Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 23 novembre 2022, 21-14.250

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2022-11-23
Cour d'appel de Paris
2021-01-12
Tribunal de grande instance de Paris
2019-04-03
Tribunal de commerce de Paris
2016-06-29

Texte intégral

COMM. CH.B COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 23 novembre 2022 Cassation partielle Mme VAISSETTE, conseiller doyen faisant fonction de président Arrêt n° 690 F-D Pourvoi n° Y 21-14.250 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 NOVEMBRE 2022 M. [O] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-14.250 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Novelty France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation. Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt. Le dossier a été communiqué au procureur général. Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [V], de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Novelty France, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), le 15 mars 2014, la société Novelty France (la société Novelty) a consenti à la société Alexandre III un contrat de location de matériel d'éclairage et de sonorisation. 2. Le 21 janvier 2016, la société Novelty a assigné la société Alexandre III en référé en résiliation du contrat et paiement de l'arriéré de loyers. 3. Le 23 février 2016, M. [V] a été nommé en qualité d'administrateur provisoire de la société Alexandre III, avec une mission d'administration. 4. Le 13 avril 2016, le juge des référés a entériné un accord conclu entre la société Novelty et la société Alexandre III, M. [V] intervenant en sa qualité d'administrateur provisoire, qui prévoyait la poursuite du contrat, la renonciation de la société Novelty à sa demande de résiliation, la reconnaissance par la société Alexandre III de sa dette de 186 347,64 euros au titre de l'arriéré de loyers au 30 avril 2016 et l'octroi à cette société de délais de paiement sur douze mois. 5. En juin 2016, le local exploité par la société Alexandre III a été inondé en raison de la survenance d'une crue de la Seine. 6. Le 29 juin 2016, la société Alexandre III a été mise en redressement judiciaire, la période d'observation étant fixée à deux mois et M. [V] désigné administrateur judiciaire avec pour mission d'administrer seul l'entreprise. 7. Le 30 septembre 2016, M. [V] a résilié le contrat conclu avec la société Novelty. 8. Le 13 décembre 2016, la procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire, avec maintien de l'activité jusqu'au 28 février 2017. 9. Estimant que M. [V] avait commis une faute en laissant le contrat de location se poursuivre en sachant que la société débitrice n'était pas en mesure de payer les loyers courants, la société Novelty l'a assigné en responsabilité civile personnelle, afin d'obtenir réparation du préjudice résultant de la perte de loyers subie entre le jugement d'ouverture et la résiliation du contrat.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième et sixième branches, ci-après annexé

10. En application de l'article 1014

, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen

, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

11. M. [V] fait grief à l'arrêt de dire qu'il a commis une faute en ne résiliant le contrat litigieux que le 30 septembre 2016, de dire que le préjudice en résultant correspond au montant des loyers dus et impayés entre le jugement d'ouverture de la procédure collective et la date de résiliation du contrat, et, en conséquence, de le condamner à payer à la société Novelty la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que l'indemnisation doit être à l'exacte mesure du préjudice subi ; qu'en affirmant que la faute imputée à M. [V], à qui elle avait reproché de ne pas avoir résilié le contrat de location dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 29 juin 2016 et de ne l'avoir fait que le 30 septembre 2016, avait fait perdre à la société Novelty les loyers qu'elle aurait dû percevoir entre le 29 juin et le 30 septembre 2016, sans déterminer la probabilité de relouer le matériel aux mêmes charges et conditions si le contrat avait été résilié plus tôt, dont la société Novelty aurait pu bénéficier, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. » Réponse de la Cour

Vu

l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

12. Il résulte de ce texte que la réparation d'une perte de chance, qui doit être mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. 13. Pour allouer à la société Novelty la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts, après avoir retenu contre M. [V] une faute consistant à avoir tardé à résilier le contrat litigieux, l'arrêt retient

que le préjudice résultant de l'absence de résiliation du contrat avant le 30 septembre 2016 est constitué des loyers dus et impayés entre le jugement d'ouverture et la résiliation, ce préjudice étant certain et découlant directement de l'abstention fautive de M. [V], et que, le contrat stipulant que le loyer est dû avant le mois de la location et avant le 1er de chaque mois, ces loyers sont ceux dus aux 1ers juillet, août et septembre 2016, soit la somme totale de 36 000 euros.

14. En statuant ainsi

, alors que, même si M. [V] avait résilié le contrat de location de matériels dès le jour du jugement d'ouverture, le 29 juin 2016, rien ne garantissait que la société Novelty fût parvenue à relouer ces matériels immédiatement après leur restitution et de surcroît pour un loyer identique, de sorte qu'en présence d'un aléa, le préjudice de perte de loyers subi par la société Novelty ne pouvait consister qu'en une perte de chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le préjudice résultant de la faute de M. [V] est constitué du montant des loyers dus et impayés entre le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Alexandre III et la date de résiliation du contrat, et en ce qu'il condamne, en conséquence, M. [V] à payer à la société Novelty France la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 12 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ; Condamne la société Novelty France aux dépens ; En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Novelty France et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [V]. M. [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il avait commis une faute en ne résiliant le contrat litigieux que le 30 septembre 2016, d'AVOIR dit que le préjudice en résultant était constitué du montant des loyers dus et impayés entre le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Alexandre III et la date de résiliation du contrat, et d'AVOIR, en conséquence, condamné M. [V] à payer à la société Novelty la somme de 36 000 euros à titre de dommages et intérêts ; 1° ALORS QUE l'administrateur judiciaire investi, par le tribunal de commerce ayant décidé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, de la mission principale d'établir le bilan économique de l'entreprise et de proposer un plan de redressement, ne peut être tenu pour responsable du défaut de paiement des loyers des biens nécessaires à l'exploitation de l'entreprise, dont le contrat de location s'est poursuivi de plein droit, le temps d'effectuer un diagnostic de l'entreprise en redressement judiciaire ; qu'en reprochant à M. [V] de ne pas avoir résilié le contrat de location conclu avec la société Novelty dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Alexandre III le 29 juin 2016 et de ne l'avoir résilié que trois mois plus tard le 30 septembre 2016 au motif que pour avoir été l'administrateur provisoire de la société Alexandre III, il savait que la situation financière de cette société ne lui permettait pas de régler les loyers, quand le tribunal de commerce avait, contre l'avis de l'administrateur provisoire dont le rapport concluait à la liquidation judiciaire, décidé d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire comportant une période d'observation et lui avait confié un mandat d'administrateur judiciaire imposant un nouveau diagnostic, ce qui supposait le maintien de l'activité, et donc du contrat litigieux, durant les mois suivant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble les articles L. 622-9, L. 622-13, L. 631-1 et L. 631-14 du code de commerce ; 2° ALORS QUE l'objet du litige étant déterminé par les prétentions respectives des parties, le juge ne peut mettre en doute un fait expressément admis par les parties dans leurs conclusions ; qu'en retenant, pour imputer à faute à M. [V] de ne pas avoir mis fin au contrat de location conclu avec la société Novelty dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, qu'il n'était pas démontré que le contrat ait été susceptible d'être considéré comme nécessaire à la continuation de l'activité, quand les parties s'accordaient expressément sur le fait que le contrat litigieux de location de matériel de sonorisation et éclairage était nécessaire à l'activité de concert et boîte de nuit exercée par la société Alexandre III, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ; 3° ALORS QUE la faute de la victime qui n'a pas exercé les prérogatives que la loi lui confère pour défendre ses intérêts est de nature à exonérer l'administrateur judiciaire de sa responsabilité ; qu'en reprochant à M. [V] de ne pas avoir résilié le contrat conclu avec la société Novelty dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, sans rechercher, comme elle y était ainsi invitée, si la société Novelty n'avait pas commis de faute à l'origine du dommage qu'elle invoquait en s'abstenant de mettre en demeure l'administrateur judiciaire de prendre parti sur la poursuite du contrat de location et en prenant sciemment le risque de poursuivre ses relations avec la société Alexandre III en vue d'une poursuite d'activité qui permettait de continuer à lui louer le matériel installé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ; 4° ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation doit être à l'exacte mesure du préjudice subi ; qu'en affirmant que la faute imputée à M. [V], à qui elle avait reproché de ne pas avoir résilié le contrat de location dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire le 29 juin 2016 et de ne l'avoir fait que le 30 septembre 2016, avait fait perdre à la société Novelty les loyers qu'elle aurait dû percevoir entre le 29 juin et le 30 septembre 2016, sans déterminer la probabilité de relouer le matériel aux mêmes charges et conditions si le contrat avait été résilié plus tôt, dont la société Novelty aurait pu bénéficier, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ; 5° ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation doit être à l'exacte mesure du préjudice subi ; qu'en jugeant que le préjudice de la société Novelty était constitué de la perte de 3 loyers mensuels de 12 000 euros, soit 36 000 euros, quand elle constatait que le contrat prévoyait un loyer annuel, et non mensuel, de 12 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ; 6° ALORS QU'en toute hypothèse, l'indemnisation doit être à l'exacte mesure du préjudice subi ; qu'en jugeant que le préjudice de la société Novelty était constitué de la perte de 3 loyers mensuels de 12 000 euros, soit 36 000 euros, quand elle constatait que le loyer avait été ramené de 12 000 à 10 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.