CJUE, 26 mars 1998, 1612/68

Conclusion

Synthèse

  • Juridiction : CJUE
  • Numéro de pourvoi :
    1612/68
  • Date de dépôt : 24 janvier 1997
  • Titre : Manquement - Article 48 du traité CE - Prestations de chômage - Attribution de points de retraite complémentaire - Conditions de licenciement - Article 7 du règlement (CEE) nº 1612/68 - Travailleurs frontaliers.
  • Nature : Conclusions de l'avocat général
  • Identifiant européen :
    ECLI:EU:C:1998:141
  • Lien EUR-Lex :https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61997CC0035
  • Lien origine :Origine de la conclusion
  • Rapporteur : Edward
  • Avocat général : Alber
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Résumé

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Texte intégral

Avis juridique important | 61997C0035 Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 26 mars 1998. - Commission des Communautés européennes contre République française. - Manquement - Article 48 du traité CE - Prestations de chômage - Attribution de points de retraite complémentaire - Conditions de licenciement - Article 7 du règlement (CEE) nº 1612/68 - Travailleurs frontaliers. - Affaire C-35/97. Recueil de jurisprudence 1998 page I-05325 Conclusions de l'avocat général A - Introduction 1 Le présent recours en manquement porte sur le régime spécial de retraite des travailleurs frontaliers vivant en Belgique, qui étaient employés dans l'industrie sidérurgique française lorsque leur activité professionnelle a pris fin en raison des licenciements massifs qui ont suivi la crise sidérurgique de 1976, selon des conditions de licenciement convenues par la négociation collective. 2 Les partenaires sociaux ont ainsi conclu la convention générale de protection sociale pour le personnel des sociétés sidérurgiques de l'Est et du Nord concernées par les restructurations, du 24 juillet 1979 (ci-après la «CGPS»). Celle-ci accorde aux travailleurs mis à la retraite anticipée des points de retraite complémentaire dans le cadre du régime général de retraite complémentaire, jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge normal de la retraite (1). Les travailleurs frontaliers vivant en Belgique sont exclus du bénéfice des points gratuits de retraite complémentaire (2). Cette catégorie de personnes fait l'objet de dispositions particulières qui figurent à l'annexe VI de la CGPS. L'article 4 de cette annexe porte sur les garanties sociales. Il se réfère à presque toutes les garanties sociales négociées pour les travailleurs licenciés et énumérées à l'article 27 de la CGPS. Mais, outre qu'il ne reprend pas l'article 27, paragraphe 5, qui prévoit des conditions particulières pour le logement, il ne reprend pas l'article 27, paragraphe 2, point 2.1, relatif aux points (gratuits) de retraite complémentaire litigieux dans le régime général de retraite complémentaire. 3 Cette situation particulière aboutit à ce que les travailleurs frontaliers établis en Belgique perçoivent, lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite, une pension de retraite inférieure à celle que perçoivent leurs collègues domiciliés en France. Des plaintes formées par les intéressés placés dans cette situation défavorable ont amené la Commission à introduire le présent recours en manquement. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour: 1) constater que la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du traité CE et de l'article 7 du règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (3), en excluant du bénéfice de l'attribution de points de retraite complémentaire les travailleurs frontaliers résidant en Belgique qui ont été placés en cessation d'activité anticipée; 2) condamner la République française aux dépens. La République française conclut à ce qu'il plaise à la Cour: 1) rejeter le recours; 2) condamner la requérante aux dépens. Il nous faudra revenir, dans le cadre de notre analyse, sur les arguments des parties. B - Arguments des parties 4 La Commission voit dans le fait que les travailleurs frontaliers établis en Belgique sont placés dans une situation défavorable au regard du régime français de retraite complémentaire une violation de l'article 48, paragraphe 2, du traité et de l'article 7 du règlement n_ 1612/68. Il s'agit selon elle d'une discrimination indirecte, puisque l'inégalité de traitement n'est pas liée à la nationalité, mais à la résidence, ce qui a en définitive des effets analogues. Formellement, le critère de rattachement réside dans le fait que les Assedic servent une prestation (4) pendant la période de chômage ou de préretraite. Les périodes où ces prestations sont servies donnent lieu à l'attribution de points de retraite complémentaire. Puisque les travailleurs établis en Belgique se trouvant au chômage ou en préretraite relèvent du régime belge - et perçoivent donc des prestations de chômage en Belgique -, ils ne peuvent pas répondre à ce critère. 5 Bien que l'inégalité de traitement découle d'un plan social négocié par les partenaires sociaux, la Commission estime que l'État français en porte néanmoins la responsabilité juridique. C'est lui qui est responsable de la mise en application du volet financier des accords. 6 Le régime général de retraite complémentaire repose lui aussi sur un accord collectif entre les partenaires sociaux. Il n'en constitue pas moins un régime obligatoire. Les accords ont été approuvés par l'État français et la loi du 29 décembre 1972 (5) leur a conféré un caractère obligatoire général. 7 La Commission admet que la gestion du système est, certes, essentiellement assurée par les partenaires sociaux, le régime étant alimenté par des cotisations des employeurs et des salariés. Mais ce régime repose en dernier ressort sur les accords entre les partenaires sociaux et la puissance publique, l'État jouant un rôle actif pour garantir l'équilibre financier du régime complémentaire. 8 Le gouvernement français se réfère en premier lieu à la genèse de la CGPS et à ses objectifs. La convention a notamment pour but d'assurer un revenu minimum (ressource garantie) (6) à tous les travailleurs licenciés, y compris les travailleurs frontaliers. La ressource garantie se compose de plusieurs éléments. Il s'agit d'abord des allocations de chômage prévues par le régime légal d'assurances sociales, qui sont portées à un niveau donné par un complément financé par l'État (7). 9 L'annexe VI de la CGPS renvoie d'abord les travailleurs frontaliers résidant en Belgique aux allocations du régime belge (8), également complétées par des allocations complémentaires financées par l'État français (9). 10 Le gouvernement français fait valoir que la situation particulière des travailleurs frontaliers établis en Belgique repose, d'une part, sur l'article 71 du règlement (CEE) n_ 1408/71 (10), qui renvoie les travailleurs frontaliers, en ce qui concerne les allocations de chômage, au régime de l'État membre dans lequel ils résident. Il souligne qu'il a, d'autre part, été convenu, lors de la négociation avec les autorités belges compétentes, que les travailleurs établis en Belgique mis en régime de préretraite pourraient bénéficier des allocations prévues par le régime belge de prépension. Selon lui, les intéressés n'ont plus le statut communautaire de travailleur, puisqu'ils perçoivent des prestations de chômage. 11 Globalement, le gouvernement français fait valoir que le régime de retraite complémentaire ne relève pas du règlement n_ 1408/71. En outre, à l'époque où la convention a été conclue, le droit communautaire ne prévoyait pas la validation et la prise en considération des périodes de chômage complet dans le cadre de l'assurance vieillesse (11). 12 L'attribution de points «gratuits» pour l'assurance retraite complémentaire n'est, selon lui, que la contrepartie de la participation de l'Unedic (12) au financement des allocations de chômage. Dès lors que les prestations de chômage n'ont pas été effectivement servies au titre du régime de l'Unedic, la situation n'est pas non plus comparable du point de vue de la validation des périodes. En outre, il n'est pas possible d'imposer au régime complémentaire des charges non compensées par une contre-prestation, sous peine de compromettre l'équilibre financier de l'ensemble du système. Le fait de lui imposer des charges imprévues doit être considéré comme une violation du principe de la confiance légitime. 13 Le gouvernement français a proposé à l'audience que, s'il devait être condamné, les effets de l'arrêt soient limités dans le temps à la période à venir. C - Analyse 14 Avant de devoir examiner l'application des dispositions pertinentes du règlement n_ 1612/68, il convient de rechercher si l'affaire ne relève pas du règlement n_ 1408/71. L'article 42, paragraphe 2, du règlement n_ 1612/68 établit en effet une certaine primauté du règlement n_ 1408/71, puisqu'il dispose: «le présent règlement ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l'article 51 du traité». La jurisprudence de la Cour (13) admet elle aussi une relative primauté du règlement n_ 1408/71. 