Vu la procédure suivante
:
Par une requête, des mémoires et des pièces complémentaires, enregistrés les 15 septembre, 2 et 6 octobre, 21 décembre 2021, les 18 et 25 janvier, 18 février, 24 février, 21 juin et 27 novembre 2022, les 30 mars, 29 août, 24 octobre, 24 novembre, 17 décembre 2023, les 15 mai, 10 et 17 juin, 2024, et un mémoire récapitulatif enregistré le 7 novembre 2024, M. A B, représenté par Me Lecat, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 7 juillet 2021 par laquelle la directrice de l'établissement public de santé (EPS) Roger Prévot lui a retiré les fonctions de chef de pôle, ensemble la décision du 14 septembre 2021 par laquelle l'EPS Roger Prévot a implicitement rejeté son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre à l'établissement public de santé (EPS) Roger Prévot de le rétablir dans ses fonctions de chef de pôle ;
3°) de mettre à la charge de l'établissement public de santé (EPS) Roger Prévot la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente dès lors que la directrice de l'EPS Roger Prévot n'est pas compétente pour prendre une sanction disciplinaire à l'encontre d'un praticien hospitalier ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article
R. 6152-74 du code de la santé publique dès lors qu'il n'a pas bénéficié des garanties prévues par ces dispositions, et alors que l'administration motive sa décision par certains attributs de la procédure disciplinaire ;
- elle n'est pas justifiée par l'intérêt du service ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 ;
- elle est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors qu'elle constitue une sanction déguisée.
La Défenseure des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, a présenté des observations, enregistrées le 13 juin 2024.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 juillet, 13 septembre 2023, 6 mai et 19 juin 2024, l'EPS Roger Prévot, représenté par Me Champenois, conclut au rejet de la requête, et demande à ce qu'il soit mis la somme de 3 000 euros à la charge du requérant sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jacquelin,
- et les conclusions de Mme Chabrol, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Champenois, représentant l'EPS Roger Prévot.
Une note en délibéré a été enregistrée pour l'EPS Roger Prévot le 24 janvier 2025, et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit
:
1. M. B, praticien psychiatre a été nommé chef du pôle du service de psychiatrie du secteur d'Asnières du centre hospitalier spécialisé Roger Prévot, à compter du 1er janvier 2018. Par une décision du 7 juillet 2021, la directrice du centre hospitalier Roger Prévot lui a retiré la chefferie du pôle d'Asnières par application de l'article
R. 6146-3 du code de la santé publique. Il a formé un recours gracieux contre cette décision reçue par l'administration le 15 juillet 2021. Le silence de l'administration a fait naître une décision implicite de rejet acquise le 15 septembre 2021. Le requérant demande l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article
R. 6146-3 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " Il peut être mis fin dans l'intérêt du service aux fonctions de chef de pôle par décision du directeur après avis, pour les centres hospitaliers, du président de la commission médicale d'établissement () ".
3. Aux termes de l'article
R. 6152-74 du code de la santé publique : " Les sanctions disciplinaires applicables aux praticiens relevant de la présente section sont : 1° L'avertissement ; 2° Le blâme ; 3° La réduction d'ancienneté de services entraînant une réduction des émoluments ; 4° La suspension pour une durée ne pouvant excéder six mois avec suppression totale ou partielle des émoluments ; 5° La mutation d'office ; 6° La révocation ". L'avertissement et le blâme sont prononcés par le directeur général du Centre national de gestion, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, du directeur de l'établissement, de la commission médicale d'établissement siégeant en formation restreinte aux praticiens titulaires, et après communication de son dossier à l'intéressé. Ces décisions sont motivées. L'avis de la commission médicale d'établissement est rendu dans un délai de deux mois à compter de la date de sa convocation. A défaut, l'avis motivé du président de la commission médicale d'établissement est alors seul requis. Les autres sanctions sont prononcées par décision motivée du directeur général du Centre national de gestion après avis du conseil de discipline. (). Aux termes de l'article R. 6152-75 du même code : " Le conseil de discipline est saisi par le directeur général du Centre national de gestion. / Le praticien intéressé doit être avisé au moins deux mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, de la date de sa comparution devant le conseil de discipline et avoir communication intégrale de son dossier. Il peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, faire entendre des témoins et se faire assister d'un défenseur de son choix. /Le droit de citer des témoins appartient également à l'administration. /Le conseil entend toutes les personnes qu'il estime devoir convoquer. Il prend connaissance des observations du directeur général de l'agence régionale de santé, du directeur de l'établissement et de la commission médicale de l'établissement où exerce le praticien siégeant en formation restreinte aux praticiens titulaires et hors la présence du praticien. / Le conseil de discipline peut ordonner toute enquête complémentaire susceptible de l'éclairer ".
