CJUE, 26 mai 1998, C-119/97

Conclusion

Synthèse

  • Juridiction : CJUE
  • Numéro de pourvoi :
    C-119/97
  • Date de dépôt : 22 mars 1997
  • Titre : Pourvoi - Concurrence - Rejet d'un recours en annulation - Mission de la Commission au titre des articles 85 et 86 du traité CE - Appréciation de l'intérêt communautaire.
  • Nature : Conclusions de l'avocat général
  • Identifiant européen :
    ECLI:EU:C:1998:255
  • Lien EUR-Lex :https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61997CC0119
  • Lien origine :Origine de la conclusion
  • Rapporteur : Wathelet
  • Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
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Résumé

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Texte intégral

Avis juridique important | 61997C0119 Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 26 mai 1998. - Union française de l'express (Ufex), anciennement Syndicat français de l'express international (SFEI), DHL International et Service CRIE contre Commission des Communautés européennes et May Courier. - Pourvoi - Concurrence - Rejet d'un recours en annulation - Mission de la Commission au titre des articles 85 et 86 du traité CE - Appréciation de l'intérêt communautaire. - Affaire C-119/97 P. Recueil de jurisprudence 1999 page I-01341 Conclusions de l'avocat général 1 L'Union française de l'express (Ufex, anciennement Syndicat français de l'express international, «SFEI»), DHL International et CRIE ont engagé le présent pourvoi contre l'arrêt que le Tribunal de première instance a rendu le 15 janvier 1997 dans l'affaire T-77/95 (1). 2 Par cet arrêt, le Tribunal de première instance a rejeté le recours en annulation qui avait été formé contre la décision du 30 décembre 1994 par laquelle la Commission avait elle-même rejeté la plainte déposée le 21 décembre 1990 par certaines entreprises, qui lui demandaient d'ouvrir une enquête sur les pratiques du service des postes françaises (ci-après «La Poste»), en particulier sur les activités de courrier rapide international assurées par une des sociétés filiales de l'administration postale. Il s'agissait, concrètement, de déterminer si de telles pratiques étaient contraires aux articles du traité CE relatifs à la libre concurrence. Les faits 3 Voici la description que le Tribunal de première instance a donnée des faits litigieux dans son arrêt: Le 21 décembre 1990, le Syndicat français de l'express international (ci-après le «SFEI»), dont les trois autres requérants sont membres, a déposé une plainte auprès de la Commission en vue de faire constater la violation, par la République française, des articles 92 et suivants du traité CEE (devenu traité CE, ci-après le «traité»). Le 18 mars 1991, une réunion informelle s'est tenue à Bruxelles entre les représentants du plaignant et ceux de la Commission. Au plus tard à cette date, la question d'une éventuelle violation de l'article 86 par La Poste, en tant qu'entreprise, de l'article 90, par la République française, et des articles 3, sous g), 5 et 86 du traité, par la République française, a été évoquée. Les échanges de vues, tels qu'ils sont rappelés par les requérants, sans être contestés par la Commission, peuvent être résumés comme suit. Au regard de l'article 86, les requérants dénonçaient l'assistance logistique et commerciale prétendument fournie par La Poste à sa filiale, la Société française de messageries internationales (devenue GDEW France depuis 1992) (ci-après la «SFMI»), qui opère dans le secteur du courrier rapide international. Au titre de l'assistance logistique, les requérants contestaient la mise à disposition des infrastructures de La Poste, en vue de la collecte, du tri, du transport, de la distribution et de la remise du courrier au client, l'existence d'une procédure privilégiée de dédouanement normalement réservée à La Poste et l'octroi de conditions financières privilégiées. Au titre de l'assistance commerciale, les requérants faisaient état, d'une part, du transfert d'éléments du fonds de commerce, tels que la clientèle et l'apport d'achalandage, et, d'autre part, de l'existence d'opérations de promotion et de publicité, effectuées par La Poste en faveur de la SFMI. L'abus aurait consisté, pour La Poste, à faire bénéficier sa filiale SFMI de son infrastructure, à des conditions anormalement avantageuses, afin d'étendre la position dominante qu'elle détenait sur le marché du service postal de base au marché connexe du service de courrier rapide international. Cette pratique abusive se serait traduite par des subventions croisées au profit de la SFMI. Au regard de l'article 90, d'une part, et des articles 3, sous g), 5 et 86 du traité, d'autre part, les requérants soutenaient que les agissements illicites de La Poste en matière d'assistance à sa filiale trouvaient leur origine dans une série d'instructions et de directives émanant du gouvernement français. Le 10 mars 1992, la Commission a adressé au conseil du plaignant une lettre de rejet de la plainte fondée sur l'article 86 du traité. Le 16 mai 1992, le SFEI, DHL International, Service Crie et May Courier International SARL ont formé un recours en annulation à l'encontre de cette décision, qui a été déclaré irrecevable par le Tribunal (ordonnance du 30 novembre 1992, SFEI e.a./Commission, T-36/92, Rec. p. II-2479). Sur pourvoi, cette ordonnance a été annulée par la Cour, qui a renvoyé l'affaire devant le Tribunal (arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission, C-39/93 P, Rec. p. I-2681). Par lettre du 4 août 1994, la Commission a rapporté la décision qui faisait l'objet de la procédure dans l'affaire T-36/92. Le Tribunal a en conséquence prononcé un non-lieu à statuer (ordonnance du 3 octobre 1994, SFEI e.a./Commission, T-36/92, non publiée au Recueil). Le 29 août 1994, le SFEI a mis la Commission en demeure d'agir, conformément à l'article 175 du traité. Le 28 octobre 1994, la Commission a adressé au SFEI une lettre au titre de l'article 6 du règlement n_ 99/63 CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n_ 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268, ci-après le «règlement n_ 99/63»), lettre dans laquelle elle l'informait de son intention de rejeter la plainte. Par lettre du 28 novembre 1994, le SFEI a fait parvenir ses observations à la Commission et l'a mise en demeure de lui adresser une décision définitive. Le 30 décembre 1994, la Commission a adopté la décision faisant l'objet du présent recours (ci-après la «décision»). Le SFEI en a reçu notification le 4 janvier 1995. La décision querellée 4 Exception faite de la numérotation des paragraphes, le texte de la décision entreprise en première instance est le suivant: «La Commission se réfère à votre plainte déposée auprès de mes services en date du 21 décembre 1990 à laquelle était annexée une copie d'une plainte séparée introduite le 20 décembre 1990 auprès du Conseil français de la concurrence. Les deux plaintes concernaient les services express internationaux de l'administration postale française. Le 28 octobre 1994, les services de la Commission vous ont adressé une lettre sur fondement de l'article 6 du règlement n_ 99/63 où il était indiqué que les éléments recueillis lors de l'instruction de l'affaire ne permettaient pas à la Commission de donner une suite favorable à votre plainte concernant les aspects au regard de l'article 86 du traité, et où vous étiez invités à soumettre des commentaires à cet égard. Dans vos commentaires du 28 novembre dernier, vous avez maintenu votre position en ce qui concerne l'abus de position dominante de La Poste française et de la SFMI. De ce fait, à la lumière de ces commentaires, la Commission vous informe par la présente lettre de sa décision finale à propos de votre plainte du 21 décembre 1990 en ce qui concerne l'ouverture d'une procédure au titre de l'article 86. La Commission considère, pour les raisons détaillées dans sa lettre du 28 octobre dernier, qu'il n'y a pas dans le cas d'espèce suffisamment d'éléments prouvant que de prétendues infractions persisteraient pour pouvoir donner une suite favorable à votre demande. A cet égard, vos commentaires du 28 novembre dernier n'apportent aucun élément nouveau permettant à la Commission de modifier cette conclusion, qui est supportée par les motifs développés ci-dessous. D'une part, le livre vert relatif aux services postaux sur le marché unique ainsi que les lignes directrices pour le développement des services postaux communautaires [COM (93)247 final, du 2 juin 1993] abordent, entre autres, les principaux problèmes soulevés dans la plainte du SFEI. Bien que ces documents ne contiennent que des propositions de lege ferenda, ils doivent notamment être pris en considération pour évaluer si la Commission utilise de manière appropriée ses ressources limitées et notamment si ses services s'emploient à développer un cadre réglementaire concernant le futur du marché des services postaux plutôt que d'enquêter de sa propre initiative au sujet de prétendues infractions portées à sa connaissance. D'autre part, une enquête menée, au titre du règlement n_ 4064/89, auprès de l'entreprise commune (GD Net) créée par TNT, La Poste et quatre autres administrations postales a conduit la Commission à la publication de sa décision du 2 décembre 1991 dans l'affaire n_ IV/M.102. Par sa décision du 2 décembre 1991, la Commission a décidé de ne pas faire obstacle à la concentration notifiée et de la déclarer compatible au regard du marché commun. Elle a tout particulièrement mis en évidence qu'en ce qui concernait l'entreprise commune `la transaction proposée ne crée pas ou ne renforce pas de position dominante qui pourrait entraver de manière significative la concurrence dans le marché commun ou dans une partie importante de celui-ci'. Quelques points essentiels de la décision portaient sur l'impact que les activités de l'ex-SFMI pouvaient avoir sur la concurrence: l'accès exclusif de la SFMI aux équipements de La Poste a été réduit dans son rayon d'action et devait se terminer deux ans après la fin de la fusion, la tenant ainsi à distance de toute activité de sous-traitance de La Poste. Toute facilité d'accès légalement octroyée par La Poste à la SFMI devait être offerte, de manière similaire, à n'importe quel autre opérateur express avec lequel La Poste signerait un contrat. Cet aboutissement rejoint tout à fait les solutions proposées pour l'avenir que vous aviez soumises le 21 décembre 1990. Vous aviez demandé que la SFMI soit contrainte de payer les services des PTT au même taux que si elle les achetait à une compagnie privée, au cas où la SFMI choisirait de continuer à utiliser ces services; que `l'on mette fin à toutes aides et discrimination', et que `SFMI ajuste ses prix suivant la valeur réelle des services offerts par La Poste'. Dès lors, il est évident que les problèmes relatifs à la concurrence actuelle et future dans le domaine des services express internationaux que vous évoquez ont été résolus de manière adéquate par les mesures prises dès à présent par la Commission. Si vous estimez que les conditions imposées à La Poste dans l'affaire IV/M.102 n'ont pas été respectées, notamment dans le domaine du transport et de la publicité, c'est alors à vous d'en apporter - dans la mesure du possible - les preuves, et éventuellement d'introduire une plainte sur le fondement de l'article 3.2 du règlement n_ 17/62. Cependant, des phrases indiquant `qu'actuellement les tarifs (hors ristournes éventuelles) pratiqués par la SFMI demeurent substantiellement inférieurs à ceux des membres du SFEI' (page 3 de votre lettre du 28 novembre) ou que `Chronopost utilise des camions P et T comme support publicitaire' (procès-verbal de constat annexé à votre lettre) devraient être supportées par des éléments de fait justifiant une enquête par les services de la Commission. Les actions que la Commission entreprend au titre de l'article 86 du traité ont pour objectif d'entretenir une concurrence réelle sur le marché intérieur. Dans le cas du marché communautaire des services express internationaux, eu égard au développement significatif détaillé ci-dessus, il aurait été nécessaire de fournir de nouvelles informations à propos d'éventuelles violations de l'article 86 pour permettre à la Commission de justifier son intention d'enquêter sur lesdites activités. Par ailleurs, la Commission considère qu'elle n'est pas tenue d'examiner d'éventuelles violations des règles de concurrence qui ont eu lieu dans le passé si le seul objet ou effet d'un tel examen est de servir les intérêts individuels des parties. La Commission ne voit pas d'intérêt pour entamer une telle enquête au titre de l'article 86 du traité. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je vous informe que votre plainte est rejetée.» L'arrêt entrepris 5 Le Tribunal de première instance a rejeté le recours en annulation dans sa totalité, écartant les uns après les autres les cinq moyens sur lesquels il était fondé. 6 Le Tribunal a estimé, en substance, que la décision par laquelle la Commission avait rejeté la plainte était fondée sur le seul motif que l'affaire qui avait suscité cette plainte ne présentait pas un intérêt communautaire suffisant (point 34 de l'arrêt). Le Tribunal a déclaré que cette conclusion n'était pas contraire au droit en l'espèce puisque la Commission était fondée à juger qu'à défaut pour les plaignantes d'avoir fourni des indices du contraire, les pratiques dénoncées avaient cessé après l'adoption d'une autre décision concomitante (la décision GD Net, qui a déjà été mentionnée plus haut). 7 Le Tribunal de première instance a également déclaré que la décision entreprise est conforme aux exigences de l'article 190 du traité puisque la Commission y expose son raisonnement d'une manière claire et dépourvue de toute ambiguïté. Pour le surplus, cette décision ne comporte aucune contradiction en soi. 8 Le Tribunal de première instance a également rejeté le moyen conformément auquel la Commission aurait violé le principe de bonne administration parce qu'elle n'aurait pas tenu compte d'un rapport technique daté du 6 décembre 1990 au motif que ce rapport portait sur une période antérieure à la date d'adoption de la décision GD Net. Quant à la violation alléguée du principe de non-discrimination, le Tribunal a jugé que les situations évoquées par les plaignantes n'étaient pas comparables à la situation de l'espèce. 9 Enfin, le Tribunal a estimé que les parties requérantes n'avaient pas démontré qu'en adoptant la décision querellée, la Commission se serait rendue coupable d'un détournement de pouvoir. Le premier moyen du pourvoi 10 Le premier moyen, qui est pris de la «dénaturation de la décision litigieuse», est divisé en deux branches: d'une part, le Tribunal de première instance aurait dénaturé la décision attaquée en niant qu'elle fût fondée sur deux motifs distincts et, d'autre part, il aurait également dénaturé la décision en y introduisant un motif, tiré de l'«intérêt communautaire», qui n'y était pas mentionné. 11 Il est vrai que le texte de la décision entreprise n'est pas sans ambiguïté puisque n'y figure pas l'expression «intérêt communautaire», dont les éléments juridiques sont bien connus et qui est généralement utilisée dans ce type d'acte. Le Tribunal de première instance l'a d'ailleurs bien compris puisqu'il a déclaré, aux points 31 et 32 de son arrêt, que: «... la seule référence à l'intérêt communautaire - d'ailleurs implicite puisqu'il n'est question que d'intérêt - apparaît dans le pénultième paragraphe de la décision, relatif aux infractions passées. ... Toutefois, le Tribunal estime que le défaut d'intérêt communautaire à poursuivre l'examen de la plainte sous-tend toute la décision. En effet, le pénultième paragraphe est indissociable du reste du texte.» 12 A le lire sans prévention ni parti pris, on verra, dans le texte de la décision, que la Commission évoque tout d'abord les propositions qu'elle avait faites de lege ferenda au sujet du secteur postal, qu'elle concentre ensuite son argumentation sur l'incidence que la décision GD Net a dû avoir sur les pratiques qui ont été dénoncées devant elle et qu'elle considère comme terminées, et qu'elle conclut enfin qu'elle «ne voit pas d'intérêt justifiant d'entamer une enquête au titre de l'article 86 du traité» et qu'elle n'est pas tenue d'examiner d'éventuelles violations des règles de concurrence si ces violations ont eu lieu dans le passé et si le seul objet ou effet d'un tel examen est de servir les intérêts individuels des parties. 13 S'il est vrai qu'on aurait pu exiger de la Commission qu'au lieu d'aligner des affirmations dont on ne distingue guère l'influence respective sur son refus final, elle rende une décision plus catégorique et plus explicite, cela ne signifie pas pour autant, selon moi, qu'en concluant, après l'avoir examinée dans son ensemble, que la décision soit fondée sur l'absence d'intérêt communautaire, le Tribunal de première instance l'aurait «dénaturée». 14 En effet, malgré la superposition d'allégations qu'elle contient, le Tribunal de première instance est parvenu à déterminer la suite logique du raisonnement que la Commission a tenu dans sa décision. Elle considère, à tort ou à raison, que l'affaire ne présente pas un «intérêt» justifiant qu'elle engage une enquête puisqu'elle est déjà intervenue dans ce secteur et que les pratiques dénoncées ont d'ores et déjà pris fin. L'intérêt dont elle parle ne saurait être autre que l'«intérêt communautaire» qu'il appartient à la Commission de garantir et, en principe, d'apprécier, sous réserve d'un éventuel contrôle juridictionnel. 15 Il se trouve que l'expression «intérêt communautaire» est, d'une certaine manière, amphibologique: il en existe, en effet, une acception restreinte, que le Tribunal de première instance a analysée dans son arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission (2) et dont les éléments caractéristiques sont bien connus. Si la notion d'«intérêt communautaire» peut s'employer dans son sens restreint, elle est également utilisée à rebours lorsqu'il s'agit d'une «absence d'intérêt communautaire». Ce sera le cas lorsque, comme en l'espèce, la Commission déclare qu'elle ne voit aucun motif suffisant pour elle de faire usage de ses pouvoirs d'enquête. 16 Pour ce qui est de la présente affaire, ce sont les parties requérantes elles-mêmes qui ont dit, dans la requête qu'elles ont déposée devant le Tribunal de première instance, que la Commission avait utilisé l'absence d'intérêt communautaire dans sa décision comme motif lui permettant de rejeter leur plainte. Un des moyens sur lesquels la demande d'annulation était fondée (et qui figure au point 5.6) était précisément déduit du fait qu'en rejetant la plainte au motif qu'il n'existait pas d'intérêt communautaire, la Commission avait commis une erreur d'appréciation manifeste (3). Les requérantes ne pêchent pas par abus de cohérence lorsqu'elles reprochent au Tribunal de première instance d'avoir «trouvé» dans la décision un élément juridique qu'elles considèrent elles-mêmes comme essentiel pour celle-ci (à savoir l'absence d'intérêt communautaire). Le deuxième moyen du pourvoi 17 Le deuxième moyen du pourvoi est déduit d'une «erreur de droit» dont le Tribunal de première instance se serait rendu coupable en déclarant, dans son arrêt, que la Commission peut fonder la décision litigieuse en se référant à une autre décision. 