CJUE, 19 janvier 1993, C-321/91

Synthèse

  • Juridiction : CJUE
  • Numéro de pourvoi :
    C-321/91
  • Date de dépôt : 11 décembre 1991
  • Titre : Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.
  • Identifiant européen :
    ECLI:EU:C:1993:17
  • Lien EUR-Lex :https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61991CC0321
  • Rapporteur : Mancini
  • Avocat général : Gulmann
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Texte intégral

Avis juridique important | 61991C0321 Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 19 janvier 1993. - The Queen contre Intervention Board for Agricultural Produce, ex parte Tara Meat Packers Ltd. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Organisation commune des marchés - Viande bovine - Restitution à l'exportation - Perte de la marchandise - Force majeure. - Affaire C-321/91. Recueil de jurisprudence 1993 page I-02811 Conclusions de l'avocat général ++++ Monsieur le Président, Messieurs les Juges, 1. Le droit à une restitution différenciée à l' exportation est subordonné à l' importation du produit dans l' État de destination. Est-il possible de négliger cette condition lorsque la marchandise a péri au cours du transport entre la Communauté et l' État d' importation par suite d' un cas de force majeure? Tel est le coeur de la question préjudicielle que la High Court of Justice, Queen' s Bench Division, a posée à la Cour. 2. La société anglaise Tara Meat Packers Ltd. - ci-après "TMP" - avait obtenu de l' autorité britannique compétente - l' Intervention Board for Agricultural Produce -, contre constitution d' une garantie, le paiement à l' avance d' une restitution à l' exportation relativement à l' exportation d' un lot de viande de boeuf à destination de l' Egypte. Une telle exportation donnait droit à une restitution différenciée, c' est-à-dire une restitution dont le montant diffère selon le pays dans lequel la marchandise est exportée. La restitution applicable aux exportations à destination de l' Egypte était particulièrement élevée. Les marchandises ont été transportées par voie maritime. Avant l' achèvement de l' importation en Egypte, un feu s' est déclaré à bord alors que le navire était au mouillage dans le port d' Alexandrie. La cargaison a été totalement détruite lors de l' incendie. La société a remboursé à l' Intervention Board la restitution payée d' avance et la caution déposée a été libérée. Il n' est pas litigieux en l' espèce que la perte des marchandises a été causée par la force majeure. 3. TMP a introduit devant la High Court un recours contre l' Intervention Board visant à faire constater que la société a droit à la restitution à l' exportation applicable aux exportations à destination de l' Egypte. La société fait notamment valoir qu' il résulte de la réglementation communautaire applicable que, lorsque la perte des marchandises est due à un cas de force majeure au cours du transport entre la Communauté et l' État d' importation, elle doit être versée comme si les marchandises avaient été importées. L' Intervention Board soutient que la société n' a pas droit à la restitution à l' exportation (1). 4. La High Court a déféré la question suivante à la Cour: "Le règlement (CEE) n 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, le règlement (CEE) n 885/68 du Conseil, du 28 juin 1968, le règlement (CEE) n 565/80 du Conseil du 4 mars 1980 et le règlement (CEE) n 3665/87 de la Commission du 27 novembre 1987 doivent-ils être interprétés en ce sens qu' ils a) accordent au demandeur une restitution à l' exportation (et, le cas échéant, à quel(s) taux) ou b) imposent au demandeur le remboursement des paiements anticipés déjà perçus ou la perte de sa garantie à concurrence d' un montant équivalent, eu égard aux circonstances de l' espèce dans laquelle - le demandeur a reçu, préalablement à l' exportation des produits en cause et conformément aux règlements mentionnés ci-dessus, des paiements à l' avance calculés par référence au taux de restitution à l' exportation applicable pour la destination déclarée de ces produits, à savoir l' Egypte; - le demandeur a dûment constitué la garantie prévue par lesdits règlements; - les produits en cause ont quitté le territoire douanier de la Communauté mais ont péri en cours de transport par suite d' un cas de force majeure?" 