Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés le 21 mars 2022 et le 27 juillet 2023, M. C, représenté par Me Lagarde, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision refusant de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle née du silence gardé par l'administration sur sa demande du 20 septembre 2021, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai d'une semaine à compter du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la décision refusant de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle ainsi que celle rejetant son recours gracieux formé à l'encontre de cette décision sont entachées d'une erreur d'appréciation de sa situation au regard des articles 6 et 11 de la loi du 13 juillet 1983 dès lors qu'il a été victime, entre 2015 et 2019, d'agissements constitutifs de harcèlement moral ; en effet, les faits de harcèlement moral ont commencé lors de la réunion du 12 novembre 2015, jour où il a été agressé physiquement par M. B, directeur technique national adjoint, en présence de M. A, directeur technique national, sur son lieu de travail lui valant 53 jours d'arrêt de travail, en raison de multiples fractures de la main comme l'atteste le procès-verbal d'huissier retranscrivant l'enregistrement de cette scène ; il sollicite, dans son dernier mémoire, l'octroi de la protection fonctionnelle aux fins de réparer les conséquences de ce seul évènement ; à la suite de cet évènement, il s'est vu imposer des décisions unilatérales ayant de graves conséquences sur ses fonctions et sa carrière dont notamment : la modification de ses missions, la suppression de l'indemnité de chef de service qu'il percevait depuis 25 ans, l'exclusion de l'organigramme de la
Fédération française de natation alors qu'il exerçait toujours ses fonctions de conseiller technique national responsable du service recherche, l'absence de prise en charge du jour au lendemain de ses frais de déplacement, les multiples actes discriminatoires pris à son encontre dont le refus de participation à un colloque, l'exclusion de certaines réunions et plus généralement une mise au "placard " dans tous les aspects de l'exercice de ses fonctions ayant abouti à la décision de mettre fin à ses missions ; ces faits sont corroborés par les constatations de la Médiatrice des Ministères sociaux ainsi que par ses recommandations ; les témoignages de ses anciens collègues établissent la réalité de ce harcèlement moral ; il subit encore aujourd'hui des difficultés sur son poste au CREPS de Bordeaux ; ces agissements ont entraîné une dégradation de son état de santé : il a été contraint de poser 108 jours de congés de maladie entre le 1er juin 2015 et le 15 février 2019 et a fait l'objet d'admission en unités de soins psychiatriques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2023, la ministre des sports, des Jeux olympiques et paralympiques conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.
Une note en délibéré, présentée par Me Lagarde, représentant M. C a été enregistrée le 30 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caste, rapporteure,
- les conclusions de Mme Jaouën, rapporteure publique,
- et les observations Me Lagarde, représentant M. C.
Considérant ce qui suit
:
1. M. Philippe Hellard, conseiller technique
sportif, actuellement affecté au centre de ressources, d'expertise et de performance
sportives (CREPS) de Bordeaux, a exercé ses fonctions auprès de la
Fédération française de natation entre 1991 et 2019. Par un courrier du 18 septembre 2021, remis au directeur du CREPS de Bordeaux le 20 septembre 2021 et transmis à l'autorité compétente, il a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral dont il estime avoir été victime entre 2015 et 2019. Il demande au tribunal d'annuler la décision refusant de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle née du silence gardé par l'administration sur sa demande, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au présent litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel () ". Aux termes de l'article 11 de la même loi dans sa version applicable à la date des décisions contestées : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (). III.- Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. Le fonctionnaire entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale. IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté () ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement, notamment lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
4. M. C fait valoir qu'à compter de 2015, il s'est vu imposer des décisions unilatérales ayant de graves conséquences sur ses fonctions et sa carrière et notamment la modification de ses missions, la suppression de l'indemnité de chef de service qu'il percevait depuis vingt-cinq ans, l'exclusion de l'organigramme de la Fédération française de natation alors qu'il exerçait toujours ses fonctions de conseiller technique national responsable du service Recherches, l'absence de prise en charge de ses frais de déplacement et de multiples actes discriminatoires pris à son encontre dont le refus de participation à un colloque, l'exclusion de certaines réunions et plus généralement une mise à l'écart du service.
5. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C ait subi, à compter de 2015, une suppression de ses missions dans le but de le mettre à l'écart du service. En effet, si l'intéressé produit une lettre de mission remise en main propre au cours d'un entretien du 23 mars 2016, ce document qui s'intitule " proposition de modification de ses missions pour la période comprise entre le 21 mars et le 31 août 2016 " qui répartit par pourcentage le temps passé par l'intéressé sur chacune des missions qui lui sont dévolues dans le cadre de ses fonctions pour la période, n'établit pas que cette modification induirait une mise à l'écart du service. Aucune autre pièce ne vient utilement corroborer cette allégation dès lors que l'administration en défense indique, sans être ultérieurement contredite, qu'à la suite des Jeux Olympiques de Rio en 2016 et de la défaite française en natation, les services de la
Fédération française de natation ont été réorganisés, ce qui a entraîné une intégration du service " recherche " auquel appartenait M. C au sein d'un pôle " haut niveau " et partant, une modification des tâches des agents. Cette circonstance est d'ailleurs corroborée par les échanges de courriels produits par le requérant, notamment avec la Médiatrice des ministères sociaux, intervenue à la demande de l'administration afin de faire un point sur les différents travaux et missions de M. C à la suite de cette réorganisation et d'améliorer le dialogue avec sa hiérarchie. En outre, le requérant, qui allègue avoir été privé de la prise en charge de ses frais de déplacement produit un échange de courriels en date du 7 mars 2018 duquel il ressort une remise en cause par ce dernier de la nouvelle organisation du service et un refus de solliciter la prise en charge de ses frais de déplacement au responsable d'un pôle France. Si M. C soutient également avoir été privé de l'indemnité de chef de service, il ne l'établit pas en versant son bulletin de paie du mois de janvier 2016 lequel ne révèle pas la suppression d'une indemnité de chef de service dont il n'est pas établi qu'elle lui aurait été versée antérieurement mais démontre seulement qu'en raison d'un acompte exceptionnel déjà versé, son traitement est réduit pour le mois concerné. Ce fait n'est pas non plus établi par les autres pièces versées, notamment des relevés bancaires ou des bulletins attestant, à une certaine période, du versement d'indemnités. Également, la mise à l'écart du service de M. C n'apparaît pas établie par la production d'un organigramme de la
Fédération française de natation sur lequel le nom de l'intéressé ne figure pas dès lors que, ainsi que le fait valoir l'administration dont la version n'est pas contredite par les éléments versés ultérieurement à l'instance par le requérant, cet organigramme, qui n'est au demeurant pas précisément daté à l'exception de l'année 2017, fait suite à la réorganisation de la
Fédération intervenue alors que l'intéressé se trouvait en congé de formation d'une durée d'un an, quand bien même ainsi que le soutient le requérant, il ne se trouvait à l'étranger durant ce congé que pour une durée de quatre mois. Cette mise à l'écart du service n'est pas non plus établie par son absence à une réunion de service du 12 février 2019 à laquelle il n'était pas convié et qui ressort d'un échange de courriels versé à la procédure, dès lors que M. D, directeur technique national sous l'autorité duquel M. C était alors placé, indique au requérant dans cet échange qu'il n'y était effectivement pas associé au regard de leurs précédents échanges au cours desquels il avait été convenu, en accord avec la Médiatrice des sports, que M. C devait prioritairement terminer d'autres tâches. En outre, la circonstance qu'un déplacement au Japon lui ait été refusé, au vu des difficultés notamment de santé rencontrées par le requérant durant la période litigieuse, qui sont évoquées par M. D dans un courriel, n'est pas de nature à démontrer une volonté de mise à l'écart. Il ressort au contraire des éléments du dossier une volonté de son administration de rétablir le dialogue avec le requérant et de redéfinir ses missions à son retour de congé formation à la suite de la réorganisation du service dans un contexte de remise en cause systématique par celui-ci des nouvelles modalités de fonctionnement du service, ainsi que cela ressort notamment du courriel qu'il adresse au président de la
Fédération et à différents élus le 27 avril 2019. Les témoignages d'autres agents versés à l'instance par le requérant ne viennent corroborer aucune de ses allégations dès lors qu'ils ne portent pas sur la situation vécue par M. C mais sur celle de ces agents.
6. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux, du procès-verbal d'huissier ainsi que de la plainte déposée au commissariat de Pantin par M. C et du rappel à la loi par officier de police judiciaire décidé par le Procureur de la République de Bobigny à l'encontre de M. B pour des faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours sur M. C, que le 12 novembre 2015, qu'une altercation - dont le déroulement est retranscrit sur le procès-verbal d'huissier du 13 juillet 2023 - a eu lieu entre M. C et sa hiérarchie au cours de laquelle l'intéressé a subi des violences de la part de M. B lui ayant occasionné une fracture de la main. Toutefois, si cette altercation apparaît matériellement établie ainsi que les conséquences de celle-ci sur l'état de santé du requérant, ce seul évènement, unique et isolé, ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral.
7. Les faits relatés par l'intéressé, pris isolément ou dans leur ensemble, ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision portant refus de protection fonctionnelle ainsi que celle rejetant implicitement son recours gracieux sont entachées d'une erreur d'appréciation ne peut qu'être rejeté.
8. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions à fin d'injonction ainsi que de celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : La requête de M. C est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. C et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 30 août 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Zuccarello, présidente,
- Mme Caste, conseillère,
- Mme Denys, conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 septembre 2023.
La rapporteure,
F. CASTE
La présidente,
F. ZUCCARELLO La greffière,
I. MONTANGON
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière