Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème Chambre, 14 novembre 2022, 20MA00272

Synthèse

  • Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
  • Numéro d'affaire :
    20MA00272
  • Type de recours : Plein contentieux
  • Dispositif : Rejet
  • Décision précédente :Tribunal administratif de Marseille, 3 décembre 2019
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000046565064
  • Rapporteur : M. Renaud THIELÉ
  • Rapporteur public :
    M. POINT
  • Président : M. BADIE
  • Avocat(s) : VINCENSINI
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Chronologie de l'affaire

Conseil d'État
2023-06-27
Cour administrative d'appel de Marseille
2022-11-14
Tribunal administratif de Marseille
2019-12-03

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Procédure contentieuse antérieure : La société à responsabilité limitée Groupe Chailan a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler ou, à défaut, de prononcer la résiliation du marché conclu le 25 janvier 2018 entre la métropole d'Aix-Marseille-Provence et le groupement composé des sociétés La Compagnie des Forestiers et Provence Environnement, et de condamner la métropole à lui payer la somme de 4 500 euros en remboursement des frais de présentation de son offre et la somme de 293 760 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de son éviction irrégulière. Par un jugement n° 1802605 en date du 3 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ces demandes. Procédure devant la Cour : Par une requête, enregistrée le 23 janvier 2020, et un mémoire récapitulatif enregistré le 17 février 2020, la société Groupe Chailan, représentée par Me Vincensini, demande à la Cour : 1°) d'annuler le jugement en date du 3 décembre 2019 ; 2°) à titre principal, d'annuler le marché conclu le 25 janvier 2018 ; 3°) à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation juridictionnelle de ce marché ; 4°) en toute hypothèse, de condamner la métropole à lui payer la somme de 4 500 euros au titre des frais de présentation de son offre et la somme de 293 760 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière ; 5°) de mettre à la charge de la métropole la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société soutient que : - son offre n'avait pas l'apparence d'une offre anormalement basse, les estimations de prix de la métropole ayant été artificiellement gonflées ; - la demande de justification du prix de son offre était imprécise ; - son offre n'a fait l'objet d'aucune analyse réelle et sérieuse ; - les justifications qu'elle a apportées étaient suffisantes ; - aucune demande de justification n'a été adressée à la société attributaire, dont l'offre était aussi inférieure à la moyenne des prix ; - le caractère anormalement bas d'un prix ne peut s'apprécier, comme l'a fait la métropole, par seule comparaison avec les prix des autres offres, mais suppose de rechercher si le prix était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ; - le pouvoir adjudicateur, méconnaissant le principe d'intangibilité des offres, a modifié le prix de l'offre du groupement attributaire, ce qui a abouti à relever son prix qui aurait dû paraître anormalement bas ; - l'offre de la société attributaire était irrégulière, faute de comporter l'attestation relative au respect du cahier des clauses techniques particulières ; - ces vices l'ont lésée ; - le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de l'attributaire ne pouvait être écarté comme inopérant ; - le marché a donc été attribué irrégulièrement et doit être annulé ou résilié ; - elle a perdu une chance sérieuse de remporter le marché ; - elle a droit à l'indemnisation du préjudice consécutif à son éviction. Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2020, la métropole d'Aix-Marseille-Provence, représentée par la SELARL Parme Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Groupe Chailan. La métropole soutient que : - les moyens de la requête sont infondés ; - l'offre de la société Groupe Chailan était irrégulière et devait en toute hypothèse être rejetée. Par lettre en date du 22 juillet 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 1er octobre 2022 et le 31 décembre 2022, et que l'instruction était susceptible d'être clôturée par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2022 à midi. Par ordonnance du 19 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ; - le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur, - et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit

: 1. Par un avis d'appel public à concurrence publié le 2 mai 2017, la métropole d'Aix-Marseille-Provence a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre exécuté par bons de commande ayant pour objet la réalisation d'opérations d'éclaircie des massifs forestiers situés dans le périmètre du territoire du Pays Salonais. Ce marché a été attribué à un groupement constitué des sociétés La Compagnie des Forestiers et Provence Environnement et conclu le 25 janvier 2018 entre ces sociétés et la métropole. La société Groupe Chailan, dont l'offre avait été écartée comme anormalement basse, a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une action en contestation de validité de ce contrat, assortie d'une demande d'indemnisation du préjudice né de son éviction irrégulière. Par le jugement attaqué, dont la société relève appel, le tribunal administratif a rejeté ces demandes. Sur le bien-fondé du jugement attaqué : En ce qui concerne le fondement de l'action de la société Groupe Chailan et l'office du juge : 2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat. Ils ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés. En ce qui concerne le rejet de l'offre de la société Groupe Chailan comme anormalement basse : 3. Aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015, applicable au présent litige : " Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions fixées par voie réglementaire ". Aux termes du I de l'article 60 du décret du 25 mars 2016 susvisé : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu'il envisage de sous-traiter (...) ". 4. D'une part, il résulte des dispositions précitées que le pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse doit demander au candidat de fournir des précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de poser des questions spécifiques. 5. Le montant de l'offre de la société Groupe Chailan était inférieure de 33,16 % au montant moyen des offres. Au vu de cette différence, c'est à juste titre que le pouvoir adjudicateur a estimé que l'offre de la société semblait anormalement basse. Par ailleurs, la société appelante ne peut utilement soutenir que les prévisions de prix de la métropole auraient été " artificiellement gonflées ", dès lors que son offre paraissait anormalement basse non seulement au regard de ces prévisions mais également au regard du prix moyen des offres effectivement soumises. Enfin, la demande de précisions et justifications présentée par le pouvoir adjudicateur n'ayant pas à comporter l'énoncé de questions spécifiques, la société appelante n'est pas fondée à soutenir qu'en sollicitant " toutes précisions et justifications concernant les prix de [son] offre ", la métropole a été trop imprécise et n'a pas procédé à une analyse réelle et sérieuse de son offre. Elle ne saurait davantage prétendre que le caractère évasif de cette demande la mettait dans l'incapacité d'apporter les justifications requises, ladite demande ayant été formulée clairement et l'ayant mise en mesure de justifier pleinement et utilement le caractère sérieux de son offre. La société n'est donc pas fondée à soutenir qu'en sollicitant de sa part des précisions et justifications sur le montant de son offre, la métropole aurait fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015. 6. D'autre part, le caractère anormalement bas d'un prix, qui ne peut s'apprécier par seule comparaison avec les prix des autres offres, suppose de rechercher, au vu des précisions et justifications apportées par le candidat, si le montant global de l'offre était en lui-même sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dans le cas des marchés à prix unitaires, il s'agit donc de vérifier si, compte tenu des autres prix unitaires et des volumes prévisionnels, le ou les prix sous-évalués étaient susceptibles de compromettre la bonne exécution du marché. 7. Il résulte de l'instruction qu'en réponse à la demande de justification qui lui a été faite, la société Groupe Chailan s'est bornée, dans sa lettre en date du 10 août 2017, à confirmer les prix indiqués sur le bordereau des prix unitaires et l'acte engagement, en précisant : " Nous (...) déclinons ci-dessous les raisons qui nous permettent de pratiquer une politique de prix concurrentielle (...) : - une gestion rigoureuse des frais généraux / - un objectif de rentabilité à atteindre chaque jour par une comptabilité analytique / - une maîtrise de l'organisation des chantiers / - du personnel hautement qualifié, formé, expérimenté et employé dans notre entreprise depuis plusieurs années / - du matériel moderne et adapté, ce qui nous permet une meilleure performance / - nous possédons également deux décharges (pas de frais de déchetterie) / - revalorisation du bois et broyage ". Cette réponse, formulée dans des termes généraux, n'était assortie d'aucune précision, notamment technique et comptable, sur la formation des prix elle-même, et n'était assortie d'aucune justification. En l'absence de telles précisions et justifications, le pouvoir adjudicateur, qui n'était pas en mesure de vérifier que la bonne exécution du marché pouvait être assurée, était tenu de rejeter l'offre de la société. La société appelante n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, faute de justification suffisante de ses prix, la métropole a finalement rejeté son offre comme anormalement basse. En ce qui concerne l'offre de la société attributaire : 8. En premier lieu, aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 : " II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. ". Il ressort du rapport d'analyse des offres que le pouvoir adjudicateur a autorisé le groupement attributaire à régulariser une erreur matérielle, portant ainsi le montant rectifié de son offre de 117 105 euros hors taxes à 152 686 euros hors taxes. Il résulte des dispositions précitées du II de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 que l'acheteur peut autoriser les soumissionnaires à régulariser les offres irrégulières, et notamment les offres présentant une contradiction dans leurs termes. La société n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'offre de l'attributaire aurait été régularisée de façon irrégulière. 9. En deuxième lieu, si l'offre de l'attributaire, régularisée comme il a été indiqué au point précédent, était elle-même inférieure au prix moyen des offres, l'écart à ce prix moyen n'était que de 13,44 %. Un tel écart n'était pas de nature à faire paraître l'offre de la société attributaire comme anormalement basse. La société requérante, dont l'offre était inférieure de 33,16 % au prix moyen des offres, n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à invoquer une inégalité de traitement des candidats ou la méconnaissance de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique lequel reprend les dispositions précitées de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015. 10. En troisième lieu, le règlement de la consultation, qui est obligatoire dans toutes ses dispositions, prévoit, en son point 4.2, que " le candidat aura à produire les pièces suivantes : (...) l'annexe au règlement de la consultation " attestation relative au respect du CCTP / A défaut d'avoir fourni cette attestation dûment remplie, l'offre du candidat sera déclarée irrégulière ". Il ressort du rapport d'analyse des offres, en page 22, que le groupement attributaire n'avait pas produit cette attestation. Toutefois, il résulte des dispositions précitées du II de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 que l'acheteur peut autoriser les soumissionnaires à régulariser les offres irrégulières, et notamment les offres incomplètes. La société n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'offre de l'attributaire était irrégulière. 11. Par ailleurs, les moyens examinés aux points 8 à 10 ne sont pas relatifs à des vices d'ordre public. Ils ne sont pas plus en rapport direct avec l'éviction de la société Groupe Chailan, qui a à bon droit été prononcée en raison de l'absence de justification de ses prix. La société Groupe Chailan ne peut donc utilement les invoquer à l'appui de son recours en contestation de validité du contrat. 12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Groupe Chailan n'est pas fondée à soutenir que le marché public en litige était invalide. Il en résulte également qu'elle était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Son action en contestation de validité du contrat et ses conclusions indemnitaires doivent donc être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à la métropole d'Aix-Marseille-Provence en remboursement des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Groupe Chailan est rejetée. Article 2 : La société Groupe Chailan versera à la métropole d'Aix-Marseille-Provence une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la métropole à ce titre est rejeté. Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Chailan, à la métropole d'Aix-Marseille-Provence et au groupement La Compagnie des Forestiers / Provence Environnement. Délibéré après l'audience du 31 octobre 2022, où siégeaient : - M. Alexandre Badie, président, - M. Renaud Thielé, président assesseur, - Mme Isabelle Gougot, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2022. N° 20MA00272 2