Cour de cassation, Première chambre civile, 4 juillet 2019, 18-21.554

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2019-07-04
Cour d'appel de Nîmes
2018-06-21

Texte intégral

CIV. 1 LG COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 4 juillet 2019 Cassation Mme BATUT, président Arrêt n° 648 F-D Pourvoi n° A 18-21.554 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

Statuant sur le pourvoi formé par

la société Botanic-serres du Salève, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , contre l'arrêt rendu le 21 juin 2018 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 1re chambre), dans le litige l'opposant : 1°/ à M. I... T..., domicilié [...] , 2°/ à Mme U... F..., épouse J..., domiciliée [...] , 3°/ à M. D... N..., domicilié [...] , 4°/ à M. W... K..., domicilié [...] , 5°/ à M. O... B..., domicilié [...] , 6°/ à Mme H... E..., domiciliée [...] , 7°/ à la société Bios, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , 8°/ à la société Digitalice images, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l'audience publique du 4 juin 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Girardet, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Girardet, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Botanic-serres du Salève, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de MM. T..., N..., K... et B..., de Mmes J... et E... et des sociétés Bios, Digitalice images, l'avis de M. Sudre, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen

unique, pris en sa deuxième branche :

Vu

l'article L. 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que Mmes E... et J..., MM. B..., N..., T... et K..., la société Digitalice images et la société Bios, à laquelle ceux-ci avaient confié l'exploitation de leurs oeuvres photographiques, reprochant à la société Botanic-serres du Salève (la société) d'avoir, sans autorisation, reproduit plusieurs de leurs oeuvres sur son site Internet, l'ont assignée en réparation de leur préjudice, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ; que la société a soulevé l'incompétence du tribunal de grande instance d'Avignon, saisi, au profit de celui de Paris ; Attendu que, pour rejeter cette exception, l'arrêt retient que l'assignation est fondée exclusivement sur l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Qu'en statuant ainsi

, alors qu'elle avait relevé qu'en réponse au moyen opposé par la société, le bénéfice de la présomption de la qualité d'auteur prévue à l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle était revendiqué, de sorte que la juridiction saisie était contrainte d'apprécier si les exigences posées par ces dispositions étaient remplies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ; Condamne Mmes E... et J..., MM. B..., N..., T... et K..., la société Digitalice images et la société Bios aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société Botanic-serres du Salève Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de grande instance d'Avignon au profit du tribunal de grande instance de Paris pour connaître du litige ; AUX MOTIFS PROPRES QUE « La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et l'examen de la procédure ne fait apparaître aucune cause d'irrecevabilité que la cour se devrait de relever d'office. Nul ne dénie la compétence du juge de la mise en état pour statuer sur l'exception d'incompétence soulevée par la SAS Botanic - Serres du Saleve. Le premier juge après voir rappelé les articles L 331-1 et D 331-1-1 du code de la propriété intellectuelle ainsi que D 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire a, pour retenir la compétence du tribunal de grande instance d'Avignon, estimé que l'action indemnitaire intentée par les demandeurs dans leur acte introductif d'instance et dans leurs dernières conclusions au fond du 9 janvier 2017 est fondée sur l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil, non sur les dispositions spécifiques au droit d'auteur. Soutenant que les intimés ont modifié leur fondement dans leurs dernières conclusions et qu'ils excipent désormais des règles du droit d'auteur, la SAS Botanic-Serres du Saleve fait valoir qu'au regard des dispositions du code de la propriété intellectuelle, le tribunal de grande instance de Paris, qui figure dans la liste des tribunaux compétents dressé par ledit code au contraire du tribunal de grande instance d'Avignon, est compétent pour connaître du litige, puisque le fait dommageable s'est produit dans son ressort, les demandeurs ayant fait établir à Paris le procès-verbal de constat sur lequel ils fondent leurs demandes. La jurisprudence la plus récente définit le parasitisme économique comme « l'ensemble des comportements par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ». Concrètement, il consiste à profiter d'une réputation, d'un investissement, d'un concept, d'un brevet, d'une technique. Le produit, la marque, le concept parasité n'est pas forcément protégé par un dépôt de brevet ou par la propriété intellectuelle, ou par tout autre protection légale spécifique : mais le préjudice existe bien, et le parasitisme appartient, en droit, à la typologie de la concurrence déloyale, avec pour caractéristique de ne pas venir d'un concurrent. Extension du droit commun de la responsabilité civile, l'action en parasitisme obéit toutefois aux règles de procédure issues du code de procédure civile auxquelles doit donc se plier le parasité demandeur, lequel en effet doit avoir intérêt légitime, juridiquement protégé, mais aussi né et actuel et qualité pour agir c'est à dire disposer du titre lui conférant le pouvoir d'arguer en justice du droit bafoué dont il demande la sanction ou pouvoir justifier d'un intérêt personnel et direct, à savoir prouver la faute qu'il a personnellement subi et l'intérêt direct et évident qu'il a à la faire cesser. Ratione loci, l'action en parasitisme est soumise aux règles du droit commun de la responsabilité civile qui suppose que le demandeur puisse, au visa de l'article 46 du code de procédure civile, saisir à son gré, soit la juridiction du lieu du domicile du défendeur, soit celle du lieu d'accomplissement du fait dommageable, soit encore celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. En l'espèce, il n'est pas discuté que l'assignation délivrée le 10 avril 2015 à la requête de la SAS Bios et des photographes est fondée exclusivement sur l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil reprochant à la SAS Botanic-Serres du Salève des faits de parasitisme. La SAS Bios et les photographes y font valoir qu'en reproduisant sur son site, sans autorisation, les images qu'elle exploite comme lui ayant été confiées aux fins d'exploitation par la SARL Digitalice images et les photographes, la SAS Botanic-Serres du Salève s'est rendue coupable d'actes de parasitisme engageant sa responsabilité. Il est tout aussi constant que dans leurs dernières écritures au fond du 9 janvier 2017 et plus particulièrement dans le dispositif de ces écritures, ils ne visent toujours comme fondement de leur action que le seul article 1382 ancien devenu 1240 du code civil et s'ils font effectivement référence aux règles de la propriété intellectuelle en page 12 de leurs conclusions et plus particulièrement à la présomption de la qualité d'auteur de l'article L113-1 du code de la propriété intellectuelle c'est pour répondre exclusivement au moyen d'irrecevabilité de leur action pour défaut d'intérêt à agir des photographes, non de la SAS Bios, qui leur est opposé par la SAS Botanic-Serres du Salève. Un tel visa ne peut suffire pour autoriser le juge de la mise en état, qui n'est pas le juge du fond et n'a pas le pouvoir comme ce dernier de requalifier les faits au visa de l'article 12 du code de procédure civile tel que suggéré par l'appelante, à affirmer qu'en arguant de la présomption établie par l'article L113-1 du code de la propriété intellectuelle tout en maintenant leurs demandes sur le fondement des actes de parasitisme dont ils s'estiment victimes, les photographes ont déplacé leur action sur le terrain de la protection légale du droit d'auteur. Reste au surplus que la SAS Bios n'invoque pas de telles dispositions. La décision déférée mérite donc confirmation en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de grande instance d'Avignon au profit de celui de Paris soulevée par la SAS Botanic-Serres du Salève. » ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« Au terme de l'article 771-1 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seule compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et sur les incidents mettant fin à l'instance. L'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle énonce, dans son premier alinéa, que les actions civiles et les demandes relatives à la propriété intellectuelle et artistique, y compris lors qu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire. L'article D. 331-1-1 du même code précise que le siège et le ressort des tribunaux de grande instance ayant compétence exclusive pour connaitre des actions en matière de propriété