AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° A 00-13.018 formé par la compagnie Axa Corporate Solutions, venant aux droits de la compagnie Axa Global Risks, venant elle-même aux droits de l'Z... France Incendie Accidents, dont le siège est ci-devant ... et actuellement ...,
II - Sur le pourvoi n° B 00-13.180 formé par la société Everite, société anonyme, dont le siège est ..., et actuellement ...,
en cassation du même arrêt rendu le 26 janvier 2000 par la cour d'appel de Bordeaux (Chambre sociale, section B), au profit :
1 / de M. Serge Y..., demeurant ..., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'héritier de Jean-François Y... et de Geneviève Y..., née X..., décédés,
2 / de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, dont le siège est place de l'Europe, ...,
3 / de la compagnie Winterthur Assurances, dont le siège est ...,
5 / de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances, dont le siège est Service Indemnisation Corporelle C3, 72030 Le Mans cedex 09,
défendeurs à la cassation ;
La compagnie Mututelles du Mans Assurances a formé un pourvoi incident contre le même arrêt :
La demanderesse au pourvoi principal n° A 00-13.018 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal n° B 00-13.180 invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6-1 du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 janvier 2002, où étaient présents : M. Sargos, président, M. Ollier, conseiller rapporteur, MM. Merlin, Boubli, Le Roux-Cocheril, Brissier, Gougé, Thavaud, Lanquetin, Chauviré, conseillers, M. Poisot, Mme Trassoudaine-Verger, M. Petit, conseillers référendaires, M. Benmakhlouf, premier avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Ollier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Everite, de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de la compagnie AXA Corporate Solutions de Me Blondel, avocat de M. Y..., de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde, les conclusions de M. Benmakhlouf, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° B 00-13.180 et A 00-13.018 ;
Attendu que Jean-François Y..., salarié de la société Everite, spécialisée dans la fabrication de produits en amiante-ciment, de 1954 à 1981, a été reconnu atteint d'asbestose professionnelle à compter du 1er octobre 1981 ; qu'il est décédé le 7 août 1982 ; que le 3 janvier 1997, sa veuve et son fils ont saisi la Caisse primaire d'assurance maladie en vue de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale ; que celui-ci, après avoir ordonné la mise en cause des trois compagnies d'assurance susceptibles de garantir la société Everite, a déclaré l'action prescrite comme engagée plus de deux années après la première constatation médicale de la maladie, et rejeté la demande de mise hors de cause des compagnies d'assurance ; que l'arrêt attaqué (Bordeaux, 26 janvier 2000) a confirmé cette décision quant au maintien en cause des compagnies d'assurance, mais a déclaré l'action non prescrite, a dit que la maladie professionnelle était due à la faute inexcusable de l'employeur, fixé la majoration de rente au maximum, ordonné une expertise médicale en vue de l'évaluation du préjudice personnel de la victime, et fixé le montant du préjudice personnel des consorts Y... ;
Sur le premier moyen
du pourvoi n° B 00-13.180 de la société Everite :
Attendu que la société Everite fait grief à la cour d'appel d'avoir déclaré l'action non prescrite, alors, selon le moyen, qu'il résulte des articles L.465, L.495 et L.499 (anciens), aujourd'hui
L.431-2,
L.461-1 et
L.461-5 du Code de la sécurité sociale, que les droits de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités se prescrivent par deux ans à compter, soit de l'accident ou de la première constatation médicale de la maladie, soit de la cessation du paiement de l'indemnité journalière, soit de la cessation du travail, soit de la clôture de l'enquête, et, dans ce dernier cas, même si la Caisse primaire d'assurance maladie n'en a pas averti la victime et ne lui a pas adressé une expédition du procès-verbal, conformément aux prescriptions de l'article L.478 (ancien), aujourd'hui R.442-14, du même Code ; que l'omission par la Caisse d'effectuer ces diligences ne constitue pas pour la victime ou pour ses ayants droit une impossibilité d'agir en recherche de la faute inexcusable de l'employeur dès lors qu'ils ont eu connaissance en temps utile de la prise en charge de la maladie par la Caisse à titre de maladie professionnelle ; qu'il s'ensuit que viole les textes précités l'arrêt attaqué qui retient en l'espèce que la prescription biennale n'avait pu courir à l'encontre de la victime ou de ses ayants droit au seul motif que la Caisse ne justifiait pas avoir averti la victime ou ses ayants droit par lettre recommandée du dépôt de l'ensemble du dossier dans ses bureaux où cette dernière ou ses ayants droit pouvaient en prendre connaissance pendant les cinq jours suivant la lettre recommandée ;
Mais attendu que l'article 40 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, tel que modifié par l'article 49 de la loi n° 2001-1246 du 21 décembre 2001, applicable aux procédures en cours, rouvre les droits aux prestations, indemnités et majorations prévues par les dispositions du livre IV du Code de la sécurité sociale, y compris en cas de faute inexcusable de l'employeur, au profit des victimes d'affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante ou provoquées par elles, dès lors qu'ils ont fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er juillet 1947 et l'entrée en vigueur de la loi, sans distinguer selon que la victime avait ou non fait constater sa maladie en temps utile ; que,
par ces motifs
substitués aux motifs erronés critiqués par le premier moyen, et sur lesquels les parties se sont expliquées, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il a déclaré l'action recevable, dans les conditions prévues par la loi précitée ;
Sur les deuxième et troisième moyens
du pourvoi de la société Everite, pris en leurs diverses branches :
Attendu que la société Everite reproche à l'arrêt d'avoir retenu à sa charge l'existence d'une faute inexcusable, alors, selon le deuxième moyen :
1 / que l'utilisation de l'amiante n'ayant été interdite qu'à compter du 1er janvier 1997, le simple fait que la victime ait été exposée au risque d'une maladie professionnelle connue et répertoriée à un tableau des maladies professionnelles ne suffit pas à constituer en faute l'employeur qui poursuivait des activités visées audit tableau, de sorte que ne caractérise pas une faute inexcusable et viole les articles
L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale l'arrêt attaqué qui déduit du visa de l'amiante au tableau n° 25, d'abord, et au tableau n° 30, ensuite, la conscience que devait avoir ladite société du danger auquel elle soumettait ses ouvriers en poursuivant légalement ses activités classiques de fabrication de produits en amiante-ciment à compter de la parution desdits tableaux ; que de surcroît la conscience du danger par la société Everite est d'autant moins caractérisée par l'arrêt attaqué que la cour d'appel ne reproche en définitive à ladite société que son comportement jusqu'en 1977 ("en omettant de prendre jusqu'en 1977 toutes les dispositions nécessaires pour éviter la mise de ses salariés en contact avec l'amiante"), c'est-à-dire concernant une période où les pouvoirs publics n'avaient pas encore édicté de réglementation protectrice spécifique aux fibres d'amiante ;
2 / qu'il résulte tant du décret spécifique n° 77-949 du 17 août 1977, qui réglemente "les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère", que du tableau n° 30 des maladies professionnelles, qui concerne "les travaux exposant à l'inhalation des poussières d'amiante", que l'exercice d'activités mettant le personnel en contact avec l'amiante était autorisé à l'époque considérée, de sorte que viole ces textes l'arrêt attaqué qui retient l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur au motif que celui-ci a mis ses salariés "en contact avec l'amiante" ;
3 / qu'en se fondant sur des textes relatifs au traitement des poussières industrielles en général (loi du 12 juin 1893, loi du 26 novembre 1912, décret du 20 novembre 1904, décret du 6 mars 1961), ne caractérise pas légalement le lien de causalité qui aurait existé entre la maladie du salarié et l'imprudence imputée à l'employeur dans le traitement des poussières de l'usine, l'arrêt attaqué qui omet de rechercher et d'indiquer en quoi l'application de ces textes généraux, qui ne comportent aucune norme contrôlable, aurait été de nature à éliminer le risque d'inhalation de fibres microscopiques (de l'ordre de quelques microns) qui sont à l'origine des affections liées à l'amiante et dont l'élimination n'a été organisée que par le décret n° 77-949 du 17 août 1977, premier texte spécifique à la matière et fondé sur des données scientifiques, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles
L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ;
4 / qu'il existe une différence fondamentale entre les poussières industrielles en général visées par l'arrêt attaqué et définies par l'article
R. 232-5-1 du Code du travail en fonction de leur "volume aérodynamique" et de leur "vitesse de chute", dont la concentration, évaluée sur une période de huit heures, peut légalement atteindre 5 milligrammes par mètre cube d'air, et la réglementation spécifique prévue par l'article R. 232-5-5 et le décret du 17 avril 1977 relatif aux mesures particulières applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, qui dispose que la concentration moyenne en fibres d'amiante dans l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube, de sorte qu'en refusant de faire application du texte spécifique à la matière pour apprécier la conscience du danger que devait avoir l'employeur, l'arrêt attaqué n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles
L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ;
et alors, selon le troisième moyen :
1 / que, retenant la période antérieure au décret de 1977 pour caractériser la faute imputée à la société Everite, viole l'article
5 du Code civil la cour d'appel qui, au lieu de procéder à un examen individuel de chaque affaire, comme l'exige la constatation d'une faute inexcusable, se réfère, dans quinze décisions du même jour, à la même appréciation syncrétique relative, toutes époques confondues, à un empoussièrement massif déduit de quelques témoignages concernant, de manière indéfinie, différentes époques, différents locaux et différentes activités de l'établissement de Bassens, et qui statue par voie de disposition générale, constituant ainsi l'entreprise en état de faute permanente à l'égard de tout le personnel, toutes époques confondues, ne précisant nullement ni la nature des poussières, ni l'exposition du poste occupé par chaque victime ;
2 / que, pour les mêmes raisons, prive sa décision de toute base légale au regard des articles
L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, l'arrêt attaqué qui statue sur le cas de quinze personnes différentes sans même se soucier de vérifier si les témoignages retenus correspondaient aux périodes d'emploi et aux postes de celles-ci ;
3 / qu'en l'absence de normes -dont l'apparition n'est survenue qu'en 1977- la constatation d'une faute de l'employeur dans le traitement et l'évacuation des poussières prévus par l'article 6 du décret du 10 juillet 1913 était subordonnée par le même texte (article 21) à la mise en oeuvre d'une procédure comprenant l'appréciation préalable d'un fonctionnaire compétent, la délivrance d'une mise en demeure de remédier aux insuffisances constatées, l'établissement d'un procès-verbal constatant la carence de l'employeur au terme d'un délai donné, et que, dès lors, en substituant à ce dispositif légal de simples déclarations de témoins recueillies en vue du procès sur des faits se situant entre vingt et cinquante ans auparavant, la cour d'appel a violé ensemble les dispositions précitées, devenues les articles
R. 232-12,
R. 232-13 et
R. 232-14 du Code du travail ;
4 / qu'au surplus, inverse indûment la charge de la preuve, en violation de l'article
1315 du Code civil, l'arrêt attaqué qui, concernant la preuve d'une prétendue faute inexcusable de l'employeur, dont la charge incombe au demandeur, retient l'existence à cette époque d'un empoussièrement massif dans l'usine au motif que la société Everite n'était pas à même de s'expliquer sur les mesures de lutte contre l'empoussièrement qu'elle avait pu adopter avant 1956 ;
5 / que ne justifie pas légalement sa solution au regard des articles
L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, l'arrêt attaqué qui :
-se contredit en faisant reproche à l'employeur de ne pas avoir mis en oeuvre des moyens suffisants pour éliminer les poussières en général et qui, par ailleurs, met en doute l'efficacité desdits moyens pour "mettre l'ouvrier à l'abri du risque sanitaire provoqué par l'amiante",
-se contredit encore dans ses explications, en énonçant tantôt que "ce n'est qu'aux environs de l'année 1977 qu'un travail efficace de dépoussiérage a été mis en oeuvre, tantôt que ce n'est qu'au cours des dernières années de fonctionnement de l'usine fermée en 1987 que les résultats satisfaisants ont pu être enregistrés",
-méconnaît les termes du litige en considérant que les premiers résultats d'analyse de l'air dont se prévaut l'employeur sont de 1983 bien que la société Everite ait fait valoir dans ses conclusions qu'en l'état de la réglementation du 17 août 1977, qui limitait le niveau d'empoussièrement autorisé à un seuil de 2 fibres/cm3, les résultats des contrôles d'atmosphère étaient, selon le comité d'hygiène et de sécurité lui-même, "excellents", et ceci dès l'entrée en vigueur de la réglementation,
-affirme, sans s'expliquer sur les "excellents" résultats des contrôles d'atmosphère susvisés dès l'entrée en vigueur de la réglementation de 1977, que ce n'aurait été qu'à compter de 1983 et au cours des dernières années de fonctionnement de l'usine fermée en 1987 que des résultats d'empoussièrement satisfaisants avaient pu être enregistrés,
-méconnaît les termes du litige en retenant qu'il ressortait des "propres écritures de l'employeur" que cela n'avait été qu'aux environs de l'année 1977 qu'un travail efficace de dépoussiérage avait été mis en oeuvre, bien que la société Everite ait longuement fait valoir dans ses conclusions, sur le fondement des rapports annuels des services médicaux du travail et du comité d'hygiène et de sécurité, qu'elle n'avait jamais cessé depuis 1956 de mettre en place et d'améliorer des équipements et des installations destinés à éviter les émissions de poussières et à réaliser le dépoussiérage des postes de travail,
-omet de tenir compte, pour l'appréciation du respect par la société Everite de son "obligation de sécurité sanitaire", du fait qu'il était établi par les rapports annuels et comptes rendus des réunions mensuelles du comité d'hygiène et de sécurité que tout le personnel de l'entreprise avait bénéficié d'un suivi médical complet, assuré tant par le médecin du travail de l'usine que par la Caisse régionale d'assurance maladie, à leur embauche et périodiquement tout au long de leur carrière chez Everite ;