4. Une mesure défavorable prise dans l'intérêt du service constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à la situation professionnelle de ce dernier.
5. Pour prendre la décision du 7 juillet 2021 attaquée, la directrice de l'EPS Roger Prévot s'est fondée sur les conclusions de l'enquête administrative diligentée par l'administration le 25 mai 2020 et qui s'est déroulée du 19 juin au 4 novembre 2020. Selon la décision attaquée, M. B fait montre d'une absence de volonté d'améliorer la situation malgré les nombreuses invitations de la direction à reconsidérer l'expression de souffrance des professionnels comme un besoin de rétablir le dialogue et malgré les encouragements du directoire en ce sens, et d'une absence de coopération pour mettre en œuvre les préconisations des conclusions de l'enquête administrative. Par ailleurs, il est reproché au requérant sa gestion clivante, qui fragilise l'activité et le bon fonctionnement du pôle, avec des tensions relationnelles au sein de l'équipe médicale et paramédicale, auxquelles il n'a pas cherché à remédier, mais qu'il a au contraire encouragées. Il lui est également fait grief au vu de cette enquête de ce que des personnels ont été contraints, en raison de cette situation clivante, de saisir directement l'agence régionale de santé et de ce que cette situation induit de graves risques pour le fonctionnement du service, tant pour les professionnels que pour les patients. L'administration a également retenu la circonstance que : les taux d'absentéisme et de mobilité des personnels du pôle d'Asnières sont plus élevés que ceux des autres services, le nombre de décès et de sorties sans autorisation de patients au sein du pôle d'Asnières est en augmentation et sensiblement plus élevé que dans les autres services. Enfin, il est reproché au docteur B les remises en cause publiques et répétées de l'institution et les décisions de la direction, ainsi que l'absence de réponse aux demandes d'informations de la direction.
6. D'une part, l'enquête administrative qui s'est déroulée du 19 juin au 4 novembre 2020, a été diligentée, à la suite d'une lettre non signée datée du 14 mai 2020 portant la mention " équipe d'infirmière de " l'extra-hospitalier " " intitulée " Alerte sur la situation inquiétante dans le secteur d'Asnières ". Cette lettre fait état de difficultés rencontrées par les personnels du pôle et conclut " la question de harcèlement, d'abus de pouvoir et de maltraitance se pose " de la part de l'encadrement du service dirigé par M. B. Les conclusions provisoires de cette enquête ont été notifiées le 5 janvier 2021, faisant état de graves dysfonctionnements et d'une souffrance du personnel au sein du service géré par M. B. Le rapport d'enquête mentionne en outre que : " il est à noter une absence de soutien de l'encadrement de proximité () et de l'encadrement supérieur ". Or, M. B produit, outre 22 courriers et attestations en sa faveur, louant son professionnalisme et ses qualités morales, plusieurs courriers de soutien, notamment celui de 19 patients en date du 18 août 2021 adressé au ministre de la santé et à la direction du centre hospitalier, mentionnant que " depuis qu'il est entré en fonction, le Docteur A B s'est toujours battu pour l'intérêt de ses patients. " () Nous lui en sommes reconnaissants ". Il produit également un courrier du 10 février 2021 adressé à la directrice du centre hospitalier, signé de 15 professionnels de l'établissement, qui déplorent ne pas avoir été entendus au cours de l'enquête administrative, et font valoir que cette enquête est dénuée d'impartialité. Par ailleurs, s'il résulte du procès-verbal du 6 janvier 2021, que le comité d'hygiène et de sécurité au travail (CHSCT), a approuvé les conclusions de l'enquête administrative, et que le comité de surveillance, dans sa séance du 24 juin 2021, a formulé le vœu que : " Au regard de la gravité de la situation du pôle d'Asnières, le conseil de surveillance formule le vœu que la direction remplace diligemment le chef de pôle afin de rétablir l'apaisement et le dialogue au sein du pôle d'Asnières qui permettront aux professionnels de travailler dans des conditions favorables à la bonne prise en soins des patients. ". Il ressort toutefois du procès-verbal précité, que la vice-présidente du directoire, présidente de la commission médicale d'établissement a déclaré que : " ce service (pôle d'Asnières) a connu depuis de nombreuses années des difficultés diverses, mais que paradoxalement ce secteur a reçu les félicitations des experts visiteurs de la HAS sur la qualité de la prise en charge ". Elle a également, dans un courrier du 23 juillet 2021 adressé à la direction, fait valoir que " la suspension envisagée ne m'a pas paru adaptée () mais risque de fragiliser encore plus l'équipe médicale ". Le requérant produit également un courrier daté du 24 juin 2021, signé de 24 professionnels du pôle de psychiatrie d'Asnières adressé au président du conseil de surveillance, mentionnant un " règlement de compte avec l'encadrement du pôle d'Asnières ", que la " direction entretien une vision parcellaire de la situation ". Il s'ensuit que ces éléments concordants et nombreux, sont de nature à contredire les conclusions de l'enquête administrative sur laquelle repose la décision attaquée.
7. D'autre part, il ressort de la décision du 7 juin 2024 de la défenseure des droits, que la décision de retrait de chefferie apparaît " fondée " sur des motifs qui ne paraissent pas étrangers aux alertes émises par l'intéressé, et qu'il s'agit d'une mesure de représailles. Il ressort effectivement des pièces du dossier que M. B, a alerté le 9 mai 2020, le contrôleur général des lieux de privation et de liberté (CGLPL) des conditions d'enfermement de certains patients psychiatriques, lequel, a visité l'EPS Roger Prévot le 18 mai 2020, dont il en est résulté des recommandations en urgence le 25 mai 2020 et publiées au journal officiel du 19 juin 2020, constatant " des violations graves des droits de personnes privées de liberté () une confusion entre le régime de l'isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du covid-19 ". En outre, la défenseure des droits fait état de ce que le requérant donnait pleinement satisfaction sur son poste, et que de nombreux professionnels ont dénoncé une enquête administrative partiale à son encontre.
8. Il s'ensuit que la décision en litige, dont il résulte une dégradation de la situation professionnelle du requérant, compte tenu de ce qui a été dit aux points 6 et 7 du présent jugement, ne peut être regardée comme ayant été prise dans l'intérêt du service et revêt le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée, prise sans le respect de la procédure y afférente privant l'intéressé des garanties procédurales prévues en matière de sanction, et de nature à révéler un détournement de pouvoir.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision du 7 juillet 2021 et ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 15 juillet 2021 doivent être annulées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent jugement implique, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, que M. B soit rétabli dans ses fonctions de chef de pôle d'Asnières. Il y a lieu d'enjoindre à l'EPS Roger Prévot d'y procéder dans un délai de deux mois à compter du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande l'EPS Roger Prévot au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'EPS Roger Prévost à verser à M. B sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du 7 juillet 2021, ensemble celle de rejet implicite de son recours gracieux formé le 15 juillet 2021 par M. B sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint à l'établissement public de santé Roger Prévot, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de rétablir M. B dans ses fonctions de chef du pôle d'Asnières dans un délai de deux mois à compter du présent jugement.
Article 3 : L'établissement public de santé Roger Prévot versera à M. B la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de l'établissement public de santé Roger Prévot présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et à l'établissement public de santé Roger Prévot.
Copie en sera adressée au Défenseur des droits.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Le Griel, présidente ;
M. Jacquelin, premier conseiller ;
Mme Fabas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.
Le rapporteur,
signé
G. Jacquelin
La présidente,
signé
H. Le Griel
La greffière,
signé
H. Mofid
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour ampliation, le greffier