5. Le premier règlement auquel la High Court se réfère est le règlement n 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (2). L' article 18 de celui-ci énonce les principes fondamentaux du régime des restitutions à l' exportation. Il dispose notamment que la restitution à l' exportation couvre la différence entre les prix dans la Communauté et les prix sur le marché mondial pour permettre l' exportation des produits en question et que la restitution "peut être différenciée selon les destinations". Le second règlement est le règlement n 885/68 du Conseil, du 28 juin 1968, établissant, dans le secteur de la viande bovine, les règles générales concernant l' octroi des restitutions à l' exportation (3). Ce règlement fixe à l' article 6 les principales conditions de l' obtention - des restitutions non différenciées, pour lesquelles il faut apporter la preuve "que les produits ont été exportés hors de la Communauté" et - des restitutions différenciées, pour lesquelles il faut en outre apporter la preuve "que le produit a atteint la destination pour laquelle a été fixée la restitution". Le troisième règlement est le règlement n 565/80 du Conseil, du 4 mars 1980, relatif au paiement à l' avance des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles (ci-après "règlement sur le paiement à l' avance") (4). C' est entre autres en vertu de ce règlement que TMP a obtenu le paiement à l' avance de la restitution et la société fonde entre autres son argument relatif à la portée de la force majeure sur une disposition de ce règlement. Le quatrième règlement est le règlement n 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d' application du régime des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles (ci-après "règlement d' application de la Commission") (5). Le problème en cause et les principaux arguments en droit 6. Il est constant que les marchandises n' ont pas été importées en Egypte et qu' en principe, la condition du paiement d' une restitution différenciée n' est donc pas remplie. Toutefois, il est également constant que les marchandises ont péri au cours du transport entre l' État d' exportation et l' État de destination par suite d' un cas de force majeure. 7. La thèse principale de TMP est qu' elle a droit à la restitution dans ces circonstances, étant donné qu' il n' y a pas lieu de soumettre le paiement de la restitution à des conditions autres que celle qui est généralement applicable, à savoir l' exportation hors de la Communauté. La société fonde entre autres ce point de vue sur une disposition du règlement relatif au paiement à l' avance, selon laquelle la caution constituée pour pouvoir bénéficier du paiement à l' avance reste acquise "sans préjudice des cas de force majeure" lorsque les conditions applicables à la restitution ne sont pas remplies. Plus généralement, la société fait valoir: - qu' il n' est pas contraire à l' objectif qui sous-tend la différenciation des restitutions de reconnaître à la société un droit à la restitution dans les circonstances de l' espèce, - que le non-paiement de la restitution se traduirait par une différence de traitement injustifiée entre les exportateurs qui ont droit à des restitutions non différenciées et les exportateurs qui ont droit à des restitutions différenciées et - que le non-paiement de la restitution impliquerait par ailleurs une violation du principe de proportionnalité. TMP indique enfin qu' il résulte de la jurisprudence de la Cour qu' il peut y avoir lieu, le cas échéant, en raisonnant par analogie ou d' une autre manière, de lire le texte de façon à appliquer une règle relative à la force majeure aux circonstances de l' espèce. 8. Les gouvernements britannique et irlandais ainsi que la Commission s' accordent à estimer que TMP n' a pas droit à l' intégralité de la restitution, même si l' importation était impossible en raison de la perte des marchandises au cours du transport du fait d' un cas de force majeure. Ils s' accordent également à estimer que cette solution est conforme à l' objectif du régime des restitutions à l' exportation, et notamment à l' objectif qui sous-tend l' exigence de l' importation dans l' État d' importation pour les restitutions différenciées et que cette situation juridique ne constitue pas une différence de traitement injustifiée, pas plus qu' elle n' est contraire au principe de proportionnalité. Par ailleurs, ils s' accordent dans les grandes lignes à considérer - que la disposition qui définit le statut juridique de TMP dans une situation telle que celle de l' espèce est l' article 20 du règlement d' application de la Commission, - qu' il ressort de l' article 20, paragraphe 2, que, lorsque la preuve est apportée que le produit a quitté le territoire douanier de la Communauté, l' exportateur a toujours droit à une restitution "au taux le plus bas applicable à la date d' acceptation de la déclaration d' exportation à condition que pour les produits concernés ce taux soit valable pour tous les pays tiers", et - qu' il y a lieu d' interpréter l' article 20, paragraphe 2, en ce sens que, dans le cas concret, TMP n' a pas droit à la restitution en vertu de cette disposition, étant donné que les restitutions à l' exportation de viande bovine à destination de certains États tiers n' avaient pas été fixées à cette époque (6). 