Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 et 20 décembre 2023 et deux mémoires en réplique le 2 janvier 2024, outre un mémoire distinct enregistré par voie postale le 22 décembre 2023 pour produire son offre hors contradictoire, la société Perrin, représentée par Me Aymeric Hourcabie, demande au juge des référés, statuant en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler, à compter de la phase d'analyse des offres, la procédure de passation initiée par l'office public Paris Habitat en vue de la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet la fourniture et la pose en garantie totale de détecteurs avertisseurs autonomes de fumées (D.A.A.F.) et de détecteurs avertisseurs autonomes de monoxyde de carbone (D.A.A.C.O.) dans les logements gérés par Paris Habitat, ensemble la décision du 7 décembre 2023 par laquelle Paris Habitat a rejeté ses trois offres ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat (Paris Habitat OPH) la somme de 5 000 euros en application de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rejet de ses offres est illégal dès lors que celles-ci portaient sur des prestations qu'elle exécute quotidiennement, à grande échelle ;
- l'attribution d'une note éliminatoire revêt une portée discriminatoire car ses offres ont été dénaturées et en raison de la méthode de notation par planchers.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 29 décembre 2023 et 2 janvier 2024, Paris Habitat OPH, représenté par Me Nicolas Lafay, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Perrin la somme de 3 000 euros en application de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- d'une part, le moyen tiré de la dénaturation des offres est infondé dès lors que la société Perrin ne fournit pas le moindre élément à l'appui de ce moyen, que ses allégations relèvent de l'appréciation des mérites respectifs des offres des candidats alors qu'elle n'est pas fondée à s'en plaindre et qu'un tel moyen ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels, et qu'en tout état de cause, l'offre de la société Perrin n'a pas été dénaturée ainsi qu'en témoigne le rapport d'analyse des offres ;
- d'autre part, Paris Habitat OPH n'a commis aucune illégalité en prévoyant la mise en œuvre d'une note éliminatoire qui un mécanisme autorisé à condition qu'il ait été porté à la connaissance des candidats et qu'il ne soit pas fixé à un niveau trop élevé.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Gros, vice-président de section, en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Tardy-Panit, greffière d'audience, le 2 janvier 2024 à 9 h 30, ont été entendus :
- le rapport de M. Gros ;
- les observations de Me Hourcabie, représentant la société Perrin, qui a repris ses écritures ; il insiste sur le contexte aboutissant à ce que pour chaque lot, une seule offre a été analysée ; il précise que la note discriminatoire n'est pas illégale dans son principe mais que combinée en l'espèce à un mode de calcul par palier, son offre a été dénaturée comme ne répondant pas au besoin du marché ; sur le point particulier de la surtaxe des appels téléphoniques, celle-ci ne pouvant être que contractuelle, si l'offre n'en mentionnait pas c'est qu'il n'y avait pas de surtaxe sans qu'il soit besoin de le préciser ;
- les observations de Me Lafay, représentant Paris Habitat OPH, qui a également repris ses écritures ; il insiste sur l'absence d'atteinte à la libre concurrence notamment grâce à la limitation à deux lots par attributaire ; il tient pour évident qu'il ne suffit pas d'être une entreprise reconnue dans son secteur pour emporter un marché sans répondre suffisamment précisément au cahier des charges ; il revient sur la définition d'une dénaturation et conclut à son absence en défendant sur certains éléments invoqués à titre d'illustration, comme l'absence de mention d'une surfacturation des appels téléphoniques qui aurait dû avantageusement être explicite ;
- les observations de Me Heckenroth, représentant la société Proxiserve, attributaire des lots n° 1 et 2, qui a souligné la précision insuffisante des offres de la société Perrin ;
- les observations de Me Verrier, représentant la société Iserba, attributaire du lot n°3, qui a également souligné la précision insuffisante des offres de la société Perrin.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
1. Par un avis d'appel public à concurrence, l'office public Paris Habitat a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet la fourniture et la pose en garantie totale de détecteurs avertisseurs autonomes de fumées (D.A.A.F.) et de détecteurs avertisseurs autonomes de monoxyde de carbone (D.A.A.C.O.) dans les logements gérés par Paris Habitat. Par un courrier du 7 décembre 2023, Paris Habitat a informé la société requérante du rejet de ses trois offres. Par la présente requête, la société Perrin demande au juge des référés d'annuler la procédure de publicité et de mise en concurrence suivie par Paris Habitat pour l'attribution de cet accord-cadre, ensemble la décision par laquelle ses offres ont été rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. "
3. Aux termes de l'article
L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. " Aux termes de l'article
L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. " Il résulte de ces dispositions que l'acheteur doit éliminer les offres qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, sauf, le cas échéant, s'il a autorisé leur régularisation.
En ce qui concerne le moyen tiré de la dénaturation des offres :
4. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
5. Si la société Perrin soutient que ses offres n'auraient pas dû être considérées comme irrégulières eu égard à son expérience forte et à l'adéquation entre celles-ci et les besoins du marché, d'une part, son expérience ne suffit pas à établir que son offre répondait nécessairement aux besoin de marché ce qui révélerait une dénaturation globale de son offre ou une discrimination à son encontre, d'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que Paris Habitat ait altéré les termes des offres de la société Perrin, à laquelle elle ne reproche que d'avoir fourni un mémoire technique trop général et donc insuffisamment précis et spécifique au regard des besoins du marché. Il s'ensuit que le moyen tiré de la dénaturation des offres doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'irrégularité de la méthode de notation :
6. L'acheteur public définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les éléments d'appréciation d'un critère que l'acheteur public a choisi de porter à la connaissance des candidats dans les documents de consultation sont, en tout ou partie, différents de ceux sur lesquels il juge ce critère ou encore si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.
7. Il ne résulte d'aucun texte ni aucun principe que le pouvoir adjudicateur ne pourrait pas fixer une note éliminatoire sous la seule réserve que ce mécanisme soit annoncé, qu'il ne soit pas discriminatoire et qu'il n'aboutisse pas à ce que l'offre la plus avantageuse économiquement ne soit pas choisie.
8. Il résulte de l'instruction que Paris Habitat a, pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres, défini une méthode de notation par paliers combinée à la fixation d'une note éliminatoire de 25/50. Pour chacun des trois lots, la société Perrin a obtenu la note de 3,75/15 pour le chapitre 1, correspondant à une appréciation insuffisante, la note de 6/8 pour le chapitre 2, correspondant à une appréciation satisfaisante, la note de 1,25/5 pour le chapitre 3, correspondant à une appréciation insuffisante, et enfin, la note de 2,75/11 pour les chapitre 4 et 5, correspondant à une appréciation insuffisante. La société Perrin ayant obtenu la note globale de 16,50/50 pour chacun des trois lots, soit une note technique inférieure à 25 points conformément à l'article 5.3 du règlement de la consultation, Paris Habitat a déclaré ses offres irrégulières. Si la société requérante soutient que la méthode de notation utilisée par Paris Habitat est irrégulière dès lors qu'elle conduirait à rejeter à tort, et donc de façon discriminatoire, des offres comme ne correspondant pas aux besoins du marché, l'objet d'une telle méthode est, précisément, d'éliminer les offres non conformes sans procéder alors à leur classement. Par ailleurs il n'apparaît pas que la note éliminatoire inférieure à 25 points, soit en-dessous de la moyenne, soit trop sévère ni que la notation par palier serait trop réductrice des écarts de points et fausserait l'application de la note éliminatoire. Il s'ensuit que la société Perrin n'est pas fondée à soutenir que la méthode de notation méconnaîtrait les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la méthode de notation doit être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société Perrin à fin d'annulation de la procédure de passation et du rejet de ses offres doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Paris Habitat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Perrin demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante le versement à Paris Habitat de la somme qu'elle demande sur le fondement du même article.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société Perrin est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Paris Habitat tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Perrin, à Paris Habitat, à la société Proxiserve et à la société Iserba.
Fait à Paris, le 5 janvier 2024.
Le juge des référés,
L. GROS
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.