CEDH, Cour (Cinquième Section), GOURI c. FRANCE, 28 février 2017, 41069/11

Mots clés
résidence • règlement • discrimination • solidarité • requête • monnaie • pourvoi • rapport • rétroactif • étranger • grâce • interprète • propriété • reconnaissance • réduction

Chronologie de l'affaire

CEDH
28 février 2017
Cour de cassation
28 avril 2011
Cour d'appel d'Orléans
25 mars 2009
tribunal des affaires de sécurité sociale confirma
5 février 2008

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    41069/11
  • Dispositif : Irrecevable
  • Date d'introduction : 28 mai 2011
  • Importance : Faible
  • État défendeur : France
  • Nature : Décision
  • Décision précédente :tribunal des affaires de sécurité sociale confirma, 5 février 2008
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2017:0228DEC004106911
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-172590
  • Avocat(s) : SPAETY M., NOEL P.
Voir plus

Résumé

Vous devez être connecté pour pouvoir générer un résumé. Découvrir gratuitement Pappers Justice +

Suggestions de l'IA

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION DÉCISION Requête no 41069/11 Messaouda GOURI contre la France La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 28 février 2017 en une chambre composée de : Angelika Nußberger, présidente, Erik Møse, André Potocki, Faris Vehabović, Síofra O'Leary, Carlo Ranzoni, Mārtiņš Mits, juges, et de Milan Blaško, greffier adjoint de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 28 mai 2011, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. La requérante, Mme Messaouda Gouri, est une ressortissante algérienne née en 1952 et résidant à Barika (Algérie). Elle a été représentée devant la Cour successivement par Me P. Noël puis Me M. Spaety, avocats à Mulhouse. 2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. A. Les circonstances de l'espèce 3. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. 4. À la suite d'un arrêt de la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail du 2 juillet 1999, la requérante, atteinte d'une invalidité réduisant au moins des deux tiers sa capacité de travail et de gain, est titulaire d'une pension de veuve invalide avec effet rétroactif au 1er avril 1993. Elle indique être mère de sept enfants, n'avoir jamais exercé aucune activité, que ce soit en France ou en Algérie, et avoir pour seule ressource cette pension versée à la suite d'une activité salariée de son mari en France. 5. Le 8 juillet 2006, la requérante sollicita le versement en complément d'une allocation supplémentaire d'invalidité (ASI), avec effet rétroactif au 1er avril 1993. Le 2 août 2006, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Loiret débouta la requérante de sa demande au motif qu'elle ne remplissait pas la condition de résidence en France exigée par l'article L. 815-24 du code de la sécurité sociale. 6. Par un jugement du 5 février 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale confirma cette décision. Il fit valoir que l'allocation supplémentaire du Fonds spécial d'invalidité était une prestation spéciale à caractère non contributif qui excluait qu'elle soit servie aux personnes ne résidant pas sur le territoire français : « (...) Attendu que selon l'article 10 bis du règlement CEE no 1408/71 du 14 juin 1971, cette prestation est servie exclusivement sur le territoire de l'État membre dans lequel réside le bénéficiaire et au titre de la législation de cet État. Attendu que cette allocation est régie en France par les articles L. 815-1 et suivants du code de la sécurité sociale [l'article L. 815-1 a trait en réalité à l'allocation de solidarité aux personnes âgées] ; que notamment l'article L. 815-1 soumet le service de cette allocation à une condition de résidence stable et effective sur le territoire national ; que cette condition, notamment au regard du règlement précité, ne saurait être considérée comme contraire au principe d'égalité de traitement en matière de sécurité sociale s'agissant d'une prestation à caractère non contributif, ou au principe de non-discrimination ; Attendu en conséquence que cette condition légale ne saurait être « levée » et que, madame Gouri ne la remplissant pas, sa demande d'allocation supplémentaire doit être rejetée. » 7. Par un arrêt du 25 mars 2009, la cour d'appel d'Orléans confirma le jugement. Elle précisa que l'allocation litigieuse ne constituait que l'un des avantages d'assurance vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale, dont le Fonds de solidarité vieillesse a la charge, et dont le financement est assuré dans leur ensemble par une fraction de diverses contributions et par des transferts opérés par la Caisse nationale d'allocations familiales. 8. La requérante forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen de cassation, elle fit valoir que l'article 10 bis du règlement CEE no 1408/71 du 14 juin 1971 modifié (voir partie droit interne ci-dessous), qui réserve le bénéfice des prestations spéciales à caractère non contributif aux personnes qui résident sur le territoire de l'État membre compétent pour servir ces prestations, devait être interprété strictement en ce qu'il déroge au principe de l'exportabilité des prestations affirmé à l'article 10 paragraphe 1 de ce règlement. Elle soutint également qu'en ne précisant pas davantage le mode de financement de l'allocation supplémentaire litigieuse, la cour d'appel avait violé les articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1. 9. Par un arrêt du 28 avril 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi : « (...) Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 815-26 du code de la sécurité sociale, tel qu'issu de l'ordonnance no 2004-605 du 24 juin 2004 que les dépenses entraînées par l'attribution de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 sont à la charge d'un fonds spécial d'invalidité doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière dont la gestion est assurée par la Caisse des dépôts et consignations ; que selon l'article R. 815-63 du code de la sécurité sociale, le Fonds est essentiellement financé par le montant des sommes qui lui sont affectées sous la forme d'une subvention de l'État dont le montant figure chaque année dans la loi de finances soumise à la représentation nationale ; que par ces motifs substitués à ceux critiqués, dont il ressort que l'allocation supplémentaire d'invalidité inscrite à l'annexe II bis du règlement (CEE) 1408/71 présente un caractère non contributif, de sorte qu'elle ne peut être exportée, la décision attaquée se trouve légalement justifiée. » 10. La requérante indique qu'en parallèle de cette procédure, sa pension de veuve invalide fut remplacée par la pension de vieillesse veuve à la date de son 55e anniversaire, soit le 1er mars 2007. B. Le droit et la pratique internes et européens pertinents 11. L'ordonnance no 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse a institué, à compter du 1er janvier 2006, l'allocation supplémentaire d'invalidité (l'ASI). C'est l'article L. 815-24 du code de la sécurité sociale qui régit cette allocation ; il est ainsi libellé : « Dans les conditions prévues au présent chapitre, toute personne résidant sur le territoire métropolitain ou dans un département mentionné à l'article L. 751-1, titulaire d'un avantage viager servi au titre de l'assurance invalidité ou de vieillesse par un régime de sécurité sociale résultant de dispositions législatives ou réglementaires peut, quel que soit son âge, bénéficier d'une allocation supplémentaire dont le montant est fixé par décret et dans la limite du plafond de ressources applicable à l'allocation de solidarité aux personnes âgées prévu à l'article L. 815-9 : - si elle est atteinte d'une invalidité générale réduisant sa capacité de travail ou de gain dans des proportions déterminées ; - ou si elle a obtenu cet avantage en raison d'une invalidité générale au moins égale, sans remplir la condition d'âge pour bénéficier de l'allocation aux personnes âgées prévue à l'article L. 815-1. Le montant de l'allocation supplémentaire peut varier selon la situation matrimoniale des intéressés. » 12. L'article L. 815-26 du code de la sécurité sociale est ainsi libellé : « Les dépenses entraînées par l'attribution de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 sont à la charge d'un fonds spécial d'invalidité doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière et administré par l'autorité compétente de l'État, assistée d'un comité comprenant des représentants de l'État et des principaux régimes de sécurité sociale. La gestion financière est assurée par la Caisse des dépôts et consignations. » 13. Le règlement (CE) no 1992/2006 du 18 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil a modifié le règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Ce règlement prévoit en son article 10 bis que le bénéfice des prestations spéciales à caractère non contributif doit être réservé aux personnes qui résident sur le territoire de l'État membre compétent pour servir ces prestations. Selon l'annexe II bis de ce règlement modifié, les prestations spéciales à caractère non contributif pour la France qui ne sont pas exportables dans un pays de résidence autre que la France sont : a) Allocation supplémentaire du fonds spécial d'invalidité et du Fonds solidarité vieillesse ; b) Allocation aux adultes handicapés (AAH) ; c) Allocation spéciale. 14. L'article 39 de l'accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République algérienne démocratique et populaire, signé à Alger le 26 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2210/78 (JO L 263, p. 1), se lit comme suit : « 1. (...) les travailleurs de nationalité algérienne et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient, dans le domaine de la sécurité sociale, d'un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés. (...) 4. Ces travailleurs bénéficient du libre transfert vers l'Algérie, aux taux appliqués en vertu de la législation de l'État membre ou des États membres débiteurs, des pensions et rentes de vieillesse, de décès et d'accident du travail ou de maladie professionnelle ainsi que d'invalidité, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle. » GRIEF 15. Invoquant l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 1 du Protocole no 1, la requérante estime que l'imposition d'une condition de résidence pour la perception de l'allocation litigieuse est discriminatoire.

EN DROIT

16. La requérante estime être victime d'une discrimination fondée sur la « résidence » pour l'obtention d'une allocation supplémentaire d'invalidité. Elle invoque l'article 14 de la Convention en combinaison avec l'article 1 du Protocole no 1, qui disposent ceci : Article 14 « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » Article 1 du Protocole no 1 « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. » 17. Le Gouvernement conteste cette thèse. D'emblée, il expose que, pour autant que la requérante se réfère à l'article 39 de l'accord de coopération entre la Communauté économique européenne et l'Algérie approuvé par le règlement CEE no 2210/78 du 26 septembre 1978, ces dispositions ne sont pas applicables au cas d'espèce. Ensuite, il explique que l'objectif assigné par le législateur à l'ASI est de garantir un minimum de ressources à des personnes qui résident effectivement sur le territoire national en fonction du coût de la vie en France, et ce en dehors de toute distinction fondée sur la nationalité. Le plafond de ressources à ne pas dépasser pour bénéficier de l'allocation est revu chaque année, ainsi que le montant alloué au titre de l'ASI. Quant à la nature de l'ASI, elle est assurément une prestation spéciale à caractère non contributif, comme l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 avril 2011. Le caractère non contributif est également rempli au regard des critères posés par la Cour de justice de l'Union européenne, celle-ci prévoyant qu'une prestation a un caractère non contributif si elle n'est pas financée par les cotisations des assurés sociaux. Or, le Fonds est essentiellement financé par le montant des sommes qui lui sont affectées sous la forme d'une subvention de l'État. Ainsi, l'ASI est une prestation spéciale non contributive, mentionnée à l'annexe II bis du règlement (CE) no 1992/2006 comme non exportable. Ensuite, le Gouvernement estime que les articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1 n'ont pas été méconnus. Citant l'arrêt Carson et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 42184/05, CEDH 2010), il expose que les bénéficiaires de l'ASI qui résident en France et les personnes qui résident à l'étranger ne sont pas placés dans une situation analogue ou comparable au regard de l'objectif poursuivi par cette prestation complémentaire. En effet, comme il s'agit de procurer aux bénéficiaires un revenu minimal d'existence eu égard à l'environnement économique et social de l'État concerné, la résidence sur ce territoire constitue non seulement une condition d'obtention de la prestation, mais également et surtout la raison d'être de cette prestation. Dès lors que la requérante, qui réside en Algérie, n'est pas dans une situation analogue aux titulaires de l'ASI résidant en France, il n'existe aucune discrimination. En tout état de cause, rappelant notamment l'ample latitude laissée à l'État pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique et sociale, le Gouvernement estime que la différence de traitement repose sur une situation objective et raisonnable et qu'il n'est pas en soi injuste que le pensionné, quel qu'il soit et quelle que soit sa nationalité, subisse les conséquences de son choix lorsqu'il décide de son lieu de résidence. Il fait d'ailleurs remarquer, d'une part, qu'aucune discrimination n'est reconnue par la Cour de justice de l'Union européenne (dont il cite la jurisprudence) en raison de la condition de résidence exigée pour l'attribution des prestations spéciales non contributives mentionnées à l'annexe II bis du règlement et, d'autre part, que le critère de résidence pour bénéficier de l'ASI est lui-même repris par la Convention STE 012 du Conseil de l'Europe, accord intérimaire européen concernant les régimes de sécurité sociale. 18. La requérante indique que lors de la reconnaissance de son incapacité, elle n'avait pas connaissance de la possibilité de solliciter une allocation en complément de la pension de veuve invalide et que, si elle en avait eu connaissance, elle aurait sollicité le versement d'un complément depuis le 1er avril 1993. À cette époque, la circulaire ministérielle DSS/DCI/92/93 du 19 mars 1992 lui aurait permis de bénéficier d'une allocation en complément de sa pension, celle-ci ayant été due aux personnes de nationalité algérienne sous réserve de l'existence d'un accord de réciprocité. En l'occurrence, l'article 39 de l'accord de coopération entre la CEE et l'Algérie, approuvé par le Conseil de Communauté en date du 26 septembre 1978, stipule que tous les travailleurs de nationalité algérienne bénéficient en matière de sécurité sociale d'un régime exempt de toute discrimination. Elle poursuit que seule la condition de résidence sur le territoire français l'empêche de vivre décemment. La condition de résidence exclut l'octroi d'allocation supplémentaire à une personne percevant déjà une pension en France mais n'y résidant pas. Pour autant que le Gouvernement français indique que les conditions d'octroi de l'allocation ne sont pas discriminatoires, car n'excluant pas son versement à une personne de nationalité étrangère, la requérante réplique que la majorité des personnes atteignant l'âge de la retraite aspirent à retrouver leur pays d'origine et qu'aucune raison ne justifie que ces personnes, pour vivre décemment, se voient obligées de rester dans le pays qui verse leur pension. De plus, l'octroi de l'allocation à la requérante ne contrevient absolument pas à l'objectif assigné par le législateur français à l'ASI, puisque ses ressources constituées par le versement d'une pension française ne sont pas suffisantes pour vivre normalement. À cet égard, elle rappelle aussi qu'elle remplit les conditions d'invalidité. Elle constate que deux personnes de nationalité algérienne percevant la pension de vieillesse veuve mais résidant l'une en France, la seconde en Algérie, doivent faire face à un traitement différent : le résident français perçoit une pension vieillesse veuve d'un montant supérieur et peut solliciter l'octroi de l'ASI, alors que le résident algérien perçoit une partie de la pension vieillesse uniquement. La différence de traitement ne repose pas sur une situation objective et raisonnable, puisque la démarche revient à estimer que seuls les résidents français sous un seuil de ressources souffrent de précarité. La différence socio-économique entre les deux États peut a minima justifier la différence de montant versé mais absolument pas le refus de l'octroi de l'ASI. Le choix de l'indexation de l'ASI peut être le coût de la vie en France sans pour autant exclure son versement à l'étranger. La base de calcul de l'indexation n'a pas vocation à exclure des bénéficiaires mais encadre simplement l'augmentation annuelle du montant versé. Dans ces conditions, la requérante conclut qu'il y a manifestement méconnaissance de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1. 19. La Cour rappelle que l'article 14 de la Convention ne fait que compléter les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. Son application ne présuppose pas nécessairement la violation de l'un des droits matériels garantis par la Convention. L'interdiction de la discrimination que consacre l'article 14 dépasse donc la jouissance des droits et libertés que la Convention et ses Protocoles imposent à chaque État de garantir. Elle s'applique également aux droits additionnels, pour autant qu'ils relèvent du champ d'application général de l'un des articles de la Convention, que l'État a volontairement décidé de protéger. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent « sous l'empire » de l'un au moins des articles de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, Carson et autres, précité, § 63). 20. En la présente espèce, il convient donc d'établir si le grief de la requérante, portant sur l'impossibilité de faire valoir ses droits à l'ASI, tombe sous l'empire, c'est-à-dire dans le champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1. 21. À cet égard, la Cour rappelle en premier lieu que l'article 1 du Protocole no 1 ne crée pas un droit à acquérir des biens et n'impose aucune restriction à la liberté pour les États contractants de décider d'instaurer ou non un régime de protection sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations censées être accordées au titre de pareil régime. En revanche, dès lors qu'un État contractant met en place une législation prévoyant le versement automatique d'une prestation sociale - que l'octroi de cette prestation dépende ou non du versement préalable de cotisations -, cette législation doit être considérée comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1 pour les personnes remplissant ses conditions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 54, CEDH 2005-X, et Carson et autres, précité, § 64). La Cour a énoncé que si l'article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas, en tant que tel, un quelconque droit à une pension d'un montant donné, une réduction du montant d'une allocation ou la suppression de celle-ci peut constituer une atteinte à un bien qu'il y a lieu de justifier ; elle a toutefois précisé que lorsque l'intéressé ne satisfait pas ou cesse de satisfaire aux conditions fixées par le droit interne pour l'octroi de telle ou telle forme de prestation ou de pension, il n'y a pas d'atteinte aux droits découlant de l'article 1 du Protocole no 1 (Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, §§ 84 et 86, CEDH 2016). Dans l'affaire Stec (précitée), la Cour a jugé qu'un droit à une prestation sociale non contributive relevait du champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1. Dans des cas tels celui de l'espèce, où des requérants formulent sur le terrain de l'article 14 combiné avec l'article 1 du Protocole no 1 un grief aux termes duquel ils ont été privés, en tout ou en partie et pour un motif discriminatoire visé à l'article 14, d'une prestation donnée, le critère pertinent consiste à rechercher si, n'eût été la condition d'octroi litigieuse, les intéressés auraient eu un droit, sanctionnable devant les tribunaux internes, à percevoir la prestation en cause. Si le Protocole no 1 ne comporte pas un droit à percevoir des prestations sociales, de quelque type que ce soit, lorsqu'un État décide de créer un régime de prestations, il doit le faire d'une manière compatible avec l'article 14 (Stec et autres, précité, § 65). 22. En l'espèce, les faits tombent sous l'empire de l'article 1 du Protocole no 1 et il n'est pas contesté que l'impossibilité de faire valoir ses droits à l'ASI est liée uniquement au fait que la requérante a sa résidence en Algérie. Il s'ensuit que les intérêts de la requérante entrent dans le champ d'application de l'article 1 du Protocole no 1, et du droit au respect des biens qu'il garantit, ce qui suffit pour rendre l'article 14 de la Convention applicable. 23. Selon la jurisprudence établie de la Cour, seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable (« situation ») sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l'article 14 de la Convention. En outre, pour qu'un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables. Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L'étendue de cette marge d'appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. Une ample latitude est d'ordinaire laissée à l'État pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d'utilité publique en matière économique ou en matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l'État conçoit les impératifs de l'utilité publique, sauf si son jugement se révèle « manifestement dépourvu de base raisonnable » (voir Carson et autres, précité, § 61, ainsi que les références y citées). 24. La Cour a eu l'occasion de conclure que le lieu de résidence d'une personne s'analyse en un aspect de sa situation personnelle et constitue par conséquent un motif de discrimination prohibé par l'article 14 de la Convention (Carson et autres, précité, § 71). 25. Se pose ensuite la question de savoir si la requérante se trouvait dans une situation analogue à celle des personnes résidant en France percevant l'allocation litigieuse. 26. Comme le Gouvernement l'indique dans ses développements, non contestés sur ce point par la requérante, l'ASI poursuit comme objectif de garantir un minimum de ressources à des personnes qui résident effectivement sur le territoire national en fonction du coût de la vie en France. C'est ainsi que le plafond de ressources à ne pas dépasser pour bénéficier de l'allocation est revu chaque année, ainsi que le montant alloué au titre de l'ASI. La Cour se doit d'ailleurs de noter à cet égard qu'un ressortissant français résidant à l'étranger n'aurait pas davantage droit à l'allocation litigieuse qu'un étranger, tel que la requérante. 27. Il résulte de ces éléments que le fondement même de l'ASI est d'assurer un niveau de vie satisfaisant aux personnes résidant en France. Le système relatif à l'allocation litigieuse vise ainsi au premier chef à répondre aux besoins de ces personnes, en tenant compte de paramètres économiques propres au pays où ils vivent, de sorte qu'il est difficile d'établir une véritable comparaison avec la situation des personnes résidant à l'étranger, compte tenu des multiples disparités d'ordre socio-économique que l'on peut constater d'un pays à l'autre. Dans l'affaire Carson et autres (précitée, § 86), qui concernait la question de la revalorisation de la pension de personnes ayant cotisé à l'assurance nationale britannique mais ayant quitté le Royaume-Uni, la Cour a relevé que des différences pouvaient exister entre un ou plusieurs paramètres tels que le taux d'inflation, le coût de la vie, les taux d'intérêts, le taux de croissance économique, le taux de change entre la monnaie locale et la livre sterling (qui est la monnaie de paiement de toutes les pensions) ainsi que les mesures sociales et fiscales. Pareil raisonnement vaut, a fortiori, pour des situations, telle celle de l'espèce, qui concernent la question de l'attribution d'allocations alimentées par des subventions de l'État. Au regard de ce dernier point, la Cour estime que la présente affaire doit être distinguée de l'affaire Pichkur c. Ukraine (no 10441/06, § 52, 7 novembre 2013), dans laquelle les autorités nationales n'avaient avancé aucun élément pour justifier que le requérant, ayant travaillé et cotisé à la caisse de retraite pendant de nombreuses années, soit privé de l'intégralité de sa pension au motif qu'il ne résidait plus dans le pays. Dans la présente affaire, la Cour prend note, au contraire, des explications fournies par le Gouvernement, dont il résulte que l'ASI a été établie par le législateur dans le but de répondre spécifiquement à certains besoins de personnes résidant sur le territoire, dont la situation ne peut être comparée à celle d'autres personnes ayant choisi de s'installer à l'étranger (mutatis mutandis, Efe c. Autriche, no 9134/06, §§ 52 et 53, 8 janvier 2013). En outre, il n'est pas contesté en l'espèce que la requérante, même résidant hors de France, continue de recevoir une pension de veuve, seule l'ASI lui ayant été refusée en raison de la condition de résidence litigieuse. 28. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut à l'absence de discrimination contraire à l'article 14 de la Convention, la requérante, qui réside en Algérie, ne se trouvant pas dans une situation comparable à celle des personnes résidant sur le territoire français. 29. Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs

, la Cour, à l'unanimité, Déclare la requête irrecevable. Fait en français puis communiqué par écrit le 23 mars 2017. Milan Blaško Angelika Nuβberger Greffier adjoint Présidente
Note...

Décisions d'espèce similaires

CEDH, Cour (Deuxième Section), CASE OF BÉLÁNÉ NAGY v. HUNGARY, 10 février 2015, 53080/13
Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens);Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Dommage matériel;Satisfaction équitable)
CEDH, Cour (Grande Chambre), AFFAIRE BÉLÁNÉ NAGY c. HONGRIE, 13 décembre 2016, 53080/13
Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (Article 35-3 - Ratione materiae);Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Privation de propriété;Respect des biens);Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Dommage matériel;Satisfaction équitable)
CEDH, Cour (Troisième Section), AFFAIRE BELLI ET ARQUIER-MARTINEZ c. SUISSE, 11 décembre 2018, 65550/13
Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-3-a) Manifestement mal fondé;Non-violation de l'article 14+8 - Interdiction de la discrimination (Article 14 - Discrimination) (Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale;Article 8-1 - Respect de la vie familiale)
CEDH, Cour (Deuxième Section), AFFAIRE KOUA POIRREZ c. FRANCE, 30 septembre 2003, 40892/98
Violation de l'art. 14 et P1-1;Non-violation de l'art. 6-1;Dommage matériel - réparation pécuniaire;Préjudice moral - réparation pécuniaire;Remboursement partiel frais et dépens
CEDH, Cour (Deuxième Section), AFFAIRE DHAHBI c. ITALIE, 8 avril 2014, 17120/09
Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Accès à un tribunal);Violation de l'article 14+8 - Interdiction de la discrimination (Article 14 - Discrimination) (Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale;Article 8-1 - Respect de la vie familiale);Dommage matériel et préjudice moral - réparation