15 La Commission ne se fonde délibérément pas sur le règlement n_ 1408/71 et invoque le principe de la non-discrimination à l'égard des travailleurs consacré par le règlement n_ 1612/68 et par le traité. Le gouvernement français soutient également expressément que les conventions conclues à l'issue d'une négociation collective ne relèvent pas du domaine matériel d'application du règlement n_ 1408/71. 16 L'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71 définit le champ d'application matériel du règlement de la manière suivante: «Le présent règlement s'applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent: a) ... b) ... c) les prestations de vieillesse; d) ... e) ... f) ... g) les prestations de chômage; h) ...». 17 En vertu d'une jurisprudence constante, «une prestation peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale dans la mesure où la prestation en cause est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d'une situation légalement définie, et où elle se rapporte à un des risques énumérés expressément à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 1408/71» (14). 18 Il est manifeste que la validation des points gratuits de retraite complémentaire repose, non pas sur la loi, mais sur une convention collective. De ce point de vue, le critère établi à l'article 4 du règlement n_ 1408/71, fondé sur les «législations relatives aux branches de sécurité sociale» ou sur une «situation légalement définie» (15), selon la formulation de la jurisprudence de la Cour, n'est pas satisfait. 19 Il est d'autre part douteux que la validation litigieuse de périodes de chômage concerne l'un des «risques énumérés expressément». Il ne s'agit en effet pas à proprement parler d'une prestation de chômage au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous g), du règlement n_ 1408/71. La jurisprudence a défini clairement celle-ci comme une prestation destinée à remplacer le salaire perdu en raison du chômage et à subvenir à l'entretien du travailleur en état de chômage (16). Ces conditions ne sont pas remplies. 20 Mais il est tout aussi douteux qu'il s'agisse d'une prestation de vieillesse au sens de l'article 4, paragraphe 1, sous c), du règlement n_ 1408/71, car les dispositions litigieuses ne donnent pas directement lieu à une prestation de retraite. Il s'agit simplement de prendre en considération certaines périodes qui ont ultérieurement pour effet d'augmenter la prestation. Le règlement n_ 1408/71 ne comportait, à l'époque où la convention collective a été conclue, aucune disposition matérielle pour ce mode de prise en considération des périodes de chômage complet - indépendamment du fait qu'il ne s'agit en tout état de cause ici que d'une disposition prévue par convention collective. Ce n'est qu'avec le règlement n_ 2195/91 (17) que les dispositions suivantes ont été ajoutées à l'article 45 du règlement n_ 1408/71: «Une période de chômage complet au cours de laquelle le travailleur salarié bénéficie de prestations selon l'article 71, paragraphe 1, point a), iii), ou point b), ii), première phrase, est prise en considération par l'institution compétente de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur réside, conformément à la législation qu'applique cette institution, comme s'il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi. Si la période de chômage complet accomplie dans le pays de résidence de l'intéressé ne peut être prise en considération que si des périodes de cotisation ont été accomplies dans ce même pays, la condition est censée être remplie si les périodes de cotisation ont été accomplies dans un autre État membre.» 21 En conclusion, la formule de validation en cause ne relève donc pas du domaine matériel d'application du règlement n_ 1408/71. 22 Le gouvernement français crée cependant un malentendu lorsqu'il avance que la formule adoptée dans la CGPS en matière de régime de préretraite découle directement de l'article 71 du règlement n_ 1408/71. Celui-ci dispose en réalité: «1. Le travailleur salarié en chômage qui, au cours de son dernier emploi, résidait sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent bénéficie des prestations selon les dispositions suivantes: a) i) ... ii) Le travailleur frontalier qui est en chômage complet bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside, comme s'il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi; ces prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et à sa charge.» 23 Il convient à cet égard de tenir compte de deux éléments. D'une part, nous ne nous trouvons pas ici - on l'a dit précédemment - dans le domaine d'application du règlement n_ 1408/71, puisqu'il est question de la formule de validation convenue par convention collective, et non pas de prestations de chômage du régime légal. D'autre part, ainsi que le gouvernement français l'a exposé, il a fallu engager des négociations avec les autorités belges, même en ce qui concerne les prestations de chômage, pour ouvrir aux travailleurs frontaliers touchés par le licenciement collectif l'accès au régime de préretraite prévu par le système belge. Il ne s'agit donc en tout état de cause pas seulement, ou même pas du tout, des prestations de chômage du régime général. 24 La question se pose maintenant de savoir si la disposition litigieuse en matière de validation constitue une discrimination interdite par le droit communautaire au sens de l'article 48, paragraphe 2, du traité et de l'article 7 du règlement n_ 1612/68. L'article 48, paragraphe 2, du traité dispose: «Elle [la libre circulation des travailleurs] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.» L'article 7 du règlement n_ 1612/68 dispose, pour ce qui nous intéresse ici: «1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage. 2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. 3. ... 4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autres réglementations collectives portant sur l'accès à l'emploi, l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres.» 25 En ce qui concerne l'applicabilité du règlement n_ 1612/68, il convient d'élucider au préalable plusieurs questions. Dans la mesure où on a soulevé des objections contre son application aux travailleurs frontaliers, on renverra à l'arrêt Meints (18). La même question avait été posée dans cette affaire. La Cour n'a pas vu dans le fait qu'un travailleur avait cette qualité de frontalier un obstacle à l'application du règlement, et elle a renvoyé explicitement à cet égard au quatrième considérant du règlement, qui dispose: «ce droit [à la libre circulation] doit être reconnu indifféremment aux travailleurs `permanents', saisonniers, frontaliers ou qui exercent leur activité à l'occasion d'une prestation de services», et à l'article 7 du règlement qui se réfère, sans restriction, au «travailleur ressortissant d'un État membre» (19). 26 Le gouvernement français a en outre laissé entendre que le recours au règlement n_ 1612/68 est exclu parce que les intéressés ont quitté la vie professionnelle active et qu'ils n'ont donc plus le statut de travailleur. 27 Cette réflexion ne semble pas pertinente puisque les avantages en cause sont manifestement liés à la qualité de travailleur engagé dans un rapport de travail concret. La Cour a de surcroît explicitement admis «que certains droits liés à la qualité de travailleur sont garantis aux travailleurs migrants même si ceux-ci ne se trouvent plus engagés dans un rapport de travail» (20). 28 L'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68 stipule expressément que l'égalité de traitement s'applique aux conditions de licenciement. Or la CGPS n'est rien d'autre qu'une convention collective comportant les conditions négociées d'un licenciement collectif. Les travailleurs se trouvent au demeurant tous placés à cet égard dans une situation analogue. Ils sont les salariés du même employeur, qui prononce à l'égard de quelque 21 000 salariés simultanément une décision de licenciement économique. 