COMM.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 octobre 2017
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 1313 F-P+B+I
Pourvoi n° J 16-22.083
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Statuant sur le pourvoi formé par
:
1°/ la société Actis mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Atelier de tôlerie du Poitou,
2°/ la société AJ partenaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], représentée par M. Vincent Y..., agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la liquidation de la société Atelier de tôlerie du Poitou ATP, contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2015 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Christophe Basse, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], prise en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Tôlerie chaudronnerie ventilation TCV, représentée par M. Christophe Basse,
2°/ à la société Aéraulique applications, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesses à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 12 septembre 2017, où étaient présents : Mme X..., président, Mme Z..., conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Z..., conseiller référendaire, les observations de Me A..., avocat des sociétés Actis mandataires judiciaires et AJ partenaires, ès qualités, de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Christophe Basse, ès qualités, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen
unique, pris en sa seconde branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 27 octobre 2015), que la société Tôlerie chaudronnerie ventilation (la société TCV) a été mise en sauvegarde puis en liquidation judiciaire les 20 décembre 2012 et 6 mars 2013 ; que sa filiale, la société Atelier de tôlerie du Poitou (la société ATP) a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 5 mars et 2 juillet 2013 ; que, le 7 juin 2013, le liquidateur judiciaire de la société TCV a saisi l'administrateur judiciaire de la société ATP d'une requête en revendication de marchandises qu'elle lui avait vendues avec une clause de réserve de propriété et livrées entre les 30 août et 31 janvier 2013 ;
Attendu que le liquidateur et l'administrateur judiciaires de la société ATP font grief à
l'arrêt d'accueillir la requête en revendication alors, selon le moyen, qu'il incombe au vendeur d'identifier et d'individualiser les biens qu'il entend revendiquer dans le patrimoine de la personne morale débitrice ; que seuls le défaut d'établissement de l'inventaire ou l'obstacle mis par la société débitrice à la réalisation d'un inventaire plus détaillé renversent la charge de la preuve, et mettent à la charge du liquidateur de la société débitrice l'obligation de prouver que les marchandises revendiquées n'existaient plus en nature au jour du jugement d'ouverture ; qu'en considérant cependant qu'un inventaire présentant un caractère incomplet, sommaire et/ou inexploitable était assimilable à une absence d'inventaire, et avait pour effet juridique d'induire un reversement de la charge de la preuve et l'obligation pour le débiteur de prouver que les biens revendiqués n'existaient pas en nature dans son patrimoine au jour de l'ouverture de sa procédure collective, la cour d'appel a violé les dispositions des articles
L. 622-6,
L. 624-16,
L. 631-9 et
L. 641-1 du code de commerce ;
Mais attendu
qu'en présence d'un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable, qui équivaut à l'absence d'inventaire obligatoire prévu par l'article
L. 622-6 du code de commerce, la preuve que le bien revendiqué, précédemment détenu par le débiteur, n'existe plus en nature au jour du jugement d'ouverture, incombe au liquidateur ; qu'ayant souverainement retenu que l'inventaire des actifs de la société ATP, dressé les 20 et 21 mars 2013, était sommaire et incomplet, et que le liquidateur de cette société n'apportait pas la preuve que les marchandises revendiquées n'existaient plus en nature à la date du jugement d'ouverture, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action en revendication devait être accueillie ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa première branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les SELARL Actis mandataires judiciaires et AJ partenaires, en qualité de liquidateur et d'administrateur judiciaires de la société Atelier de tôlerie du Poitou, aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour les sociétés Actis mandataires judiciaires et AJ partenaires
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné à la SELARL Actis, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ATP, de restituer à la SELARL BASSE, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société TCV, les biens revendiqués par cette dernière, d'avoir ordonné, le cas échéant, le paiement par la SELARL Actis, ès qualités à la SELARL Basse, ès qualités, du prix ou de la partie du prix des biens revendiqués qui n'avait été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre la société ATP et l'acheteur ou le cessionnaire, et d'avoir enjoint à la SELARL Actis, ès qualités, de justifier envers la SELARL BASSE, ès qualités, du sort des biens revendiqués ;
Aux motifs qu': « (
) En droit, l'article
L.624-16 alinéa 2 du Code de Commerce, applicable en matière de liquidation judiciaire en vertu de l'article
L.641-14 du même code, dispose : « Peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties ». Au sens de ce texte, à défaut d'écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties, l'acceptation par le débiteur de la clause de réserve de propriété s'apprécie, pour chaque vente objet de celle-ci au plus tard à la date de la livraison. Elle peut, suivant les circonstances, être déduite de la réception sans protestation, dans le courant de relations d'affaires, de factures antérieures comportant la clause litigieuse. En fait, les factures émises par la SAS TCV comportent, au recto, la mention « conditions générales de vente : voir au verso ». Le liquidateur judiciaire de la SAS TCV a produit un exemplaire desdites conditions générales (pièce n° 2) dont l'article X stipule une clause de réserve de propriété. Il n'a produit que des photocopies du recto des factures afférentes aux marchandises revendiquées. Toutefois, le liquidateur judiciaire de la SAS ATP n'allègue ni subsidiairement ne prouve que cette dernière aurait protesté à la réception de ces factures, et il ne produit lui-même aucun original desdites factures dont la SAS ATP a été destinataire, et ne dénient donc pas l'allégation selon laquelle une clause de réserve de propriété figurait dans les conditions générales éditées au verso desdites factures. En outre, le liquidateur judiciaire de la SAS TCV a produit un courriel rédigé le 18/07/2013 par Olivier B... dans les termes suivants (pièce n° 1 de l'appelante): « je vous prie de trouver une information importante quant au mode de fonctionnement depuis ma prise de fonction de la présidence d'Aéraulique Applications, présidente elle-même de ses filiales. (...) En tant que dirigeant de TCV et ATP depuis septembre 2012, j'ai accepté les pratiques et conditions générales de vente de TCV, dont entre TCV et ATP. Ces conditions générales de vente sont mentionnées au dos des documents de TCV. Ainsi, la clause de réserve de propriété mentionnée par TCV est valable jusqu'au paiement par des factures TCV dues, ce principe et cet usage étant déjà en vigueur avant ma prise de fonction. Ce principe de fonctionnement en effet me paraît sain, et les filiales et TCV devant fonctionner selon les principes habituels des relations clients-fournisseurs même si situées au sein d'un même groupe ». Il n'est allégué par le liquidateur judiciaire de la SAS ATP aucune circonstance en raison de laquelle ledit dirigeant des deux sociétés présentement en litige aurait rédigé le courriel précité avec partialité en faveur des intérêts de la SAS TCV. En vertu du régime de preuve par tous moyens applicable entre commerçants en vertu de l'article
L. 110-3 du Code de Commerce, les éléments de fait qui précèdent font présumer de manière suffisamment grave, précise et concordante : que, d'une part, les factures émises par la SAS TCV au nom de sa filiale ATP comportaient au verso une clause de réserve de propriété, à une période antérieure à la livraison des marchandises présentement revendiquées ; et que, d'autre part, en ayant poursuivi les relations commerciales avec la SAS TCV sans protestation, la SAS ATP a implicitement mais nécessairement accepté les conditions générales de vente stipulées par la société venderesse. La clause de réserve de propriété sur laquelle le liquidateur judiciaire de la SAS TCV fonde son action en revendication est donc opposable à la liquidation judiciaire de la SAS ATP. (
) L'inventaire descriptif (sic) et estimatif des actifs dépendant du redressement judiciaire de la SAS ATP dressé par commissaire-priseur les 20 et 21/03/2013 en application des articles
L. 622-6 et
L. 631-14 du Code de Commerce (pièce n° 6 de l'appelante) comporte cinq parties respectivement consacrées : 1° au mobilier et matériel de bureau ; 2° au véhicule en actif ; 3° au mobilier et matériel d'exploitation ; 4° au stock (déclaré payé) ; 5° aux véhicules et matériel en dépôt ou location simple. La 4ème partie, qui figure en page 11, ne comporte aucun descriptif et ne fait mention d'aucun stock déclaré payé de matière première et de produits finis. Elle comporte les mentions suivantes : « liste disponible sur simple demande à l'étude - stock sondé et conforme à 5 % près ». La liste susmentionnée n'est pas produite par le liquidateur judiciaire de la SAS ATP. Par ailleurs, le document précité ne fait mention d'aucun inventaire de marchandises acquises, livrées et en attente de paiement. Dès lors que le liquidateur judiciaire de