que toute activité commerciale et interdite dans les pavillons à usage d'habitation, la cour d'appel ne pouvait se borner à adopter sur cette question les motifs des premiers juges sans répondre au moyen précis, détaillé et justifié invoqué par lesdites sociétés dans leurs conclusions d'appel ;
que ce faisant, elle a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
alors, de sixième part, que, du même coup, en refusant de tirer les conséquences des dispositions claires et précises du règlement du groupe d'habitations Le Chat qui interdisent l'exercice d'une activité commerciale dans les pavillons à usage d'habitation, et conc dans le pavillon n 93 acquis par les époux A..., comme l'avait d'ailleurs constaté le juge des référés, la cour d'appel a violé les articles
1134,
1147 et
1184 du Code civil ;
et alors, de septième part, qu'en se bornant à affirmer que l'engagement pris par M. X... est parfait, même si les conditions financières n'en ont pas été explicitées, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la détermination de ces conséquences n'avait pas été le fait de la seule volonté des époux A..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1129 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, statuant dans les limites du litige dont elle était saisie, a recherché si l'inexécution par M. X... de son obligation contractuelle, sur laquelle était fondée l'assignation des époux A..., pouvait être justifiée, comme lui-même l'alléguait, par les fautes qu'auraient commises ces derniers en se soustrayant à leurs propres obligations ;
qu'elle a estimé que le protocole du 17 mars 1988, qui déterminait les obligations synallagmatiques des parties, n'interdisait pas aux époux A... de poursuivre, à l'intérieur du village, leur activité de gestion et d'entretien des parties communes comme celle de location des pavillons privés qui leur étaient confiés par divers propriétaires ;
qu'ayant, par ailleurs, constaté que l'obligation de faire de M. X... était "clairement définie", quoique les conséquences financières n'en aient pas été explicitées, elle a pu retenir que le vote de ce dernier, lors de l'assemblée générale du 28 mai 1988, était constitutif d'une faute ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen
:
Attendu que la SMC et la SEVC reprochent encore à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande reconventionnelle, alors, selon le pourvoi, qu'elles faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel qu'elles justifiaient une telle demande en versant aux débats deux nouvelles pièces dont elles faisaient une analyse précise ;
que, dès lors, la cour d'appel a dénaturé tant ces conclusions que les termes du litige, violant ainsi les articles
1134 du Code civil et
4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen ne précise pas la nature des pièces invoquées, ni en quoi celles-ci pouvaient justifier les prétentions des deux sociétés devant les juges du fond ;
qu'il est donc irrecevable ;
Mais
sur le deuxième moyen
:
Vu l'article
1147 du Code civil ;
Attendu que, pour condamner la SEVC, conjointement et solidairement avec la SMC, à verser une certaine somme aux époux A... en réparation de leur préjudice, l'arrêt retient que le procès-verbal de l'assemblée générale du 28 mai 1988 de l'Association des Acquéreurs Le Chat établit la violation par M. X... de l'engagement souscrit le 17 mars précédent ;
Attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans rechercher si la SEVC était titulaire d'un droit de vote à l'assemblée générale dont s'agit, ni énoncer sur quel autre fondement sa responsabilité pouvait être engagée à l'égard des époux A..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SEVC, conjointement et solidairement avec la SMC, à verser 300 000 francs aux époux A..., l'arrêt rendu le 8 mars 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
REJETTE la demande présentée par les époux A... sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne les époux A..., envers la société d'Exploitation du Village du Chat et la société Marchand Chat, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Bordeaux, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller doyen faisant fonctions de président en son audience publique du trente mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze.