Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... L..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale des jeunes Sylviana G... D... et Q... Pombo H..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite, née le 1er octobre 2019, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision des autorités consulaires françaises en République Démocratique du Congo du 22 mai 2019 rejetant les demandes de visas de long séjour des jeunes Sylviana G... D... et Q... Pombo H... en qualité de membres de famille de réfugiée.
Par un jugement n° 1913401 du 30 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 1er octobre 2019 et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 septembre 2020 et le 25 janvier 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... L... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le lien de filiation entre Mme E... L... et les enfants n'est établi ni par les actes d'état civil produits, ni par la possession d'état ;
- aucune délégation d'autorité parentale n'a été établie par le père de l'enfant Sylviana, de sorte que cet enfant ne peut rejoindre sa mère alléguée en France.
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2021, Mme E... L..., représentée par Me Paulhac, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme L..., ressortissante congolaise née le 27 juin 1986 à I... (République Démocratique du Congo), s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée sur le territoire français le 20 mai 2016. Ses enfants allégués, J... G... D... et N... H..., ressortissants congolais respectivement nés le 17 mai 2004 et le 28 mars 2013 à I..., ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée. Par une décision du 22 mai 2019, les autorités consulaires françaises en République Démocratique du Congo ont rejeté leurs demandes. Par une décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision consulaire. Mme L... a demandé au tribunal administratif de Nantes l'annulation de la décision de la commission de recours. Par un jugement du 30 juillet 2020 le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article
L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article
311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. D'autre part, l'article
L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article
47 du code civil. L'article
47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier du 28 octobre 2019 de communication des motifs de la décision contestée, que pour rejeter les demandes de visas de long séjour formulées pour les enfants J... G... D... et N... H..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'identité des intéressés et leur lien familial à l'égard de Mme L... ne sont pas établis, d'autre part, de ce que la preuve que le père de Q... Pombo H... est décédé ou a été déchu de l'exercice de ses droits parentaux ou du droit de garde n'est pas apportée.
6. Au soutien de la demande des enfants J... G... D... et N... H..., ont été produits les actes de naissance, respectivement établis le 11 janvier 2018 et le 15 août 2018 en transcription de jugements supplétifs rendus le 28 novembre 2017 par le tribunal pour enfants K... I... / F... et le 15 mai 2018 par le tribunal pour enfants K... I... / B.... Pour remettre en cause le caractère probant de ces actes, le ministre de l'intérieur relève que les jugements supplétifs ont été établis plusieurs années après la naissance des intéressées, qu'ils ont été prononcés seulement trois jours après la requête, en l'absence d'un représentant de la requérante, et que les actes de naissance ont été transcrits en 2018 alors que les jugements supplétifs sont datés de 2017, en méconnaissance des dispositions de l'article 106 du code de la famille congolais. Toutefois, et compte tenu de l'objet d'un jugement supplétif, ces seules circonstances ne suffisent pas à démontrer le caractère frauduleux de ces décisions, rendues par une autorité juridictionnelle étrangère. En outre la circonstance que les actes de naissance, dressés sur le fondement des mêmes jugements, dont aucune des mentions légales ni des informations essentielles concernant notamment le lien de filiation y figurant ne sont contestées par le ministre, comportent des informations ne figurant pas dans les jugements supplétifs, ne suffit pas à les regarder comme étant frauduleux. La seule circonstance que les actes de naissance des jeunes Sylviana et Q... mentionnent pour date de naissance de Mme L... le 17 juin 1986, alors que l'acte de naissance de l'intéressée délivré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) mentionne le 27 juin 1986, n'est pas de nature à les priver de valeur probante. Si Mme L... a indiqué, dans son formulaire de demande d'asile en 2015, que M. M... était le père des enfants, et alors que les noms figurant sur les actes de naissance mentionnent M. C... pour Sylviana et M. O... pour Q..., cette indication ne suffit pas à remettre en cause le lien de filiation alléguée, à l'égard de la requérante, et alors que, pour le reste, les énonciations contenues dans ces documents sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme L... devant l'OFPRA et correspondent aux mentions figurant sur le passeport des intéressés. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit, l'acte de naissance K... Q... mentionne que M. A... P... est le père de l'enfant. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé s'est vu reconnaître la qualité de réfugié sur le territoire français, où il réside avec Mme L..., selon les allégations de cette dernière non contestées du ministre.
7. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que les documents d'état civil produits ne présentaient pas un caractère probant pour établir l'identité des enfants J... G... D... et N... H..., et partant, le lien familial des demandeurs avec la réunifiante, et en estimant que l'intérêt supérieur de Q... commande qu'il reste dans son pays d'origine en raison de l'absence de preuve du décès ou de la déchéance d'autorité parentale de son père.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme Mme L..., la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours dirigé contre la décision du 10 décembre 2018 des autorités consulaires françaises à I... refusant de délivrer à Sylviana G... D... et Q... Pombo H... des visas de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme L... K... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme L... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... L... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2021.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03050