la SAS ATP ne conteste pas l'absence de paiement (et ne prouve pas le paiement) des marchandises revendiquées par le liquidateur judiciaire de la SAS TCV, il en résulte que l'inventaire des 20 et 21/03/2013 présente un caractère incomplet, sommaire et/ou inexploitable concernant les stocks. Sauf à permettre au débiteur de tirer profit de sa méconnaissance - ou de celle des organes de sa procédure collective - des obligations légales précitées ou de sa négligence, et de paralyser indûment l'action en revendication de ses créanciers réservataires de propriété, un inventaire présentant un caractère incomplet, sommaire et/ou inexploitable est assimilable à une absence d'inventaire et a pour effet juridique d'induire un renversement de la charge de la preuve en vertu duquel la charge de prouver que les biens revendiqués n'existaient plus/pas en nature dans le patrimoine du débiteur au jour de l'ouverture de sa procédure collective pèse sur ce dernier. Le liquidateur judiciaire de la SAS ATP ne rapporte pas cette preuve en invoquant, de manière inopérante, la teneur d'un inventaire dressé le 31/05/2013, près de trois mois après l'ouverture du redressement judiciaire de cette dernière, dès lors que les marchandises revendiquées, existant en nature dans le patrimoine de la SAS ATP au jour de l'ouverture de son redressement judiciaire, ont pu être consommées ou revendues entre temps. Dès lors que, d'une part, le liquidateur judiciaire de la SAS TCV prouve, par la production des factures et bons de livraison, la livraison à la SAS ATP, avant l'ouverture de son redressement judiciaire, des marchandises sous réserve de propriété présentement revendiquées, que, d'autre part, le liquidateur judiciaire de la SAS ATP n'allègue ni subsidiairement ne prouve leur paiement, et que, de dernière part, le liquidateur judiciaire de la SAS ATP ne rapporte pas la preuve de l'inexistence en nature des marchandises présentement revendiquées dans le patrimoine de cette dernière au jour de l'ouverture de son redressement judiciaire, l'action en revendication exercée par le liquidateur judiciaire de la SAS TCV doit être accueillie » ;
1°) alors, d'une part, qu'il résulte de l'article
L 624-16 du code de commerce qu'il appartient au vendeur qui revendique l'application d'une clause de réserve de propriété d'apporter la preuve par écrit de l'acceptation de l'acheteur pour les marchandises revendiquées et à défaut cette acceptation peut être déduite de la réception sans protestation dans le courant de relations d'affaires de factures antérieures mentionnant lisiblement la clause litigieuse ; qu'au présent, il ressort des propres constatations de la cour d'appel que le vendeur, la SELARL Basse, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société TCV, qui prétendait que la clause de réserve de propriété figurait au verso des factures correspondant aux marchandises revendiquées n'en rapportait pas la preuve n'ayant produit que des photocopies du recto de ces factures et ne produisant aucune facture antérieure comportant distinctement la clause litigieuse et reçue sans protestation par l'acheteur ; qu'en retenant cependant qu'une clause de réserve de propriété était opposable au liquidateur judiciaire de la société ATP, acheteur, au motif que ce dernier, « n'allègue ni subsidiairement ne prouve que cette dernière (la SAS ATP) aurait protesté à la réception de ces factures et ne produit aucun original desdites factures dont la SAS ATP a été destinataire et ne dénie donc pas l'allégation selon laquelle une clause de réserve de propriété figurait dans les conditions générales éditées au verso desdites factures » la Cour d'appel, a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article
1315 du Code civil, ensemble les articles
L. 622-6,
L. 624-16,
L. 631-9 et
L. 641-1 du Code de commerce ;
2) alors, d'autre part, qu'il incombe au vendeur d'identifier et d'individualiser les biens qu'il entend revendiquer dans le patrimoine de la personne morale débitrice ; que seuls le défaut d'établissement de l'inventaire ou l'obstacle mis par la société débitrice à la réalisation d'un inventaire plus détaillé renversent la charge de la preuve, et mettent à la charge du liquidateur de la société débitrice l'obligation de prouver que les marchandises revendiquées n'existaient plus en nature au jour du jugement d'ouverture ; qu'en considérant cependant qu'un inventaire présentant un caractère incomplet, sommaire et/ou inexploitable était assimilable à une absence d'inventaire, et avait pour effet juridique d'induire un reversement de la charge de la preuve et l'obligation pour le débiteur de prouver que les biens revendiqués n'existaient pas en nature dans son patrimoine au jour de l'ouverture de sa procédure collective (arrêt attaqué p.6 dernier §), la Cour d'appel a derechef violé les dispositions des articles
L. 622-6,
L. 624-16,
L. 631-9 et
L. 641-1 du Code de commerce.