29 Si l'on considère que le système de validation de ces points «gratuits» dans le régime général de retraite complémentaire prévu dans la CGPS fait partie des conditions de licenciement au sens de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68, la question de savoir s'ils constituent un «avantage social» au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n_ 1612/68 ne présente plus d'intérêt. Ce n'est que pour le cas où il existerait des doutes sur la question de savoir si l'avantage en cause relève des conditions de licenciement qu'il convient de mentionner qu'il répond aussi aux critères de l'«avantage social» au sens de cette disposition. Ces avantages sont définis, selon une jurisprudence constante, comme tous ceux qui, liés ou non à un contrat d'emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison principalement de leur qualité objective de travailleur ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l'extension aux travailleurs ressortissants d'autres États membres apparaît dès lors comme apte à faciliter leur mobilité à l'intérieur de la Communauté (21). 30 Puisque la disposition litigieuse - comme du reste l'ensemble de la CGPS - est liée à des rapports de travail existants, il existe un lien insoluble avec la qualité objective de travailleur des intéressés. Une disposition qui fonde ou renforce la sécurité juridique des travailleurs est en soi apte à faciliter la mobilité des travailleurs. 31 Le problème de l'«exportation» abusive et non souhaitable de prestations sociales ne se pose que si, quittant le domaine d'application de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68, on s'appuie, à l'encontre du point de vue que nous avons jusqu'à présent soutenu, sur son article 7, paragraphe 2. Mais, même si la disposition litigieuse en matière de validation devait être considérée comme un avantage social, il n'y a pas lieu de craindre une «exportation de prestations sociales» injustifiée, puisque le rattachement, par définition, à la qualité objective de travailleur implique qu'il existe un lien suffisamment étroit avec un rapport de travail concret. Au demeurant, la Cour a expressément jugé dans son arrêt Meints (22): «un État membre ne saurait subordonner l'octroi d'un avantage social, au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n_ 1612/68, à la condition que les bénéficiaires de l'avantage aient leur résidence sur le territoire national de cet État». 32 Pour la suite de l'analyse, on admettra que la validation de points «gratuits» dans le régime général de retraite complémentaire admise par la CGPS est une condition de licenciement au sens de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68. 33 Toutes les inégalités de traitement liées à la nationalité des travailleurs sont donc interdites. L'inégalité de traitement en cause n'est, certes, pas explicitement liée à la nationalité. Mais, selon une jurisprudence constante (23), toutes les discriminations qui aboutissent indirectement au même résultat sont interdites. Le recours au lieu de résidence comme critère de distinction est de nature à entraîner une discrimination indirecte fondée sur la nationalité si, de manière significative, les ressortissants d'un État membre répondent plus fréquemment à ce critère que ceux de l'État qui a pris la disposition en cause. 34 Il faut admettre que les travailleurs frontaliers établis en Belgique n'ont très vraisemblablement pas la nationalité française, mais sont des ressortissants belges. L'argument avancé par le gouvernement français, selon lequel le lieu de résidence est un critère de distinction objectivement justifié, puisque les frontaliers établis en France qui occupent un emploi dans d'autres États membres sont susceptibles de bénéficier de l'avantage litigieux, ne saurait être retenu, car on peut supposer que les travailleurs frontaliers établis en France sont en règle générale des ressortissants français. 35 Le gouvernement français soutient, certes, ensuite que c'est le service des prestations par les Assedic qui est décisif, et non pas la résidence, mais cela ne fait que voiler les faits déterminants. La CGPS ne stipule précisément pas que le droit au versement d'une allocation par l'assurance chômage française est une condition de l'attribution des points «gratuits». L'article 27, paragraphe 2, point 2.1, précise simplement que des points de retraite complémentaire gratuits sont attribués aux intéressés jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de la retraite, conformément aux dispositions applicables aux caisses de retraite complémentaire (24). On peut penser que les règlements dont il s'agit se réfèrent au versement de prestations par les Assedic, ce qui suppose de nouveau que la résidence est située en France. On ne saurait admettre un tel détour par la perception antérieure d'une allocation de chômage pour obtenir un avantage, alors qu'il se présente en définitive comme une distinction en fonction de la résidence et qu'il ne se justifie pas objectivement par d'autres motifs; la jurisprudence de la Cour l'a expressément confirmé, au plus tard dans son arrêt Meints (25). 36 Mais il n'est même pas nécessaire ici d'emprunter ce détour, puisque c'est la CGPS qui opère directement la distinction en fonction de la résidence. L'inégalité de traitement résulte de la CGPS - et non pas, par exemple, des dispositions applicables du droit - notamment du fait que son annexe VI établit expressément des règles particulières pour les travailleurs frontaliers établis en Belgique, les excluant de l'avantage négocié pour les travailleurs établis en France en ce qui concerne la retraite complémentaire. 37 Poursuivant l'exposé de ses arguments de fond, le gouvernement français invoque la question du financement de l'avantage. Tout d'abord, il semble bien acquis que les points supplémentaires validés dans l'assurance complémentaire pour les périodes de chômage ou de préretraite sont attribués gratuitement, c'est-à-dire sans contrepartie. Dans la CGPS, il est expressément question de «points gratuits». 38 Le gouvernement français évoque l'interdépendance des régimes. L'assurance chômage aurait conclu des accords avec le régime général de retraite complémentaire (ARRCO et AGIRC). Il ressort des déclarations effectuées par le gouvernement français à l'audience qu'une retenue sur l'assurance chômage est transférée aux régimes de retraite complémentaire. Mais cette circonstance ne saurait justifier l'inégalité de traitement. Même si un certain pourcentage de l'allocation de soutien est transféré, il ne représente néanmoins jamais qu'une partie des revenus des travailleurs visés par la CGPS. Lorsque la ressource garantie fixée par la convention (26) n'est pas atteinte avec les prestations des organismes publics de sécurité sociale, l'État verse dans tous les cas un complément. Cela vaut aussi bien pour les allocataires établis en France que pour ceux qui sont établis en Belgique (27). L'obligation, pour l'État, d'intervenir pour verser un revenu et des prestations de substitution du revenu aux intéressés est donc inhérente au système. Même si l'organisme français d'assurance chômage devait transférer des sommes aux régimes généraux de retraite complémentaire, ce critère ne suffit pas à lui seul à justifier l'inégalité de traitement. 39 Il reste à voir quelle technique juridique permettrait d'assurer l'égalité de traitement. L'inégalité de traitement critiquée repose sur un accord issu d'une négociation collective. L'article 7, paragraphe 4, du règlement n_ 1612/68 stipule directement la nullité des conditions discriminatoires, sous quelque forme que ce soit, figurant dans les conventions de droit du travail. L'inégalité de traitement découle dans le cas d'espèce d'une abstention. Les régimes généraux de retraite complémentaire ne sont pas mentionnés dans l'énumération récapitulative des garanties sociales à l'annexe VI de la CGPS. L'annulation ne saurait donc constituer une conséquence juridique utile. 40 Mais, selon une jurisprudence constante (28), en cas d'inégalité de traitement contraire au droit communautaire, l'accès à l'avantage recherché doit être accordé dans les mêmes conditions. Les travailleurs frontaliers établis en Belgique doivent donc bénéficier de l'avantage, l'article 27, paragraphe 2, point 1.2, de la CGPS leur étant appliqué par analogie. 41 Le gouvernement français fait enfin valoir que l'attribution de points «gratuits» aux travailleurs frontaliers établis en Belgique mettrait en péril l'équilibre financier du système. Il invoque le principe de la confiance légitime qui ferait obstacle à l'augmentation inattendue des charges des caisses générales de retraite complémentaire. 