Vu la procédure suivante
:
Par une requête enregistrée le 8 juillet 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 16 septembre 2022, la société d'études et de réalisations pour les équipements collectifs (SODEREC), représentée par Me Soland, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision du 11 mai 2022 du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy en tant qu'elle refuse de lui communiquer les documents suivants : la décision datée du CHRU actant des crédits budgétaires alloués au marché en cause ; l'analyse des offres initiales ; s'agissant de la réunion de négociation du 1er septembre 2021, le compte-rendu d'audition de la société SODEREC signé par les personnes du CHRU, celui du groupement attributaire et l'analyse des offres ; s'agissant de la réunion de négociation du 22 septembre 2021, le compte-rendu d'audition de la société SODEREC signé par les personnes du CHRU et celui du groupement attributaire ; le nom du rédacteur du rapport d'analyse des offres et sa date d'établissement ; les mesures de publicité ;
2°) d'enjoindre au CHRU de Nancy de lui communiquer les documents demandés dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement sous astreinte de 400 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du CHRU de Nancy le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision litigieuse méconnait les dispositions de l'article
L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- les documents ayant trait à la négociation entre une autorité administrative et une entreprise sont communicables dès lors que les mentions protégées par le secret des affaires sont occultées.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 août 2022, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy conclut au non-lieu à statuer.
Il soutient qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête dès lors qu'il a communiqué les documents demandés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Coudert, vice-président, en application de l'article
R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coudert, magistrat désigné,
- les conclusions de M. Gottlieb, rapporteur public,
- et les observations de Me Pensalfini, représentant la société SODEREC.
Considérant ce qui suit
:
1. Par un courrier en date du 1er février 2022, la société SODEREC a demandé au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy de lui communiquer un ensemble de documents relatifs au marché ayant pour objet une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage dans le cadre de la mise en place du schéma directeur immobilier du CHRU. A la suite de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le CHRU de Nancy sur sa demande, la SODEREC a saisi la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), qui a émis, le 21 avril 2022, un avis partiellement favorable.
Sur l'étendue du litige :
2. Il ressort des pièces du dossier que, par courrier du 17 août 2022, le CHRU de Nancy a communiqué l'avis du comité de pilotage de l'investissement sanitaire du 21 juillet 2021 sur le projet du nouvel hôpital de Nancy validant les crédits budgétaires alloués au projet du schéma directeur immobilier, le rapport de déclaration sans suite de l'appel d'offres initial du 13 juillet 2021, le rapport d'analyse des offres et d'attribution du marché suite à la procédure avec négociation du 12 octobre 2021, le contrat signé et ses annexes communicables après occultation des mentions relatives aux détails techniques et financiers de l'offre du groupement titulaire. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la société requérante tendant à l'annulation de la décision du CHRU de Nancy en tant qu'elle a implicitement refusé de lui communiquer ces documents, ainsi que sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au CHRU de lui communiquer ces éléments sous astreinte.
3. Prenant acte de cette communication en cours d'instance, la SODEREC persiste à demander la communication de la décision datée du CHRU actant des crédits budgétaires alloués au marché en cause ; l'analyse des offres initiales ; s'agissant de la réunion de négociation du 1er septembre 2021, le compte rendu d'audition de la société SODEREC signé par les personnes du CHRU, celui du groupement attributaire et l'analyse des offres ; s'agissant de la réunion de négociation du 22 septembre 2021, le compte-rendu d'audition de la société SODEREC signé par les personnes du CHRU et celui du groupement attributaire ; le nom du rédacteur du rapport d'analyse des offres et sa date d'établissement ; les mesures de publicité.
Sur le surplus des conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article
L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles
L. 311-5 et
L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article
L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article
L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires () ; / ". Enfin, aux termes de l'article
L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles
L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
5. Les contrats de commande publique et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens de l'article
L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l'article
L. 311-6 du même code. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article
L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le CHRU de Nancy a communiqué l'avis du comité de pilotage de l'investissement sanitaire sur le projet du nouvel hôpital de Nancy validant les crédits budgétaires alloués au projet du schéma directeur immobilier, daté du 21 juillet 2021, soit postérieurement à la décision de déclaration sans suite pour cause d'infructuosité, du 13 juillet 2021. Ainsi que la requérante le soutient, les éléments du dossier permettent de présumer de l'existence d'une ou plusieurs décisions du CHRU actant des crédits budgétaires alloués adoptés antérieurement à la décision de déclarer sans suite la procédure initiale de passation. La SODEREC est par suite fondée à demander l'annulation de la décision refusant implicitement de lui communiquer ce document et à ce qu'il soit enjoint au CHRU de procéder à cette communication.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le CHRU de Nancy a communiqué le rapport de déclaration sans suite de l'appel d'offres initial du 13 juillet 2021 et le rapport d'analyse des offres et d'attribution du marché suite à la procédure avec négociation du 12 octobre 2021. La société SODEREC, s'agissant de la seconde mise en concurrence, persiste à demander la communication de l'analyse des offres initiales et l'analyse des offres à la suite du premier tour de négociation, y compris celles de la société finalement retenue pour l'attribution de ce marché. De tels documents, qui sont susceptibles, par comparaison avec le rapport final d'analyse des offres, de révéler des informations d'affaires de l'entreprise attributaire, sont couvertes par le secret et ne sont donc pas communicables.
8. En troisième lieu, la société SODEREC persiste également à solliciter la communication des comptes-rendus des auditions effectuées en vue de l'attribution du marché litigieux. Ainsi que la société le relève sans être contestée, aucune circonstance ne fait obstacle à ce que les comptes-rendus de ses propres auditions lui soient communiqués par le CHRU. En revanche, les comptes-rendus d'audition de la société attributaire, qui ont trait à la négociation entre l'autorité administrative et une entreprise, sont entièrement couverts par le secret des affaires et ne sont donc pas communicables. Dès lors, la société requérante est seulement fondée à demander l'annulation de la décision refusant implicitement de lui communiquer les comptes-rendus de ses auditions et à ce qu'il soit enjoint au CHRU de procéder à cette communication.
9. En quatrième lieu, aucune circonstance ne justifie que les mesures de publicité du contrat signé ne soient pas communiquées à la société SODEREC. Par suite, la requérante est également fondée à demander l'annulation de la décision lui refusant implicitement cette communication.
10. En dernier lieu, les conclusions de la société SODEREC tendant à ce que le CHRU précise la date d'établissement du rapport d'analyse des offres ainsi que le nom de son rédacteur ne tendent pas à la communication d'un document administratif et ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
11. Il résulte de ce qui précède que la société SODEREC est seulement fondée à demander l'annulation de la décision implicite du CHRU de Nancy en tant qu'elle refuse de lui communiquer la décision actant des crédits budgétaires alloués au marché en cause, les comptes-rendus de ses auditions ainsi que les mesures de publicité du contrat signé.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
12. Il y lieu d'enjoindre au CHRU de Nancy de procéder à la communication des documents mentionnés au point 11 du présent jugement dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Cette communication sera faite sous les réserves énoncées aux articles
L. 311-5 et
L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHRU de Nancy le versement de la somme de 1 500 euros à la société SODEREC au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête à fin d'annulation et d'injonction en tant qu'elles portent sur les documents mentionnés au point 2 du présent jugement.
Article 2 : La décision du CHRU de Nancy du 11 mai 2022 est annulée en tant qu'elle refuse la communication de la décision actant des crédits budgétaires alloués au marché en cause, les comptes-rendus des auditions de la société SODEREC ainsi que les mesures de publicité du contrat signé.
Article 3 : Il est enjoint au CHRU de Nancy de procéder à la communication des documents mentionnés à l'article 2 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, dans les conditions précisées au point 12 du jugement.
Article 4 : Le CHRU versera la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à la société SODEREC sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la société d'études et de réalisations pour les équipements collectifs et au centre hospitalier régional universitaire de Nancy.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.
Le magistrat désigné,
B. Coudert
La greffière,
A. Mathieu
La République mande et ordonne à la préfète de Meurthe-et-Moselle en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.