TROISIÈME SECTION
AFFAIRE CAPOZZI c. ITALIE
(Requête no 3528/03)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
14 décembre 2010
DÉFINITIF
14/03/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Capozzi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Guido Raimondi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 3528/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Davide Capozzi (« le requérant »), en son nom et au nom de ses sœurs Adele et Luisa Capozzi, a saisi la Cour le 2 décembre 1998 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 3 août 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que de l'absence de toute disponibilité du terrain en question, combinée avec l'impossibilité de remédier à la situation incriminée, a engendré des conséquences assez graves pour que le requérant ait subi une expropriation de fait, incompatible avec son droit au respect de ses biens et non conforme au principe de prééminence du droit (Capozzi c. Italie, no 3528/03, § 33, 3 août 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, le requérant réclamait une somme correspondant à la valeur marchande actuelle du terrain plus une indemnité pour non-jouissance du terrain pendant l'occupation autorisée (environ 900 000 EUR), et une somme pour manque à gagner calculée sous forme du coût de construction des immeubles érigés. Le requérant sollicitait en outre une indemnité pour dommage moral et le remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 43, et point 3 du dispositif).
5. Le délai de trois mois est échu sans que les parties ne parviennent à un accord.
6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
8. Le requérant réclame la somme de 1 286 297,77 EUR correspondant à la valeur marchande actuelle du terrain plus une indemnité pour non-jouissance du terrain pendant l'occupation autorisée et le manque à gagner calculé sous forme du coût de construction des immeubles érigés.
9. Le Gouvernement s'y oppose et soutient que la satisfaction équitable ne doit pas correspondre au dédommagement intégral du préjudice subi. Par conséquent, il argue que la Cour ne doit accorder qu'une somme correspondant à la valeur du terrain litigieux au moment de l'occupation matérielle, déduction faite des sommes éventuellement perçues au niveau national. En outre, il conteste les calculs effectués par le requérant et observe que ses prétentions ne sont pas prouvées.
10. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
11. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
12. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
13. En l'espèce, le requérant a perdu la propriété de son terrain en 1982. Il ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale que la valeur du bien à cette date était de était 40 000 ITL le mètre carré (paragraphe 14 de l'arrêt au principal).
14. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder au requérant 330 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
15. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 8 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
16. A titre du préjudice moral, le requérant demande la somme de 300 000 EUR
17. Le Gouvernement s'y oppose et estime qu'aucune somme n'est due au titre du préjudice moral, puisque ce type de préjudice ne saurait découler de la violation de l'article 1 du Protocole no 1 mais uniquement de la violation du « délai raisonnable ».
18. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
19. Statuant en équité, la Cour accorde au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
20. Justificatifs à l'appui, le requérant demande le remboursement de 53 585, 53 EUR pour les frais encours dans la procédure devant la Cour, plus 34 805,51 EUR pour frais d'expertise.
21. Le Gouvernement s'y oppose et observe que les prétentions du requérant sont exorbitantes.
22. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
23. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 15 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
24. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes :
i. 338 000 EUR (trois cent trente-huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président