42 L'agent du gouvernement français a indiqué à l'audience que, sur 21 000 personnes concernées par la CGPS, 665 sont belges. Compte tenu du fait que, de 1977 à 1987, sept conventions analogues ont été négociées dans l'industrie sidérurgique, ce seraient au total 1 109 travailleurs belges de la sidérurgie qui seraient concernés. Il a évoqué diverses possibilités permettant d'assurer le financement de la retraite complémentaire pour ces personnes. On pourrait verser l'équivalent des cotisations, puisqu'aucun versement de cotisation n'a été effectué. On pourrait aussi effectuer un apport en capital pour garantir le versement des retraites aux intéressés. Selon que le choix porte sur l'une ou l'autre de ces solutions, et selon qu'on ne prend en considération que les personnes concernées par la CGPS ou tous les anciens sidérurgistes relevant de conventions analogues, le coût de cette opération serait de 75, 115, 124 ou 192 millions de FF. 43 Cet argument consiste, certes, en une évaluation de conséquences éventuelles. Mais la prise en compte de possibles conséquences économiques a aussi sa place dans le cadre de l'appréciation juridique. Il n'est pas contestable que, dans l'hypothèse où la République française serait condamnée, les régimes généraux de retraite complémentaire supporteraient le cas échéant des obligations de service de prestations imprévues. A cet égard, on ne saurait toutefois omettre - comme la Commission l'a relevé à juste titre - que l'affectation des travailleurs frontaliers établis en Belgique au régime belge d'assurances sociales, obtenue par la voie de la négociation, représente déjà un allégement significatif pour les régimes français. 44 Le recours à des transferts de ressources opérés par l'État français ne serait au demeurant pas contraire à la logique du système, puisque les régimes obligatoires de retraite complémentaire ne sont pas exclusivement financés par des cotisations. Dans la mesure où il existe pour l'État une obligation d'intervenir dans le fonctionnement de ces régimes, le financement de prestations non prévues, mais dues pour des motifs juridiques, doit être assuré. 45 Du point de vue de la prévisibilité des prestations dues et de la protection d'une confiance éventuellement fondée, il convient de considérer que l'État compétent (29) est en règle générale, dans le droit de la sécurité sociale, l'État où l'emploi est exercé. Cela vaut également pour les prestations de vieillesse sous la forme de pensions de retraite. Cela vaut a priori aussi pour les régimes obligatoires de retraite complémentaire, même s'ils ne relèvent pas du règlement n_ 1408/71. Les travailleurs frontaliers établis en Belgique ont du reste effectivement droit à une retraite des régimes généraux de retraite complémentaire, en fonction de leurs périodes d'emploi. Le présent litige ne porte que sur les périodes de «carence» qui doivent être prises en considération au surplus. 46 Même s'il est convenu avec les autorités compétentes d'accorder une prestation à une certaine catégorie de travailleurs pour la période se situant entre le congédiement anticipé pour raison économique et l'âge normal de la retraite, cela n'équivaut pas à une renonciation totale à la compétence d'origine. La Commission a évoqué à cet égard à l'audience la proposition de règlement portant coordination des prestations de préretraite, qui est fondée sur le principe de la compétence de l'État membre du dernier emploi (30). Même l'«exportation» d'éventuelles prestations de retraite serait conforme au système fondé sur l'article 51 du traité, puisqu'il s'agit de prestations relatives à des périodes à prendre en considération dans le chef de l'affilié. Il semble donc que la confiance éventuellement fondée sur la CGPS, selon laquelle certaines périodes n'auraient pas à être prises en considération, de sorte que les prestations de l'assurance retraite complémentaire n'augmenteraient pas, n'est pas légitime. 47 La proposition du gouvernement français tendant, en cas de condamnation, à limiter les effets de l'arrêt dans le temps est compréhensible compte tenu des charges financières prévisibles, mais elle aboutirait à vider une éventuelle condamnation de toute sa substance. La conclusion de la CGPS est un fait achevé, passé. Le cercle des personnes concernées est donc défini de manière exhaustive. Un arrêt qui n'aurait d'effet que pour l'avenir ne serait d'aucune utilité aux personnes concernées, puisqu'il s'agit de tenir compte de périodes de chômage ou de préretraite qui, à l'heure actuelle, appartiennent en règle générale au passé. Les travailleurs qui étaient âgés en 1979 de 55 ans et plus ont atteint dans l'intervalle l'âge légal de la retraite auquel, par définition, les pensions de retraite, y compris les retraites complémentaires, commencent à être versées. 48 Même si les six conventions analogues de l'époque, que le gouvernement français a évoquées en raison des charges financières qu'elles entraîneraient, ne font pas l'objet de la présente affaire, le même principe s'applique dans leur cas. La limitation des effets de l'arrêt dans le temps aboutirait à la négation de l'égalité de traitement exigée. Dépens En vertu de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Puisque, selon la solution que nous proposons, la défenderesse succomberait, elle devrait supporter les dépens. D - Conclusion En conclusion de l'analyse qui précède, nous suggérons à la Cour de statuer comme suit: «1) La République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du traité CE et de l'article 7 du règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté, en excluant de l'attribution de points de retraite complémentaire les travailleurs frontaliers résidant en Belgique mis en cessation anticipée d'activité. 2) La République française est condamnée aux dépens.» (1) - Article 27, paragraphe 2, point 2.1, de la CGPS. (2) - Au sens de l'article 27, paragraphe 2, point 2.1, de la CGPS. (3) - JO L 257, p. 2. (4) - Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce. (5) - Article L.731-5 du code de la sécurité sociale. (6) - Article 23 de la CGPS et article 2, point 1.2, troisième alinéa, de l'annexe VI de la CGPS. (7) - Article 21 de la CGPS. (8) - Article 2, point 1.1, de l'annexe VI. (9) - Articles 2, point 1.2, et 3 de l'annexe VI. (10) - Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (version consolidée publiée au JO 1992, C 325, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n_ 1290/97 du Conseil, du 27 juin 1997 (JO L 176, p. 1). (11) - La situation a changé dans l'intervalle, avec l'introduction, par le règlement (CEE) n_ 2195/91 du Conseil, du 25 juin 1991, modifiant le règlement n_ 1408/71, et le règlement (CEE) n_ 574/72 fixant les modalités d'application du règlement n_ 1408/71 (JO L 206, p. 2), de l'article 45, paragraphe 6, du règlement n_ 1408/71. (12) - Cette organisation coiffe l'ensemble des Assedic, qui sont chargées du versement des prestations de chômage. (13) - Arrêt du 27 mars 1985, Scrivner (122/84, Rec. p. 1027, point 16). (14) - Arrêt du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C-111/91, Rec. p. I-817, point 29, avec renvois); c'est nous qui soulignons. (15) - Par exemple dans l'arrêt Commission/Luxembourg, précité (note 14). (16) - Arrêts du 27 novembre 1997, Meints (C-57/96, Rec. p. I-6689, point 27), et du 8 juillet 1992, Knoch (C-102/91, Rec. p. I-4341, point 44). (17) - Règlement précité (note 11). (18) - Arrêt précité (note 16). (19) - Arrêt précité (note 16), point 50. (20) - Arrêt du 21 juin 1988, Lair (39/86, Rec. p. 3161, point 36). (21) - Arrêts du 14 janvier 1982, Reina (65/81, Rec. p. 33, point 12); du 27 mars 1985, Hoeckx (249/83, Rec. p. 973, point 20); du 6 juin 1985, Frascogna (157/84, Rec. p. 1739, point 30); Lair, précité (note 20), point 21; du 27 mai 1993, Schmid (C-310/91, Rec. p. I-3011, point 18), et Meints, précité (note 16), point 39. (22) - Arrêt précité (note 16), point 3 du dispositif. (23) - Arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11), et du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779, point 13). (24) - Le point 2.1, intitulé «Régimes généraux de retraite complémentaire», est ainsi libellé: «l'attribution aux intéressés de points gratuits de retraite complémentaire jusqu'à l'âge de départ en retraite normale s'opère conformément au règlement en vigueur dans les caisses de retraite complémentaire dont ils relèvent». (25) - Arrêt précité (note 16), points 43 et suiv. (26) - Article 23 de la CGPS et article 2, point 1.2, troisième alinéa, de l'annexe VI. (27) - Article 21 de la CGPS pour les personnes établies en France et articles 2, point 1.2, et 3 de la CGPS pour les personnes établies en Belgique. (28) - Voir, par exemple, l'arrêt Reina, précité (note 21), point 18. (29) - Voir, dans le cadre du règlement n_ 1408/71, son article 1er, sous q), qui renvoie à l'«institution compétente» visée à l'article 1er, sous o). (30) - Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant, en faveur des titulaires de prestations de préretraite, le règlement n_ 1408/71 et le règlement n_ 574/72 (JO 1996, C 62, p. 14), article 71 ter, paragraphe 2, sous a).

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