Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 juin 2021 et le 3 octobre 2022, M. C A, représenté par Me Jeudi, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 14 avril 2021 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire dirigé contre la décision du 30 novembre 2020 par laquelle le ministre des armées a rejeté sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité fondée sur l'aggravation de l'infirmité dont il est atteint ;
2°) de fixer le taux d'invalidité résultant de l'infirmité " arthrose acromio-claviculaire droite " à 20 % et de réviser sa pension militaire d'invalidité à compter du 18 novembre 2019, assortie des intérêts moratoires légaux ;
3°) et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'avis du 14 octobre 2020 du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité ne lui est pas opposable dès lors qu'il ne lui a pas été communiqué dans un délai lui permettant de défendre utilement ses intérêts ;
- ce même avis méconnaît l'article L. 125-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en ce qu'il ne porte pas sur l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à son état général ;
- la décision attaquée méconnaît L. 154-1 du code des pensions militaires et des victimes de guerre dès lors que le ministre des armées aurait dû fixer un taux d'aggravation par rapport à la précédente décision d'attribution de pension, et non par référence à la description de son état résultant de la précédente expertise réalisée le 13 avril 2005, et que l'administration a suivi l'avis du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité du 14 octobre 2020, sans examiner sa situation ;
- l'aggravation de l'infirmité dont il souffre est établie.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 mai 2022 et le 28 octobre 2022, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rousseau, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Duchesne, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jeudi, représentant M. A.
Considérant ce qui suit
:
1. M. C A, ancien militaire radié des cadres de l'armée de terre en 1994, s'est vu concéder, par un arrêté ministériel du 23 septembre 2019, une pension militaire d'invalidité définitive au taux de 85 % à compter du 1er août 2017 au titre de plusieurs infirmités résultant de " séquelles de traumatisme du genou gauche " (fixées à 30 % d'invalidité), de " séquelles de cervico-dorso-lombalgies " (fixées à 25 % d'invalidité), de " séquelles de fractures à la cheville gauche " (fixées à 15 % d'invalidité), d'un " syndrome subjectif des traumatisés crâniens " (fixé à 10 % d'invalidité) et de " séquelles d'arthrose acromio-claviculaire droite " (fixées à 10 % d'invalidité). Il a demandé, le 22 novembre 2019, la révision de sa pension au motif d'une aggravation de cette dernière infirmité. Par une décision du 30 novembre 2020, le ministre des armées a rejeté sa demande. Par une décision du 14 avril 2021, notifiée le 23 avril 2021, la commission de recours de l'invalidité a rejeté le recours de M. A, et a confirmé la décision du 30 novembre 2020. M. A demande au tribunal d'annuler la décision de la commission de recours de l'invalidité, et de réviser sa pension militaire d'invalidité à compter du 18 novembre 2019, en fixant le taux d'invalidité résultant de l'infirmité " arthrose acromio-claviculaire droite " à 20 %.
2. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.
Sur la régularité de la décision du 14 avril 2021 :
3. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 151-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l'examen des droits définis au présent livre sont communiqués sur leur demande aux services administratifs chargés de l'instruction des demandes de pension, de la liquidation et de la concession des pensions, dans des conditions de confidentialité et de respect du secret médical définies par décret en Conseil d'Etat. / Les pensionnés et les demandeurs de pension ont droit à obtenir communication des documents médicaux mentionnés au premier alinéa ainsi que des documents les concernant établis dans le cadre de l'examen de leurs droits à pension. ".
4. Il résulte de l'instruction qu'une circulaire n° 230125/DEF/DGA/DRH-MD/SPGRH/FM4 du 12 février 2010, relative à la constitution, à l'instruction et à la liquidation des dossiers de pension d'invalidité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, prévoit, à son article 1.2.2.1, que : " après achèvement de l'instruction médicale du dossier (), le médecin chargé des PMI () procède à l'examen des droits à pension de l'intéressé (). [Il] peut formuler un avis sur l'imputabilité au service de l'infirmité qui ne préjuge pas du résultat de l'étude juridique à effectuer par les services administratifs de la SDP et fait connaître s'il estime opportun que la commission consultative médicale soit saisie, dans les cas où cette saisine ne revêt pas un caractère obligatoire ". La fonction du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité se limite ainsi à l'édiction d'un avis purement consultatif sur les droits à pension du demandeur et sur l'opportunité de saisir la commission consultative médicale. Dans ces conditions, et alors même que les dispositions réglementaires du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ne prévoient pas l'intervention du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité, aucune circonstance ne fait obstacle à ce qu'il émette un avis dont le ministre des armées pourra ensuite tenir compte. En l'espèce, aucun texte n'interdisait donc au ministre des armées de solliciter, à titre consultatif, l'avis du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité, et de tenir compte de son avis émis le 14 octobre 2020 pour déterminer les droits à pension de l'intéressé.
5. En outre, il résulte de l'instruction que cet avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité n'a pas été mentionné explicitement dans la décision initiale du 30 novembre 2020, et a été transmis à la commission de recours de l'invalidité le 3 février 2021. M. A n'a donc été en mesure de connaître l'existence de cet avis qu'à compter de la notification de la décision de la commission, soit le 23 avril 2021. Toutefois, si les dispositions précitées de l'article
L. 151-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre confèrent aux titulaires de pensions militaires d'invalidité un droit à obtenir la communication des documents médicaux indispensables à l'instruction de leur demande, elles ne créent aucune obligation pour l'administration de les communiquer d'office, de sorte qu'il n'appartenait pas aux services du ministère des armées de communiquer l'avis médical du 14 octobre 2020 en dehors de toute demande formulée par l'intéressé. Au demeurant, ces dispositions n'interdisaient pas à M. A de demander la communication de l'intégralité des documents médicaux établis dans le cadre de l'examen de ses droits à pension, parmi lesquels figure ledit avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article
L. 151-5 précité doit être écarté.
6. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 711-15 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé sa décision prise sur le recours, qui se substitue à la décision contestée. Cette notification est effectuée par tout moyen lui conférant date certaine de réception. L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission () ".
7. Il résulte de ces dispositions que les décisions prises par la commission de recours d'invalidité sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge.
8. M. A ne saurait ainsi utilement faire valoir au soutien de sa requête dirigée contre la décision de la commission de recours de l'invalidité, que l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité émis le 14 octobre 2020 ne lui est pas opposable, notamment en ce qu'il n'a pas été explicitement mentionné dans la décision du ministre des armées du 30 novembre 2020, dès lors que cette circonstance ne constitue pas un vice de procédure susceptible d'affecter la régularité de la décision attaquée. Par conséquent, l'avis simplement consultatif rendu par le médecin chargé des pensions militaires d'invalidité, bien qu'il ne soit pas prévu par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et n'ait pas été mentionné dans la décision initiale, ni communiqué à M. A, lui est opposable. Par suite, le moyen doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article L. 125-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le taux d'invalidité reconnu à chaque infirmité examinée couvre l'ensemble des troubles fonctionnels et l'atteinte à l'état général. ".
10. Ces dispositions n'ont pas vocation à s'appliquer aux avis médicaux consultatifs rendus dans le cadre de l'examen des droits à révision d'une pension militaire d'invalidité mais seulement à la décision prise par l'administration sur la base de ces avis. Par suite, M. A ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 125-1 précité pour contester l'avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité en date du 14 octobre 2020.
Sur les droits à pension d'invalidité :
11. Aux termes de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Le titulaire d'une pension d'invalidité concédée à titre définitif peut en demander la révision en invoquant l'aggravation d'une ou plusieurs des infirmités en raison desquelles cette pension a été accordée. / Cette demande est recevable sans condition de délai. / La pension ayant fait l'objet de la demande est révisée lorsque le pourcentage d'invalidité résultant de l'infirmité ou de l'ensemble des infirmités est reconnu supérieur de 10 points par rapport au pourcentage antérieur. / Toutefois, l'aggravation ne peut être prise en considération que si le supplément d'invalidité est exclusivement imputable aux blessures et aux maladies constitutives des infirmités pour lesquelles la pension a été accordée. / La pension définitive révisée est concédée à titre définitif ".
12. Il résulte de ces dispositions que lorsque le titulaire d'une pension militaire d'invalidité pour infirmité sollicite sa révision du fait de l'aggravation de ses infirmités, l'évolution du degré d'invalidité s'apprécie à la date du dépôt de la demande de révision de la pension, comparativement à l'état de cette invalidité à la date de la dernière décision de concession en fixant le taux.
