QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CHIRÒ ET AUTRES c. ITALIE (No 4)
(Requête no 67196/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
27 juillet 2010
DÉFINITIF
27/10/2010
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Chirò et autres c. Italie (no 4),
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
Päivi Hirvelä,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juillet 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 67196/01) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet État, Maria Luisa, Dora , Vincenzo et Eloisa Chirò (« les requérants »), ont saisi la Cour le 15 mai 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 11 octobre 2005 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n'était pas compatible avec le principe de légalité et partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (Chirò c. Italie (no 4), no 67196/01, § 67, 11 octobre 2005).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable de 8 796 EUR au titre de préjudice matériel pour la perte du terrain, ainsi qu'une indemnité pour dommage moral et le remboursement des frais et dépens pour la procédure devant les juridictions nationales et pour celles devant la Cour.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 80, et point 2 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable est échu sans que les parties n'aboutissent à un tel accord.
6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
8. Les requérants demandent le versement d'une indemnité de 9 264 EUR au titre de préjudice matériel pour la perte du terrain, somme qui correspond à la valeur du terrain litigieux réévaluée et assortie d'intérêts plus les dommages découlant de la non jouissance du terrain.
9. Le Gouvernement rappelle que dans le cas d'espèce le tribunal n'a pas fait application de la loi budgétaire no662 de 1996 et que donc rien n'est dû aux requérants.
10. Toutefois, au cas où la Cour parviendrait à une conclusion différente, le Gouvernement demande de prendre en considération la somme accordée par les juridictions internes.
11. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
12. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'État sur les terrains.
13. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
14. La Cour observe que les requérants ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale de leur terrain, réévaluée et assortie d'intérêts à compter de la date de la perte de la propriété (voir paragraphes 14 et 15 de l'arrêt au principal). Selon elle, les intéressés ont ainsi déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d'indemnisation suscités.
15. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants 1 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
16. Les requérants sollicitent le versement de la somme de 35 000 EUR au titre de préjudice matériel pour chaque requérant.
17. Le Gouvernement s'y oppose et affirme que celui-ci dépend de la durée excessive de la procédure devant les juridictions nationales.
18. En outre, le Gouvernement rappelle que cinq recours ont été introduits par les mêmes requérants. Il s'ensuit que la Cour devrait procéder à une évaluation unique des dommages moraux relatifs à ces cinq recours. En tout état de cause, le Gouvernement estime que la somme réclamée par les requérants serait en tout cas excessive.
19. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
20. Statuant en équité, la Cour accorde 1 250 EUR à chaque requérant au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
21. Justificatifs à l'appui, les requérants demandent les sommes de 6 256 EUR au titre de remboursement des frais encourus devant les juridictions nationales et de 19 397 EUR au titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.
22. Le Gouvernement estime qu'aucun remboursement ne doit être reconnu aux requérants au motif qu'ils ont eu gain de cause et que les frais de la procédure ont été payés par l'administration.
23. De plus, le Gouvernement rappelle que la procédure interne a été introduite contre l'administration et non contre l'État, lequel ne devrait pas être condamné à rembourser les frais d'une procédure à laquelle il n'était pas partie.
24. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
25. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 20 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
26. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l'État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros) à la première requérante, 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros) à la deuxième requérante, 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros) au troisième requérant et 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros) à la quatrième requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt aux requérants, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 juillet 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président