18 Selon les parties requérantes, toute décision juridictionnelle ou administrative doit se suffire à elle-même, l'auteur de cette décision devant, en effet, se déterminer d'après les circonstances particulières des faits en cause et non par voie de référence à d'autres faits et d'autres causes déjà jugées ou décidées. La Commission n'aurait donc pas dû se référer à la décision GD Net en l'espèce. 19 Le grief qui est fait à cette partie de l'arrêt me paraît clairement dénué de fondement. Le Tribunal de première instance ne commet aucune erreur de droit lorsqu'il conclut que la Commission pouvait se référer à la décision GD Net comme elle l'a fait et que cette référence fait partie de l'argumentation qu'elle a développée pour aboutir au rejet de la plainte. 20 Rien n'empêche, en effet, que l'exposé des motifs d'un acte administratif contienne des références à d'autres actes, a fortiori lorsqu'il s'agit d'actes connexes ou présentant des liens entre eux. Rien n'empêche non plus qu'en pareil cas, l'auteur de l'acte se prévale de l'existence et des caractéristiques d'un acte antérieur et l'utilise comme argument logique pour déduire certaines conséquences dans l'examen d'un acte ultérieur. 21 Voilà précisément ce qui s'est passé en l'espèce: dans sa décision, la Commission se réfère à une autre décision qu'elle avait adoptée précédemment dans le même secteur et par laquelle elle avait subordonné une opération de concentration d'entreprises postales à certaines conditions. La Commission déduit de l'existence de cette décision (à savoir la décision GD Net) et du respect des conditions qu'elle contenait certaines conséquences pour le bien-fondé de la plainte d'Ufex et consorts. Rien ne permet dès lors de conclure que la Commission aurait commis, dans l'exposé des motifs de sa décision, une erreur de droit que le Tribunal de première instance aurait dû sanctionner. 22 Tout autre est la question de savoir si la décision GD Net et les vicissitudes de sa mise en oeuvre suffisent à justifier le rejet de la plainte. Cette question ne relève plus de la motivation formelle de la décision, mais bien de l'analyse du fond même de celle-ci, c'est-à-dire du contrôle de l'appréciation de l'intérêt communautaire qui a inspiré la décision. Le troisième moyen du pourvoi 23 Le troisième moyen du pourvoi est pris de la «violation de l'article 190 du traité CE». Il se subdivise en deux parties, les requérantes estimant, d'une part, que l'arrêt contient des arguments contradictoires et que, d'autre part, sur un point fondamental, il ne répond pas à leurs conclusions. 24 L'article 190 du traité a trait uniquement à l'obligation de motiver certains actes communautaires adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil ou par le Conseil ou la Commission. Il ne vise donc pas les décisions des organes juridictionnels tels que le Tribunal de première instance (4). Un tel moyen de pourvoi ne saurait permettre d'amender un arrêt des vices internes qu'on lui prête et de sanctionner les griefs qui lui sont faits de contenir des arguments contradictoires et de n'avoir pas répondu à certaines conclusions des requérantes. 25 La référence à l'article 190 du traité que contient le pourvoi n'est peut-être que le fruit d'une transposition malheureuse en second degré de juridiction d'un argument qui figurait déjà dans le recours en annulation qui avait été présenté devant le Tribunal de première instance. Invoquer cet article du traité dénote une méconnaissance des différences qui existent entre la procédure de pourvoi et la procédure de première instance. En effet, si les requérantes pouvaient s'en prévaloir devant le Tribunal de première instance pour combattre un acte administratif pris en violation des règles qu'il énonce, elles ne pouvaient, dès l'instant où le Tribunal de première instance avait rejeté ce moyen, diriger contre l'arrêt de celui-ci le même argument que celui qu'elles avaient utilisé de manière spécifique contre l'acte administratif entrepris en première instance. 26 Il est clair, cependant, que les contradictions que peuvent comporter les raisonnements juridiques suivis dans un arrêt ainsi que l'insuffisance absolue de ces raisonnements (5) sont des défauts ou vices juridiques qui, le cas échéant, pourront entraîner la réformation ou l'annulation d'un arrêt de première instance dès lors qu'elles constituent des erreurs de droit injustifiables qui, lorsqu'elles ont influencé la solution du litige de manière décisive, vicient la totalité du contenu de l'arrêt. C'est pourquoi je considère que la Cour peut examiner le troisième moyen du pourvoi. 27 Pour ce qui est de la première branche du moyen, le Tribunal n'a énoncé aucune contradiction dans son arrêt lorsqu'il affirme, d'une part, que, dans sa décision, la Commission «n'a pas qualifié les pratiques dénoncées au regard de l'article 86 du traité» et lorsqu'il admet, d'autre part, qu'elle a considéré qu'il avait été mis fin aux pratiques incriminées dès l'instant où la décision GD Net avait été rendue. 28 L'arrêt ne comporte aucune contradiction puisque le Tribunal de première instance s'est borné à constater que la Commission avait rejeté la plainte parce qu'il n'existait pas d'intérêt suffisant, une telle constatation ne l'obligeant pas à qualifier les pratiques litigieuses au regard de l'article 86 du traité. La référence à la décision GD Net sert à poser en prémisse que, même si les pratiques incriminées avaient effectivement eu lieu dans le passé, l'existence de cette décision entraînerait leur disparition dès son entrée en vigueur, entraînant du même coup la disparition de tout intérêt communautaire à engager d'éventuelles poursuites contre cette infraction. Cela ne signifie cependant pas que, dans sa décision GD Net, la Commission aurait qualifié ces pratiques. 29 La seconde branche du troisième moyen ne mérite pas un accueil favorable elle non plus: en effet, le Tribunal de première instance a bel et bien répondu à l'argument que les parties requérantes avaient pris des différences de fondement entre le premier rejet de la plainte (qui leur avait été signifié par une lettre datée du 10 mars 1992) et son rejet définitif (qui constituait l'objet de la décision querellée). Le Tribunal a reproduit cet argument au point 22 de son arrêt, où il cite d'ailleurs la lettre du 10 mars, et il l'a rejeté notamment au point 35 de cet arrêt. Le quatrième moyen du pourvoi 30 Le quatrième moyen, qui est intitulé «manque de base légale», est déduit du fait que le Tribunal n'a pas effectué les recherches essentielles qui, seules, lui auraient permis de vérifier si la Commission pouvait admettre que les subventions de La Poste à sa filiale ne reposaient sur aucune justification économique. 31 La position que les parties requérantes ont adoptée sur ce point (et qui est exposée au point 56 de la requête) n'est pas ce que l'on pourrait appeler un modèle de clarté et la syntaxe de leur texte n'en facilite pas la compréhension. Selon elles, «le Tribunal n'a pas procédé aux recherches essentielles qui lui auraient permis de vérifier i) qu'il était fondé à déduire que c'était à tort que la requérante affirmait que La Poste pouvait continuer à octroyer des subventions croisées en l'absence de demandes de tiers à son réseau et que ii) de ce fait il pouvait ou ne pouvait pas légalement faire application de l'article 86 du traité CE ou de l'intérêt communautaire». 32 Pour répondre à l'objection que la Commission avait soulevée à propos de l'ambiguïté de l'expression «manque de base légale», expression qui n'indique pas le contenu de la règle de droit prétendument enfreinte, les parties requérantes ont précisé dans leur mémoire en réplique (6) que le vocable «base légale», d'utilisation courante en droit français de la procédure, fait référence «... aux explications qui doivent justifier le dispositif d'une décision (et non à une disposition légale en tant que telle)». Le manque de base légale consisterait donc en l'absence, dans le texte de l'arrêt, d'une description des faits suffisamment précise pour permettre à la Cour, statuant sur le pourvoi, de vérifier que la loi a été correctement appliquée à ces faits. 33 Vu sous cet angle, le moyen doit être rejeté: l'arrêt dit clairement, comme s'agissant d'un élément de fait, que les administrations postales n'avaient pas d'intérêt économique à subventionner leur filiale commune. L'absence d'un tel intérêt apparaît dans l'explication qui a été fournie par la Commission (voir le point 62 de l'arrêt). 34 Il s'agit là d'une appréciation en fait à laquelle le Tribunal de première instance a abouti après examen des preuves qui lui avaient été soumises, et qui, en tant que telle, ne peut pas être examinée dans le cadre d'un pourvoi, sauf à démontrer, ce qui n'a pas été fait, que les preuves ont été interprétées d'une manière totalement fausse ou tendancieuse. 35 Or, à en juger par les termes dans lesquels il est formulé, le quatrième moyen du pourvoi semble fondé sur un argument déduit non plus de la description déficiente de certains faits (lesquels, comme je l'ai déjà souligné, ont été exposés de façon claire par le Tribunal de première instance), mais bien du fait que la juridiction n'aurait pas fait des recherches suffisantes et ne s'est pas entourée des preuves nécessaires à une détermination rigoureuse de ces faits. 36 Abordé de cette manière, ce moyen du pourvoi n'est pas tant dirigé contre l'arrêt lui-même que contre le travail d'instruction du Tribunal de première instance, auquel il est fait grief de n'avoir pas, au cours de la procédure, adopté les mesures probatoires suffisantes qui auraient permis de vérifier un des faits sur lesquels portaient les débats (à savoir l'existence ou l'inexistence de subventions croisées). 37 La référence à l'absence d'intérêt économique de La Poste à faire bénéficier la filiale commune de subventions croisées apparaît au point 72 de l'arrêt comme un argument additionnel ajouté au quatrième des cinq arguments dont le Tribunal de première instance déduit que la Commission a pu déclarer à bon droit que les pratiques incriminées dans la plainte avaient cessé après l'adoption de la décision GD Net. 38 Le concours de ces deux éléments et le fait que cette dernière déduction du Tribunal de première instance soit contestée de manière globale dans le cinquième moyen du pourvoi comme étant entachée d'une erreur de droit semblent indiquer qu'il faut analyser cette «partie» du quatrième moyen du pourvoi en même temps que le cinquième moyen. Le cinquième moyen du pourvoi 39 Le cinquième moyen du pourvoi est pris d'une nouvelle «erreur de droit», les parties requérantes estimant qu'eu égard aux pièces mêmes du dossier, le Tribunal n'a pas pu légalement déduire que la Commission était fondée à constater que les infractions avaient cessé. 40 Il est évident que, par le biais de ce moyen, les parties requérantes s'attaquent directement à l'appréciation des faits opérée par le Tribunal de première instance. 41 Comme je l'ai fait dans les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire John Deere Limited/Commission (7), je vais rappeler brièvement l'évolution de la jurisprudence que la Cour a dégagée à propos des contestations dirigées contre les appréciations de fait qui figurent dans les arrêts de première instance. La Cour a dit pour droit qu'un pourvoi ne saurait être fondé sur des moyens autres que ceux qui sont déduits de la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation de fait. En conséquence de ce qui précède, elle a déclaré que l'appréciation que le Tribunal de première instance fait des éléments de preuve présentés devant lui n'est pas une question de droit susceptible d'être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi sauf s'il devait apparaître que ces éléments de preuve ont été dénaturés ou lorsque l'inexactitude matérielle des constatations du Tribunal de première instance ressort des documents versés au dossier. La Cour n'est pas compétente à examiner les preuves que le Tribunal de première instance a retenues pour déterminer les faits, pour autant qu'elles aient été obtenues régulièrement et que les règles et les principes généraux du droit applicables en matière de charge et d'appréciation de la preuve aient été respectés. En revanche, il appartient à la Cour de contrôler la qualification juridique des faits et les conséquences de droit que le Tribunal de première instance en a tirées (8). 42 Pour faire aboutir leurs critiques, les requérantes cherchent précisément à fonder ce moyen sur un des «interstices» qui permettent de contester les appréciations de fait opérées par le Tribunal, à savoir l'inexactitude matérielle qui peut ressortir des pièces du dossier. 43 Le grief est dirigé, en premier lieu, contre le point 68 de l'arrêt dans lequel le Tribunal a déclaré que «... s'agissant de la certitude de la Commission quant à la cessation des pratiques, il convient d'observer que, dès lors que La Poste est liée par les accords notifiés et par les engagements, la Commission pouvait à bon droit considérer que, une fois l'opération de concentration réalisée, soit, au vu des informations fournies au Tribunal, le 18 mars 1992, ces règles étaient respectées, en l'absence d'indices de leur violation». 44 Selon les parties requérantes, cette affirmation est démentie par le texte même de la décision GD Net, dont les engagements ne sortissaient aucun effet avant le 18 mars 1995: la Commission ne pouvait pas, en 1994, se fonder sur des engagements qui n'avaient encore aucune valeur obligatoire pour conclure que les pratiques dénoncées avaient cessé. 45 Une telle allégation va cependant bien au-delà de la simple constatation d'une erreur ou une inexactitude matérielle résultant d'un document figurant dans le dossier. En réalité, elle empiète sur le terrain des interprétations juridiques, sujettes à discussion, que l'on peut donner de la signification et de la portée d'un acte administratif déterminé. En d'autres termes, les parties requérantes cherchent à rouvrir les débats de première instance sur l'appréciation des preuves et la détermination des faits qu'elles établissent. 46 C'est d'ailleurs ce qui ressort clairement de la discussion qui a été ouverte dans le mémoire en réponse et qui s'est poursuivie dans les mémoires en réplique et en duplique à propos de la portée des engagements imposés par la décision GD Net et à propos de leurs effets dans le temps. 47 En deuxième lieu, les parties requérantes critiquent également l'affirmation qui figure au point 71 de l'arrêt où le Tribunal a déclaré que «cette conclusion [à savoir que la Commission n'a commis aucune erreur en estimant que les indices fournis par les plaignantes n'étaient pas suffisants pour justifier une enquête] ne saurait être affectée par le fait, dont les requérantes se sont prévalues à l'audience, que la Commission a, en juillet 1996, décidé d'ouvrir une procédure, au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, à l'égard d'aides que la France aurait accordées à la société SFMI-Chronopost (JO 1996, C 206, p. 3). En effet, une telle ouverture de procédure ne permet pas d'établir que, à la date d'adoption de la décision, la Commission disposait d'éléments suffisants pour justifier que soit entamée une enquête au titre de l'article 86 du traité pour la période postérieure à l'adoption de la décision GD Net». 48 Les parties requérantes soutiennent que cette nouvelle décision, qui date de 1996, démontre de manière irréfutable que, même pour la période qui a suivi la décision GD Net, la Commission ignorait si les engagements que celle-ci imposait avaient été respectés ou non. 49 De nouveau, les parties requérantes soulèvent un problème qui ne relève pas de l'«inexactitude matérielle», mais bien de l'interprétation juridique qui résulte d'un document déterminé, ce qui disqualifie le moyen de pourvoi qu'elles en déduisent puisqu'elles cherchent purement et simplement à ce que la Cour se substitue au Tribunal de première instance dans l'appréciation des faits. 50 Pour le surplus, l'interprétation que les parties requérantes suggèrent ne contredit pas vraiment le contenu du point 71 de l'arrêt de première instance puisque, dans la dernière phrase de celui-ci, le Tribunal ne conteste pas que la Commission «ignorait» si les engagements imposés par la décision GD Net avaient ou non été respectés: il affirme uniquement que la Commission ne disposait pas d'éléments suffisants pour entamer une enquête sur la période qui a suivi l'adoption de la décision GD Net parce que les indices fournis à cet effet par les entreprises plaignantes n'étaient pas suffisants. Le sixième moyen du pourvoi 51 Le sixième moyen du pourvoi est déduit d'une «violation des règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire» dont le Tribunal se serait rendu coupable. 52 Concrètement, la critique des parties requérantes est dirigée contre le point 46 de l'arrêt dans lequel le Tribunal a déclaré que «... s'il est vrai que le Tribunal a énuméré les éléments qu'il appartient à la Commission, notamment, de mettre en balance dans l'appréciation de l'intérêt communautaire, il n'en demeure pas moins que la Commission est en droit de retenir, dans cette appréciation, d'autres éléments pertinents. En effet, l'appréciation de l'intérêt communautaire repose nécessairement sur un examen des circonstances propres à chaque espèce, réalisé sous le contrôle du Tribunal (arrêt Automec/Commission, précité, point 86)». 53 Les parties requérantes considèrent que ces affirmations enfreignent doublement le droit communautaire: d'une part, elles violent les règles de droit conformément auxquelles l'intérêt communautaire doit être apprécié et, d'autre part, elles violent le principe de la sécurité juridique et le principe de la confiance légitime. 54 Selon les parties requérantes, la notion d'intérêt communautaire et les règles juridiques qui gouvernent son application, l'une et les autres d'origine prétorienne, ont été établies dans l'arrêt Automec/Commission par le Tribunal de première instance, qui a toujours confirmé cette jurisprudence dans ses arrêts ultérieurs. Il ne peut donc pas se dispenser d'appliquer les trois critères d'appréciation de l'intérêt communautaire qu'il a lui-même dégagés (à savoir l'importance de l'infraction alléguée, la probabilité d'en établir l'existence et l'étendue des mesures d'instruction nécessaires à cet effet), sauf à violer les règles et les principes de droit évoqués dans le point précédent. 55 J'estime que, dans les termes dans lesquels il a été formulé, ce moyen ne peut pas être accueilli, et cela pour deux raisons. 56 En premier lieu, et il s'agit là d'une question de principe, on peut contester que des critères d'appréciation de l'intérêt communautaire que le Tribunal de première instance a définis dans un cas déterminé doivent être considérés, sans autre forme de procès, comme des «règles de droit» dont la Cour devrait nécessairement assurer le respect. Le Tribunal de première instance lui-même n'est pas lié d'une manière absolue par sa jurisprudence, dont il peut s'écarter à condition de le faire de façon justifiée. 57 Par ailleurs, il n'y a aucune raison de considérer que la liste des critères d'appréciation de l'intérêt communautaire que le Tribunal a dressée dans l'arrêt Automec/Commission est une liste exhaustive: le Tribunal rappelle à bon escient que ce qui est déterminant, c'est l'appréciation des circonstances propres à chaque espèce et les motifs par lesquels la Commission justifie chacune des décisions au moyen desquelles elle rejette une plainte. Dans un secteur tel que celui dont il s'agit ici, dans lequel les situations juridiques peuvent varier considérablement, de nouveaux critères peuvent apparaître, qui n'avaient pas été prévus dans le passé et sur la légalité desquels le Tribunal devra se prononcer. 58 C'est ce qui s'est passé en l'espèce: pour justifier le rejet de la plainte dont elle avait été saisie, la Commission a déclaré que les pratiques dénoncées avaient cessé, principalement ensuite de sa propre intervention, concluant qu'il n'y avait dès lors pas lieu d'entamer une enquête. Il s'agit donc d'un nouvel élément dont il faut tenir compte, élément distinct des trois qui avaient été retenus dans l'arrêt Automec/Commission. Lorsqu'au lieu de se limiter à rejeter ce nouvel argument brandi par la Commission au motif qu'il ne figure pas au nombre des critères qu'il avait déjà fixés dans l'arrêt Automec/Commission, le Tribunal accepte d'en analyser la conformité au droit, il agit d'une manière raisonnable. 59 Se rendre aux arguments des parties requérantes sur ce point reviendrait à «pétrifier» la jurisprudence et à empêcher absolument non seulement qu'elle évolue, mais encore qu'elle soit même complétée. Rien n'empêche, en effet, que, lorsqu'il est amené à se prononcer sur une décision de la Commission, le Tribunal de première instance puisse reconnaître qu'il existe un nouveau critère d'appréciation de l'intérêt communautaire, critère qui complète ceux qui ont été définis dans l'arrêt Automec/Commission et qui légitime le rejet des plaintes déposées contre certaines pratiques restrictives de la concurrence. Le septième moyen du pourvoi 60 Le septième moyen du pourvoi constitue, en réalité, l'essentiel de celui-ci. Pour les raisons que je vais exposer sans tarder, je considère qu'il y a lieu de lui réserver un sort différent de celui que nous avons fait aux moyens précédents. Je proposerai donc d'accueillir ce moyen et, en conséquence, d'annuler l'arrêt de première instance. 61 Ce septième moyen est déduit de la «violation de l'article 86 du traité CE lu en combinaison avec les articles 3, sous g), 89 et 155 du traité CE». La critique qu'il contient est dirigée contre l'argumentation que le Tribunal de première instance a développée aux points 57 à 59 inclus de son arrêt et contre les conséquences qu'il en a tirées de sorte à rejeter le recours en annulation. 62 Cette argumentation peut être résumée en deux affirmations à caractère général et en une troisième, appliquant les deux premières au cas d'espèce. 63 Avant de formuler ces trois affirmations, le Tribunal de première instance avait rappelé, aux points 54 à 56 inclus de son arrêt, trois prémisses que nul ne contestait: a) L'étendue des obligations de la Commission dans le domaine du droit de la concurrence doit être examinée à la lumière de l'article 89, paragraphe 1, du traité, qui, dans ce domaine, constitue la manifestation spécifique de la mission générale de surveillance confiée à la Commission par l'article 155 du traité. b) L'article 3 du règlement n_ 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (9), ne confère pas à l'auteur d'une demande présentée en vertu de cet article le droit d'obtenir une décision de la Commission, au sens de l'article 189 du traité, quant à l'existence ou non d'une infraction à l'article 85 ou à l'article 86 du traité. La Commission est ainsi en droit d'accorder des degrés de priorité différents à l'examen des plaintes dont elle est saisie, et il est légitime qu'elle se réfère à l'intérêt communautaire que présente une affaire comme critère de priorité. c) L'article 86 du traité est une expression de l'objectif général assigné par l'article 3, sous g), du traité à l'action de la Communauté, à savoir l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun. 64 Au départ de ces prémisses, l'arrêt établit, à propos des plaintes relatives à des infractions passées, une ligne de raisonnement qui, appliquée au cas d'espèce, légitime l'action de la Commission. 65 Ce raisonnement, qui est exposé aux points 57 et 58 de l'arrêt, est formulé dans les termes suivants: - Au vu de cet objectif général et de la mission assignée à la Commission, le Tribunal considère que, sous réserve de motiver une telle décision, la Commission peut légitimement décider qu'il n'est pas opportun de donner suite à une plainte dénonçant des pratiques qui ont ultérieurement cessé. Il en est d'autant plus ainsi lorsque, comme en l'espèce, cette cessation est le résultat de l'action de la Commission. A cet égard, le Tribunal relève qu'il importe peu de savoir sur quel fondement juridique est adoptée une décision qui mettrait fin aux pratiques dénoncées, l'effet de cette décision devant seul être pris en compte. - Dans un tel cas, l'instruction de l'affaire et la constatation d'infractions passées n'auraient plus pour intérêt d'assurer une concurrence non faussée dans le marché commun et ne correspondraient donc pas à la fonction attribuée à la Commission par le traité. L'objectif essentiel d'une telle procédure serait de faciliter aux plaignants la démonstration d'une faute devant les juridictions nationales en vue d'obtenir des dommages-intérêts. 66 Appliquant ce raisonnement au cas d'espèce, le Tribunal se prononce en faveur de la décision querellée et déclare au point 59 de l'arrêt que: «en conséquence, la Commission était en droit de considérer, en l'espèce, que, ayant mis fin aux pratiques dénoncées par l'adoption d'une autre décision et ayant ainsi exercé son rôle de surveillance de la bonne application du traité, poursuivre la procédure, dans le seul but de qualifier des faits passés au regard de l'article 86 du traité, ne constituerait pas une utilisation appropriée de ses ressources limitées, surtout lorsqu'elle s'efforce, par ailleurs, d'établir un cadre réglementaire dans le secteur d'activité concerné. Cette analyse opérée par la Commission était d'autant plus légitime que, en présence d'une décision définitive de sa part de ne pas donner suite à l'examen d'une plainte dénonçant une violation de l'article 86 du traité, les instances nationales, éventuellement saisies par les requérants, sont compétentes pour statuer sur l'infraction alléguée». 67 Je crois que le grief que les parties requérantes font à cette partie de l'arrêt est fondé et qu'il justifie à lui seul le succès de leur pourvoi. 68 En effet, les plaintes relatives à des abus de position dominante, abus contraires à l'article 86 du traité, concernent presque inévitablement des faits révolus (10). Lorsqu'une entreprise s'est rendue coupable de telles pratiques dans un secteur déterminé et a exploité de manière abusive la position dominante qu'elle détient sur le marché concerné, faussant ainsi la concurrence de manière illicite, le simple fait que les pratiques concernées aient cessé à un moment donné ne suffit pas, en l'absence d'autres facteurs que je préciserai ultérieurement, pour justifier que la Commission demeure inerte lorsqu'elle est saisie de plaintes par les entreprises concurrentes de l'entreprise dominante. 69 A mon avis, le Tribunal de première instance commet une erreur de droit lorsqu'il déclare qu'en pareils cas, la constatation d'infractions passées ne présenterait plus d'intérêt pour la Commission, mais uniquement un intérêt subjectif pour les plaignants. Cette même conception erronée l'amène à déclarer que l'«objectif essentiel» d'une telle procédure serait de permettre aux plaignants de démontrer plus facilement l'existence d'un comportement illicite en vue d'obtenir des dommages-intérêts auprès des juridictions nationales. 70 La concurrence dont la Commission doit assurer le maintien cesse d'être garantie lorsqu'une entreprise n'a mis fin aux pratiques au moyen desquelles elle se proposait d'exploiter sa position dominante que parce que ces pratiques ont été couronnées de succès. Si les pratiques ont cessé, leurs effets demeurent. 71 Permettre à la thèse qui est exposée dans ces points de l'arrêt de prospérer aurait pour effet paradoxal (surtout dans les marchés récemment ouverts à la concurrence, comme le marché du courrier express) de donner une «prime» à l'entreprise qui, par l'abus de position dominante dont elle s'est rendue coupable dans un premier temps, est parvenue à fausser durablement la situation générale du marché. En pareil cas, la cessation des pratiques de départ ne signifie pas la disparition de la situation de concurrence faussée et résulte de la constatation, par l'entreprise fautive, que ces pratiques lui ont permis d'atteindre son objectif et qu'elles ne sont désormais plus nécessaires. 72 La Commission ne doit pas tolérer une telle situation. Elle est au contraire tenue de restaurer le jeu de la libre concurrence dans le secteur concerné dès l'instant où les autres circonstances justifiant l'«intérêt communautaire» de son intervention sont réunies. A cet effet, elle doit en tout premier lieu vérifier si l'entreprise visée a ou non abusé de sa position dominante, ce qui exige d'elle qu'elle mette en branle le mécanisme de l'instruction dont les plaignants cherchent à obtenir l'ouverture. 73 Il est d'ailleurs légitime que, lorsqu'elles font usage de la faculté que leur offre le règlement n_ 17, que j'ai déjà évoqué plus haut, une entreprise ou un groupe d'entreprises qui déposent une plainte soient inspirées aussi bien par la volonté de rétablir l'équilibre concurrentiel qui a été rompu que par le souci de défendre leurs propres intérêts patrimoniaux. 74 En effet, les entreprises qui dénoncent les pratiques anticoncurrentielles exercent une fonction activatrice, de catalyseur en quelque sorte, qui déclenche l'intervention de la Commission. Leur initiative est inspirée par des intérêts de deux ordres distincts, à savoir, d'une part, par l'intérêt propre qu'elles ont à mettre leur patrimoine à l'abri de tout préjudice qui résulterait pour elles des comportements illicites de leurs concurrentes et, d'autre part, par l'intérêt général qu'a le marché à ce que les règles de la concurrence soient respectées, intérêt général que le droit communautaire garantit et dont la Commission doit assurer la protection. 75 Lorsque cet intérêt général intervient (parce que le secteur dont il s'agit a une dimension et une importance communautaires et que l'infraction dénoncée peut être constatée relativement facilement sans qu'il soit nécessaire de déployer des mesures d'enquête exorbitantes), il est inadmissible de prétendre que l'intervention de la Commission ne servirait qu'à fournir des preuves permettant d'engager une action en réparation devant les juridictions nationales. 76 L'inertie de la Commission ne saurait pas davantage être justifiée par le fait que la cessation des pratiques d'exploitation abusive de la situation de prédominance soit due à une décision unilatérale de l'entreprise qui a abusé de sa position dominante ou bien à une action collatérale de la Commission qui répondait à une autre finalité, mais qui a eu pour effet indirect d'entraîner le même résultat. En tout état de cause, ce qu'il importe de vérifier pour juger de la conformité de la décision au droit, c'est que la cessation des pratiques abusives dénoncées ne s'est pas accompagnée de la disparition de ses effets anticoncurrentiels. 77 Je rappellerai une fois de plus que, dans le cadre du recours prévu par l'article 168 A du traité, la Cour doit se limiter à examiner les questions de droit et qu'elle est donc liée par les faits que le Tribunal de première instance a jugé établis (11). C'est la raison pour laquelle elle doit partir de la constatation que la décision GD Net avait entraîné la cessation des pratiques par lesquelles La Poste avait, peut-être, exploité de manière abusive la position dominante dont elle bénéficiait dans le secteur postal (12). Les limites du contrôle qu'elle peut exercer à l'occasion d'un pourvoi ne lui permettent pas d'agir autrement, bien qu'il me faille reconnaître que le fondement d'une telle affirmation est ténu puisqu'elle résulte de la simple présomption, qui n'a pas été confirmée, que les engagements imposés par cette décision GD Net avaient été respectés. 78 Cependant, ni la Commission, lorsqu'elle a adopté sa décision, ni le Tribunal de première instance, lorsqu'il a contrôlé celle-ci, ne pouvaient ignorer que, même dans l'hypothèse où les pratiques abusives de La Poste qui avaient été dénoncées par les entreprises requérantes eussent cessé, il demeurait néanmoins justifié d'engager une enquête afin de s'assurer que les effets des pratiques passées ne continuaient pas à fausser la concurrence sur le marché français du courrier international urgent. 79 L'attitude que la Commission a adoptée à cet égard dénote chez elle une passivité difficilement compréhensible en regard de l'importance du marché concerné et de son évidente dimension communautaire. Les raisons qui, en 1991, l'avaient amenée à adopter une décision sur la concentration des entreprises postales dans le secteur du courrier urgent n'avaient pas disparu et devaient l'inciter à surveiller, même d'office, l'évolution du secteur par la suite. 80 Dans la décision n_ 000978, relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité, que la Commission a adressée au SFEI le 10 mars 1992 pour l'aviser que sa plainte avait été rejetée (décision que la Commission a elle-même rapportée après que la Cour eut annulé l'ordonnance par laquelle le Tribunal de première instance avait déclaré irrecevable le recours en annulation qui avait été formé contre ladite décision) (13), la Commission avait déclaré que: «dans ces circonstances, même si nous n'envisageons pas de poursuivre notre enquête au titre de l'article 86, je peux vous assurer que nous continuerons à surveiller de près l'évolution de ce marché». 81 Personne n'a pu expliquer de manière satisfaisante pourquoi, après avoir fait de telles affirmations en 1992, c'est-à-dire postérieurement à l'adoption de la décision GD Net, la Commission non seulement n'avait entrepris aucune action ultérieure de surveillance du marché, mais avait également décliné les invitations que les entreprises plaignantes lui avaient adressées à cette fin. C'est tout ce que celles-ci voulaient obtenir d'elle lorsqu'elles lui ont demandé d'engager une enquête sur la base de l'article 86 du traité. 82 La Commission a reconnu a posteriori qu'elle n'avait rien entrepris pour vérifier que les conditions qu'elle avait imposées dans sa décision GD Net pour garantir le libre jeu de la concurrence dans le secteur du courrier international urgent étaient bien respectées: dans la décision C 3/96 (que le Tribunal de première instance a examinée et à laquelle il se réfère au point 71 de l'arrêt entrepris) (14), elle a déclaré qu'elle ne disposait d'aucune information sur l'application de plusieurs de ces conditions. Dans cette même décision, elle a admis qu'elle n'avait pas davantage d'information sur la suite que La Poste avait donnée à la recommandation qu'elle lui avait faite de faire apparaître dans son organisation comptable que les activités qui ne relèvent pas du service public ne bénéficiaient d'aucune subvention, c'est-à-dire qu'elle ne subventionnait pas ses activités livrées à la concurrence comme l'était son service de courrier urgent. 83 En résumé, voici comment se présentait la situation pour le Tribunal de première instance: a) En 1990, les entreprises concernées avaient déposé devant la Commission une plainte dans laquelle elles exposaient les raisons qu'elles avaient de soupçonner que, dans un secteur récemment ouvert à la concurrence qui présentait une importance et une dimension communautaires manifestes, La Poste avait adopté un comportement anticoncurrentiel au bénéfice de ses entreprises filiales en utilisant de manière abusive la position dont elle bénéficiait dans un marché fermé. b) La Commission, qui, en 1991, avait adopté une décision (la décision GD Net) sur la concentration par laquelle La Poste et d'autres administrations postales avaient créé une entreprise commune et qui avait imposé certaines conditions à celle-ci, se désintéresse du respect de ces conditions et de la situation même du marché en question en dépit de la plainte dont elle avait été saisie par les entreprises concurrentes, et elle a refusé d'entamer une enquête à ce sujet quatre ans après le dépôt de la plainte. 84 La situation étant telle, dire que les faits dénoncés appartiennent au passé et que la Commission est déjà intervenue à leur propos n'est pas un argument valide permettant de justifier le rejet d'une plainte qui n'a jamais été retirée et à laquelle s'ajoutent les affirmations qui ont été formulées successivement au cours des quatre années écoulées depuis le dépôt initial, lesquelles soulignent la persistance des effets d'un abus de position dominante antérieur sur un marché qui présente les caractéristiques du marché en cause. Lorsqu'il a admis, en substance, cet argument de la Commission, qui apparaît d'ailleurs dans la décision querellée, le Tribunal de première instance s'est trompé sur l'étendue du devoir que l'article 89 du traité impose à cette institution lorsqu'elle assure le respect de l'article 86 de ce traité. Le huitième moyen du pourvoi 85 Par le huitième moyen de leur pourvoi, tiré de la «violation des principes généraux du droit communautaire», les parties requérantes font grief au Tribunal de première instance d'avoir, dans son arrêt, enfreint le principe de bonne administration, le principe d'égalité et de non-discrimination ainsi que le principe de la sécurité juridique et de la confiance légitime. 86 Pour ce qui est du principe de bonne administration, le grief des parties requérantes est dirigé contre le point 100 de l'arrêt, dont il ressort que la Commission pouvait validement statuer sur la plainte sans prendre en considération un rapport d'expertise daté du 6 décembre 1990 dès lors que ce rapport portait sur une période antérieure à l'adoption de la décision GD Net. 87 La Commission prétend que cette branche du huitième moyen est irrecevable parce qu'elle ne fait que reprendre les affirmations que les requérantes avaient faites dans leur requête initiale. Il faut néanmoins souligner que, comme elles l'ont déclaré expressément au point 115 de leur mémoire en réplique, les requérantes n'accusent plus aujourd'hui la Commission d'avoir violé ce principe, mais bien le Tribunal de première instance de l'avoir mal appliqué. En ce sens, cette branche du moyen ne peut être déclarée irrecevable bien que, comme je vais l'exposer immédiatement, je considère qu'elle doit en tout état de cause être rejetée. 88 Le raisonnement que le Tribunal de première instance a tenu sur ce point est fondé sur la prémisse qu'en écartant un rapport d'expertise relatif à une période antérieure à l'adoption de la décision GD Net, date à laquelle les pratiques dénoncées ont cessé ou devaient cesser (cette cessation étant un facteur clef de la décision querellée), la Commission a agi d'une manière qui s'inscrivait dans la logique de la décision dans son ensemble. Le défaut de pertinence du rapport d'expertise résulte donc de la logique interne même de la décision, dont il ressort que l'ouverture d'une enquête ne présente pas un intérêt communautaire à partir d'une date postérieure au dépôt de ce rapport. 89 Les éléments que les parties requérantes ont exposés aux points 146 et suivants de leur pourvoi ne semblent pas pouvoir infirmer le raisonnement qu'a suivi le Tribunal de première instance. Elles n'ont pas fourni des arguments suffisants qui leur auraient permis de démontrer qu'il avait commis une erreur de droit dans cette partie de l'arrêt. 90 En ce qui concerne la violation alléguée du principe d'égalité et de non-discrimination, les parties requérantes font valoir, d'une part, que le Tribunal de première instance «adopte une interprétation abusivement et anormalement réductrice de la notion de situations comparables» et, d'autre part, qu'il donne «une interprétation des règles de droit relatives à l'appréciation de l'intérêt communautaire non conforme à celle qu'il avait toujours retenue». 91 Ces deux griefs sont dépourvus de fondement. Le Tribunal de première instance s'est limité à souligner (au point 102 de l'arrêt) que les parties requérantes n'avaient pas invoqué l'existence d'une situation de fait comparable à celle qu'elles avaient dénoncée dans leur plainte, ce qui ne fait aucun doute. Les exigences qui peuvent être posées quant au degré d'analogie existant entre des «situations comparables» peuvent être plus ou moins rigoureuses, mais, lorsque la Commission est accusée d'avoir agi de manière illégale en rejetant une plainte qui a été accueillie dans d'autres occasions, il est, en tout état de cause, raisonnable d'exiger que la situation comparable invoquée présente une véritable similitude avec la situation dénoncée. Dans le cas d'espèce, les parties requérantes ne sont pas parvenues à identifier une situation comparable sur laquelle elles auraient pu fonder leur accusation de discrimination avec la rigueur voulue. 92 En ce qui concerne le grief fait au Tribunal de première instance d'avoir interprété différemment les règles de droit qui doivent gouverner l'appréciation de l'intérêt communautaire, je répète ce que j'ai déjà dit à propos du sixième moyen. 93 Renvoyer aux observations que j'ai formulées à propos du sixième moyen me permet de proposer le rejet de la troisième branche du huitième moyen. Par cette troisième branche, les parties requérantes font grief au Tribunal d'avoir enfreint les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime en ce qu'il se serait écarté de sa propre jurisprudence (à savoir la jurisprudence qu'il avait dégagée dans l'arrêt Automec/Commission, que j'ai déjà cité) et en ce qu'il aurait permis à la Commission d'apprécier l'intérêt communautaire selon des critères différents de ceux qu'il avait définis dans cet arrêt. 94 Comme je l'ai déclaré lorsque j'ai analysé le sixième moyen, l'appréciation de l'intérêt communautaire est un jugement nécessairement lié aux circonstances de fait propres à chaque espèce et les critères qui ont été dégagés dans l'arrêt Automec/Commission ne sont rien d'autre que des éléments ou des facteurs qui peuvent ou doivent être pris en considération parmi d'autres. Il n'y a donc pas lieu de parler de discrimination dans l'application de la loi ni de violation du principe de la sécurité juridique (et encore bien moins d'une violation du principe de la confiance légitime) au motif que, dans un cas concret, et au vu des circonstances particulières qui lui étaient propres, la Commission n'a pas appliqué ces critères consacrés par la jurisprudence, mais bien d'autres qui, selon elle, étaient déterminants pour lui permettre d'accueillir ou de rejeter une plainte. En tout état de cause, la plénitude du contrôle juridictionnel que le Tribunal de première instance exerce sur de tels jugements garantit que ceux-ci soient conformes aux règles du droit. Le neuvième moyen du pourvoi 95 Le neuvième moyen du pourvoi est déduit d'«erreurs de droit dans l'application de la notion de détournement de pouvoir» que les parties requérantes accusent le Tribunal de première instance d'avoir commises. Ce moyen est divisé en deux branches, à savoir, d'une part, que le Tribunal aurait statué sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir sans examiner toutes les pièces invoquées par la requérante et, d'autre part, qu'il aurait défini erronément le type de faits pouvant constituer des indices d'un détournement de pouvoir. 96 La première branche de ce moyen vise en particulier une lettre que le commissaire Sir Leon Brittan a adressée au président de la Commission le 1er juin 1995 avec copie à certains autres membres de celle-ci. Selon les requérantes, cette lettre démontre que la Commission avait décidé délibérément de ne pas poursuivre les infractions qui avaient été dénoncées dans le secteur postal, mais, en revanche, d'apporter une solution «politique» au problème. Dans le mémoire en réplique qu'elles avaient présenté devant lui, les parties requérantes avaient demandé au Tribunal de première instance d'ordonner la production de ce document et d'un certain nombre d'autres pièces qu'elles invoquaient comme moyens de preuve (15). 97 Au point 117 de l'arrêt, le Tribunal a déclaré que: «... la conjecture sur l'objet des prétendues volte-face de la Commission et les observations des requérants tirées d'une lettre qu'aurait adressée M. Brittan au président de la Commission, qui n'est pas produite dans le dossier et dont aucun élément ne permet même de confirmer l'existence, ne reposent que sur des allégations non étayées et, partant, insusceptibles de constituer des indices de nature à conclure à l'existence d'un détournement de pouvoir» (16). 98 Je considère que, lorsqu'il refuse, sans fournir d'explication satisfaisante, de retenir comme preuve un document qui, en principe, apparaît comme pertinent pour la solution du litige et dont les requérantes ont demandé qu'il figure dans le dossier, le Tribunal de première instance a commis une erreur de droit (à savoir, en l'espèce, une violation des règles de procédure relatives aux droits de la défense, infraction qui lèse les intérêts des requérantes). Si le Tribunal doutait de l'existence de cette lettre, il lui était facile de dissiper ses doutes en invitant la Commission à la produire. En revanche, le Tribunal ne peut pas, à la fois, mettre en doute l'existence du document et, dans le même temps (c'est-à-dire dans le même arrêt), ne pas accéder à la demande des parties requérantes qui l'avaient invité à ordonner la production du même document. En d'autres termes, le Tribunal de première instance ne peut pas réfuter des allégations pour insuffisance de preuves alors qu'il a lui-même refusé d'ordonner la production de la preuve qui lui avait été offerte. 99 De surcroît, en attendant le stade de l'arrêt pour résoudre des questions de procédure relatives à l'admission ou au refus de diligences probatoires sur lesquelles il aurait nécessairement dû se prononcer à un stade antérieur dès lors que la demande lui en avait été faite au cours de la phase écrite de la procédure, le Tribunal de première instance a commis une irrégularité de procédure. 100 En effet, l'article 66 du règlement de procédure dispose que le Tribunal fixe les mesures qu'il juge convenir par voie d'ordonnance articulant les faits à prouver et que cette ordonnance est signifiée aux parties. La même logique exige - et elle l'exige d'autant plus que le rejet d'une offre de preuve peut affecter les droits de la défense - que la décision par laquelle le Tribunal rejette les offres de preuve qui lui sont faites par les parties au cours de la phase écrite de la procédure soit prise par voie d'ordonnance également et que cette ordonnance soit elle aussi notifiée aux parties. Procéder de la sorte permettrait à ces parties d'intervenir au cours de la phase orale en ayant une meilleure connaissance de leur possibilité réelle de défense et garantirait en même temps leur droit à une «ampliation des offres de preuve» (article 66, paragraphe 2, du règlement de procédure) lorsque les preuves qu'elles ont proposé de fournir n'ont pas été admises au dossier. 101 Au contraire, si la décision de ne pas admettre l'administration d'une preuve demandée au cours de la phase écrite n'est adoptée que dans l'arrêt lui-même, comme c'est le cas en l'espèce, les parties qui ont demandé ou proposé cette preuve se trouvent, à la fois, dans l'impossibilité de demander au Tribunal au cours de la phase orale qu'il reconsidère sa décision et dans l'impossibilité de fournir ou de proposer, au cours de cette même phase orale, de nouvelles preuves qui compenseraient le refus d'accueillir les preuves qui avaient été proposées auparavant. 102 Quoi qu'il en soit, ce n'est pas tant l'irrégularité de procédure qui m'incline à proposer à la Cour d'accueillir ce dernier moyen du pourvoi, mais bien le fait même de ne pas permettre l'administration de la preuve. Pour des raisons que l'on comprendra facilement, le grief de détournement de pouvoir fait à une institution n'est généralement pas fondé sur des preuves faisant foi, mais bien sur des indices plus ou moins sérieux qui sont proposés à l'appréciation de la Cour ou du Tribunal. Les particuliers ne sont normalement pas en mesure de faire autre chose que de signaler de tels indices et de solliciter la production des documents ou des témoignages qui les étayent lorsque de tels éléments de preuve se trouvent entre les mains des institutions incriminées. C'est la raison pour laquelle, lorsque les indices qui ont été proposés présentent une certaine vraisemblance, refuser ces preuves d'une manière injustifiée est d'autant plus condamnable que, dans la majorité des cas, ce refus contribuera à priver les parties requérantes de leurs moyens d'action. 103 On peut imaginer qu'en l'espèce le Tribunal de première instance aurait pu refuser d'ordonner la production de la lettre du commissaire Sir Leon Brittan pour des raisons matérielles, c'est-à-dire parce qu'il aurait estimé que, conformément aux informations que les parties requérantes lui avaient fournies, le contenu de cette lettre n'ajoutait rien aux autres données dont il disposait déjà. Ce raisonnement (qui est effectivement défendu par la Commission) serait sujet à discussion, mais il exprimerait une prise de position sur la pertinence ou l'impertinence du document en question. 104 Ce n'est pourtant pas l'explication que le Tribunal de première instance fournit au point 117 de l'arrêt (que j'ai cité plus haut) pour justifier qu'il n'avait pas ordonné à la Commission de produire le document réclamé: en réalité, il n'a fourni aucune explication satisfaisante puisqu'il s'est contenté de mettre en doute l'existence même de la lettre et de constater qu'elle n'avait pas été versée au dossier. Or, c'est précisément pour établir son existence et son contenu que les parties requérantes avaient demandé au Tribunal d'en ordonner la production. 105 En résumé, je considère qu'il n'y avait aucune raison de rejeter la demande de preuve formulée par les requérantes, mais qu'il y avait, au contraire, de bonnes raisons d'y faire droit. J'estime en outre que, s'agissant d'un document qu'elles considéraient comme un élément clef et qu'elles n'étaient pas en mesure de produire elles-mêmes parce qu'il se trouvait en possession d'une institution communautaire, le Tribunal de première instance aurait dû ordonner qu'il soit versé au dossier. 106 Cette conclusion rend superflu d'analyser la seconde branche du moyen puisqu'en l'absence d'un des éléments de preuve éventuellement déterminant pour établir l'existence d'un détournement de pouvoir, il n'est pas possible de porter un jugement sur cette question avec les garanties voulues. 107 Je considère, en conséquence, que deux des moyens que les parties requérantes ont articulés doivent être accueillis et qu'il faut donc faire droit au pourvoi. Sur le renvoi de l'affaire devant le Tribunal de première instance 108 Accueillir le septième moyen du pourvoi pour des raisons de fond implique non seulement l'annulation de l'arrêt de première instance, mais permet également à la Cour de faire usage de la possibilité que lui offre l'article 54 de son statut CE en pareille hypothèse, c'est-à-dire la possibilité de trancher définitivement le litige. La solution serait alors simplement d'annuler la décision querellée pour illégalité. 109 Si la Cour ne devait retenir que le neuvième moyen du pourvoi, il ne lui serait pas possible de trancher définitivement le litige. Une telle solution définitive exigerait, selon moi, qu'elle se prononce de manière expresse sur l'existence ou l'inexistence d'un détournement de pouvoir dans le chef de la Commission, ce qui, à nouveau, ne serait pas possible sans que les documents dont la présentation a été demandée soient produits comme éléments de preuve. L'administration de la preuve excédant manifestement les limites de la procédure de pourvoi, il conviendrait alors de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance. 110 Conformément aux dispositions de l'article 122 du règlement de procédure de la Cour, dès lors que le pourvoi est fondé et que la Cour est en mesure de juger elle-même définitivement le litige, il convient de condamner la défenderesse aux dépens. Il n'y aurait pas lieu de statuer sur ce point si, le recours étant fondé, la Cour tranchait définitivement le litige elle-même. Conclusion C'est pourquoi je propose à la Cour: 1) d'annuler l'arrêt du Tribunal de première instance du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission (T-77/95); 2) d'annuler la décision de la Commission qui était l'objet de cet arrêt et 3) de condamner la Commission aux dépens. (1) - Arrêt SFEI e.a./Commission (Rec. p. II-1). (2) - Affaire T-24/90, Rec. p. II-2223. (3) - Au point 91 de la requête en annulation, on peut lire que: «La décision de la Commission ... de rejeter la plainte semble se fonder sur le double raisonnement suivant: la prise en compte de l'intérêt communautaire justifierait de ne pas entamer une enquête au titre de l'article 86 ...». Au point 185 de cette même requête, les parties requérantes déclarent que: «En considérant qu'elle ne voit pas d'intérêt lui permettant d'entamer une telle enquête au titre de l'article 86 du traité (point 13 de la décision), la Commission fait usage de la faculté qui lui a été reconnue par la jurisprudence de rejeter une plainte pour défaut d'intérêt communautaire». Les parties requérantes se sont d'ailleurs exprimées dans des termes similaires au point 188 de la requête: «Le SFEI soutient ... que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation quant à l'intérêt communautaire à poursuivre l'examen de l'affaire, en ce que la Commission fonde son évaluation de l'intérêt communautaire sur l'existence de propositions de lege ferenda ...». (4) - Il ne fait aucun doute qu'à l'instar des décisions de n'importe qu'elle autre juridiction, les arrêts du Tribunal de première instance doivent être motivés. Le Tribunal y est d'ailleurs tenu par l'article 81 de son règlement de procédure, mais non par l'article 190 du traité. La fonction du juge (la juris dictio) est non seulement indissociable de l'obligation pour lui d'exposer le raisonnement qui fonde sa décision, mais elle y trouve même sa légitimation. Il n'en a pas toujours été ainsi: dans les régimes absolutistes, non seulement les juges ne motivaient pas leurs décisions, mais il leur était interdit de le faire. (5) - L'insuffisance absolue du raisonnement juridique (qui vicierait l'arrêt) ne doit pas être confondue avec l'absence de réponse détaillée à chacun des arguments exposés dans un recours. La juridiction n'est pas toujours tenue de répondre en détail dans son arrêt et peut, le cas échéant, donner une réponse globale pour rejeter simultanément plusieurs arguments de l'une ou l'autre des parties. (6) - Note 11 du mémoire en réplique. (7) - C-7/95 P, non encore publié au Recueil, conclusions du 16 septembre 1997, point 24. (8) - Arrêts du 2 mars 1994, Hilti/Commission (C-53/92 P, Rec. p. I-667, point 42), et du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 67), et ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission (C-19/95 P, Rec. p. I-4435, points 39 et 40). (9) - JO 1962, 13, p. 204. (10) - A l'audience, l'agent de la Commission a exposé la thèse que la Commission soutient à ce sujet, à savoir que, contrairement aux procédures relatives à des aides d'État, procédures qui sont fondées sur l'article 92 du traité et qui sont toujours tournées vers le passé, les procédures engagées conformément à l'article 86 du traité sont des procédures «tournées vers le futur» puisqu'elles ont pour objet d'obtenir la cessation de l'infraction dénoncée. Cette argumentation est pour le moins surprenante puisqu'elle contredit des affirmations que la même Commission a déjà faites devant la Cour auparavant. C'est ainsi que, dans l'affaire France e.a./Commission (C-68/94 et C-30/95), elle avait utilisé un argument exactement inverse pour expliquer les différences entre la procédure fondée sur l'article 86 du traité et la procédure de contrôle des concentrations d'entreprises [règlement (CEE) n_ 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1990, L 257, p. 14)]. La Commission avait déclaré alors qu'en matière d'abus de position dominante «l'enquête porte sur des abus qui se situent dans le passé», alors qu'au contraire l'analyse doit se concentrer sur le futur lorsqu'il s'agit d'appliquer le règlement précité. Voir, en ce sens, les points 179 et 180 de l'arrêt que la Cour a rendu le 31 mars 1998 dans cette même affaire (non encore publié au Recueil). (11) - Sauf, bien entendu, à remettre ces faits en question dans les limites que j'ai indiquées au point 41 des présentes conclusions. (12) - En réalité, la position que le Tribunal de première instance a adoptée sur cet élément de fait n'est ni aussi claire ni aussi tranchée qu'il pourrait y paraître: à certains endroits, l'arrêt semble donner à penser que la cessation des pratiques dénoncées est établie (voir les points 57, 58 et 59) alors qu'ailleurs le Tribunal se limite à déclarer qu'à défaut d'indices contraires, la Commission pouvait légitimement supposer que ces pratiques avaient cessé (voir le point 68). (13) - Voir le point 9 de l'arrêt entrepris. (14) - Voir le point 47 plus haut. (15) - Il est vrai que la proposition de preuve documentaire formulée dans la réplique a été rédigée dans des termes un peu vagues dès lors que le Tribunal de première instance était invité à ordonner la production des documents attestant que la Commission avait formellement refusé de poursuivre les infractions et qu'elle avait préféré donner la priorité à une solution politique générale du problème de la libéralisation du secteur postal. Il n'en est pas moins vrai que cette demande de production de preuves doit être mise en relation avec le reste de la réplique et de la requête, mémoires dans lesquels la lettre du commissaire Sir Leon Brittan est évoquée de manière explicite à plusieurs reprises. (16) - Mis en italique aux fins de la citation.