6 / que méconnaît les termes du litige, en violation des articles
4 et
5 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui énonce que les premiers résultats d'analyse de l'air dont se prévalait la société Everite étaient de 1983, en dénaturant ainsi les termes clairs et précis du point 44 du "bordereau des pièces communiquées", lequel visait les "mesures d'empoussièrement, mars 1978 à décembre 1986" ;
7 / que méconnaît les termes du litige, en violation des articles
4 et
5 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui énonce que les premiers rapports de la médecine du travail produits par l'employeur étaient de 1976, en dénaturant ainsi les termes clairs et précis du point 20 du "bordereau des pièces communiquées", lequel visait le "rapport d'activité des services médicaux du travail, 1960" ;
Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article
L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Et attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel, qui n'encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Everite avait commis une faute inexcusable ; que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;
Sur le quatrième moyen
du pourvoi principal de la société Everite :
Attendu que la société Everite fait grief à la cour d'appel d'avoir admis M. Serge Y... à solliciter la réparation du préjudice personnel de la victime et d'avoir prononcé des condamnations à son profit, alors, selon le moyen, qu'il résulte de la législation spécifique des articles
L.452-1,
L.452-2 et
L.452-3 du Code de la sécurité sociale, que l'indemnisation complémentaire en cas de faute inexcusable est demandée soit par la victime soit par ses ayants droit, et que les ayants droit d'une victime décédée ne peuvent prétendre qu'à l'attribution de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral personnel ;
qu'il s'ensuit que viole les textes précités l'arrêt attaqué qui considère que l'action en recherche de la faute inexcusable de l'employeur, élément du patrimoine de la victime, se transmet à ses héritiers même si elle n'est pas exercée par la victime de son vivant ;
Mais attendu que la cour d'appel a décidé, à bon droit, que les ayants droit de la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l'employeur et décédée des suites de cette maladie étaient recevables à exercer, outre l'action en réparation du préjudice moral qu'ils subissent personnellement du fait de ce décès, l'action en réparation du préjudice moral personnel de la victime résultant de sa maladie ; que le moyen est mal fondé ;
Sur les deux moyens réunis du pourvoi incident de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances, pris en leurs diverses branches, et sur le moyen unique du pourvoi n° A 00-13.018 de la compagnie Axa Corporate Solutions, pris en ses deux branches :
Attendu que la compagnie Mutuelles du Mans Assurances et la compagnie Axa Corporate Solutions, venant aux droits de la compagnie Axa Global Risks, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement qui a rejeté leur demande de mise hors de cause, et d'avoir refusé de les mettre hors de cause, alors, selon le premier moyen de la compagnie Mutuelles du Mans Assurances :
1 / qu'il n'appartient à aucune juridiction de pouvoir se saisir d'office, pas plus que d'ordonner d'office la mise en cause d'un assureur en dehors des cas où la loi le prévoit expressément et à titre exceptionnel ; que la compagnie Mutuelles du Mans a été mise en cause par le tribunal des affaires de sécurité sociale en vertu d'une décision qui a ordonné d'office son intervention à l'instance ; qu'en confirmant une telle décision, la cour d'appel a entaché sa décision d'excès de pouvoir au regard de l'article
332 du nouveau Code de procédure civile, ainsi que d'une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2 / qu'il appartient au juge, le cas échéant, d'inviter les parties à mettre en cause tous les intéressés dont la présence lui paraît nécessaire à la solution du litige ; qu'une telle invitation n'a pas eu lieu en l'espèce où l'intervention du tiers a été décidée d'office, et ce sans que les parties à l'instance aient fait valoir contre ce tiers une quelconque prétention, serait-ce même celle de lui rendre commun le jugement à intervenir ; d'où il suit que la cour d'appel s'est substituée aux parties et par là même a méconnu les droits du tiers forcé à intervenir en violation des articles 332 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le tribunal des affaires de sécurité sociale est incompétent ratione materiae pour statuer ou même préjuger de l'obligation de garantie qui pourrait incomber à une compagnie d'assurances privée au titre du contrat d'assurance ; qu'en l'espèce, le juge du fond était saisi d'un litige relatif à la prétendue faute inexcusable de l'employeur au regard des dispositions du Code de la sécurité sociale ;
qu'en déclarant son arrêt commun à une compagnie d'assurances privée, la cour d'appel a par là même entaché sa décision d'incompétence et méconnu les articles
33 du nouveau Code de procédure civile et
L.142-1 du Code de la sécurité sociale ;
alors, selon le second moyen du pourvoi de la compagnie Mutuelles du Mans :
1 / qu'il incombe au juge du fond de motiver sa décision par laquelle il déclare le jugement commun à un tiers ; que le simple visa du texte légal pas plus que la référence à une condamnation de l'employeur ne sauraient par eux-mêmes constituer une motivation de nature à justifier la décision attaquée à l'égard d'un tiers dont les droits et obligations, et par conséquent le lien avec litige, demeurent inconnus ; d'où il suit que la cour d'appel a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'il incombe aux juges du fond de rechercher et de justifier des faits et actes juridiques indispensables au soutien de sa décision ; qu'il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que l'assureur privé ait jamais accordé sa garantie à l'occasion d'un sinistre imputable à la "faute inexcusable" du prétendu assuré, pas plus d'ailleurs qu'il n'a été établi, ni même allégué, qu'un risque tel celui qui résulterait de l'inhalation de fibres microscopiques d'amiante ait jamais été l'objet d'une police d'assurance souscrite auprès de la compagnie Mutuelles du Mans ; qu'un tel risque lié à l'utilisation même de l'amiante n'a été reconnu par le législateur qu'en 1997, postérieurement à l'expiration du contrat d'assurance ; que dès lors en déclarant son arrêt commun à la compagnie d'assurances, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard du principe de sécurité juridique, du principe de confiance légitime, de l'article
2 du Code civil et de l'article
L. 113-5 du Code des assurances ;
et alors, selon le pourvoi de la compagnie Axa Corporate Solutions :
1 / que l'arrêt ne pouvait s'abstenir de répondre aux conclusions de la compagnie Axa Global Risks se prévalant de ce que la société Everite avait fait délivrer assignation à l'ensemble de ses assureurs et co-assureurs concernés, devant le tribunal de grande instance de Tours, pour faire trancher la question de la couverture d'assurance, ce qui impliquait l'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale, et en toute hypothèse, son dessaisissement pour litispendance sur la question litigieuse au profit de la juridiction de droit commun ; que la cour d'appel a violé les articles 100 et suivants, 103 et suivants, et
455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'en toute hypothèse, le tribunal des affaires de sécurité sociale et, sur appel, la chambre sociale de la cour d'appel, étaient incompétents pour appeler et maintenir en cause les compagnies d'assurance, et en particulier la compagnie Axa Global Risks ; que selon les articles
L. 142-1 et
L. 142-2 du Code de la sécurité sociale, la mission des tribunaux des affaires de sécurité sociale est limitée aux différends auxquels donne lieu l'application des législation et réglementation de sécurité sociale ; que les relations assuré-assureur sont de nature contractuelle et que le contentieux qui peut les opposer relève des seules juridictions de droit commun, c'est-à-dire des tribunaux d'instance et de grande instance, et que l'article
332 du nouveau Code de procédure civile ne pouvait justifier la mise en cause litigieuse, d'office et en violation des règles de compétence applicables ; que la cour d'appel a violé les articles
42 et
332 du nouveau Code de procédure civile,
L.142-1 et
L.142-2 du Code de la sécurité sociale et
R.114-1 du Code des assurances ;
Mais attendu, d'abord, qu'aux termes de l'article
R.142-19 du Code de la sécurité sociale, la comparution des parties devant le tribunal des affaires de sécurité sociale est provoquée par une convocation délivrée par le secrétariat du tribunal ; que le tribunal, en ordonnant la mise en cause des compagnies d'assurances susceptibles de garantir la société Everite pour le cas où il serait établi que la maladie professionnelle est due à sa faute inexcusable, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient de l'article
332 du nouveau Code de procédure civile ;
Et attendu, ensuite, que l'intervention forcée ordonnée par le tribunal, qui ne tendait qu'à une déclaration de jugement commun, entrait dans la compétence des juridictions de sécurité sociale ; que la déclaration de jugement commun ne se prononçant pas sur les relations entre les parties et les intervenants forcés, c'est à bon droit, que l'exception de litispendance a été rejetée ;
D'où il suit que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la compagnie AXA Corporate Solutions, la société Everite et les Mutuelles du Mans Assurances aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, déboute la compagnie Les Mutuelles du Mans de sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille deux.