Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme P J D et M. Sahal Mohamed C ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé le 19 octobre 2020 contre la décision de l'autorité consulaire française à Djibouti du 29 septembre 2020 refusant de délivrer des visas de long séjour à M. Mohamed C et aux enfants mineurs Gouled et B en qualité de membres de la famille d'un refugié.
Par un jugement n° 2102246 du 21 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois suivant la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 octobre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C et Mme D devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien familial avec Mme D ; le lien familial n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état ;
- la demande de Mme D concerne une réunification familiale partielle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2022, Mme P J D et M. Sahal Mohamed C, représentés par Me Rodrigues Devesas, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens invoqués par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
Mme J D a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 décembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frank,
- et les observations de Me Rodrigues Devesas, représentant Mme P J D et M. Sahal Mohamed C.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme P J D, ressortissante somalienne née le 3 août 1981, a obtenu le statut de réfugié le 14 septembre 2018. Son mari allégué, M. Sahal Mohamed C, et deux de leurs enfants mineurs allégués, Gouled Sahal Mohamed et B Sahal Mohamed, ont sollicité, le 17 février 2020, la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de la famille d'un réfugié. Par une décision du 29 septembre 2020, l'autorité consulaire française à Djibouti (Djibouti) a refusé de délivrer les visas sollicités. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Par un jugement du 21 juillet 2021 le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. Mohamed C et aux enfants Gouled Sahal Mohamed et B Sahal Mohamed les visas sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la requête d'appel du ministre de l'intérieur, que pour refuser les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés d'une part, de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant leur lien familial à l'égard de Mme D, n'étaient pas établis, d'autre part, de ce que la demande de visa conduit à une réunification familiale partielle, non justifiée par l'intérêt des enfants.
3. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à
L. 561-5 du même code : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; () 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. () L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article
311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article
L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. () ". L'article
L. 721-3, alors en vigueur, du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ". Il résulte de ces dispositions que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides sur le fondement des dispositions de l'article
L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec. Par ailleurs, la circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
4. L'article
L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises à l'article
L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article
47 du code civil. L'article
47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. S'agissant de M. Mohamed C, ont été produits pour établir son identité et le lien familial allégué, un certificat de mariage établi le 19 avril 2019 par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en application de l'article
L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faisant état du mariage en 2002 de la requérante et de " M. Sahal Mohamed C " né en 1980 de l'union de M. Mohamed C Sahal et de Mme N, un passeport délivré le 29 août 2019 par les autorités somaliennes ainsi qu'un certificat de naissance, délivré par l'ambassade de Somalie à Djibouti. S'agissant des enfants Gouled Sahal et B Sahal, ont été produits deux certificats de naissance, délivrés par l'ambassade de Somalie à Djibouti le 28 août 2019, faisant état de la naissance des intéressés, respectivement les 25 avril 2005 et 4 juin 2008, ainsi que leurs passeports délivrés par les autorités somaliennes. Si le ministre de l'intérieur soutient que les actes produits sont dépourvus de force probante, notamment en ce que les certificats de naissance ont été délivrés par des autorités consulaires placées en ambassade, sur simple déclaration, plusieurs années après les évènements qu'ils relatent, il ne précise toutefois pas les règles de droit ou usages somaliens qui auraient été méconnus en l'espèce. Cette circonstance ne suffit au demeurant pas à démontrer l'existence d'une fraude de nature à entacher l'acte de mariage délivré par l'OFPRA. Par ailleurs, les énonciations contenues dans ces documents sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme J D devant l'Office français de protection des réfugiés. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté les demandes de visa litigieuses au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial avec Mme J D n'étaient pas établis.
6. En second lieu, aux termes de l'article
L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants ". Il résulte de ces dispositions que la demande de réunification familiale doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier, et qu'une réunification familiale partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme D a déclaré auprès de l'OFPRA que de son union avec M. Mohamed C, étaient nés six enfants : K Sahal, B Sahal, E Sahal, Gouled Sahal, H Sahal Mohamed et M Sahal Mohamed, nés entre 2003 et 2012. Si les jeunes H et M ont été placés en France sous la protection de l'OFPRA, il n'est pas contesté qu'à la date de la décision en litige, aucune demande de visa n'avait été présentée pour les jeunes K Sahal et E Sahal. Toutefois, Mme J D a indiqué, devant l'OFPRA et en première instance, qu'Ibrahim avait été enlevé en 2014, et qu'Aïcha avait disparu en 2018. Le ministre de l'intérieur ne conteste pas sérieusement la réalité de ces allégations, qui justifient qu'aucune demande de visa n'ait été présentée pour les jeunes K et E. Par suite, et dans les circonstances de l'espèce, la requérante est fondée à soutenir que le ministre de l'intérieur a fait une inexacte application des dispositions citées au point 6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en se fondant sur le motif tiré du caractère partiel de la demande de réunification familiale.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé le 19 octobre 2020 contre la décision de l'autorité consulaire française à Djibouti du 29 septembre 2020 refusant de délivrer des visas de long séjour à M. Mohamed C et aux enfants mineurs Gouled Sahal et B Sahal en qualité de membres de la famille d'un refugié et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme J D a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Rodrigues Devesas dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Rodrigues Devesas, avocate de la requérante, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Rodrigues Devesas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme P J D, à M. Sahal Mohamed C et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 février 2023.
Le rapporteur,
A. FrankLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 21NT02903