Logo pappers Justice

CEDH, Cour (Deuxième Section), JULIEN c. FRANCE, 9 juillet 2002, 50331/99

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    50331/99
  • Dispositif : Recevable
  • Date d'introduction : 30 juin 1999
  • Importance : Faible
  • Droit interne : L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire
  • État défendeur : France
  • Nature : Décision
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2002:0709DEC005033199
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-125987
Voir plus

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ de la requête no 50331/99 présentée par Ferdinand JULIEN contre la France La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 9 juillet 2002 en une chambre composée de MM. A.B. Baka, président, J.-P. Costa, Gaukur Jörundsson, L. Loucaides, C. Bîrsan, M. Ugrekhelidze, Mme A. Mularoni, juges, et de Mme S. Dollé, greffière de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 30 juin 1999, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Ferdinand Julien, est un ressortissant français, né en 1946 et résidant à Rosières. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Employé depuis 1983 par la compagnie d'assurances UAP, le requérant fut licencié pour faute grave le 19 juin 1991, une autorisation de licenciement ayant été donnée le 14 juin 1991 par les services de l'inspection du travail. Le requérant engagea alors plusieurs procédures, l'une devant le tribunal administratif de Paris et l'autre devant le conseil de prud'hommes de Nanterre. 1. La procédure administrative Contestant l'autorisation administrative de licenciement, le requérant forma un recours devant le tribunal administratif de Paris le 9 juillet 1991. Par jugement du 28 avril 1993, le tribunal administratif débouta le requérant. Ce dernier déposa une requête devant le Conseil d'Etat en novembre 1993. Le 28 février 1997, un arrêt du Conseil d'Etat annula le jugement du tribunal administratif et considéra que la décision autorisant le licenciement du requérant était entachée d'incompétence. En conséquence, le requérant était fondé à demander sa réintégration dans le délai de deux mois suivant l'arrêt du Conseil d'Etat. 2. La procédure devant le conseil de prud'hommes de Nanterre Le 14 octobre 1991, le requérant saisit le conseil des prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de la compagnie d'assurances UAP. L'audience de conciliation eut lieu le 10 décembre 1991. A défaut de conciliation, l'affaire fut renvoyée à l'audience du bureau de jugement du 17 novembre 1992. A quatre reprises, entre le 17 novembre 1992 et le 1er juillet 1997, l'audience devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes fut renvoyée à une date postérieure sur demande des avocats, dans l'attente de la décision définitive du Conseil d'Etat, qui intervint finalement le 28 février 1997. Le 26 juin 1997, l'avocat du requérant et l'avocat de l'UAP sollicitèrent le report de l'examen de l'affaire au motif de l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat. Le 1er juillet 1997, le requérant fut convoqué devant le bureau de jugement pour le 12 mai 1998. Après une nouvelle demande de renvoi de l'avocat de l'UAP, l'audience fut fixée au 30 mars 1999. Le 30 mars 1999, les avocats firent leurs plaidoiries. Le conseil de prud'hommes n'ayant pu se départager, il renvoya l'affaire à une nouvelle audience le 25 octobre 1999. Le 25 octobre 1999, le bureau de jugement fixa un renvoi au 21 février 2000. Le 21 février 2000, le bureau de jugement fixa le délibéré au 31 mars 2000. Le 31 mars 2000, le délibéré fut prorogé au 28 avril 2000. Le jugement fut prononcé le 28 avril 2000. Il déclara nul le licenciement du requérant et condamna l'UAP à lui verser la somme de 3 510 000 FRF à titre de dommages et intérêts pour refus de réintégration et en réparation du préjudice. Une expertise complémentaire fut ordonnée pour déterminer les sommes encore dues au titre des rappels de salaires et des commissions. Le 29 mai 2000, l'UAP interjeta appel de ce jugement. L'affaire fut enrôlée à la cour d'appel de Versailles le 26 octobre 2000. L'affaire est pendante devant cette juridiction.

EN DROIT

Le requérant se plaint de la durée de la procédure prud'homale. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé en ses dispositions pertinentes : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » A. Sur l'exception préliminaire du Gouvernement A titre principal, le Gouvernement plaide que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, l'intéressé aurait dû saisir les juridictions françaises d'une action en responsabilité dirigée contre l'Etat et fondée sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire. Il rappelle qu'il fait état de cette possibilité offerte par le droit interne à chaque fois que se pose un problème de durée. Il souligne que ce recours se fonde désormais sur une jurisprudence consolidée. Il fait en particulier référence à un jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu le 5 novembre 1997 dans l'affaire Gauthier qui, selon lui, a élargi la notion de déni de justice à « tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ». Il ajoute que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 janvier 1999 qui constitue, selon lui, un arrêt de principe. Cette jurisprudence a trouvé à s'appliquer à plusieurs reprises. Ainsi en est-il de deux jugements du tribunal de grande instance de Paris des 14 juin et 22 septembre 1999, ou encore de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 10 novembre 1999, devenus définitifs. Cette évolution jurisprudentielle a été, par ailleurs, largement commentée dans la presse spécialisée. Le Gouvernement affirme que le recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire a la même finalité que celui formé devant la Cour. Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement demande à la Cour de considérer que ce recours constitue un recours efficace, y compris lorsque la procédure est encore pendante au plan interne. Faute pour le requérant d'avoir exercé ce recours, la requête devrait, selon le Gouvernement être déclarée irrecevable. Le requérant estime quant à lui qu'à la date d'introduction de la requête devant la Cour, la jurisprudence fondée sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire n'était pas établie. Aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention, tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (arrêts Cardot c. France du 19 mars 1991, série A no 200, p. 19, § 36 et Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-I, p. 61, § 37). Néanmoins, les dispositions de l'article 35 de la Convention ne prescrivent l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, série A no 198, pp. 11-12, § 27 ; Dalia c. France du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38). S'agissant du recours prévu à l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, la Cour a récemment jugé qu'il n'a acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention que le 20 septembre 1999 (affaire Giummarra et autres c. France, no 61166/00, [troisième Section], décision du 12 juin 2001). Or la présente requête a été introduite le 30 juin 1999, soit avant cette date. Rappelant que l'épuisement des voies de recours internes s'apprécie en principe à la date d'introduction de la requête devant elle (voir, par exemple, Zutter c. France, no 30197/96, décision du 27 juin 2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France, nos 44952/98 et 44953/98, décision du 7 novembre 2000, et Malve c. France, no 46051/99, décision du 20 janvier 2001), la Cour en déduit qu'il ne saurait être reproché au requérant de n'avoir pas exercé le recours litigieux. Il y a donc lieu de rejeter l'exception. B. Sur le fond du grief Le grief du requérant porte sur la durée de la procédure prud'homale qui a débuté le 14 octobre 1991 et est à ce jour encore pendante devant le deuxième degré d'instance. Elle a donc déjà duré plus de 10 ans et demi. Le Gouvernement relève que l'affaire ne présentait pas une complexité particulière. Le requérant a, à plusieurs reprises après l'arrêt du Conseil d'Etat du 28 février 1997, écrit au président du conseil de prud'hommes pour s'opposer à de nouveaux renvois d'audiences demandés par la société UAP, et on ne saurait, dès lors, selon le Gouvernement, imputer au comportement du requérant une éventuelle responsabilité dans ces retards. Le Gouvernement note que la procédure devant le conseil de prud'hommes a duré presque neuf ans ; deux raisons majeures peuvent être invoquées : le nombre excessif de demandes de renvoi émanant de l'UAP et acceptés par les différents présidents d'audience et les délais entre chaque renvois, liés à la surcharge de travail dans cette juridiction. Toutefois, le Gouvernement précise que le conseil de prud'hommes a dû attendre l'arrêt du Conseil d'Etat pour se prononcer et que la durée excessive de la procédure devant les juridictions administratives est à l'origine du caractère manifestement anormal de la durée de la procédure devant le conseil de prud'hommes. Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour pour l'appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure. La Cour estime, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que ce grief doit faire l'objet d'un examen au fond.

Par ces motifs

, la Cour, à l'unanimité, Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés. S. Dollé A.B. Baka Greffière Président