AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / M. Michel C..., demeurant ...,
2 / la société Etablissements C..., société anonyme dont le siège social est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 26 mars 1998 par la cour d'appel de Versailles (12e Chambre civile, 1re Section), au profit :
1 / du Groupe d'Anjou, venant aux droits de la société anonyme RC Finance, dont le siège social et ...,
2 / de M. Raymond Y..., demeurant ...,
3 / de Mme Marie-Thérèse A..., mandataire de justice, demeurant ..., 75002, pris en sa qualité de liquidateur du Groupe Longchamp, en remplacement de M. B..., décédé ;
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 janvier 2001, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Métivet, conseiller rapporteur, M. Poullain, conseiller, M. Lafortune, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Métivet, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de M. C... et de la société Etablissements C..., de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat du Groupe d'Anjou et de M. Y..., les conclusions de M. Lafortune, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société RC Finances, dont le président était M. Y..., a cédé, en janvier et février 1991, à M. C... et à la société Etablissements C... les actions composant le capital de la société Assurances transports de France (ATF) ; que, s'estimant victimes d'un dol, les cessionnaires ont assigné la société RC Finances et M. Y... en nullité de la cession ;
Sur le premier moyen
:
Attendu que M. C... et la société Etablissements C... reprochent à l'arrêt d'avoir refusé de surseoir à statuer dans l'attente de la fin de l'instruction de la plainte contre X déposée par la société Sogetrans auprès du doyen des juges d'instruction, alors, selon le moyen, que la cour d'appel relevait elle-même que, sur plainte avec constitution de partie civile de la Sogetrans, représentée par son gérant, M. C..., plainte visant essentiellement la gestion d'ATF avant 1991, une information contre X avait été ouverte à Paris du chef des délits de présentation et publication de comptes annuels non sincères, abus de biens sociaux et recel de ce délit ; que la cour d'appel se devait, en conséquence, de rechercher si l'aboutissement d'une telle information judiciaire ne serait pas de nature à influer sur la solution du présent litige et notamment si les délits éventuellement commis avant la cession d'actions de 1991, visés dans la plainte avec constitution de partie civile et non portés à leur connaissance lors des négociations ayant abouti à la cession, ne seraient pas constitutifs d'un dol viciant cette cession, et ce malgré le protocole de 1992, qui ne saurait valoir transaction leur interdisant de se prévaloir des infractions pénales commises par l'autre partie au cours de sa gestion ; qu'en se contentant d'énoncer, sans procéder à cette recherche, qu'il n'existait aucun motif de surseoir à statuer, la suite de l'instruction de même que la décision finale qui sera prise par la juridiction pénale n'étant pas susceptible d'influer sur la solution du litige, la cour d'appel a statué par voie de simple affirmation, violant ainsi les articles
455 et
458 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que, saisie d'une action en nullité pour dol d'une cession d'actions, il lui appartenait de rechercher la connaissance qu'avait l'acquéreur de la situation exacte de la société qu'il rachetait, ainsi que la portée du protocole du 8 décembre 1992, la cour d'appel retient qu'il ressort de l'information pénale, telle que rapportée par la chambre d'accusation, que M. C... associé fondateur d'ATF "était informé des opérations patrimoniales intervenues entre la société et M. Y..." et qu'en outre, il avait connaissance, dès fin 1991, des anomalies relevées par le rapport d'audit dans la gestion et en déduit que la décision qui sera prise par la juridiction pénale n'étant pas susceptible d'influer sur la solution du litige, il n'existait aucun motif de surseoir à statuer ; qu'elle a ainsi motivé sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen
, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. C... et la société Etablissements C... reprochent à l'arrêt d'avoir jugé que leur consentement n'avait pas été vicié par dol lors de l'acquisition des actions d'ATF, alors, selon le moyen :
1 / que M. C... faisait valoir dans ses écritures d'appel qu'à l'époque de la cession d'actions litigieuse, il était un profane en matière de fonctionnement d'une compagnie d'assurances, le GRANAC, au sein duquel il avait assuré d'importantes fonctions, ne défendant que le point de vue des assurés et n'agissant pas en qualité d'assureur, ce non-professionnalisme expliquant d'ailleurs pourquoi, devenu actionnaire majoritaire d'ATF, il n'en était pas devenu le président ; que ce moyen se trouvait conforté par la déclaration de M. Y... annexée au procès-verbal du conseil d'administration du 26 février 1991, dans lequel il était simplement présenté comme président du GRANAC et possédant une expérience de gestionnaire aussi solide que la qualité de ses relations avec certains groupements professionnels de la bourse du Commerce, alors que M. Y... s'étendait longuement sur les expériences professionnelles de M. Z..., futur président d'ATF en matière de gestion d'assurances ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen, ni examiner cette pièce, régulièrement versée aux débats et soumise à son examen, qu'il ne pouvait sérieusement prétendre avoir pris le contrôle d'ATF, pour 7 500 000 francs sans garantie de passif, en étant un simple profane en matière d'assurances, la cour d'appel a violé les articles
1353 du Code civil et
455 et
458 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que s'il est bien exact qu'il reconnaissait dans ses écritures d'appel qu'il avait, en sa qualité d'actionnaire, assisté à des réunions, conseils et assemblées d'ATF, il poursuivait en précisant qu'aucun des procès-verbaux de ces réunions ne mentionnait le fait qu'il ait été fait état de difficultés aussi graves de l'entreprise et que les rapports du corps de contrôle aient été communiqués aux associés ; qu'il précisait également que les seuls documents accessibles aux associés et aux tiers, à savoir les rapports des commissaires aux comptes, n'étaient pas susceptibles de donner les informations contenues dans les rapports du corps de contrôle ; qu'en énonçant, sans répondre à ces moyens, que dès lors que, de son propre aveu, il assistait aux réunions, conseils et assemblées d'ATF, il ne pouvait raisonnablement laisser croire qu'il n'était pas informé des difficultés que pouvait connaître l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles
455 et
458 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le dol, vice du consentement, suppose des manoeuvres et/ou des dissimulations ou réticences commises pendant la période des pourparlers antérieurs à la concrétisation de la convention ;
qu'ainsi, en retenant, à l'appui de sa décision, des faits postérieurs à la cession d'actions litigieuse et à sa désignation en qualité de trésorier d'ATF pour en déduire qu'il connaissait depuis longtemps le fonctionnement de la société et ne pouvait en conséquence prétendre que son consentement avait été vicié par dol, la cour d'appel a violé l'article
1116 du Code civil ;
4 / que l'arrêt rendu par la chambre d'accusation le 22 octobre 1997 énonce simplement que le magistrat instructeur relevait qu'associé fondateur d'ATF, il était informé des opérations patrimoniales intervenues entre la société et M. Y... et qu'en outre, la partie civile avait eu connaissance, dès la fin 1991, des anomalies relevées par le rapport d'audit dans la gestion d'ATF et que la plainte se trouvait, en conséquence, tardive ; qu'en énonçant qu'il ressortait de cet arrêt qu'il était informé des agissements, selon lui délictueux, de son prédécesseur, alors qu'il n'en a eu connaissance que fin 1991, soit plusieurs mois après la cession litigieuse, la cour d'appel a dénaturé l'arrêt du 22 octobre 1997 et violé l'article
1134 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant retenu que M. C... était un homme d'affaires avisé, ancien président du Groupement mutualiste d'assurances de l'interfédérale du négoce et de l'approvisionnement et actionnaire fondateur de la société Assurances transports de France, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui a estimé, au vu de ces constatations, qu'il ne pouvait être un simple profane en matière d'assurances, n'encourt pas le grief de la première branche du moyen ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient, par un motif non critiqué par le pourvoi, que, par le protocole, valant transaction, du 8 décembre 1992, chaque partie s'interdisait de se prévaloir de ce qu'il pouvait y avoir de critiquable dans la gestion de la société par l'autre ;
qu'il retient, en outre, que M. C... assistait aux réunions, conseils et assemblées d'ATF, qu'il n'avait pas contesté avoir établi lui-même le bilan de 1990, qu'il résultait d'un courrier signé par lui, postérieurement à la cession, qu'il connaissait depuis longtemps le fonctionnement de la société et n'ignorait rien du rapport du commissaire-contrôleur et du fond des questions que ce rapport soulevait et qu'il ressort de l'arrêt de la chambre d'accusation qu'il était informé des agissements, selon lui délictueux, de son prédécesseur ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas retenu, à l'appui de sa décision, des faits postérieurs à la cession litigieuse, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées, a pu, sans dénaturer l'arrêt de la chambre d'accusation, statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais
sur le troisième moyen
:
Vu l'article
1382 du Code civil ;
Attendu que la cour d'appel a condamné M. C... et la société Etablissements C... à payer 20 000 francs de dommages-intérêts à M. Y... au seul motif qu'ils avaient engagé une procédure infondée et interjeté appel d'un jugement qui les avait déboutés dans une motivation claire et pertinente ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans relever aucun fait de nature à faire dégénérer en abus l'exercice du droit d'agir en justice, la cour d'appel n'a pas, de ce chef, donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. Michel C... et la société Etablissements C... à payer à M. Raymond Y... une somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 26 mars 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne le Groupe d'Anjou, M. X... et Mme A..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du Groupe d'Anjou et de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille un.