9. En revanche, les deux gouvernements d' une part et la Commission d' autre part sont en désaccord sur le point de savoir quelle est celle des règles du règlement d' application qui conduit à la constatation selon laquelle la situation juridique de TMP est déterminée en dernière instance par l' article 20, paragraphe 2. Les deux gouvernements estiment que les circonstances de la présente espèce relèvent des dispositions de l' article 5, paragraphe 3, du règlement. Le libellé de ces dispositions est le suivant: "Lorsque le produit, après avoir quitté le territoire douanier de la Communauté, a péri en cours de transport par suite d' un cas de force majeure, - en cas de restitution différenciée, le montant de la partie de la restitution définie conformément aux dispositions de l' article 20 est payé, - en cas de restitution non différenciée, le montant total de la restitution est payé." Les gouvernements font valoir que cette disposition est la seule disposition du règlement qui régit expressément le présent cas de force majeure. 10. La Commission fait valoir en revanche que les circonstances de l' espèce relèvent des règles générales du règlement relatives à la restitution différenciée. L' article 4 du règlement dispose: "1. Sans préjudice des dispositions des articles 5 et 16, le paiement de la restitution est subordonné à la production de la preuve que les produits pour lesquels la déclaration d' exportation a été acceptée ont ... quitté en l' état le territoire douanier de la Communauté." L' article 16, paragraphe 1, qui est la première disposition d' une section spéciale consacrée à la restitution différenciée, dispose: "Dans le cas de différenciation du taux de la restitution selon la destination, le paiement de la restitution est subordonné aux conditions supplémentaires définies aux articles 17 et 18." Il résulte des articles 17 et 18 que les marchandises doivent être importées en l' état dans le pays tiers pour lequel la restitution est fixée et que le produit est considéré comme importé lorsque les formalités douanières de mise à la consommation dans le pays tiers ont été accomplies. La Commission fait valoir que la réglementation communautaire ne réserve pas le cas de la perte des marchandises après leur exportation hors de la Communauté du fait de l' intervention de la force majeure. La Commission indique que l' article 20 s' écarte de la condition de l' importation qui est généralement applicable, l' exportateur ayant droit, immédiatement après l' exportation, au paiement de la restitution au taux le plus bas applicable pour tous les pays tiers, indépendamment du fait de savoir si la preuve de l' importation sera rapportée ultérieurement. L' article 5, paragraphe 1, du règlement comporte une autre différence par rapport au régime normal des restitutions différenciées prévu par le règlement. Cette disposition, que la Commission appelle la "disposition anti-fraude", permet aux autorités, lorsqu' il y a certains risques d' abus, d' imposer aux exportateurs des exigences supplémentaires par rapport à celles qui résultent des dispositions normales du règlement. De l' avis de la Commission, cette disposition, et notamment les règles spéciales de l' article 5, paragraphe 3, relatives à la force majeure, n' est pas applicable en l' espèce, étant donné qu' il n' a pas été nécessaire d' en faire usage. Analyse des dispositions invoquées 11. Permettez-nous d' indiquer d' emblée qu' il semble de prime abord clair que les règlements applicables ne comportent pas de règles qui confèrent à TMP un droit à l' intégralité de la restitution différenciée à l' exportation eu égard au fait que l' importation était impossible parce que les marchandises ont péri au cours du transport vers l' État de destination par suite d' un cas de force majeure. 12. Comme nous l' avons indiqué, TMP se réfère aux dispositions de l' article 6 du règlement relatif au paiement à l' avance. Cet article prévoit à l' alinéa premier l' obligation de constituer une caution garantissant le remboursement du montant de la restitution majoré d' un montant supplémentaire. Le libellé du second alinéa de la disposition est le suivant: "Sans préjudice des cas de force majeure cette caution reste totalement ou partiellement acquise: - ... - s' il s' avère qu' il n' existe aucun droit à la restitution...." A notre avis, TMP ne peut pas tirer de droits de cette disposition. L' objet premier de la disposition est d' énoncer que la caution reste totalement ou partiellement acquise lorsque les conditions du paiement de restitutions à l' exportation ne sont pas remplies (7). Une réserve a été formulée pour les cas de force majeure. Mais la réserve n' est pas générale au sens où la caution est libérée dans tous les cas où l' exportateur n' a pas pu remplir, du fait de la force majeure, les conditions auxquelles le droit à la restitution est subordonné. La réserve ne peut être comprise que comme un renvoi aux différentes dispositions des règlements relatifs aux restitutions qui exemptent les exportateurs, en cas de force majeure, des obligations généralement prévues par ces règlements. Une autre interprétation retirerait toute portée aux réserves particulières relatives à la force majeure en cas de paiement anticipé et aurait par ailleurs pour résultat curieux que les exportateurs qui ont obtenu le paiement à l' avance de la restitution seraient favorisés par rapport aux exportateurs qui n' ont pas obtenu un tel paiement anticipé. 13. Il faut nécessairement examiner la présente affaire en tenant compte du fait que le règlement n 885/68 du Conseil, établissant, dans le secteur de la viande bovine, les règles générales concernant l' octroi des restitutions à l' exportation, avait déjà établi, à l' article 6, une distinction importante entre restitutions non différenciées et restitutions différenciées. Comme nous l' avons indiqué, la seule condition de l' obtention des premières restitutions est en principe que les marchandises aient été exportées hors de la Communauté, tandis que la condition des restitutions différenciées est en outre que les marchandises aient été importées dans le pays de destination pour lequel la restitution a été fixée. Cette distinction fondamentale est à l' évidence reprise dans le règlement d' application de la Commission, voir supra. Les règles générales relatives au droit à la restitution différenciée ne comportent aucune réserve pour les cas de force majeure et nous estimons qu' il y a lieu de se rallier au point de vue de la Commission selon lequel les règles doivent être interprétées en ce sens que l' exigence de l' importation s' applique même si l' importation a été rendue impossible du fait de la perte des marchandises au cours du transport par suite d' un cas de force majeure et selon lequel cela implique que l' exportateur n' a droit qu' à la restitution qui découle des dispositions de l' article 20. 14. Il est vrai que, comme l' ont indiqué les gouvernements britannique et irlandais, l' article 5, paragraphe 3, semble d' après son libellé s' appliquer à une situation telle que celle de l' espèce. Il est également vrai que cette disposition aboutit dans les circonstances de l' espèce à l' application des dispositions de l' article 20 et que le régime juridique de TMP n' est donc pas meilleur que celui dont la société aurait bénéficié si sa situation juridique n' avait été appréciée que sur la base des dispositions des articles 16 à 20 du règlement, relatives à la restitution différenciée. 15. De prime abord, nous pencherions pour le point de vue de la Commission et de TMP selon lequel la présente situation juridique ne relève pas de l' article 5, paragraphe 3. Cette disposition ne peut pas être isolée des autres dispositions de l' article 5 qui permettent aux autorités, lorsqu' il y a un risque particulier d' abus, de déroger tant aux règles générales relatives à la restitution non différenciée qu' aux règles générales relatives à la restitution différenciée. L' article 5, paragraphe 3, ne s' applique vraisemblablement que s' il a été nécessaire de faire usage, dans le cas concret, de la possibilité d' exiger des preuves supplémentaires qui est prévue à l' article 5, paragraphe 1. Toutefois, à notre avis, il n' est pas nécessaire de se prononcer en l' espèce sur le point de savoir si la situation relève de l' article 5, paragraphe 3, ou si elle relève des articles 16 à 18 du règlement. En effet, il est constant que le régime juridique de TMP serait le même que ce soit l' un ou l' autre corps de règles qui s' applique, à savoir celui qui résulte des dispositions de l' article 20. 16. A notre avis, on doit pouvoir tenir pour établi que le législateur communautaire n' a pas jugé nécessaire d' insérer une réserve pour les cas de force majeure dans les articles 16 à 20 (8). Sur le point de savoir s' il y a lieu de revenir sur cette interprétation parce qu' elle est contraire à l' économie du régime des restitutions et à des principes généraux du droit 17. Mis à part les dispositions de l' article 6 du règlement relatif au paiement à l' avance qui à notre avis - comme nous l' avons déjà indiqué - ne sont pas applicables en l' espèce, le point de vue juridique de TMP n' est pas fondé sur des règles précises des règlements considérés. Ce point de vue est fondé en revanche sur des arguments plus généraux selon lesquels il serait contraire à l' économie du système des restitutions et à des principes généraux du droit de ne pas interpréter la réglementation en ce sens que le droit à la totalité de la restitution différenciée est acquis lorsque l' importation a été empêchée par la perte des marchandises en cours de transport par suite d' un cas de force majeure. 18. Étant donné qu' en vertu d' une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu de conférer à la réglementation communautaire l' interprétation qui est la plus conforme à son but et qu' elle doit être interprétée, dans toute la mesure du possible, conformément aux principes généraux du droit applicables en droit communautaire (9), il peut y avoir lieu de se prononcer sur le point de savoir s' il convient, dans ce cadre, d' interpréter les règles pertinentes comme le soutient TMP. 19. TMP fait notamment valoir que le droit aux restitutions à l' exportation est en principe acquis lorsque la marchandise est exportée hors de la Communauté et qu' il convient uniquement d' appliquer la règle dérogatoire, c' est-à-dire de subordonner le droit à la totalité de la restitution à l' importation de la marchandise dans l' État de destination, lorsqu' il est clair que l' objectif de la condition de l' importation l' exige. La société admet à cet égard que la condition de l' importation a un double but, à savoir d' une part empêcher les abus et, d' autre part, garantir que les marchandises sont effectivement commercialisées sur le marché concerné, voir à ce sujet l' arrêt Dimex (10). La société fait toutefois valoir que le souci de prévention des abus est sans portée dans une situation telle que celle de l' espèce dans laquelle il n' y a précisément aucun risque d' abus et que, pour ce qui est du désir que la marchandise soit commercialisée sur le marché concerné, il n' y a pas lieu de distinguer entre les marchandises qui ouvrent droit à une restitution différenciée et celles qui ouvrent droit à une restitution non différenciée, le législateur communautaire souhaitant en dernière analyse que les deux catégories de marchandises soient écoulées sur les marchés des pays tiers. De l' avis de TMP, il en résulte que le même traitement doit être réservé aux exportateurs lorsque les marchandises périssent en cours de transport par suite d' un cas de force majeure, qu' ils aient droit à une restitution différenciée ou non différenciée. TMP fait ainsi valoir qu' il y a une différence de traitement injustifiée entre les deux groupes d' exportateurs et que les conséquences juridiques du non-respect de la condition relative à l' importation dans la présente espèce sont disproportionnées par rapport à l' objectif de cette condition. 20. On ne saurait rejeter d' emblée les arguments de TMP. Les deux groupes d' exportateurs sont traités différemment dans le cas d' espèce et il n' est pas évident que les différences objectives entre les deux groupes l' exigent (11). 21. Cela n' est toutefois pas décisif. Les arguments que la Commission et les deux gouvernements ont avancés à l' appui du traitement différent des deux groupes d' exportateurs et qui reposent principalement sur les objectifs de l' exigence de l' importation - et notamment sur la nécessité de garantir que les marchandises atteignent le marché dans l' État de destination - ne sauraient être rejetés au motif qu' ils ne seraient pas fondés sur des raisons objectives ou qu' ils seraient sans portée réelle. Dans ces conditions, il n' existe pas de raisons suffisantes d' opter pour une interprétation de la réglementation communautaire qui diffère de celle qui est la plus proche de la lettre et du contexte des dispositions et qui est défendable du point de vue de l' objectif des règles spéciales relatives aux restitutions différenciées. Il n' est pas possible de rejeter cette interprétation au seul motif que le législateur communautaire aurait également pu fixer des règles qui, sans avoir été contraires à l' économie du régime des restitutions, auraient eu une teneur impliquant que TMP aurait droit à la restitution. Le régime juridique qui découle de cette interprétation se situe manifestement dans le cadre du pouvoir discrétionnaire dont le législateur communautaire dispose pour agencer le système des restitutions et ne se traduit pas par un traitement différent des opérateurs concernés qui est injustifié ou disproportionné. Sur le point de savoir si un raisonnement par analogie ou une autre interprétation permet d' appliquer une règle relative à la force majeure à la situation de l' espèce. 22. TMP fait valoir qu' il y a lieu d' appliquer par analogie la réserve relative à la force majeure figurant à l' article 6, paragraphe 2, du règlement relatif au paiement à l' avance à la situation de la présente espèce. La société se réfère à cet égard à l' arrêt de la Cour dans l' affaire 6/78, Union française de Céréales (12). La société se réfère également à l' arrêt de la Cour dans l' affaire 71/87, SA Inter-Kom (13), qui montre à son avis qu' il est possible, dans une situation telle que celle de l' espèce, d' ajouter par interprétation une réserve relative à la force majeure même si celle-ci ne figure pas expressément dans la réglementation communautaire en question. 23. Nous estimons que l' on ne saurait souscrire à ce point de vue de TMP. Ce point de vue est erroné ne serait-ce que parce qu' il y a lieu d' interpréter la réglementation communautaire applicable en ce sens que le législateur communautaire a montré qu' une réserve relative à la force majeure ne devait précisément pas s' appliquer dans le cadre des dispositions des articles 16 à 20 du règlement d' application. 24. Pour ce qui est de l' arrêt Inter-Kom, on peut indiquer que l' arrêt était motivé de manière concrète et que les aspects concrets en question ne sont pas réunis dans la présente espèce. 25. En ce qui concerne la prétendue analogie avec l' article 6, paragraphe 2, du règlement relatif au paiement à l' avance, il y a lieu de mentionner que, comme nous l' avons indiqué plus haut, nous estimons que la réserve relative à la force majeure figurant dans cette disposition doit être entendue comme un renvoi général aux différentes réserves en matière de force majeure qui se trouvent à d' autres endroits dans la réglementation relative au paiement anticipé. 26. Il y a une autre raison qui fait que le point de vue de TMP ne peut pas être fondé sur l' arrêt rendu dans l' affaire Union française. Certes, la Cour a jugé dans cet arrêt qu' il y avait lieu d' appliquer par analogie une disposition expresse relative à la force majeure dans une situation qui est semblable à la présente à plusieurs égards. Des autorités nationales avaient refusé de payer des montants compensatoires "adhésion" à une société française qui avait expédié une cargaison de blé qui n' est pas arrivée à sa destination au Royaume-Uni à cause du naufrage du navire. Les montants compensatoires ne pouvaient être versés que si la preuve avait été apportée que les marchandises avaient été importées au Royaume-Uni. La réglementation applicable - un règlement de la Commission de 1973 - ne comportait pas de réserve relative à la force majeure. En revanche, une telle réserve figurait dans un acte adopté ultérieurement. Il s' agissait d' un règlement de la Commission de 1975 portant modalités d' application des restitutions à l' exportation pour les produits agricoles, c' est-à-dire l' un des règlements ayant précédé le règlement de la Commission applicable dans la présente affaire, et il s' agissait d' une disposition qui a précédé l' article 5 du règlement applicable dans la présente espèce. La Cour a déclaré dans cet arrêt: "attendu qu' il est constant que si l' exportateur se voyait refuser l' octroi de montants compensatoires "adhésion" dans des circonstances comme celles de l' espèce, après destruction de la marchandise en cours de transport par suite d' un cas de force majeure, il subirait une perte réelle, étant donné que l' assurance contractée dans l' intérêt de l' acheteur conformément à la clause caf ne couvrirait que la valeur de la marchandise en fonction des prix appliqués dans le pays importateur, et non des prix communs plus élevés appliqués dans le pays exportateur; que s' il était admis que l' exportateur devait supporter cette perte, ou qu' il devait s' assurer contre ce risque, il se serait trouvé dans une situation concurrentielle défavorable par rapport à un vendeur d' un pays tiers; qu' un tel résultat serait incompatible avec le principe de la préférence communautaire que l' acte d' adhésion a voulu faire prévaloir; que le règlement n 269/73 comporte donc une omission en ne prévoyant pas l' octroi de montants compensatoires "adhésion" en cas de force majeure, omission qu' il convient de réparer en appliquant par analogie l' article 6, paragraphe 1, du règlement n 192/75 [le règlement d' application de 1975];" (point 4). Les faits des deux affaires étaient donc parallèles et l' argumentation de la Cour en faveur d' une application par analogie, même si elle ne peut pas être intégralement transposée à la présente espèce, n' est pas dénuée de portée pour celle-ci. Il y a cependant une différence essentielle: l' article pertinent du règlement d' application de la Commission de 1975 ne comportait pas de disposition correspondant à l' article 5, paragraphe 3, du règlement d' application de 1987, c' est-à-dire qu' il n' était pas précisé dans le règlement de 1975 quel serait le régime juridique de l' exportateur dans l' hypothèse de la perte par suite d' un cas de force majeure. Le règlement d' application de 1987 comporte donc des règles qui régissent expressément le présent problème et en vertu desquelles, en cas de restitution différenciée, l' exportateur doit être traité de la façon indiquée à l' article 20, paragraphe 2, du règlement. Sur l' interprétation de l' article 20 du règlement d' application 27. L' article 20, paragraphes 1 et 2, dispose: "1. Par dérogation à l' article 16 et sans préjudice de l' article 5, une partie de la restitution est payée dès que la preuve est apportée que le produit a quitté le territoire douanier de la Communauté. ... 2. La partie de la restitution visée au paragraphe 1 est calculée: a) en cas d' exportation sans fixation à l' avance de la restitution: au taux le plus bas applicable à la date d' acceptation de la déclaration d' exportation à condition que pour les produits concernés ce taux soit valable pour tous les pays tiers; b) ...." TMP fait valoir qu' il y a lieu d' interpréter la disposition conformément aux objectifs du régime et que le "taux le plus bas" doit, dans une situation telle que celle de l' espèce, dans laquelle il n' est pas invoqué de fraude, s' entendre comme le "taux positif le plus bas". Cette interprétation ne peut être exacte et il en est ainsi même si la rédaction de la disposition aurait pu être plus claire. Si, comme en l' espèce, la restitution à l' exportation n' a pas été fixée pour un ou plusieurs pays tiers, le "taux le plus bas" doit être égal à zéro, c' est-à-dire que l' exportateur n' a pas droit à une restitution. L' article 20 déroge à la condition selon laquelle, lorsque le taux est différencié, la marchandise doit avoir été importée dans le pays de destination. L' article 20 n' exige pas la constitution d' une caution garantissant la restitution qui peut, en vertu de la disposition, être payée dès que la marchandise a été exportée hors de la Communauté. Il n' est donc pas permis de supposer que la disposition confère aux exportateurs un droit à une restitution plus importante que celle à laquelle ils auraient certainement eu droit, quel que soit le pays tiers dans lequel la marchandise ait été importée. L' article 20 doit donc être interprété en ce sens que le droit au paiement de la restitution n' existe que si un taux positif a été fixé pour tous les pays tiers. Conclusions 28. Pour les raisons qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la façon suivante à la question posée: Le règlement n 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, le règlement n 885/68 du Conseil, du 28 juin 1968, le règlement n 565/80 du Conseil du 4 mars 1980 et le règlement n 3665/87 de la Commission du 27 novembre 1987 doivent être interprétés en ce sens qu' un exportateur n' a pas droit à une restitution - outre celle à laquelle il a éventuellement droit en vertu de l' article 20 du règlement n 3665/87 de la Commission - et doit donc soit rembourser le paiement anticipé dont il a bénéficié soit perdre sa garantie à concurrence d' un montant équivalent lorsque les marchandises n' ont pas été importées dans l' État de destination, même si les marchandises ont péri au cours du transport entre l' État d' exportation et l' État de destination par suite d' un cas de force majeure. (*) Langue originale: le danois. (1) - TMP, qui était assurée contre la perte de la restitution, s' est vu verser une somme correspondant à l' intégralité du montant de la restitution et les compagnies d' assurance sont subrogées aux droits de TMP dans l' instance au principal. Le gouvernement irlandais, qui a déposé des observations en l' espèce, a indiqué que la société irlandaise Tara Meats (Kilbeggan) Ltd. avait transporté de la viande de boeuf sur le même navire que la société anglaise et que la High Court irlandaise avait été saisie d' une affaire dans laquelle les éléments de fait et de droit sont identiques en substance à ceux de la présente affaire. La High Court a sursis à statuer sur le recours introduit par la société irlandaise en attendant que la Cour rende son arrêt dans la présente espèce. (2) - JO L 148, p. 24. (3) - JO L 156, p. 2. (4) - JO L 62, p. 5. (5) - JO L 351, p. 1. (6) - Voir le règlement n 2978/88 fixant les restitutions à l' exportation dans le secteur de la viande bovine (JO 1988, L 269, p. 37). (7) - Cela résulte du 24ème considérant du règlement d' application de la Commission, aux termes duquel: Considérant que le montant payé avant l' exportation doit être remboursé s' il se révèle qu' il n' y a aucun droit aux restitutions à l' exportation ou qu' il y a un droit à une restitution inférieure; que le remboursement doit inclure un montant supplémentaire pour éviter les abus; que, en cas de force majeure, le montant supplémentaire n' est pas remboursé . (8) - Cette solution est confirmée par les dispositions combinées de l' article 21, paragraphe 3, et de l' article 21, paragraphe 4, du règlement, qui régissent expressément le cas de la force majeure. La réserve vise l' hypothèse dans laquelle les marchandises reçoivent par suite d' un cas de force majeure une autre destination que celle qui était prévue et implique que l' exportateur a droit à la restitution différenciée applicable à la nouvelle destination. (9) - Voir notamment l' arrêt du 10 juillet 1991, Neu (affaires jointes C-90/90 et C-91/90, Rec. I, p. 3617) et l' arrêt du 21 mars 1991, Rauh (affaire C-314/89, Rec. I, p. 1647), point 17. (10) - Arrêt de la Cour du 11 juillet 1984 (affaire 89/83, Rec. p. 2815), dans lequel il a été déclaré au point 8 que: ... le système des restitutions différenciées à l' exportation a pour but d' ouvrir ou de maintenir ouvert aux exportations communautaires les marchés des pays tiers concernés, la différenciation de la restitution procédant de la volonté de tenir compte des caractéristiques propres à chaque marché d' importation sur lequel la Communauté veut jouer un rôle. (11) - En effet, il y a une certaine force dans l' argumentation développée par l' avocat général Capotorti dans les conclusions présentées dans l' affaire Union française de Céréales, évoquée au point 22 ci-dessous, dans lesquelles il a conclu qu' il n' était pas nécessaire, dans une situation analogue, d' exiger que la condition relative à l' importation soit satisfaite. L' avocat général Capotorti a notamment déclaré que ... la preuve du dédouanement de la marchandise dans le pays de destination sert à éviter le risque de détournement de la marchandise vers des pays pour lesquels sont prévus des taux inférieurs de restitution ou de montants compensatoires (de même que le risque d' une réimportation dans le pays de provenance). Mais, lorsque la marchandise a été détruite durant le transport, tout risque d' abus de ce genre est inexistant. Par conséquent, si dans un cas exceptionnel comme celui du naufrage du moyen de transport, l' exportateur peut prouver qu' il avait vendu la marchandise à un acquéreur situé dans le pays indiqué comme pays de destination et que la marchandise avait été régulièrement expédiée, il ne nous semble pas qu' il soit raisonnable d' appliquer, au préjudice de l' exportateur, une disposition inspirée d' un souci de prévention que les circonstances particulières rendent sans objet. En réalité, il est clair que des événements exceptionnels se prêtent mal à être réglementés sur la base de critères conçus pour des situations normales et que, réciproquement, l' application de règles dérogatoires (comme celles relatives aux cas de force majeure) à des situations exceptionnelles n' entrave et ne perturbe pas le fonctionnement normal du système. On constatera néanmoins que l' avocat général M. Capotorti a analysé la portée de la condition relative à l' importation en se fondant sur le point de vue selon lequel sa seule raison d' être était la prévention des abus. (12) - Arrêt du 11 juillet 1978, Rec. p. 1675. (13) - Arrêt du 19 avril 1988, Rec. p. 1979.