Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 30 juin 2022, 21-12.100

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2022-06-30
Cour d'appel de Chambéry
2020-12-15

Texte intégral

CIV. 2 CM COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 30 juin 2022 Rejet M. PIREYRE, président Arrêt n° 729 F-D Pourvoi n° M 21-12.100 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 JUIN 2022 La société Alpes TP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 21-12.100 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à la société RTP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation. La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Alpes TP, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société RTP, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 15 décembre 2020), soupçonnant des faits de concurrence déloyale, la société RTP a obtenu d'un juge d'un tribunal de commerce, par ordonnance sur requête du 24 juin 2019, une mesure d'instruction confiée à un huissier de justice, aux fins de recueillir des informations et documents au siège de la société Alpes TP. 2. Par décision du 27 décembre 2019, saisi par la société Alpes TP aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête, un juge des référés a rejeté la demande. 3. La société Alpes TP a relevé appel de cette ordonnance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014

, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

, pris en ses deuxième, troisième, cinquième et sixièmes branches

Enoncé du moyen

5. La société Alpes TP fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 17 [en réalité 27] décembre 2019, en ce qu'elle avait rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 24 juin 2019, alors : « 2°/ qu'une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure d'instruction ordonnée sur requête était proportionnée, alors qu'elle ne comportait aucune limite de temps, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 3°/ qu'une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure d'instruction ordonnée sur requête était proportionnée, motif pris de ce qu'elle n'allait pas jusqu'à constituer une investigation générale sur la politique commerciale de l'entreprise Alpes TP, quand il n'en résultait pas que la mesure ordonnée était limitée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ; 5°/ que toute mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure en cause ne pouvait porter une atteinte disproportionnée à la vie privée des époux [O], dès lors qu'ils avaient fait le choix d'utiliser du matériel personnel à des fins professionnelles, sans rechercher si une telle atteinte à leur vie privée était nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 6°/ que toute mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure en cause ne pouvait porter une atteinte disproportionnée à la vie privée des époux [O], motif pris de ce qu'une recherche par mots clés avait été ordonnée, sans rechercher si une telle investigation par mots clés (37 !) était nécessaire, au regard du droit au respect de la vie privée des époux [O], la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile.»

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé. 7. Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. 8. Ayant relevé que même si l'huissier instrumentaire s'est vu autoriser l'accès à tous les supports informatiques, par l'usage de mots clés, les investigations n'étaient pas de nature à permettre des recherches sur la politique commerciale globale de la société Alpes TP, que le juge a pris soin d'éviter que soient communiqués les documents saisis à la société RTP, et qu'il ne peut y avoir d' atteinte disproportionnée à la vie privée des époux [O], dès lors que la recherche d'éléments sur leurs appareils est limitée du fait de l'usage de mots clés, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Alpes TP aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Alpes TP et la condamne à payer à la société RTP la somme de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt-deux

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société Alpes TP PREMIER MOYEN DE CASSATION la société Alpes TP FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 17 décembre 2019 entreprise, en ce qu'elle avait rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 24 juin 2019 ; 1°) ALORS QUE si l'ordonnance rendue sur requête peut être motivée, s'agissant notamment de la nécessité de procéder non-contradictoirement, par renvoi à la requête, encore faut-il que celle-ci ait justifié des circonstances concrètes mises en relation et entraînant la nécessité de déroger au principe de la contradiction ; qu'en ayant fait « parler » la requête qui se bornait à viser, sur la nécessité de procéder non-contradictoirement, les « usages malhonnêtes » de M. [O], sans autre précision et sans les relier concrètement à la nécessité, également mentionnée, d'agir par surprise, pour en déduire que la société RTP justifiait bien de la nécessité de procéder non contradictoirement, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 495 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent motiver leur décision par voie d'affirmation générale ; qu'en ayant jugé que la société RTP justifiait bien de la nécessité de procéder non contradictoirement, en appuyant sa décision sur l'affirmation générale selon laquelle « en matière de concurrence, l'obtention des preuves d'un comportement anormal nécessite l'effet de surprise » (arrêt, p. 5 § 8), la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ; 3°) ALORS QUE l'ordonnance sur requête doit justifier de la nécessité, pour le requérant, de procéder non contradictoirement ; qu'en ayant, à la suite du premier juge, retenu la nécessité, pour la société RTP, de procéder non contradictoirement, en s'appuyant sur le « caractère hautement volatile » des données informatiques, ce qui ne caractérisait aucune circonstance concrète, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 495 du code de procédure civile. DEUXIEME MOYEN DE CASSATION la société Alpes TP FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 17 décembre 2019 entreprise, en ce qu'elle avait rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 24 juin 2019 ; 1°) ALORS QUE les simples faits qu'un salarié ait créé une société concurrente en engageant des salariés de son ancien employeur, non liés par une clause de non-concurrence, et soit intervenu dans des chantiers dont il aurait pu avoir connaissance avant son départ, n'est pas de nature à caractériser des indices suffisants de concurrence déloyale ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accorder une mesure d'instruction in futurum, sur la foi d'indices postérieurs à la requête ; qu'en ayant jugé que des indices suffisants de concurrence déloyale étaient caractérisés, en s'appuyant sur un procès-verbal de constat du 22 mai 2020, postérieur à la requête, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. TROISIEME MOYEN DE CASSATION la société Alpes TP FAIT GRIEF A l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 17 décembre 2019 entreprise, en ce qu'elle avait rejeté sa demande de rétractation de l'ordonnance du 24 juin 2019 ; 1°) ALORS QU' une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure d'instruction ordonnée sur requête était proportionnée, quand cette mesure permettait d'extraire toutes les données afférentes à pas moins de 37 mots clés (dont certains étaient génériques) se trouvant sur tous les supports informatiques de la société FTGE, y compris les ordinateurs personnels de trois anciens salariés, ainsi que sur les smartphones personnels ou professionnels de M. et Mme [O], la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 2°) ALORS QU' une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure d'instruction ordonnée sur requête était proportionnée, alors qu'elle ne comportait aucune limite de temps, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 3°) ALORS QU' une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure d'instruction ordonnée sur requête était proportionnée, motif pris de ce qu'elle n'allait pas jusqu'à constituer une investigation générale sur la politique commerciale de l'entreprise Alpes TP, quand il n'en résultait pas que la mesure ordonnée était limitée, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ; 4°) ALORS QU' une mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé proportionnée la mesure d'instruction litigieuse, en s'appuyant sur le fait que l'huissier ne pouvait pas communiquer les documents saisis au requérant sans débat au fond, ce qui n'était pas de nature à rendre proportionnée une mesure d'instruction qui, dès l'abord, ne l'était pas, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 5°) ALORS QUE toute mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure en cause ne pouvait porter une atteinte disproportionnée à la vie privée des époux [O], dès lors qu'ils avaient fait le choix d'utiliser du matériel personnel à des fins professionnelles, sans rechercher si une telle atteinte à leur vie privée était nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ; 6°) ALORS QUE toute mesure d'instruction in futurum doit être proportionnée ; qu'en ayant jugé que la mesure en cause ne pouvait porter une atteinte disproportionnée à la vie privée des époux [O], motif pris de ce qu'une recherche par mots clés avait été ordonnée, sans rechercher si une telle investigation par mots clés (37 !) était nécessaire, au regard du droit au respect de la vie privée des époux [O], la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile.