TROISIÈME SECTION
DÉCISION
[Note1]
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête n° 41453/98
présentée par S. M.[Note2]
contre la France[Note3]
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en chambre le 5 octobre 1999 en présence de
M. L. Loucaides, président,
M. J-P. Costa,
M. P. Kūris,
Mme F. Tulkens,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja,
M. M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section ;
Vu l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 25 février 1998 par S. M. contre la France et enregistrée le 3 juin 1998 sous le n° de dossier 41453/98 ;
Vu les rapports prévus à l'article 49 du règlement de la Cour ;
Vu les observations présentées par le gouvernement défendeur le 7 juillet 1999 et les observations en réponse présentées par la requérante le 18 août 1999 ;
Après en avoir délibéré ;
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante est une ressortissante française née en 1924, retraitée, et résidant à Caen. Elle agit en personne devant la Cour.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Par arrêté préfectoral du 1er septembre 1947, la requérante fut nommée secrétaire médico-sociale auprès d'un service social du département du Calvados, avec effet au 1er octobre 1947.
Le 3 mars 1977, la requérante engagea une procédure tendant à l'application de cet arrêté préfectoral ; à cette occasion, elle sollicita notamment sa titularisation dans l'emploi et la reconstitution de sa carrière à compter du 1er octobre 1947.
Le 27 juin 1978, le tribunal administratif de Caen rejeta les demandes de la requérante, aux motifs que l'arrêté préfectoral du 1er septembre 1947 se fondait sur un texte de 1941 ne concernant que les assistantes sociales et qu'elle n'avait pas cette qualité. Ce jugement fut confirmé par le Conseil d'État le 10 décembre 1980.
Par arrêté du 13 janvier 1984, le président du Conseil général du département du Calvados titularisa la requérante en qualité d'agent de bureau dactylographe avec effet au 9 avril 1983.
La requérante contesta cette décision, se plaignant de ce qu'elle avait été titularisée en catégorie D alors qu'elle occupait des fonctions autorisant une titularisation dans une catégorie supérieure, en l'occurrence C.
Le 10 janvier 1985, la requérante saisit le tribunal administratif de Caen d'une demande visant à obtenir la condamnation du département du Calvados pour le préjudice, en particulier les pertes sur le montant de la pension de retraite, résultant de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 1er septembre 1947 et du refus du département de la titulariser dans un emploi de catégorie C.
La requérante cessa ses activités professionnelles le 1er août 1985.
Le département du Calvados produisit un mémoire le 8 octobre 1985. La requérante déposa deux mémoires les 27 novembre 1985, respectivement 21 mars 1986.
Le 18 octobre 1988, le tribunal administratif de Caen rejeta la demande de la requérante, au motif que le Conseil d'État, par arrêté du 10 décembre 1980, avait décidé qu'elle ne pouvait pas légalement prétendre être titularisée dans un emploi de secrétaire médico-sociale.
Le 23 janvier 1989, la requérant fit appel de ce jugement.
Le 6 décembre 1989, le président de la section du contentieux du Conseil d'État ordonna l'attribution de la cause à la cour administrative d'appel de Nantes.
L'appel de la requérante fut enregistré le 2 janvier 1990 auprès de la cour administrative d'appel de Nantes.
Les 28 mars, respectivement 3 mai 1990, le département du Calvados et la requérante produisirent leurs mémoires.
Le 11 septembre 1991, le rapport d'instruction fut déposé.
Le département du Calvados et la requérante produisirent de nouvelles pièces en avril 1992, respectivement en mai 1992.
Par ordonnance du 7 mai 1992, l'instruction fut clôturée.
Par un jugement du 7 octobre 1992, la cour administrative d'appel de Nantes rejeta les prétentions de la requérante, aux motifs qu'elle avait été titularisée en 1984 et qu'en conséquence, « si (son) recrutement (…) dans un emploi qui n'avait pas été créé (était) constitutif d'une faute de l'administration, (…) cette faute (était) restée sans incidence sur le montant de la pension perçue (…) ».
Le 9 décembre 1992, la requérante se pourvut en cassation devant le Conseil d'État.
En février 1995, respectivement en mars 1995, le département du Calvados et la requérante déposèrent leurs mémoires.
Par arrêt du 30 juin 1995, le Conseil d'État annula le jugement entrepris et renvoya l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes pour nouvelle décision.
En septembre 1995, respectivement en octobre 1995, la requérante et le département du Calvados déposèrent leurs mémoires.
Par ordonnance du 31 octobre 1995, l'instruction fut clôturée.
L'instruction fut rouverte en janvier 1996. La requérante produisit un mémoire.
Par ordonnance du 18 mars 1996, l'instruction fut clôturée.
Le 16 octobre 1997, la cour administrative d'appel de Nantes admit le recours de la requérante et annula le jugement rendu par le tribunal administratif de Caen le 18 octobre 1988. Elle rejeta d'abord l'exception de chose jugée soulevée par le département du Calvados, aux motifs que les conclusions de la requérante étaient fondées sur l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 1er septembre 1947 et le refus du département de la titulariser, et différaient en conséquence de celles ayant abouti à l'arrêt du Conseil d'État du 10 décembre 1980, lesquelles visaient à obtenir la reconstitution de sa carrière et l'obtention de l'indemnité correspondante. Considérant ensuite qu'en refusant de titulariser la requérante dans un emploi de catégorie C, le département du Calvados avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, la cour le condamna à payer une indemnité correspondant, pour la période du 1er août 1985 au 16 octobre 1997, à la différence entre la pension de retraite qu'elle aurait dû percevoir en qualité d'agent titulaire de catégorie C et celle qu'elle recevait effectivement et, à compter du 16 octobre 1997, à une rente viagère calculée sur les mêmes bases. Estimant toutefois que l'état de l'instruction ne permettait pas de déterminer le montant de l'indemnité due à la requérante, la cour renvoya sur ce point l'affaire au département du Calvados.
Le 28 mai 1998, le département du Calvados paya à la requérante près de 44 000 francs français au titre de l'indemnité compensatrice. La requérante perçoit en outre une rente viagère mensuelle ; elle en conteste toutefois le montant.
EN DROIT
Le grief de la requérante porte sur la durée de la procédure.
La procédure a débuté le 10 janvier 1985, date de la saisine du tribunal administratif de Caen (Périscope c. France du 26 mars 1992, série A n° 234-B, p. 66, § 43). Elle s'est terminée le 16 octobre 1997, date de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes (Périscope c. France précité, p. 66, § 43) et ce, sans compter l'exécution dudit arrêt (Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, n° 33, pp. 510 et 511, §§ 40 et 41). Elle a donc duré, pour le moins, 12 ans, 9 mois et 6 jours.
Selon la requérante, la durée de la procédure ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention. Le gouvernement défendeur s'oppose à cette thèse ; à titre principal, il soulève une exception relative à l'applicabilité de cette disposition.
La Cour estime qu'à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable » (complexité de l'affaire, comportement du requérant et des autorités compétentes), et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, ce grief, y compris la question de l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la convention, doit faire l'objet d'un examen au fond.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
S. Dollé L. Loucaides
Greffière Président
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[Note2] Ne mettre que les initiales si non public ; prénom et, en majuscules, le nom de famille ; nom corporatif en majuscules ; pas de traduction des noms collectifs.
[Note3] Première lettre du pays en majuscule. Mettre l'article selon l'usage normal de la langue.