PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE COLACRAI c. ITALIE (No1)
(Requête no 63296/00)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
29 juillet 2010
DÉFINITIF
29/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Colacrai c. Italie (no1),
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Christos Rozakis, président,
Nina Vajić,
Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Guido Raimondi, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 63296/00) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Rocco Colacrai (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 mai 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 13 octobre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Colacrai c. Italie (no 1), no 63296/00, § 76, 13 octobre 2005).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, le requérant réclamait la restitution du terrain une satisfaction équitable ou, à défaut, le versement d'une indemnité de 360 000 EUR au titre de préjudice matériel. Il demandait également 300 000 EUR à titre d'indemnité pour dommage moral. Enfin, il demandait le remboursement des frais de justice engagés devant les juridictions nationales et des frais exposés devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 85, et point 3 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n'aboutissent à un tel accord. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.
6. Le 12 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d'évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d'expertise avant le 14 juin 2007.
7. Lesdits rapports d'expertise ont été déposés dans le délai imparti.
8. Le 20 février 2009, MM Antonio, Guiseppe et Franco Colacrai, fils et seuls héritiers du requérant, informèrent la Cour du décès de leur père, survenu le 24 juin 2006. Ils manifestèrent également leur intérêt à poursuivre la procédure.
EN DROIT
9. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
10. Le requérant sollicite la restitution du terrain, ce qui selon lui constituerait la forme de réparation idéale. A défaut de restitution, le requérant demande le versement d'une indemnité de 360 000 EUR au titre de préjudice matériel pour la perte du terrain.
11. Le Gouvernement estime que la somme réclamée par le requérant est excessive.
12. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
13. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a révisé la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, celle-ci a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
14. Suivant les critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondant à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonné par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il faut aussi l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession du terrain. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
15. En l'espèce, le requérant a perdu la propriété de son terrain en 1983. Telle qu'elle ressort de l'expertise ordonnée par le tribunal et effectuées au cours de la procédure nationale, la valeur du bien à cette date était de 828 360 ITL, soit 444, 55 EUR (paragraphe 17 de l'arrêt au principal). En outre, le requérant n'a reçu aucune indemnité au niveau national.
16. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder au requérant la somme de 2 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
17. Reste à évaluer la perte de chances subie par le requérant à la suite de l'expropriation litigieuse. La Cour juge qu'il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l'indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l'occupation légitime (1981) jusqu'au moment de la perte de propriété (1983). Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 1 500 EUR pour la perte de chances.
B. Dommage moral
18. Le requérant sollicite le versement d'une indemnité de 300 000 EUR au titre de préjudice moral.
19. Le Gouvernement estime que le constat de violation suffit. En tout cas, il s'en remet à la sagesse de la Cour, tout en faisant remarquer que la somme demandée est exorbitante.
20. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de son bien a causé su requérant un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle décide d'allouer à l'intéressé 10 000 EUR de ce chef.
C. Frais et dépens
21. Justificatifs à l'appui, le requérant demande les sommes de 44 111 EUR, au titre de remboursement des frais encourus devant la Cour, et de 42 832,98 EUR, au titre de remboursement des frais encourus devant les juridictions nationales.
22. Le Gouvernement s'y oppose.
23. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
24. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 30 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux héritiers du requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes :
i. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt par les héritiers du requérant, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juillet 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président