littéraire et artistique en application de l'article L. 331-1 sont fixés conformément à l'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire. L'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit que le siège et le ressort des tribunaux de grande Instance ayant compétence exclusive pour connaître des actions en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et de modèles, de marques et d'indications géographiques, dans les cas et conditions prévues par le code de la propriété intellectuelle sont fixés conformément au tableau VI annexé au présent code. Ainsi, toutes les actions et demandes relative à la propriété littéraire et artistique auxquelles se rattache éventuellement une demande connexe de concurrence déloyale sont attribuées à des tribunaux de grande Instance spécialement désignés pour en connaître. Mais ces dispositions n'ont pas pour objet de transférer aux tribunaux de grande instance désignés toutes les actions et demandes de réparation d'actes de parasitisme fondées exclusivement sur la responsabilité civile délictuelle de droit commun de l'article 1382 du code civil ayant pour objet de sanctionner des comportements fautifs indépendamment de toute appréciation relative aux droits de propriété intellectuelle qu'ils soient ou non invocables. Ce n'est en effet que lorsque l'action en concurrence déloyale ou en parasitisme est intentée subsidiairement à une action tendant à la protection de la propriété artistique ou intellectuelle que les tribunaux de grande Instance énumérés par l'article D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire sont compétents pour connaître du tout. En l'espèce, il ressort des dernières conclusions notifiées au fond par les demandeurs le 9 janvier 2017 qu'ils fondent toujours leur action indemnitaire exclusivement sur l'article 1382 du code civil en faisant valoir que la société BOTANIC-SERRES DU SALEVE a reproduit sur son site internet sans autorisation et sans bourse déliée des photographies issues de leur travail exploité indument, ce qu'ils analysent en des actes de parasitisme. II convient de préciser qu'il importe peu que le produit ou la valeur parasitée soit protégée par un droit de propriété intellectuelle car le parasitisme est une action autonome dont dispose l'auteur, fondée sur la responsabilité délictuelle de l'opérateur économique qui s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, ne relevant pas du droit de la propriété Intellectuelle. Or, ce n'est qu'en réponse au moyen tiré du défaut de leur qualité à agir que les photographes demandeurs invoquent la présomption de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle en vertu duquel la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée. Toutefois, s'ils invoquent la titularité des droits de propriété Intellectuelle, leurs demandes demeurent exclusivement fondées, non pas sur des atteintes à cette titularité, mais sur les actes de parasitisme dont ils s'estiment victimes. Ils n'ont donc pas, à l'occasion de leurs écritures en défense, modifié l'objet du litige puisque leurs prétentions restent fondées sur le parasitisme qui est une action distincte de celles visant à réprimer la violation des droits de propriété intellectuelle. Dès lors, l'article L. 331-1 du code de la propriété Intellectuelle n'est pas applicable au litige et l'exception d'incompétence soulevée par la société BOTANIC-SERRES DU SALEVE sera rejetée. » ; 1°) ALORS QU'aux termes de l'article L 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ; que les actions engagées sur le fondement du parasitisme relèvent de la compétence de ces tribunaux, lorsque l'appréciation de leur recevabilité ou de leur bien-fondé impose à la juridiction saisie de statuer sur des questions mettant en cause les règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique ; qu'en retenant, par motif adopté, que ce n'est « que lorsque l'action en concurrence déloyale ou en parasitisme est intentée subsidiairement à une action tendant à la protection de la propriété artistique ou intellectuelle que les tribunaux de grande instance énumérés par l'article D. 211-6 du code de l'organisation judiciaire sont compétents pour connaître du tout », la cour d'appel a violé l'article L 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle ; 2°) ALORS QU'aux termes de l'article L 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ; que les actions engagées sur le fondement du parasitisme relèvent de la compétence de ces tribunaux, lorsque l'appréciation de leur recevabilité ou de leur bien-fondé impose à la juridiction saisie de statuer sur des questions mettant en cause les règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique ; qu'en rejetant l'exception d'incompétence soulevée par la société Botanic-Serres du Salève, tout en constatant elle-même que les intimés invoquaient la présomption de la qualité d'auteur de l'article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle pour défendre au moyen d'irrecevabilité de l'action des photographes opposé par cette société, ce dont il résultait que l'examen de la recevabilité de l'action en parasitisme imposait au tribunal de statuer sur une question mettant en cause les règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique, la cour d'appel a violé l'article L 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle ; 3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en relevant que dans leurs dernières écritures au fond devant le tribunal, les intimés « ne visent toujours comme fondement de leur action que le seul article 1382, devenu 1240, du code civil », que s'ils font référence aux règles du droit de la propriété intellectuelle, et plus particulièrement à la présomption de la qualité d'auteur de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, « c'est pour répondre exclusivement au moyen d'irrecevabilité de leur action pour défaut d'intérêt agir des photographes, non de la SAS Bios, qui est opposé par la SAS Botanic-Serres du Salève », et qu'un tel visa ne peut suffire à autoriser le juge de la mise en état « à affirmer qu'en arguant de la présomption établie par l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle tout en maintenant leurs demandes sur le fondement des actes de parasitisme dont ils s'estiment victimes, les photographes ont déplacé leur action sur le terrain de la protection légale du droit d'auteur », sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'invocation, par les intimés, de cette disposition du code de la propriété intellectuelle n'était pas de nature à imposer au tribunal de statuer sur des questions mettant en cause les règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 331-1, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle.