Tribunal de Grande Instance de Paris, 17 mars 2016, 2014/16797

Mots clés procédure · action en contrefaçon · sur le fondement du droit des dessins et modèles · recevabilité · titularité des droits sur le modèle · fusion absorption · titularité de la société absorbée · opposabilité de la cession du titre · personne morale · qualité d'auteur · présomption de la qualité d'auteur · premier déposant · preuve · aveu judiciaire · titularité D&M · sur le fondement du droit d'auteur · qualité pour agir · protection du modèle · protection au titre du droit d'auteur · originalité · définition · effort de création · combinaison d'éléments connus · validité du dépôt · nouveauté · divulgation par le créateur ou son ayant cause · antériorité · date certaine de l'antériorité · antériorité de toutes pièces · physionomie propre · combinaison · caractère fonctionnel · choix arbitraire · contrefaçon de modèle · reproduction servile · droit communautaire · impression visuelle d'ensemble · observateur averti · différences mineures · elément inopérant · production de pièces · droit d'information · evaluation du préjudice · etendue des faits incriminés · préjudice · provision · masse contrefaisante · interdiction · astreinte · destruction

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2014/16797
Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Numéros d'enregistrement : 905984 ; 941002
Parties : CDH GROUP SAS / ETABLISSEMENTS DU MESGNIL SARL

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 17 mars 2016

3ème chambre 1ère section N°RG : 14/16797

DEMANDERESSE S.A.S. CDH GROUP Avenue de la Gare 27610 ROMILLY-SUR-ANDELLE représentée par Maître Yves BIZOLLON de l'A BIRD & BIRD A, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0255

DÉFENDERESSE S.A.R.L. ETABLISSEMENTS DU MESGNIL [...] et Ary Leblond 97451 SAINT-PIERRE CEDEX représentée par Maître Etienne PETRE de la SELARL CABINET PETRE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #L0116 et par Maître Olivier GUERIN G - SELARL ARNAUD L Avocats & Associés

COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Christine C. Vice-Présidente Julien R. Juge Aurélie J. Juge assistés de Léoncia B. Greffier

DEBATS À l'audience du 16 février 2016 tenue publiquement

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoirement en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE La société CDU Group conçoit, fabrique et vend des matériels et équipements pour les travaux du bâtiment et les travaux publics. Elle commercialise en particulier des brouettes sous la marque HAEMMERLIN.

Elle est notamment titulaire des dessins et modèles suivants, déposés par la société HAEMMERLIN, et transmis à son profit à la suite de la fusion absorption de cette société selon traité du 17 juin 2011 inscrit le 22 août 2002 au registre national des dessins et modèles: - un dessin et modèle français n°941002 déposé le 18 février 1994 portant sur les caractéristiques générales d'un modèle de brouette. - un dessin et modèle français n°905984 déposé le 26 septembre 1990 portant sur la caisse de la brouette. Elle explique commercialiser une brouette « CARGO Excellium 100 » conforme aux modèles précités, en deux finitions (acier galvanisée ou finition verte) et revendique des droits d'auteur sur ce même modèle.

Par courriel du 9 octobre 2014, la société CDH Group a été informée par les services douaniers de Saint-Pierre de la Réunion de la mise en retenue, en application de l'article 17 du Règlement communautaire n°608/2013, de 950 brouettes suspectées de contrefaire les dessins et modèles dont elle est titulaire.

À sa demande, l'administration des douanes lui a transmis le 17 octobre 2014 les informations relatives aux marchandises litigieuses, dont il résulte que les 950 brouettes objets de la retenue douanière avaient été importées de Chine et étaient destinées à la société réunionnaise ETABLISSEMENTS DU MESGNIL pour revente sur le marché local.

Le 27 octobre 2014, les Douanes de Saint-Pierre de la Réunion ont informé la société CDU Group avoir mis en retenue 117 brouettes supplémentaires à la suite d'une visite des locaux de cette société, correspondant au solde des invendus d'un lot de 1170 brouettes et roues importées au mois de janvier 2014.

La société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL a pour activité la vente d'articles de quincaillerie, en gros et au détail et exploite un magasin d'articles de bricolage situé à Saint Pierre de la Réunion.

Par ordonnance du Président du tribunal de grande instance de PARIS en date du 23 octobre 2014, la société CDH Group a été autorisée à procéder à une saisie- contrefaçon dans les locaux de cette société.

C'est dans ces conditions que par acte d'huissier en date du 6 novembre 2014, la société CDH GROUP a assigné la société ETABLISSEMENT DU MESGNIL devant le tribunal de grande instance Paris en contrefaçon de dessins et modèles et de droits d'auteur.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par la voie électronique le 8 février 2016. auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société CDH GROUP demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et suivants, I. 331-1 et suivants et L. 511-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et sous le bénéfice de l'exécution provisoire de: - Dire et juger que la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL s'est rendue coupable de contrefaçon des dessins et modèles enregistres par l'Institut National de la Propriété Intellectuelle sous les numéros 941002 et 905984 et de contrefaçon de droit d'auteurs En conséquence : - condamner la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, sous astreinte définitive de 1.000 € par infraction constatée et de 5 000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement, à cesser toute offre, mise sur le marché, importation, utilisation ou détention à de telles fins des brouettes correspondant à celles mises en retenue par les Douanes de Saint Pierre de la Réunion les 9 et 27 octobre 2014. ainsi que de tous modèles de brouettes similaires : - enjoindre à la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement, à communiquer à la SOCIETE CDH Group tous les éléments comptables relatifs aux achats, importations et ventes des brouettes arguées de contrefaçon et de leurs pièces intervenus entre le 1er avril 2012 et le 31 décembre 2013, et en particulier : o factures d'achat et de vente o déclarations d'importation en douane o documents de connaissement maritime (bill of lading) o extraits de la comptabilité de la SOCIETE ETABLISSEMENTS DU MESGNIL o extraits du logiciel de gestion des stocks de la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL tous ces documents devant être certifiés par le commissaire aux comptes de la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL : - dire et juger que le Tribunal sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes prononcées, conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991 : - ordonner le rappel et la destruction, aux frais avancés de la défenderesse, de toutes brouettes contrefaisantes, sous contrôle de tel huissier qu'il plaira au Tribunal de désigner; - ordonner la publication du jugement à intervenir par extrait dans cinq journaux au choix de la SOCIÉTÉ CDH Group aux frais avancés de la défenderesse, à concurrence de 10.000 € H.T. par insertion : - ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil du site Internet de la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL (http://www.jmv- edm.com/) pendant une durée de six mois à compter de la signification du jugement à intervenir : - condamner la SOCIÉTÉ ETABLISSEMENTS DU MESGNIL à verser à la SOCIETE CDU Group une indemnité provisionnelle de 200 000 € en réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon de ses dessins et modèles enregistrés n°X941002 et 905984 et de ses droits d'auteur, sauf à parfaire au vu notamment du rapport de l'expert que le Tribunal désignerait ou vu des éléments de preuve que la défenderesse pourrait avoir à communiquer ; - condamner la SOCIÉTÉ défenderesse à payer à la SOCIÉTÉ CDH Group une somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - condamner la SOCIÉTÉ défenderesse aux entiers dépens de l'instance, en ce compris la totalité des frais et honoraires du procès-verbal de saisie-contrefaçon de la SCP Boghen Magamootoo Liauzu en date du 4 novembre 2014, dont distraction au profit de Maître Yves BIZOLLON.

En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 12 février 2016, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société LES ETABLISSEMENTS DU MESGNIL demande au tribunal, au visa des articles L 511-1 et suivants. L 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et de l'article 1382 du code civil, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de: In limine litis : - Constater qu'en plusieurs procédures la société HAEMMERLIN a avoué par acte extra-judiciaire ne disposer d'aucun droit privatif concernant le modèle 1041. - Enjoindre la société CDH GROUP de justifier que les dessins et modèles objet de la présente action judiciaire lui ont bien été transférés par la société HAEMMERLIN. alors que le traité de fusion ne mentionne aucun dessin ou modèle au compte 205 immobilisations incorporelles de la société HAEMMERLIN. - Enjoindre la société CDH GROUP de justifier des droits sur lesquels elle se fonde pour prétendre agir sur le fondement de la contrefaçon, là où la société HAEMMERLIN a judiciairement reconnu ne pas disposer d'un droit privatif pour agir de la sorte, sur la base de ses dessins et modèles de brouette n°1041 et de ses droits d'auteur. - Juger, à défaut de production des justificatifs demandés, que la société CDH GROUP ne prouve pas avoir reçu de la société HAEMMERLIN lesdits dessins et modèles sur lesquels elle fonde la présente procédure judiciaire. - Juger, à défaut de production de justificatifs expliquant les raisons pour lesquelles la société CDH GROUP prétend disposer de plus de droit que la société HAEMMERLIN, pour agir sur le fondement de la contrefaçon en la présente procédure, que la demanderesse se trouve bien privée de tout intérêt et de toute capacité pour agir. Subsidiairement. au fond : - Juger que la société CDH GROUP ne démontre pas disposer de droits supérieurs à ceux de la société HAEMMERLIN pour disposer de la capacité et de l'intérêt d'agir en contrefaçon. - Juger que la société CDH GROUP ne justifie pas d'un caractère nouveau et propre, distinct du modèle de brouette n° 1041 de la société HAEMMERLIN, susceptible de permettre une protection par le moyen d'une action en contrefaçon au titre des dessins et modèles. - Juger que la société CDH GROUP ne justifie pas d'un caractère original nouveau du modèle de brouette n° 1041 de la société HAEMMERLIN, susceptible de permettre une protection par le moyen d'une action en contrefaçon au titre du droit d'auteur. - .Juger que la contrefaçon n'est pas matériellement caractérisée. - Juger que la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL ne s'est pas rendue coupable de contrefaçon des dessins et modèles enregistrés par l'INPI sous les n° 941002 et 905984 et de droit d'auteur. En tout état de cause : - Débouter en conséquence la société CDH GROUP de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions y compris celle relative à la publication du jugement à intervenir sur le site web de Monsieur Jean-Marc V. Reconventionnellement : - Prononcer la mainlevée pure et simple de la saisie contrefaçon. - Juger que les modèles publiés les 23 janvier 1991 sous le n° 905984-001, et le 31 mai 1994 sous le n° 941002-001 par la société HAEMMERLIN ne relèvent pas de la protection prévue tant par les articles 1 111-1 et suivants que par les articles 1511- code de la propriete intellectuelle">1511- 1 du code de la propriété intellectuelle. - Prononcer l'annulation des modèles publiés les 23 janvier 1991 sous le n° 905984- 001, et le 31 mai 1994 sous le n° 941002-001 par la société HAEMMERLIN. - Ordonner l'inscription de la décision judiciaire à intervenir au registre national des dessins et modèles. - Condamner la société CDH GROUP à verser à la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL la somme provisionnelle de 100.000 € en réparation de ses préjudices résultant d'une action en contrefaçon sans fondement, se décomposant comme suit : - au titre du manque à gagner : 30.000 € (somme à parfaire au regard de la durée de la procédure en cours), - au titre de la mise en place d'actions publicitaires et promotionnelles inhabituelles: 20 000 € (somme à parfaire au regard de la durée de la procédure en cours), - au titre du préjudice subi pour atteinte à sa notoriété et à son image : 50 000 € (somme à parfaire au regard de la durée de la procédure en cours). - Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, et ce nonobstant appel et sans constitution de garanties. - Condamner la société CDH GROUP au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. - Condamner la société CDH GROUP aux entiers dépens en ce compris la totalité des frais inhérents aux mesures de retenues en douane ainsi qu'aux frais et honoraires inhérents aux mesures de saisie-contrefaçon.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2016.


MOTIFS

1- Sur la recevabilité de l'action de la société CDH Group

Conformément à l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non- recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix. la chose jugée.

Et, en application des articles 31 et 32 du même code, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable.

a) Sur le fondement des modèles

Au soutien de sa fin de non-recevoir, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL conteste la titularité de la société CDH Group sur les modèles n°941002 et n°905984, soutenant qu'il n'est pas justifié que les droits lui ont bien été transmis par la société HAEMMERLIN aux termes des opérations de fusion-absorption intervenues le 17 juin 2011. Elle expose ainsi que le traité de fusion ne précise pas la liste des actifs transférés et que le dernier bilan comptable avant fusion de la société HAEMMERLIN ne mentionne pas l'existence de ces modèles en compte 205 des immobilisations des actifs incorporels. Elle en déduit qu'en l'absence de preuve de ce que les droits revendiqués figuraient encore au patrimoine de la société HAEMMERLIN au moment de son absorption, la fusion n'a pu opérer transfert de ces droits au profit du demandeur.

Elle soutient également que le déposant initial aurait reconnu dans une procédure antérieure qu'il ne disposait pas de droits privatifs sur les modèles litigieux, ce qui constituerait un aveu judiciaire revêtu de l'autorité de la chose jugée, empêchant la demanderesse se prévaloir des droits liés à ces modèles.

En réponse, la société CDH Group fait valoir, sur le premier point, qu'elle a acquis les modèles en cause de la société HAEMMERLIN dans le cadre d'une fusion absorption, selon traité régulièrement inscrit au registre national des dessins et modèles, de sorte que l'universalité du patrimoine de la société absorbée lui a été transmis et qu'il n'était donc pas nécessaire de faire mention expresse des modèles transmis. Elle ajoute que l'absence éventuelle de valorisation de ces actifs dans le bilan de la société absorbée aurait tout au plus une incidence comptable et que la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL n'est pas recevable à critiquer la régularité de l'inscription de l'acte translatif opéré par l'INPl.

Sur le second point, clic conteste tout aveu de sa part dans les procédures antérieures qui lui sont opposées, expliquant que seuls des actes de concurrence déloyale étaient alors invoqués et que l'existence de droits privatifs sur les modèles en cause n'était pas en débat. Elle ajoute qu'au demeurant ne peut constituer un aveu judiciaire celui fait au cours d'une précédente instance, que ce soit entre les mêmes parties ou des parties différentes.


Sur ce


- Sur la transfert des droits sur les modèles au profit de la société CDH Group

Conformément à l'article L 513-3 du code de la propriété intellectuelle, tout acte modifiant ou transmettant les droits attachés à un dessin ou modèle déposé n'est opposable aux tiers que s'il a été inscrit au registre national des dessins et modèles.

Et, en vertu de l'article L 521-2 du code de la propriété intellectuelle, l'action civile en contrefaçon est exercée par le propriétaire du dessin ou modèle.

En l'espèce, la société CDH Group indique avoir acquis les droits sur les modèles litigieux à la suite de la fusion-absorption de la société déposante selon traité du 17 juin 2011 publié au registre national des dessins et modèles le 22 août 2012.

Il résulte des certificats d'identité produits aux débats que les modèles en cause ont été déposés respectivement les 26 février 1990 et 18 février 1994 par la société HAEMMERLIN, que cette société a été absorbée par la société CENTAURE le 17 juin 2011 et le traité de fusion-absorption a été publié au registre national des dessins et modèles le 22 août 2012: que la société CENTAURE est devenue la société CDH GROUP suivant changement de dénomination publié au registre le même jour.

Or. en application de l'article L.236-3 du code de commerce, la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération.

La transmission de tous les éléments d'actifs et de passif des sociétés absorbées à la société absorbante est repris à l'article D. du traité de fusion. En l'état de l'universalité de la transmission de patrimoine opérée par fusion-absorption, la mention de l'ensemble des éléments d'actif transmis au traité de fusion n'était donc pas requise.

La société HAEMMERLIN est, en sa qualité de premier déposant, présumée créateur des modèles litigieux, selon les termes de l'article L.511-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi du 14 juillet 1909 applicable au litige compte-tenu de la date de dépôt initial. Il appartient à la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, qui conteste la titularité des droits de cette société et leur transmission subséquente à la demanderesse, d'apporter la preuve contraire.

En l'espèce, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL se prévaut uniquement de l'absence de valorisation des modèles au bilan de la société, tel qu'annexé au traité de fusion-absorption, pour en déduire que la preuve de la titularité des modèles par la société HAEMMERLIN n'est pas rapportée. Cependant, la société HAEMMERLIN étant présumée créatrice des modèles litigieux par l'effet des dépôts régulièrement enregistrés auprès de l'INPl, la charge de la preuve contraire incombe à la défenderesse. Or, l'omission d'une formalité comptable, si elle est susceptible d'emporter des conséquences sur un plan fiscal, n'est pas de nature à priver la société HAEMMERLIN de ses droits sur des modèles régulièrement déposés. Faute d'établir qu'avant les opérations de fusion-absorption, la société HAEMMERLIN s'était dessaisi des droits correspondants, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL n'apporte pas la preuve qui lui incombe du défaut de titularité du demandeur.

La fin de non-recevoir soulevée par la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL de ce chef sera rejetée.

- Sur l'aveu judiciaire

La société CDH Group se prévaut d'un arrêt de la cour d'appel de Papeete du 11 septembre 2008 qui, confirmant le jugement du tribunal mixte de commerce de Papeete du 23 octobre 2006 en ce qu'il avait rejeté l'action en contrefaçon de la société HAEMMERLIN a considéré "que la société HAEMMERLIN ne disposait pas de droit privatif sur le modèle 1041 - ce qu'elle avait d'ailleurs admis dans l'instance ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 28 septembre 2006 - et ne pouvait agir en contrefaçon". Elle en déduit un aveu, qu'elle qualifie tantôt de judiciaire et tantôt d'extra-judiciaire, de la société HAEMMERLIN ayant force de chose jugée rendant irrecevable toute nouvelle action en contrefaçon du chef de ces mêmes modèles.

L'article 1356 du code civil dispose que l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait. Il ne peut être divisé contre lui. Il ne peut être révoqué, à moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. Il ne pourrait être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit.

Cependant, l'existence de droits privatifs sur des modèles constitue un point de droit qui ne peut faire l'objet d'un aveu, qu'il soit judiciaire ou extra-judiciaire, lequel ne peut être retenu que lorsqu'il porte sur des faits. À titre surabondant, il doit être relevé que, dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 28 septembre 2006 de la cour d'appel de Versailles qui opposait la société HAEMMERLIN à une société ROEDERER au sujet des mêmes brouettes, celle-ci n'avait pas invoqué ses droits de modèles mais uniquement fondé son action sur les articles 1382 et 1383 du code civil, ainsi que le précise expressément la cour dans son deuxième considérant. Ce choix procédural est donc sans rapport avec une prétendue reconnaissance de sa part de l'inexistence d'un droit qu'elle n'avait pas invoqué. Mais même à supposer cette reconnaissance avérée, les déclarations d'une partie faites au cours d'une instance précédente, opposant ou non les mêmes parties, ne peuvent au demeurant avoir le caractère d'un aveu judiciaire et en produire les effets, de sorte que la société CDH Group, qui vient aux droits de la société HAEMMERLIN, est parfaitement recevable à se prévaloir de ses droits sur les modèles n°941002 et n°905984.

b) Sur le fondement des droits patrimoniaux d'auteur

La société CDH Group invoque, outre ses droits sur les modèles n°941002 et n°905984, une protection de la brouette CARGO Excellium 100 au titre du droit d'auteur, se référant aux caractéristiques exposées pour démontrer la validité des modèles en cause:

- "caisse de l'orme générale tronconique, dont le profil présente une inclinaison particulière, o comportant sur la face avant cinq nervures verticales en forme de « U » inversé de largeur différente et agencées de manière parallèle symétrique et présentant une profondeur progressive, o et une nervure horizontale sur chaque paroi latérale reprenant l'esthétique du profil général de la caisse, o ainsi qu'un bord supérieur replié double épaisseur; - un châssis formé d'un seul élément tubulaire unique replié au niveau de la roue, cet élément faisant fonction de support de la roue avant, de support de la caisse ou porte- charge et de bras ou brancards pour lever la brouette ; - cet élément tubulaire se déploie d'une extrémité à l'autre de la brouette selon un galbe particulier présentant quatre cassures selon des angles différents ; - la forme de la roue, avec un pneu large, une jante épaisse et six fins rayons disposés à intervalles réguliers ; - des pieds de fixation parallèles en forme de « V » présentant un certain degré d'inclinaison et raccordés à la caisse par des barres plates ; - vis apparentes dans la caisse et sur le châssis au niveau de la roue."

La société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL conteste l'originalité de la brouette en cause en affirmant qu'elle reproduit de manière servile différents éléments issus de brouettes déjà existantes, tous imposés par sa fonction technique. Elle en déduit qu'en l'absence d'éléments révélateurs de l'empreinte de la personnalité de son créateur, la brouette ne peut être protégée par le droit d'auteur.

L'originalité d'une création conditionne sa protection par le droit d'auteur et donc la qualité à agir du demandeur et la recevabilité de ses demandes de ce chef.

En application de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Et, en application de l'article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Dans ce cadre, si la protection d'une œuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur dont l'existence est contestée de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. En effet, seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l'atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l'absence d'originalité.

À cet égard, si une combinaison d'éléments connus ou naturels n'est pas a priori exclue de la protection du droit d'auteur, encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l'étendre à un genre insusceptible d'appropriation.

En l'espèce, la société CDH Group ne consacre aucun développement spécifique à la démonstration de l'originalité, au sens du droit d'auteur, de la brouette litigieuse, qu'elle se contente de déduire de la démonstration effectuée pour établir que les modèles invoqués présentent une physionomie propre. Or, ce critère, posé sous l'empire de l'ancien article L.511-3 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du- 14 juillet 1909, se distingue de l'originalité subjective de l'œuvre nécessaire à sa protection par le droit d'auteur. En effet, si pour ouvrir droit à la protection issue du livre V du code de la propriété intellectuelle, un modèle doit présenter une physionomie propre entendue comme la configuration particulière de ses caractéristiques résultant d'un choix arbitraire de son auteur et le distinguant de l'existant, la création protégeable au titre du titre 1 er du même code doit quant à elle procéder d'un effort créatif suffisant de son auteur traduisant la personnalité de ce dernier.

Or en l'espèce, la société CDH Group livre une description purement technique qui découle de la stricte observation objective de la brouette et est de ce fait étrangère à la caractérisation de son originalité faute de révéler l'apport créatif traduisant la personnalité de son auteur. Rien ne permet de comprendre en quoi la localisation, le nombre et la forme des nervures sur la caisse, le galbe du châssis ou le caractère apparent des vis ou bien encore la forme des pieds ou des roues de la brouette - éléments qui quoique distincts de l'existant correspondent néanmoins aux standards habituels pour ces outils - sont le fruit d'un parti-pris esthétique de son créateur portant l'empreinte de sa personnalité.

En conséquence, à défaut d'explicitation de l'originalité, au sens du droit d'auteur, de la combinaison revendiquée, la brouette en cause ne peut être protégée par le droit d'auteur. Aussi, les demandes de la société CDH Group au titre de la contrefaçon de ses droits d'auteur sont intégralement irrecevables pour défaut de qualité à agir conformément aux articles 31. 32 et 122 du code de procédure civile.

2- Sur la validité des modèles

La société CDH Group soutient que le modèle de brouette complet n°941002 déposé le 18 février 1994 présente bien un caractère de-nouveauté qui ne peut être remis en cause par le modèle n°905984 déposé en 1990 dès lors que ce dernier ne porte que sur la caisse de la brouette et que, sous l'empire de la loi de 1909 applicable à l'espèce, les divulgations du modèle antérieurement au dépôt par l'auteur lui-même n'étaient pas susceptibles d'en détruire la nouveauté. Elle ajoute que les antériorités qui lui sont opposées sont soit dépourvues de date certaine, soit ne sont pas de toutes pièces. Elle soutient également que ses modèles présentent une physionomie propre les distinguant de l'existant par une combinaison particulière de leurs caractéristiques, en tenant compte des contingences fonctionnelles auxquelles sont soumis ces produits utilitaires. Elle précise que, néanmoins, la forme de sa brouette n'est aucunement exclusivement imposée par sa fonction technique.

La société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL conteste le caractère de nouveauté des modèles au motif, d'une part, que le modèle de brouette entière déposé en 1994 est antériorisé par le dépôt en 1990 d'un modèle de caisse, intégralement repris dans le second modèle et d'autre part qu'il existe de nombreuses antériorités démontrant que la société CDH Group n'a fait que combiner des éléments tous déjà connus. Elle ajoute que la forme de la brouette HAEMMERLIN est intégralement imposée par sa fonction utilitaire et est dépourvue de physionomie propre témoignant d'un effort de création personnelle de son auteur.


Sur ce


L'ancien article L 511-3 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du 14 juillet 1909 applicable à l'espèce au vu de la date du dépôt, énonce que le bénéfice de la protection était accordé à tout dessin nouveau, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle.

Le même article précise que, si le même objet pouvait être considéré à la fois comme un dessin ou modèle nouveau et comme une invention brevetable et si les éléments constitutifs de la nouveauté du dessin ou modèle étaient inséparables de ceux de l'invention, ledit objet ne pouvait être protégé que conformément aux dispositions du livre VI.

Et l'ancien article L.511-6 du même code précise que la publicité donnée à un dessin ou modèle, antérieurement à son dépôt, par la mise en vente ou par tout autre moyen, n'entraîne ni déchéance du droit de propriété ni de la protection spéciale accordée par le présent livre.

Il s'en déduit tout d'abord que, sous l'empire de l'ancienne loi, la divulgation d'un modèle par son créateur avant son dépôt ne constituait pas un obstacle à la validité de celui-ci. Dès lors, la divulgation de la caisse de la brouette par le premier dépôt effectué en 1990 n'est pas susceptible de priver le second dépôt de 1994, portant sur la brouette entière, de son caractère de nouveauté.

La nouveauté s'apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu'il est déposé et les antériorités divulguées, pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l'examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément. Seule l'identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l'absence de différences ou de l'existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté, la similitude des modèles ne l'excluant en revanche pas. Les antériorités destructrices de nouveauté doivent être de plus avoir date certaine. Parmi les antériorités dont se prévaut la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, seules six ont date certaines:

- Un modèle de brouette en acier enregistré à l'INPI et publié le 29 novembre 1951 sous le n°41217-001 au nom de ATELIERS AIR ET FEU. - Deux brevets français enregistrés à l'INPI et publiés les 22 janvier 1982 sous le n° FR2486893 et le 20 avril 1984 sous le n° FR2534531 au nom de RICHARD F SA portant chacun sur une « brouette démontable», - Une copie d'un catalogue de la société FRANKEL daté d'août 1928 et divulguant divers modèles de brouettes, - Un modèle enregistré à l'INPI et publié le 15 juin 1959 sous le n°61611-001 au nom de BRACKERS DE HUGO, portant sur une «brouette avec bac en matière plastique ». - Un modèle de brouette enregistré à l'INPI et publié le 27 avril 1990 sous le n° 894473- 001 au nom de PATRICK F.

La comparaison des caractéristiques de ces antériorités avec celles des modèles litigieux démontre que si certaines peuvent comporter des éléments communs avec la brouette HAEMMERLIN, aucune ne constitue un précédent de toutes pièces.

En effet: - le modèle de brouette ATELIERS AIR ET FEU de 1951 est notamment dépourvu de nervures sur la caisse, pourvu d'un châssis constitué d'éléments non tubulaires présentant une inclinaison différente. La roue est dépourvue de pneu et doté de rayonnages distincts. - Le châssis des brouettes objet des brevets français RICHARD F SA de 1982 et 1984 est très différent, sans les quatre cassures caractéristiques du modèles HAEMMERLIN et le repli au niveau de la roue, - les brouettes du catalogue FRANKEL de 1928 sont pareillement sans pneus, dépourvues des nervures caractéristiques de la caisse et dotées d'un châssis au galbe différent. - Le modèle BRACKERS DE HUGO de 1959 ne comporte quant à lui aucune des caractéristiques du modèle litigieux, la forme de la caisse, du châssis, des pieds et de la roue étant distincts, - Le modèle PATRICK FRAISSE de 1990 se distingue du modèle HAEMMERLIN par l'absence de nervures sur la caisse, un châssis en plusieurs tenants et des pieds tubulaires droits.

En l'absence d'antériorités de toutes pièces opposées aux modèles litigieux, la validité de ces derniers au regard du critère de nouveauté est établie.

Sous l'empire de la loi antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001, un dessin ou modèle devait également pour être valable, présenter une physionomie propre, entendue comme l'expression d'un choix arbitraire de son auteur non dicté par les nécessités de la technique dans la combinaison de ses éléments caractéristiques.

Force est de constater que la brouette HAEMMERLIN n'est pas antériorisée par les modèles produits aux débats. Elle revêt également une physionomie propre en raison de l'agencement particulier de ses caractéristiques, notamment le dessin particulier des nervures apposées sur la caisse, la présence d'un châssis tubulaire unique, au galbe bien particulier, replié au niveau de la roue et faisant fonction à la fois de support de caisse, de support de roue et de brancards, la forme des pieds et des roues ainsi que le caractère apparent des vis, cette combinaison d'élément permettant de distinguer le modèle de brouette HAEMMERLIN des brouettes antérieures

Par ailleurs, si la fonction utilitaire d'une brouette impose une série de contraintes qui conditionne l'aspect final du produit, notamment la présence d'une caisse, d'une roue, de pieds et de brancards, le choix de la combinaison sus-évoquée. opéré par le créateur de la brouette HAEMMERLIN, n'apparaît nullement uniquement dicté par la fonction du produit, aucune contrainte technique n'imposant de revêtir la caisse des nervures dont ce modèle est doté, ou bien encore de faire le choix d'un châssis tubulaire multifonction d'une seule pièce ou de laisser les vis apparentes. Le caractère arbitraire de ces choix qui confère à ce produit utilitaire un aspect dynamique et moderne, est donc suffisamment établi.

Par conséquent, les modèles français n°941002 et n°905984 sont bien valables et la société défenderesse sera déboutée de sa demande reconventionnel le en nullité.

3 - Sur la contrefaçon

Au soutien de ses prétentions, la société CDH Group expose que le modèle de brouette litigieux reproduit servilement les caractéristiques du modèle HAEMMERLIN, ce qui suffit à caractériser la contrefaçon, peu important l'existence ou non d'un risque de confusion dont l'existence n'a pas à être établie. Elle soutient que les différences invoquées en défense sont imperceptibles.

En réplique, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL souligne les différences existant entre les modèles en cause, notamment l'apposition de la "marque" HAEMMERLIN sur les poignées et dans le corps du métal de la caisse, ainsi que le rebord aplati de la caisse dans le modèle litigieux qui suffisent à exclure toute confusion dans l'esprit du consommateur.

L'appréciation de la contrefaçon étant subordonnée au texte en vigueur lors de la naissance du litige, il convient de se référer aux articles L.521-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle dans leur version actuelle.

En application de l'article L 521-1 du code de la propriété intellectuelle, toute atteinte portée aux droits du propriétaire d'un dessin ou modèle, tels qu'ils sont définis aux articles L 513-4 à L 513-8 constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

Et, conformément à l'article L 513-4 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, le transbordement, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle. L'article 1. 513-5 du même code étend cette protection à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'observateur averti une impression visuelle d'ensemble différente. Cette disposition, qui transpose l'article 9 de la directive CE n° 98/71 du 13 octobre 1998 doit être interprétée conformément à celle-ci, l'étendue de la protection devant ainsi être appréciée en tenant compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du modèle au sens de l'article 9§2 de la directive. Dans ce cadre, la détermination de l'impression visuelle d'ensemble par un observateur averti, et par conséquent doté d'une vigilance particulière liée à sa connaissance de la catégorie de produits concernés par le modèle et du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du modèle, s'opère par comparaison du produit argué de contrefaçon et de la reproduction graphique du modèle telle qu'elle figure au dépôt, sans égard pour les éventuels éléments complémentaires apposés dans le produit commercialisé.

L'observateur averti au sens de l'article L 513-5 du code de la propriété intellectuelle est ainsi un consommateur amateur de bricolage, mais aussi un professionnel du bâtiment, attentifs aux détails de forme de la brouette.

La brouette arguée de contrefaçon, selon les photographies prises par l'administration des douanes dans le cadre des mesures de retenues puis par l’huissier à l'occasion des opérations de saisie-contrefaçon, correspond en tous points à celle figurée sur les reproductions graphique des dépôts n°941002 et 905984.

Ainsi - la caisse des deux brouettes comporte des nervures apposées de manière identique sur les parois latérales et la partie frontale de la caisse. - le châssis est dans les deux produits constitué d'un élément tubulaire unique, replié au niveau de la roue, supportant à la fois la roue et le porte-charge et faisant fonction de bras pour lever la brouette, et se déployant selon une ligne similaire - les pieds de la brouette sont identiques et les vis sont apparentes dans les deux modèles.

La contrefaçon, qui s'apprécie par les ressemblances et non les différences, ne nécessite pas pour être établie qu'un risque de confusion puisse d'instaurer entre les deux modèles. Elle est établie dès lors que les caractéristiques du modèle contrefait se retrouvent dans le modèle argué de contrefaçon, ce qui est le cas en l'espèce. Le débat tenant à l'absence de risque de confusion du fait du caractère distinct des manchons caoutchoutés et à l'apposition sur ceux-ci et sur le fond de caisse de la mention " HAEMMERLIN" par emboutissement à froid du métal est sans pertinence, d'autant que les modèles du groupe CDH Group tels qu'enregistrés ne comportent ni inscription de marque ou logo, ni les différences liées aux poignées relevées par la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL.

Quant au caractère distinct des bords de caisse des deux modèles en ce que celui de la société CDH Group serait replié tandis que celui commercialisé par la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL serait plat et à la courbure différente du châssis, ces différences sont trop insignifiantes pour emporter une impression visuelle d'ensemble différente auprès de l'utilisateur averti, eu égard à la reproduction servi le de toutes les autres caractéristiques des modèles HAEMMERLIN.

Ainsi, en important et offrant à la vente les brouettes litigieuses sur le territoire français, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL a commis des actes de contrefaçon engageant sa responsabilité civile à l'égard de la société CDH Group, peu important la bonne ou mauvaise foi du contrefacteur qui est sur un plan civil indifférente à la constitution de la contrefaçon. Dès lors, les demandes reconventionnel les de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL en indemnisation des préjudices prétendument subis du fait des mesures de retenue douanière, de saisie-contrefaçon puis de l'engagement à son encontre d'une action en contrefaçon seront intégralement rejetées, tout comme la demande de déblocage des marchandises objet de la retenue douanière.

4 - Sur les mesures réparatrices

La société CDU Group, faisant valoir que la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL importe et commercialise le produit contrefaisant de manière régulière depuis avril 2012, évalue la masse contrefaisante à 6875 pièces et la marge brute générée à 103 125 €. Elle sollicite une provision de 200 000 € à valoir sur le préjudice subi, à parfaire au vu des éléments comptables relatifs aux achats, importations et ventes entre le 1 er avril 2012 et le 31 décembre 2013 dont elle demande la communication sous astreinte au visa des articles L.331-1-2 et L.521-5 du code de la propriété intellectuelle. Elle sollicite également des mesures d'interdiction, de destruction et de publication.

La société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL conteste l'évaluation opérée par la société CDH Group, indiquant que les opérations de saisie-contrefaçon ont seulement démontré l'importation de 1900 brouettes en 2014, de sorte que la demanderesse ne peut extrapoler son préjudice sur la base d'une commercialisation de 2500 brouettes par an.


Sur ce


En application de l'article L 521-7 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits. Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

L'article L. 521-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit par ailleurs que. si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d'une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services. La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime. Les documents ou informations recherchés portent sur : a) Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ; b) Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause.

Il ressort du procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 4 novembre 2014 par Maître Pierre L, huissier de justice à Saint-Paul (La Réunion) que le gérant de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, après avoir indiqué qu'il travaillait depuis le mois d'avril 2012 avec le fournisseur des brouettes contrefaisantes, a refusé de remettre à l'huissier les justificatifs de plus d'un an.

Les mesures de retenue et de saisie-contrefaçon ont fait apparaître que la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL avait importé sur le territoire français un minimum de 1 900 (950 + 950) brouettes contrefaisantes, entre le mois de janvier et le mois d'octobre 2014. Sur cette même période, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL a vendu 1 049 brouettes, et détenait encore 1 067 brouettes au 4 novembre 2014, ce qui démontre l'existence d'un stock antérieur de produits contrefaisants.

Compte tenu de la résistance opposée par le gérant de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL à communiquer les informations nécessaires à la détermination de la masse contrefaisante depuis avril 2012, il sera fait droit à la demande d'information sous astreinte dans les conditions précisées au dispositif.

Dans l'attente, le droit à indemnisation de la société CDH Group étant certain, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL sera condamnée à lui payer la somme provisionnelle de 82 500 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice, calculée en tenant compte d'une masse contrefaisante évaluée à 5500 exemplaires depuis le 1 er avril 2012 et d'une marge brute moyenne de 15 € par produit.

Les parties seront renvoyées à la détermination amiable du préjudice et à défaut à sa fixation judiciaire sollicitée par assignation.

Par ailleurs, il sera fait interdiction sous astreinte à la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL d'importer, d'offrir à la vente, de promouvoir et/ou de commercialiser, de quelque façon que ce soit, les brouettes litigieuses et il sera fait droit à la mesure de destruction sollicitée dans les limites fixées dans le dispositif du jugement.

En revanche, le préjudice de la société CDH Group étant intégralement réparé par l'allocation de dommages et intérêts et son aggravation étant prévenue par l'interdiction prononcée, la demande de publication judiciaire sera rejetée.

5- Sur les autres demandes

La société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, qui succombe, supportera les dépens.

L'équité commande de ne pas laisser à la charge de la société CDH Group les frais qu'elle a dû engager dans le cadre de cette procédure. La société défenderesse sera en conséquence condamnée à lui verser la somme globale de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais consécutifs aux procédures de saisie-contrefaçon.

Les demandes de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL au titre de ces dispositions seront rejetées.

L'exécution provisoire apparaît nécessaire et sera ordonnée sauf en ce qui concerne la mesure de destruction.

PAR CES MOTIFS



Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort.

Déclare recevables les demandes de la société CDH Group en contrefaçon des dessins et modèles français n°941002 déposé le 18 février 1994 et n°905984 déposé le 26 septembre 1990;

Déclare irrecevables les demandes de la société CDH Group en contrefaçon de droit d'auteur:

Rejette la demande de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL en nullité de ces modèles;

Dit qu'en important, mettant sur le marché et offrant à la vente, notamment sous les références MOB WB6400RG, MOB_WB64RG et MOB WB6400GALVARG, des brouettes reproduisant les caractéristiques des modèles de la société CDH Group, la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société CDH Group:

Fait interdiction à la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL de poursuivre ces agissements, notamment en important, offrant à la vente, promouvant et/ou commercialisant, de quelque façon que ce soit, les brouettes litigieuses sous les références MOB_WB6400RG, MOB_WB64RP et MOB_WB6400GALVARG ou sous toute autre référence et ce sous astreinte de 300 euros par produit clans un délai de 15 jours à compter de la signification de la présente décision et l'astreinte courant sur un délai de 3 mois:

Ordonne la destruction une fois le présent jugement devenu définitif, aux frais de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL, sous contrôle d'un huissier de justice, du stock des brouettes litigieuses:

Ordonne à la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL de communiquer à la société CDH Group, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard l'astreinte prenant effet un mois à compter de la signification de la présente décision et courant pendant une période de 4 mois, tous les éléments comptables relatifs aux achats, importations et ventes des brouettes contrefaisantes et de leurs pièces intervenus entre le 1er avril 2012 et le 31 décembre 2013, en particulier : - factures d'achat et de vente. - déclarations d'importation en douane. - documents de connaissement maritime (« bill of lading »). - extraits de la comptabilité de la société ÉTABLISSEMENTS DU MESGNIL. - extraits du logiciel de gestion des stocks de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL,

tous ces documents devant être certifiés par le commissaire aux comptes de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL :

Dit que le présent tribunal se réserve la liquidation des astreintes ;

Condamne la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL à payer à la société CDH Group la somme provisionnelle de quatre-vingt-deux mille cinq cent euros (82 500 €) à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice :

Renvoie les parties à la détermination amiable du préjudice subi par la société CDH Group sur la base des éléments comptables communiqués par la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL et à défaut par voie judiciaire après assignation ;

Rejette la demande de publication judiciaire présentée par la société CDH Group:

Déboute la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles:

Rejette la demande de la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL au titre des frais irrépétibles :

Condamne la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL à payer à la société CDH Group la somme globale de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais consécutifs à la procédure de saisie-contrefaçon :

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement sauf en ce qui concerne la mesure de destruction;

Condamne la société ETABLISSEMENTS DU MESGNIL aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Yves BIZOLLON, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.