Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme I... G... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 août 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du 21 janvier 2020 de l'autorité consulaire française à Abidjan (République de Côte d'Ivoire) refusant la délivrance de visas d'entrée et de long séjour à J... F... G... et Innocent G..., en qualité de membre de famille d'une personne admise au bénéfice de la protection subsidiaire.
Par un jugement n° 2011217 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas de long séjour à J... F... G... et Innocent G... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mai 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme G... épouse D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien familial avec Mme G... ; le lien familial n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;
- le père des enfants déclaré à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) n'a pas donné son accord au départ des enfants ;
- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 29 juillet 2021, Mme I... G... épouse D..., représentée par Me Leudet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les observations de Me Leudet, représentant Mme G... épouse D....
Considérant ce qui suit
:
1. Mme I... G... épouse D... est une ressortissante de République de Côte d'Ivoire née le 10 janvier 1983. Elle s'est vu admettre au bénéfice de la protection subsidiaire en 2011. Les jeunes J... F... G... et H... G... ont sollicité la délivrance de visas de long séjour en qualité de membre de famille de Mme G.... Par une décision du 21 janvier 2020, l'autorité consulaire française à Abidjan (République de Côte d'Ivoire) a rejeté ces demandes de visas. Mme G... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 27 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 10 mai 2021, le tribunal administratif a annulé cette décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article
L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article
311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 411-2 de ce code dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 411-3 du même code prévoit : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial des enfants d'une personne qui a été admise au bénéfice de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article
L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article
47 du code civil. L'article
47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter les demandes de visas de long séjour, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'identité des demandeurs de visa et, partant, leur lien familial à l'égard de Mme G..., n'étaient pas établis.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui des demandes de visa, ont été présentées pour Godé F... G... et Innocent G..., la copie de deux jugements supplétifs n°s 2012/2017 et 2013/2017 du 30 juin 2017 du tribunal de première instance d'Abidjan Plateau, faisant état du lien de filiation des enfants avec A... G..., la copie des actes de naissance dressés le 5 juin 2019 en transcription de ces jugements supplétifs par l'officier d'état civil de la commune d'Abobo, ainsi que la copie de leurs passeports délivrés le 25 mai 2019. Pour remettre en cause le caractère probant de ces actes, le ministre de l'intérieur relève que les jugements supplétifs produits ordonnent l'annulation de précédents jugements et actes d'état civil et que leur transcription a été effectuée plusieurs mois après leur édiction sur les registres de l'année 2019. Toutefois, ces circonstances ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à faire regarder les jugements supplétifs du 30 juin 2017 comme présentant un caractère frauduleux, en l'absence notamment de toute contradiction ou incohérence entre ces documents. Si le ministre soutient également que Mme G... n'a pas déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) être la mère de l'enfant Innocent, ces seules indications erronées ne suffisent pas à remettre en cause le lien de filiation allégué, la requérante faisant état des circonstances dramatiques dans lesquelles elle a donné naissance à ses enfants, circonstances qui ne sont pas contestées par le ministre. Dans ces conditions, en estimant que l'identité des demandeurs de visa et, partant, leur lien familial à l'égard de Mme G... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. L'administration peut, toutefois, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir, dans son mémoire en défense de première instance communiqué à Mme G..., ainsi que dans sa requête d'appel, que les demandeurs de visa n'ont pas produit de document attestant de l'accord du père pour que les enfants se rendent en France.
9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, notamment du récit fait par Mme G... à l'OFPRA, dont les énonciations ne sont pas remises en cause par le ministre, que M. B... C..., le père de Godé F... G... et d'Innocent G..., est décédé avant leur naissance. Dans ces circonstances, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas de long séjour à J... F... G... et à Innocent G... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme G... de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme G... la somme de 1200 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... G... épouse D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er juillet 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de la formation de jugement,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juillet 2022.
Le rapporteur,
A. E...La présidente de la formation
de jugement,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01457