Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 octobre 2023, le 30 novembre 2023 et le 1er février 2024, le syndicat des Eaux d'Île-de-France (SEDIF), représenté par le cabinet Lacoutre Raquin Tatar avocats, demande au juge des référés d'ordonner une expertise, en présence de l'Union des groupements d'achats publics, établissement public industriel et commercial de l'État (UGAP) et de la société Transfert Pro, afin de connaître l'origine du dysfonctionnement qui a conduit à ce qu'un soumissionnaire ait accès via la plateforme à un certain nombre de fichiers destinés à parvenir à son concurrent et concernant l'offre de ce dernier, et d'évaluer les préjudices subis.
Il soutient que :
- le juge administratif est compétent, dès lors que le marché conclu entre le SEDIF et l'UGAP et celui conclu entre l'UGAP et Transfert Pro sont des marchés publics ;
- la requête est dès lors recevable dès lors qu'il s'agit de déterminer si les conditions de l'engagement de la responsabilité contractuelle et/ou quasi-délictuelle de l'UGAP et/ou de la société Transfert Pro sont réunies ;
- la mesure d'expertise est utile, afin de déterminer contradictoirement la nature et la cause du dysfonctionnement de la plate-forme Transfert Pro avant de saisir les juges du fond ;
- la note de synthèse de M. B du 13 mai 2023 est versée au dossier, en revanche, celle du 26 juin 2023 n'a pas vocation à être produite, dès lors qu'elle ne porte pas sur l'analyse de la cause de l'évènement ayant conduit au partage d'informations confidentielles mais sur les suites de cet évènement ;
- il y a lieu de mener les opérations au contradictoire de l'assistant à maîtrise d'ouvrage, la société Naldeo stratégies publiques, la société SCC, des assureurs de chacune des parties, dont la société Hiscox SA - Hiscox France (assureur de la société Transfert Pro) ;
- les chefs de mission seront complétés selon les termes de son mémoire.
Par des mémoires, enregistrés le 7 novembre 2023 et le 22 décembre 2023, la société Transfert Pro, représentée par le cabinet Earth avocats, demande au juge des référés :
À titre principal :
1°) d'enjoindre au SEDIF de produire les deux rapports d'expertise amiable préparés par M. A B, à défaut de rejeter la mesure sollicitée comme dépourvue d'utilité ;
2°) de condamner le SEDIF à lui verser une somme de 6 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
À titre subsidiaire :
3°) de désigner un expert ou un collège d'experts et de compléter leur mission selon les termes de son mémoire.
Elle soutient que :
- la mesure est dépourvue d'utilité en l'absence de production du rapport d'expertise ;
- les deux rapports d'expertise et/ou note de synthèse du 13 mai 2023 et du
26 juin 2023, se prononçant sur les causes de la fuite de données confidentielles doivent être produits dans le cadre du contradictoire et il y a lieu d'attraire à la cause la société Naldeo stratégies publiques, prestataire du SEDIF en charge de la gestion de la chambre de données ouverte sur la plateforme.
Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2023, l'Union des groupements d'achats publics, établissement public industriel et commercial de l'État (UGAP), ne s'oppose pas à l'expertise demandée.
Elle soutient que :
- elle a lancé en septembre 2016, en sa qualité de centrale d'achat public, une procédure d'appel d'offres ouvert pour la mise à disposition d'une bibliothèque multi-éditeurs, permettant d'accéder à des solutions logicielles répondant aux besoins des bénéficiaires ;
- elle n'avait aucun lien contractuel avec les éditeurs figurant au marché, ceux-ci étant les fournisseurs de second rang de la société SCC, titulaire de marché de l'Ugap, la société Naldeo stratégies publiques doit être mise en cause dès lors que l'erreur peut provenir de l'intervention d'un de ses employés ; il y a lieu d'appeler la société SCC son titulaire de marché et unique cocontractant.
Par des mémoires, enregistrés le 6 décembre 2023, 11 décembre 2023,
28 décembre 2023 et 29 décembre 2023, la société Veolia, représentée par le cabinet Cabanes avocats, demande au juge des référés de prendre acte de son intervention volontaire à l'expertise et conclut au rejet de la demande d'intervention volontaire de la société Suez eau France et de l'injonction faite au SEDIF de produire le rapport de M. B du 26 juin 2023.
Elle soutient que sa présence est utile afin que l'expert dispose d'une information complète et que les documents couverts par le secret des affaires détenus par le SEDIF ne soient pas diffusés sans son accord, en revanche la présence de Suez eau France est inutile dès lors que l'objet de la mission n'est pas d'évaluer ses préjudices, et il n'y a pas lieu de produire le rapport de l'expert M. B du 26 juin 2023 qui a été organisé dans des conditions garantissant sa confidentialité et serait de nature à dévoiler son savoir-faire.
Par deux mémoires, enregistrés le 7 décembre 2023 et le 18 décembre 2023, la société Suez eau France, représentée par le cabinet Centaure avocats, demande au juge des référés de prendre acte de son intervention volontaire à l'expertise.
Elle soutient que sa présence est utile en sa qualité de victime de l'accès de son concurrent à ses documents couverts par le secret des affaires transmis via la plateforme, du point de vue des questions techniques.
Par un mémoire, enregistré le 13 décembre 2023, la société Naldeo stratégies publiques, représentée par le cabinet Delsol avocats, informe le juge des référés qu'elle ne s'oppose pas à la mesure d'expertise sollicitée.
Par un nouveau mémoire, enregistré le 11 janvier 2024, la société Transfert Pro, représentée par le cabinet H2O avocats, demande au juge des référés :
1°) d'enjoindre au SEDIF de produire au contradictoire des parties la note technique établie par M. A B du 26 juin 2023 ;
2°) de confier la mission à l'expert judiciaire en informatique ou au collège d'experts selon les termes de son mémoire ;
3°) de mettre la consignation au titre d'avance sur les frais et honoraires de l'expert ou du collège d'experts à la charge du SEDIF ;
4°) de débouter le SEDIF de sa demande de communication du nom et des coordonnées de l'assureur de Transfert Pro qui est sans objet dans la mesure où ces informations sont déjà en sa possession.
Elle soutient que :
- la note produite du 13 mai 2023 n'a pas la portée de la note technique du
26 juin 2023, rédigée par l'expert ; afin d'être en mesure de trancher le fond du litige, il est nécessaire que le tribunal soit éclairé non seulement sur les causes et origines de l'incident, mais également sur les suites de cet incident ;
- il y a lieu de permettre à l'expert judiciaire désigné, en présence des seuls conseils soumis à un protocole de confidentialité, de se livrer à des investigations sur des documents confidentiels, dont les codes sources et/ou les bases de données de la plateforme logicielle, et à soumettre uniquement les résultats de ses analyses au débat contradictoire sans dévoiler aux autres parties les codes sources et/ou les bases de données de la plateforme logicielle lui appartenant ; et de compléter les autre chefs de mission selon les termes de son mémoire, sans intervenir sur la qualification juridique des faits et sans réaliser un audit de la plateforme fourni par Transfert Pro.
Par un mémoire, enregistré le 1er mars 2024, la société SCC France, représentée par le cabinet Clyde et co avocats, informe le juge des référés qu'elle ne s'oppose pas à la mesure d'expertise sollicitée et demande de compléter la mission de l'expert selon les termes de son mémoire et de mettre les frais d'expertise à la charge du SEDIF et d'appeler à l'expertise la société Smlb-alternative distribution, dès lors qu'elle pas contracté directement avec la société Transfert Pro, mais a passé commande les 6 juillet 2020 et 9 juillet 2020 auprès de la société Smlb-alternative distribution pour la fourniture de la solution logicielle de Transfert Pro.
Par un mémoire, enregistré le 23 avril 2024, la société Smlb-alternative distribution représentée par Me Rebut-Delanoé, informe le tribunal qu'elle ne s'oppose pas à la mesure d'expertise sollicitée, formule les protestations et réserves d'usage et demande la mise à la charge du SEDIF des consignations à venir.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code
de justice administrative.
Le président du tribunal administratif de Paris a désigné Mme Dhiver, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référés.
Considérant ce qui suit
:
1. Aux termes de l'article
R. 531-1 du code de justice administrative : " S'il n'est rien demandé de plus que la constatation des faits, le juge des référés peut, sur simple requête qui peut être présentée sans ministère d'avocat et même en l'absence d'une décision administrative préalable, désigner un expert pour constater sans délai les faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige devant la juridiction. "
2. Le SEDIF a organisé une procédure de mise en concurrence pour l'attribution d'une nouvelle concession du service public de l'eau sur l'ensemble de son territoire et, par le biais de l'UGAP, a décidé de commander à Transfer Pro la plateforme proposée, afin de bénéficier des services d'une plateforme sécurisée de mise à disposition de documents. Au cours de la procédure de mise en concurrence, lors de la phase de négociation et postérieurement à la remise d'une offre améliorée par chacun des deux soumissionnaires, un dysfonctionnement a affecté la plateforme sécurisée de mise à disposition de documents de la société Transfert Pro, et a amené un des candidats à prendre connaissance de plusieurs fichiers concernant l'offre de de son concurrent. Un expert a été saisi, il a rendu un premier rapport d'analyse du dysfonctionnement le 13 mai 2023, suivi d'un second rapport le
26 juin 2023, consacré aux conséquences du dysfonctionnement en matière de confidentialité des données. Faisant valoir que ces expertises ne se sont pas déroulées au contradictoire de tous, et qu'il y a lieu de déterminer l'origine du problème qui a conduit à ce que les 4 et
5 avril 2023, un soumissionnaire ait accès via la plateforme à un certain nombre de fichiers concernant l'offre de son concurrent, et d'évaluer les préjudices subis, le SEDIF sollicite la désignation d'un expert judiciaire.
3. Les constations demandées entrent dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article
R. 531-1 précitées du code de justice administrative ; il y a lieu, par suite, de faire droit à cette demande. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer la mission de l'expert comme il est dit à l'article 1er de la présente ordonnance.
4. Si les différentes parties s'interrogent sur l'opportunité d'enjoindre au SEDIF de produire au contradictoire des parties la note technique du 26 juin 2023, établie par M. A B, il ressort des dires du SEDIF que cet acte constitue le second rapport établi par l'expert M. B suite aux dysfonctionnements de la plateforme Transfert Pro. Il appartiendra dès lors à l'expert désigné, s'il l'estime nécessaire, et dans les conditions qu'il définira, de le réclamer auprès du SEDIF qui le transmettra à première demande, et d'en prendre connaissance.
5. La société Veolia demande au juge des référés de prendre acte de son intervention volontaire à l'expertise et conclut au rejet de la demande d'intervention volontaire de la société Suez eau France. Elle soutient que si sa présence est utile afin que l'expert dispose d'une information complète et que les documents couverts par le secret des affaires détenus par le SEDIF ne soient pas diffusés sans son accord, en revanche la présence de Suez eau France est dépourvue d'utilité dès lors que l'objet de la mission n'est pas d'évaluer ses préjudices. Il résulte toutefois de l'instruction que la présence de la société Suez eau France, victime de l'accès de son concurrent à ses documents transmis via la plateforme, est utile afin d'éclairer l'expert et de faire valoir le cas échéant ses droits.
6. En ce qui concerne les chefs de mission de l'expertise, il appartiendra à l'expert désigné, homme de l'art spécialisé en informatique, de décider des documents qui lui sont nécessaire et de procéder au contradictoire par tous moyens qu'il jugera pertinent, notamment au regard le cas échant de documents pouvant être couverts par le secret des affaires.
7. S'il apparaît à un expert qu'il est nécessaire de faire appel au concours d'un ou plusieurs sapiteurs pour l'éclairer sur un point particulier, il doit préalablement solliciter l'autorisation du président du tribunal administratif. Par suite, les conclusions de la société SCC France tendant à ce que le juge des référés autorise l'expert à s'adjoindre un sapiteur financier ne peuvent qu'être rejetées.
8. Aucune disposition du code de justice administrative ni aucun principe général du droit ne fait obligation à l'expert d'établir un pré-rapport. L'expert, dans la conduite des opérations de l'expertise qui lui est confiée et dont il définit librement les modalités pratiques, de concert avec les parties, ne saurait se voir soumis à d'autres obligations que celles issues du principe du contradictoire. Il suit de là que les conclusions du SEDIF, tendant à ce que l'expert communique un pré-rapport aux parties en leur fixant un délai pour formuler leurs dires auxquels il devra répondre dans son rapport définitif, ne peuvent qu'être rejetées.
9. En vertu de l'article
R. 621-13 du code de justice administrative, la ou les parties qui assumeront la charge des frais d'expertise sont désignées par le président du tribunal aux termes de l'ordonnance qui fixera, après le dépôt du rapport, les frais et honoraires de l'expert. De même, en application de l'article
R. 621-12 du même code, dans le cas où il serait fait droit à une demande de l'expert tendant au bénéfice d'une allocation provisionnelle, il appartient également au président du tribunal, aux termes de l'ordonnance fixant le montant de cette allocation, de préciser la ou les parties qui devront la verser. Il n'appartient donc pas au juge des référés de déterminer la partie à la charge de laquelle seront mis les frais d'expertise ou, le cas échéant, l'allocation provisionnelle qui pourrait éventuellement être accordée à l'expert. Par suite, la demande présentée à ce titre par la société Transfert Pro, tendant à faire supporter les frais d'allocation provisionnelle d'expertise par le SEDIF doit être rejetée. Il en va de même en ce qui concerne les conclusions de la société SGG France et de la société Smlb-alternative distribution tendant à mettre les frais d'expertise à la charge du SEDIF.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'une partie une somme au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : M. C D (ingénieur en informatique), exerçant 8, rue Ledemandé au Havre (76620), est désigné en qualité d'expert. Il aura pour mission, en présence du syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), de l'Union des groupements d'achats publics, établissement public industriel et commercial de l'État (UGAP), de la société Transfert Pro, de la société Naldeo stratégies publiques, de la société SCC, de la société Hiscox SA - Hiscox France (assureur de la société Transfert Pro), de la société Veolia, de la société Suez eau France, de la société Smlb-alternative distribution, de :
1') prendre connaissance des pièces du marché ; convoquer et entendre les parties et tout sachant sur les questions objets de sa mission ; se rendre en tout lieu nécessaire à l'exécution de sa mission, notamment dans les locaux de la société Transfert Pro ; retracer l'historique du dysfonctionnement ;
2°) avant le début de ses investigations, faire procéder s'il y a lieu contradictoirement à la sauvegarde de l'outil fourni par la société Transfert Pro et de l'ensemble de fichiers journaux d'utilisation en exécution du bon de commande conclu entre le SEDIF et l'UGAP ;
3°) prendre connaissance de l'ensemble des engagements techniques et notamment ceux de la société Transfert Pro, au regard des documents contractuels et techniques ainsi que des règles de l'art dans le domaine de l'informatique ; décrire à cette fin le fonctionnement de la plateforme, donner son avis sur les règles de sécurité mises en œuvre aux fins de sécurisation des flux de données et du maintien de la confidentialité afin de permettre une utilisation conforme et sécurisée en considération de la nature et de la destination de ladite plateforme ;
4°) dire si les équipes affectées par les parties étaient suffisamment formées et compétentes et décrire et évaluer, si la réponse à cette question est négative, les conséquences sur la fuite de données ;
5°) déterminer la nature et la cause de ce dysfonctionnement de la plateforme Transfert Pro les 4 et 5 avril 2023 de la plateforme de mise à disposition sécurisée de données fournie par la société Transfert Pro ; procéder si besoin à tous les examens, tests et investigations techniques, qui s'avéraient utiles, en relation avec les défaillances constatées ;
6°) fournir tous les éléments techniques et de faits de nature à permettre ultérieurement au tribunal saisi au fond de déterminer et de chiffrer les préjudices subis ou à subir par le SEDIF du fait du dysfonctionnement des défaillances techniques constatées.
Article 2 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article
R. 621-3 du code de justice administrative.
Article 3 : L'expert remplira sa mission dans les conditions prévues par les articles
R. 621-2 à
R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président du tribunal administratif.
Article 4 : L'expert, à la demande du juge des référés ou à son initiative, pourra tenter une médiation entre les parties dans les conditions de l'article R. 621-1 modifié du code de justice administrative.
Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe du tribunal, au plus tard le 1er octobre 2024, par le biais de la plateforme prévue à cet effet, accompagné de l'état de leurs vacations, frais et débours.
Article 6 : L'expert notifiera les copies de son rapport aux parties intéressées telles que précisées à l'article 8 de la présente ordonnance, dans les conditions prévues à l'article
R. 621-9 du code de justice administrative. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer par voie électronique dans les conditions prévues à l'article
R. 621-7-3 du même code.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat des eaux d'Île-de-France (SEDIF), à l'union des groupements d'achats publics, établissement public industriel et commercial de l'État (UGAP), à la société Transfert Pro, à la société Naldeo stratégies publiques, à la société SCC, à la société Hiscox SA - Hiscox France, à la société Veolia, à la société Suez eau France, à la société Smlb-alternative distribution, et à M. C D, expert.
Fait à Paris, le 22 juillet 2024.
La juge des référés,
M. Dhiver
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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