13. Si M. A soutient que le ministre des armées aurait dû fixer un taux d'aggravation par rapport à la précédente décision d'attribution de pension, et non par référence à la description de son état résultant de la précédente expertise réalisée le 13 avril 2005, il résulte de l'instruction que le taux d'invalidité pour l'infirmité " arthrose acromio-claviculaire droite " a été fixé pour la première fois à 10 % par un jugement du tribunal des pensions de Pau du 23 février 2006. Ce taux a ensuite été maintenu par l'arrêté du 23 septembre 2019 qui a révisé le taux d'invalidité total de M. A. Ce dernier arrêté a uniquement eu pour objet de réviser les taux d'invalidité relatifs aux infirmités " séquelles traumatiques du genou gauche " et " cervico-dorso-lombalgies ", sans examen de l'évolution de l'arthrose acromio-claviculaire du requérant, lequel a été jugé " acquis : définitif " dans la fiche descriptive des infirmités. C'est donc sans méconnaître les dispositions de l'article L. 154-1 du code des pensions militaires d'invalidités et des victimes de guerre que le ministre des armées a pris comme référence l'expertise du 13 avril 2005 dès lors que cette dernière fonde le jugement du 23 février 2006 qui a fixé le pourcentage d'invalidité antérieur. Par ailleurs, il ne résulte nullement de l'instruction que tant le ministre que la commission de recours de l'invalidité se seraient estimés en situation de compétence liée, de sorte que le requérant ne saurait soutenir que l'administration aurait suivi l'avis du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité du 14 octobre 2020, sans examiner sa situation.
14. En revanche, il ressort de l'avis du 23 septembre 2020 du docteur B, médecin rhumatologue désigné par la sous-direction des pensions militaires d'invalidité, que M. A présente une arthropathie dégénérative acromio-claviculaire post-traumatique de l'épaule droite, avec rupture du tendon du muscle sus-épineux droit. Cette infirmité se traduit par une abduction maximale de 100° contre 110-120° relevés dans le rapport d'expertise du 13 avril 2005 et une difficulté à réaliser des mouvements plus complexes, notamment l'élévation de la main de la fesse à la nuque. De plus, ce médecin relève que l'intéressé se plaint d'une intensification des douleurs depuis plusieurs années, et qu'il souffre de douleurs au moindre mouvement ainsi que de douleurs nocturnes. Si l'avis médical du 23 septembre 2020 fait état de symptômes " similaires à ceux relevés dans l'expertise de 2005 ", il met néanmoins en évidence, en se fondant sur une échographie réalisée en 2018, une rupture complète du tendon supra épineux droit, une diminution des capacités fonctionnelles de M. A, qui est droitier, une augmentation significative des douleurs, et " indiscutablement une aggravation tant clinique qu'anatomique justifiant un taux d'invalidité de 20 % ". A cet égard, la position du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité, retenant une aggravation de seulement 5 points, et non de 10 points, qui ne mentionne pas les limitations de rotation de l'épaule, n'est pas étayée d'éléments probants. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction que l'infirmité ici en cause dont est atteint M. A s'est nettement aggravée.
15. Il résulte ainsi de ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision du 14 avril 2021, et que lui soit reconnu un taux d'invalidité de 20 % au titre de l'infirmité " arthrose acromio-claviculaire droite " dont il est atteint, compte tenu de l'importance de l'aggravation de l'infirmité en cause.
Sur les intérêts moratoires :
16. Aux termes du premier alinéa de l'article
1231-6 du code civil : " Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. ". Les intérêts moratoires dus en application des dispositions de l'article
1231-6 du code civil, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.
17. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la demande de révision de la pension de M. A est parvenue au ministre des armées le 22 novembre 2019. Par suite, il y a lieu de lui allouer les intérêts au taux légal ayant couru sur les arrérages complémentaires de sa pension à compter du 22 novembre 2019, date de réception par l'administration de sa demande de révision, jusqu'à la date à laquelle l'Etat procèdera au versement desdits arrérages.
Sur les frais liés au litige :
18. il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 14 avril 2021 de la commission de recours de l'invalidité est annulée.
Article 2 : Il est reconnu un taux d'invalidité de 20 % à M. A s'agissant de l'infirmité " arthrose acromio-claviculaire droite ", à compter du 22 novembre 2019.
Article 3 : L'Etat versera à M. A les intérêts au taux légal sur les arrérages de sa pension militaire d'invalidité, dus en application de l'article 2 du présent jugement, à compter du 22 novembre 2019.
Article 4 : L'Etat versera à M. A la somme de 1200 euros sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Perdu, présidente,
M. Rousseau, premier conseiller,
Mme Portès, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.
Le rapporteur,
Signé
S. ROUSSEAU
La greffière
Signé
P. SANTERRE
La présidente,
Signé
S. PERDU
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition,
La greffière,