MINUTE N° 24/224
NOTIFICATION :
Copie aux parties
Clause exécutoire aux :
- avocats
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB
ARRET
DU 14 Mars 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB N° RG 21/00588 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HPRW
Décision déférée à la Cour : 06 Janvier 2021 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG
APPELANTE :
Madame [X] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Cédric D'OOGHE, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 1]
[Localité 3]
Comparante en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article
945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme GREWEY, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. LEVEQUE, Président de chambre
Mme GREWEY, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par M. LEVEQUE, Président de chambre,
- signé par M. LEVEQUE, Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Exposé du litige
L'activité d'infirmière libérale de Mme [X] [J] a été contrôlée par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin sur deux périodes allant du 1er avril au 31 décembre 2011 et du 1er mars 2012 au 31 mars 2014, durant une partie desquelles elle était en arrêt pour maladie, du 1er juillet 2011 au 15 janvier 2013.
La caisse a émis le 12 avril 2016 une demande de remboursement d'un indu de 90 502,82 euros que Mme [J] a contestée devant la commission de recours amiable, qui a implicitement rejeté son recours, puis devant le tribunal judiciaire de Strasbourg qui, par jugement du 6 janvier 2021, a :
- déclaré le recours recevable ;
- rejeté la demande d'expertise médicale ;
- annulé partiellement l'indu concernant les patients [M], [N], [S], [B], [Z], [E], [W], [Y], [C] et [T] ;
- condamné Mme [J] au paiement de l'indu pour le surplus ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- débouté Mme [J] de sa demande au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [J] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- sur la responsabilité de Mme [J] concernant les actes antérieurs au mois de janvier 2013, qu'il est indifférent que ces actes aient pu être réalisés par des remplaçantes intervenues pendant l'arrêt maladie de Mme [J] dès lors qu'ils ont été effectués à son nom et remboursés sous son propre numéro d'identification ;
- sur la demande d'expertise, que l'expertise n'était pas utile à la solution d'un litige portant sur la conformité des actes infirmiers aux prescriptions médicales que l'infirmier doit respecter conformément à l'article R.4312-29 du code de la sécurité sociale ;
- sur la prescription, qu'en application de l'article
L.133-4 du code précité, l'action en recouvrement de l'indu engendré par l'inobservation des règles de tarification et de facturation se prescrit par trois ans à compter du paiement, ou, en cas de fraude, par cinq ans conformément à l'article
2224 du code civil ; qu'en l'espèce, l'indu ayant notamment pour origine des falsifications de prescriptions médicales, et des irrégularités entre les prescriptions des médecins et la facturation de l'infirmière, l'action se prescrivait par cinq ans et, exercée par notification du 12 avril 2016, pouvait donc porter sur les actes postérieurs au 12 avril 2011 ;
- sur l'indu, qu'il résulte de l'article
L.162-1-7 du code de la sécurité sociale, de la convention nationale destinée à régir les rapports entre les infirmiers libéraux et les organismes d'assurance maladie, et de l'article
R.4312-29 du code de la santé publique, que toute infirmière libérale qui entend facturer des soins doit respecter la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ainsi que la prescription médicale et, si elle estime celle-ci insuffisamment précise, doit demander un complément d'information au médecin ; qu'ainsi Mme [J] ne pouvait s'exonérer de ses obligations en invoquant des insuffisances dans les prescriptions médicales et en soutenant que les modifications qu'elle a apportées à certaines ordonnances avaient pour but de donner une précision dont elles étaient dépourvues, et ce dans l'intérêt des patients, alors qu'il lui appartenait de solliciter le médecin prescripteur et non de se substituer à lui, seul le médecin pouvant décider des soins et déterminer la nature et la durée du traitement ; que, par ailleurs, l'indu en matière d'actes remboursés à des professionnels de santé n'étant pas régi par le droit commun mais par l'article
L.133-4 du code de la sécurité sociale, l'absence de préjudice est une circonstance inopérante, et que la fraude résulte des modifications et ajouts réalisés par l'infirmière ; que les anomalies répertoriées au tableau 1 de la caisse étant reconnues ou inexpliquées, l'indu correspondant devait être validé ; que les anomalies répertoriées au tableau 2 devaient donner lieu à validation de l'indu pour les mêmes raisons ; que les anomalies répertoriées au tableau 3 étaient soit reconnues, soit caractérisées au vu de l'avis du médecin conseil de la caisse, soit dépourvues de justificatif médical, soit expliquées par des circonstances non exonératoires, de sorte que l'indu correspondant devait être validé ; qu'en revanche l'indu devait être annulé pour certaines facturations du même tableau 3 non démontrées par la caisse ; qu'enfin la caisse reconnaissait le bien fondé des observations formulées par Mme [J] au titre des auto-facturations d'indemnités forfaitaires de déplacement et de majoration, dont le montant n'avait toutefois pas été comptabilisé dans la notification d'indu.
Mme [J] a interjeté appel de cette décision, qui lui a été notifiée au plus tôt le 11 janvier 2021, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception expédié le 4 février 2021.
L'appelante, par conclusions en date du 5 avril 2022, demande à la cour de :
- infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a déclaré son recours recevable ;
Avant-dire-droit,
- ordonner une expertise pour dire si le libellé des ordonnances était conforme à la nomenclature et si les actes réalisés «par Mme [J], respectivement sa remplaçante» étaient conformes à l'esprit de la prescription du médecin ;
- dire que les faits antérieurs au 12 avril 2013 sont prescrits ;
- constater qu'elle n'a accompli personnellement aucun acte jusqu'au mois de janvier 2013 ;
- dire qu'elle n'est pas responsable des actes accomplis par ses remplaçantes ;
- débouter, en conséquence, la caisse de toute demande de répétition d'un indu pour les actes accomplis avant le mois de janvier 2013 ;
- dire, vu les articles « L.223-6 » du code pénal et « R.4326-20 » du code de la santé publique, que les obligations légales et réglementaires d'assurer la continuité des soins et de porter assistance ont une valeur normative supérieure à la nomenclature liant les professionnels de santé à la caisse primaire d'assurance maladie ;
- constater qu'elle-même et ses remplaçantes ont effectivement délivré tous les soins dont elle a obtenu remboursement ;
- constater que les soins étaient médicalement justifiés et nécessaires pour assurer la continuité des soins et porter assistance aux patients ;
- en conséquence, débouter la caisse de sa demande en restitution d'indu ;
- la condamner à lui payer 2 500 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer les dépens.
L'appelante soutient :
- sur les actes qu'elle impute à des remplaçantes, que pendant son arrêt maladie, elle a fait appel à des remplaçantes ; qu'en application de l'article
R.4312-86 du code de la santé publique, l'infirmier remplaçant assure le remplacement sous sa responsabilité propre ; que les actes effectués par les remplaçantes ont été déclarés avec son numéro Ameli et remboursés à son nom pour la seule raison qu'à l'époque, le logiciel mis à disposition des infirmières ne permettait pas de facturer avec le numéro Ameli des remplaçantes ; qu'elle a rétrocédé les remboursements aux intéressées ; que la caisse ne peut demander le remboursement d'actes qu'au praticien qui les a personnellement réalisés ; et que la décision du premier juge est contraire au droit français qui ne prévoit pas de responsabilité du fait d'autrui applicable à son cas ;
- sur la prescription, que la caisse ne peut se prévaloir de la prescription quinquennale en cas de fraude dès lors que la fraude ne peut être décidée par la caisse, mais seulement par la justice pénale ou par la section des assurances sociales de l'ordre des infirmiers ; que l'annexe 1 de la charte du contrôle de l'activité des professionnels de santé définit la fraude comme les faits illicites commis intentionnellement dans le but d'obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d'une prestation injustifiée indue ; que tel n'est pas le cas dès lors que tous les actes remboursés ont été effectués, dès lors que les ordonnances prétendument falsifiées ont seulement été complétées pour leur donner la précision qui leur manquait, et dès lors qu'elle n'avait aucune intention de nuire ;
- sur la nécessité de respecter des normes supérieures, que le principe de continuité des soins rappelé à l'article
R.4312-30 du code de la santé publique, qui impose à l'infirmier qui a accepté d'effectuer des soins d'en assurer la continuité, possède une valeur juridique et contraignante supérieure à celle de la convention précitée ; qu'en conséquence, elle ne pouvait interrompre les soins en raison des difficultés purement administratives qu'elle rencontrait dans la datation ou le libellé des ordonnances de soins ; que par ailleurs la répression pénale de l'omission de porter à autrui l'assistance qu'on peut lui porter sans péril pour soi ou pour les tiers, prévue à l'article « L.223-6 » du code pénal, constituait pour elle un ordre de la loi excluant sa responsabilité au sens de l'article « L.122-4 » du code pénal ; que dans les faits beaucoup de médecins se montraient négligents dans le renouvellement des ordonnances ou dans leur libellé, sans qu'il soit possible de s'adresser à eux, car le soin doit être délivré immédiatement ; que sa conception du métier d'infirmière la conduit à privilégier l'humain par rapport à l'administratif ; qu'affirmer que la continuité des soins aurait pu être assurée avec la prescription de nouvelles ordonnances des médecins est vrai dans la théorie mais que dans la pratique, les médecins ne souhaitent pas toujours réécrire l'ordonnance qu'ils ont faite, de sorte que demander des compléments d'information aux médecins est dans la pratique irréalisable ;
- qu'une expertise est nécessaire pour établir le bien-fondé médical des actes litigieux ;
- que les ententes préalables dont la caisse lui reproche l'absence auraient été nécessairement accordées compte tenu de la pathologie des patients concernés, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un motif sérieux pour remettre en cause le remboursement des actes correspondant ;
- que les prétendues falsifications se limitent en réalité à des corrections qui n'ont pas altéré la nécessité de la prescription et des soins.
La caisse, par conclusions en date du 25 novembre 2022, demande à la cour de :
- dire que les faits antérieurs au 12 avril 2013 ne sont pas prescrits ;
- dire que l'obligation d'assurer la continuité des soins n'a pas valeur normative supérieure à la convention liant les professionnels de santé à la caisse primaire d'assurance maladie ;
- constater l'annulation partielle de l'indu à hauteur de 1 024 euros ;
- débouter Mme [J] de ses demandes ;
- la condamner à payer à la caisse la somme de 89 478,62 euros ;
- la débouter de sa demande au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- confirmer le jugement.
L'intimée soutient :
- sur les actes antérieurs à janvier 2013, qu'il est indifférent que les actes aient été effectués par des remplaçantes puisque les actes litigieux ont été facturés au nom de Mme [J] et qu'ils lui ont été remboursés ; que, de plus, il résulte de l'article 5.2.3 de la convention nationale des IDE que «l'infirmière remplacée vérifie que l'activité du remplaçant est assimilée à celle du remplacé, qui n'est donc pas dispensé de la responsabilité des actes ou actions du remplaçant» et que les contraintes propres au logiciel utilisé à l'époque n'empêchaient pas la remplaçante de facturer les actes à son nom en utilisant une feuille de soins papier ;
- sur la prescription, que le caractère frauduleux des actes antérieurs au 12 avril 2013 et la plupart des actes postérieurs les soumettait à la prescription quinquennale ; et que le fait que les actes litigieux aient pu être médicalement justifiés n'empêche pas qu'ils étaient irréguliers ;
- sur le respect de normes supérieures, que la charte de contrôle de l'activité des professionnels de santé ne s'applique pas lorsque le contrôle a pour finalité de rechercher d'éventuels cas de fraude, ainsi que le précise le préambule de cette charte et ainsi que tel est le cas en l'espèce ;
- que l'indu était justifié, sauf dans le cas des trois patients [M], [N] et [S] ;
- que l'expertise, sur le fondement de l'article L.141-1 ou de l'article
L.141-2 du code de la sécurité sociale, est réservées aux litiges de nature médicale et ne peut être ordonnée pour un litige de nature administrative comme en l'espèce, dès lors que le remboursement n'est possible, dans le cadre de la NGAP, que lorsque les actes effectués par l'auxiliaire médical sont conformes à une prescription médicale écrite, qualitative et quantitative.
À l'audience du 11 janvier 2024, les parties ont demandé le bénéfice de leurs écritures, sauf la demande d'expertise abandonnée par la caisse, et sauf la faculté accordée à celle-ci de prendre une note en délibéré sur la justification de l'indu pour certains patients.
Par note en délibéré du 15 février 2024, la caisse a présenté un tableau selon lequel l'indu réclamé initialement pour un montant de 90 502,82 euros s'élève finalement à 89 478,62 euros.
Mme [J] a indiqué par message du 17 janvier 2024 ne pas y répliquer.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs moyens de fait et de droit, conformément à l'article
455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la demande d'expertise
L'appelante ayant abandonné sa demande d'expertise à hauteur de cour, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande qui lui était présentée à cette fin.
Sur la prescription
Le premier juge a exactement retenu qu'en application de l'article
L.133-4 du code de la sécurité sociale, l'action en recouvrement de l'indu engendré par l'inobservation des règles de tarification et de facturation des actes, prestations et produits visés au même texte, dont il n'est pas discuté qu'ils englobent les faits litigieux, se prescrit par trois ans à compter du paiement de la somme indue, ou, en cas de fraude, par cinq ans conformément à l'article
2224 du code civil.
La fraude, qu'il appartient à la cour d'apprécier, est définie à l'annexe I de la charte du contrôle de l'activité des professionnels de santé, ainsi que le rappelle l'appelante, comme les faits illicites commis intentionnellement dans le but d'obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d'une prestation injustifiée indue. Ainsi, pour être regardé comme frauduleux, l'acte doit répondre à la triple condition d'être illicite, d'être intentionnel, et d'être commis pour la recherche d'un avantage indu. Ces trois éléments suffisent à caractériser la fraude, sans que soit nécessaire d'y ajouter la démonstration d'une intention de nuire.
Les actes dont la caisse soutient le caractère frauduleux sont constitués de falsifications de prescriptions médicales, utilisation d'ordonnances à date de validité dépassée, ou déjà utilisées, facturation d'actes non prescrits, absence de justificatifs permettant la prise en charge des actes infirmiers, surfacturations d'acte par rapport à la NGAP, facturations de majoration de coordination infirmier injustifiées, facturation d'actes hors nomenclature, cotations non-conformes, sur-cotations d'actes par rapport à la NGAP et facturation de frais de déplacement pour des soins effectués à son propre bénéfice.
La non-conformité de ces actes aux règles de tarification et de facturation n'est pas contestée, sauf exception, par l'appelante. Celle-ci soutient, en revanche, que l'illicéité de ces actes pouvant résulter leur non-conformité leur est retirée, du fait qu'elle avait pratiqué ainsi dans l'intérêt des patients, à qui elle devait la continuité des soins et même le secours lorsqu'ils étaient mis en danger par un risque de rupture de leur traitement médical.
Si, en effet, l'article
R.4312-30 du code de la santé publique prévoit que, dès qu'il a accepté d'effectuer des soins, l'infirmier ou l'infirmière est tenu d'en assurer la continuité, ce n'est que sous réserve des dispositions de l'article R. 4312-41, suivant lesquelles l'infirmier communique au médecin toute information en sa possession susceptible de concourir à l'établissement du diagnostic, ainsi que de permettre la meilleure adaptation du traitement ou de la prise en charge. Il résulte de ces textes que l'infirmier qui estime les soins ordonnés par le médecin inadaptés ou mal organisés dans le temps doit, sans pouvoir modifier lui-même le traitement, en référer au médecin qui seul conserve la prérogative de prescrire.
Il s'en suit que les falsifications d'ordonnances et autres initiatives irrégulières reprochée à Mme [J], dont elle affirme de façon générale et sans le démontrer qu'elle étaient motivées par des difficultés pour contacter les médecins ou par des lenteurs administratives, ne sont pas susceptibles d'être justifiées par le devoir d'assurer la continuité des soins. En particulier, l'irrégularité des actes effectués sans l'entente préalable avec la caisse à laquelle ils étaient soumis, ne peut être purgée par le fait que cette entente aurait nécessairement été accordée au regard de la nature de la pathologie du patient.
De même, en l'absence de toute démonstration circonstanciée de la nécessité de s'affranchir des règles de tarification et de facturation pour porter secours à un patient en danger, au sens de l'article
223-6 du code pénal qui réprime l'omission de porter secours, aucune justification des actes litigieux ne peut provenir de la volonté de respecter ce texte.
Enfin, le fait que les remboursements demandés correspondent à des actes réellement effectués et non à des actes fictifs est sans incidence sur la non-conformité de ceux-ci aux règles de tarification et de facturation.
Dès lors, la cour ne peut que retenir le caractère illicite des actes litigieux, sauf exceptions examinées ultérieurement.
Le caractère intentionnel des actes est acquis, dès lors que ceux-ci résultent nécessairement d'une démarche volontaire de leur auteur consistant à saisir des données sur le site internet Ameli afin d'obtenir un remboursement par l'assurance maladie. Il est indifférent à cet égard que certains des actes litigieux aient pu être effectués par des remplaçantes, cette circonstance n'étant pas de nature à leur retirer leur caractère intentionnel, sans préjudice de la détermination du débiteur final de la restitution, contestée par ailleurs.
.../...
La recherche d'un avantage indu est caractérisée dès lors que le but des actes illicites est d'obtenir un remboursement auquel l'auteur de l'acte n'aurait pas eu droit s'il s'était abstenu de commettre l'irrégularité.
En conséquence, la triple condition d'illicéité, d'intentionnalité et de recherche d'un avantage indu étant remplie, les actes litigieux revêtent un caractère frauduleux, sauf exceptions, et sont dès lors soumis à la prescription quinquennale. L'action exercée par notification du 12 avril 2016 pouvait donc porter sur les actes commis le 12 avril 2011.
La cour, comme le premier juge, écartera donc le moyen tiré par Mme [J] de la prescription pour contester le montant de l'indu, étant observé au surplus qu'aucune fin de non-recevoir n'est expressément élevée de ce chef dans le dispositif de ses écritures.
Sur la période de remplacement
Ainsi que l'a exactement retenu le premier juge par des motifs que la cour adopte, le fait qu'une partie des actes litigieux aient pu être faits non pas par Mme [J] elle-même, qui était en arrêt maladie, mais par des remplaçantes, n'est pas de nature à l'exonérer de son obligation de restitution des paiements indus dès lors que les demandes de paiements ont été faits à son nom et remboursés à elle-même sous son propre numéro d'identification Ameli, étant inopérante la circonstance que le site internet Ameli ne permettait pas alors de saisir les demandes sous les références des remplaçantes, alors que celle-ci conservaient la possibilité, le cas échéant, d'accomplir la même démarche sur des feuilles de soin en papier, ainsi que le rappelle la caisse sans être contredite. Il en résulte que les paiements indus ont été reçus par Mme [J] et qu'elle est donc débitrice de leur remboursement, non au titre d'une responsabilité pour autrui qui lui serait inapplicable, mais en application du principe qui impose au bénéficiaire d'un paiement indu de le restituer. Il est à cet égard indifférent que Mme [J] ait pu rétrocéder les paiements indus à ses remplaçantes, ce qu'au demeurant elle ne démontre pas.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [J] tendant à constater qu'elle n'a accompli personnellement aucun acte jusqu'au mois de janvier 2013, à dire qu'elle n'est pas responsable des actes accomplis par ses remplaçantes et à débouter, en conséquence, la caisse de toute demande de répétition d'un indu pour les actes accomplis avant le mois de janvier 2013.
Sur l'indu
La cour adopte les motifs par lesquels le premier juge a exactement validé l'indu hors les remboursements correspondant aux patients [M], [N], [S], [B], [Z], [E], [W], [Y], [C] et [T].
La caisse admet dans ses écritures que l'indu n'était effectivement pas justifié pour les trois premiers, pour un montant global que le tableau fournit en délibéré permet d'évaluer à 118,64 euros ([M] 1,58 euros, [N] 52,16 euros, [S] 64,8 euros).
Pour les autres patients, la caisse, à qui il incombe d'établir l'indu dont elle se prévaut, maintien sa demande de remboursement et indique :
- pour le patient [B], que la prescription du 14 février 2014 ne prévoit pas de soins des jambes, de sorte que la cotation AMI2 pratiquée 11 fois au lieu de la cotation AMI1 n'est pas justifiée, ce que Mme [J] ne conteste pas et ce que le premier juge a exactement retenu, avant toutefois de mentionner à nouveau le nom de [B] au titre des indus non démontrés faute de production de la prescription médiale correspondante, pour une raison non identifiable dès lors que celle-ci était produite. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a annulé l'indu concernant le patient [B].
- pour le patient [Z], qu'il y a surfacturation pour passage les dimanches et jours fériés car non prescrit par le médecin, qui dans ce cas précise y compris samedi, dimanche et jours fériés. Toutefois, la cour constate que la prescription du 20 août 2013 mentionne le passage d'une infirmière à domicile tous les jours et il ne résulte d'aucun élément versé aux débats que cette formulation claire doive être comprise comme excluant les samedis, dimanches et jours fériés. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté cet indu.
- pour le patient [E], qu'il y a surfacturation du passage de nuit non prescrit. Toutefois, la prescription n'étant pas produite, le rejet de l'indu sera confirmé.
- pour le patient [W], qu'il y a sur-cotation de sonde et alimentation, et sur-cotation de passage de nuit non prescrit. Toutefois, la prescription n'étant pas produite, le rejet de l'indu sera confirmé.
- pour le patient [Y] : qu'il y a surfacturation de passage de nuit non prescrit. Toutefois, la prescription n'étant pas produite, le rejet de l'indu sera confirmé.
- pour le patient [C], qu'il y a surfacturation pour passage de nuit non prescrit. Toutefois, la prescription n'étant pas produite, le rejet de l'indu sera confirmé. Le montant de celui-ci n'est toutefois pas connaissable par les pièces produites et il résulte du tableau communiqué en délibéré par la caisse que celle-ci ne réclame plus de somme à ce titre ;
- pour le patient [T], que la prescription prévoit un seul passage par jour et non deux, ce qui est exact, de sorte que la double facturation des prestations au titre du 28 novembre 2012 est indue pour moitié. En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé l'indu concernant le patient [T].
Au regard de ces éléments, l'indu apparaît justifié à hauteur du montant récapitulé par la caisse dans le tableau produit en cours de délibéré, soit 90 430,14 euros, diminué des montants écartés par la cour et que la caisse n'a pas déjà soustrait dans le tableau précité, soit un total de 986,88 euros :
- Pour les patients [M], [N] et [S] : 118,64 euros
- Pour le patient [Z] : 8 euros
- Pour le patient [E] : 27,45 euros
- Pour le patient [W] : 668,09 euros
- Pour le patient [Y] : 164,70 euros
- Pour le patient [C] : indu finalement non comptabilisé par la caisse dans son dernier tableau.
Le solde restant dû s'élève ainsi à 89 443,26 euros (90 430,14 ' 986,88).
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé partiellement l'indu concernant les patients [M], [N], [S], [Z], [E], [W], [Y] et [C], mais infirmé en ce qu'il a annulé l'indu concernant les patients [B] et [T].
Le jugement sera encore infirmé en ce qu'il a condamné Mme [J] au paiement de l'indu pour le surplus, sans préciser le montant de la condamnation, ce qui était de nature à engendrer des difficultés d'exécution, et la cour prononcera à la place une condamnation à payer la somme de 89 443,26 euros.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :
Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 6 janvier 2021, sauf en ce qu'il a annulé l'indu concernant les patients [B] et [T] et en ce qu'il a condamné Mme [X] [J] « au paiement de l'indu pour le surplus» ;
Statuant à nouveau du chef ainsi infirmé et y ajoutant,
Déboute Mme [J] de sa demande d'annulation de l'indu pour les sommes réclamées au titre des prestations fournies aux patients [B] et [T] ;
La condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin la somme de 89 443,26 euros ;
La déboute de sa demande au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens d'appel.
La greffière, Le président de chambre,