COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88G
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 AVRIL 2022
N° RG 21/02127
N° Portalis DBV3-V-B7F-UTQJ
AFFAIRE :
S.A. [3]
C/
CPAM DES BOUCHES -DU-RHONE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 01 Mai 2021 par le Pole social du TJ de NANTERRE
N° RG : 18/01217
Copies exécutoires délivrées à :
la SELAS [5]
Me Catherine LEGRANDGERARD
Copies certifiées conformes délivrées à :
S.A. [3]
CPAM DES BOUCHES -DU-RHONE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. [3]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 659
APPELANTE
****************
CPAM DES BOUCHES -DU-RHONE
[Localité 6]
représentée par Me Catherine LEGRANDGERARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 391
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article
945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvia LE FISCHER, Président chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Président,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Morgane BACHE,
EXPOSÉ DU LITIGE
Salarié de la société [3] France (la société) en qualité d'opérateur en industrie, M. [R] [Z] (la victime) a déclaré une pathologie que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) a prise en charge, après avoir diligenté une instruction, sur le fondement du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, par décision du 5 mars 2018.
La société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse, avant de saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, devenu le tribunal judiciaire de Nanterre.
Par jugement du 1er juin 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré opposable à la société la décision de prise en charge litigieuse et l'a condamnée aux dépens.
La société a relevé appel de cette décision.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 3 mars 2022 à laquelle les parties ont comparu, représentées par leur avocat.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article
455 du code de procédure civile, la société demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge.
À titre principal, elle soutient que la caisse ne rapporte pas la preuve que les conditions médicales inscrites au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles sont réunies.
À titre subsidiaire, elle fait valoir, d'une part, que la preuve de l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante au sein de l'entreprise n'est pas rapportée, d'autre part, que la condition tenant à la liste limitative des travaux inscrite au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles n'est pas remplie.
À titre plus subsidiaire encore, elle soutient que la caisse n'a pas respecté les dispositions d'ordre public du code de la sécurité sociale et le principe du contradictoire dans le cadre de l'instruction qu'elle a menée. Elle fait ainsi valoir que les modalités de consultation des pièces qui lui ont été imposées, soit la contrainte d'une visualisation rapide sur écran, constituent un manquement au principe du contradictoire. Elle dénonce par ailleurs l'absence de mise à disposition de l'avis du médecin-conseil, puisque dans le bordereau de communication de pièces, la case relative au colloque médico-administratif n'est pas cochée. Elle ajoute que le bordereau de communication des pièces versés aux débats par l'organisme ne permet pas davantage de démontrer que le rapport d'enquête du CHSCT ou le questionnaire assuré ont été mis à la disposition du représentant de l'employeur lorsqu'il s'est déplacé dans les locaux de la caisse pour consulter les pièces du dossier d'instruction, puisque seules les cases DMP, certificat médical initial et liaisons médico-administratives ont été cochées.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article
455 du code de procédure civile, la caisse sollicite la confirmation du jugement entrepris.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les conditions médicales du tableau n° 30 bis
Vu les articles
L. 461-1 et
L. 461-2 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, et le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles :
La maladie désignée par le tableau susvisé est un cancer broncho-pulmonaire primitif.
Le caractère primitif du cancer bronchique suppose que la dissémination métastatique lui soit rattaché en amont.
Le certificat médical initial du 23 novembre 2017 joint à la déclaration de maladie professionnelle vise, en l'espèce, un adénocarcinome infiltrant, soit un cancer du poumon, sans faire état de son caractère primitif. Le colloque médico-administratif mentionne toutefois le code syndrome de la maladie ainsi que son libellé complet, soit un cancer broncho-pulmonaire primitif. C'est du reste sur cette base que l'instruction a été menée par la caisse, aboutissant à la prise en charge de la maladie sur le fondement du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
Le colloque médico-administratif se réfère expressément à la réalisation d'un scanner thoracique pour fixer la date de première constatation médicale de la maladie déclarée, ce qui signifie nécessairement que le diagnostic d'un cancer broncho-pulmonaire primitif a été posé lors de cet examen.
La société se prévaut d'un document émanant de l'institut national du cancer, d'où il ressort que le scanner thoracique, s'il permet de détecter la présence d'anomalies, même de très petite taille, ne donne aucune indication sur le type de cellules dont il s'agit. Toutefois, force est de constater qu'il n'est pas contesté que la victime souffre d'un cancer. Par ailleurs, aucune pièce du dossier ne vient suggérer que la victime ait pu être atteinte d'une autre pathologie à l'origine du cancer bronchique en question. Ni l'enquête du CHSCT du 9 janvier 2018, ni le questionnaire rempli par la victime, qui confirment que celle-ci a été exposée durant sa carrière à des fibres d'amiante, n'évoquent l'existence d'un autre cancer susceptible d'être à l'origine de l'apparition d'un foyer secondaire au poumon.
Il s'ensuit que l'avis du médecin-conseil, qui repose sur un élément objectif extérieur, apparaît pertinent, et qu'il est démontré par l'ensemble des pièces du dossier que la pathologie déclarée par la victime correspond à la maladie du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
Le moyen tiré du non-respect des conditions médicales énoncées au tableau doit, dès lors, être rejeté.
Sur l'absence d'exposition au risque
Vu les articles
L. 461-1 et
R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, et le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles :
Il résulte du rapport du CHSCT daté du 9 janvier 2018 de l'usine de [Localité 6] [3] France, qui constitue un élément de preuve parmi d'autres, soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond, que la victime a travaillé sur ce site, à compter de 1996, en qualité d'opérateur de fabrication rattaché à l'atelier de fabrication [4]. Les procédés en usage dans cet atelier nécessitaient l'isolation thermique des équipements, comprenant de l'amiante, ou encore, le recours, jusqu'en mars 2016, à des rubans tressés en amiante. Il est précisé que dans le cadre de son activité professionnelle, la victime était amenée à ouvrir les isolants thermiques, de façon récurrente, et que ces ouvertures, réalisées sans protection respiratoire particulière, généraient la dissémination de fibres d'amiante dans l'atmosphère. De même, il ressort de ce rapport que des joints à base d'amiante se retrouvaient dans les tuyauteries et les appareils de fabrication, dispersant des fibres d'amiante dans l'atmosphère de travail des opérateurs lors de fuites sur des circuits en pression.
En réponse au questionnaire qui lui a été adressé par la caisse, le salarié victime précise qu'il est non fumeur ; il fait par ailleurs le lien entre l'adénocarcinome dont il est souffre et l'amiante. Il confirme, dans un courrier, du 16 décembre 2015 qu'il a bien été exposé à l'amiante durant sa carrière professionnelle et qu'il a bénéficié, en 2013, d'une pré-retraite amiante.
Enfin, il ressort des propres dires de la société que la victime a, du 13 octobre 1972 au 16 avril 1992, soit durant 20 ans, travaillé en qualité d'opérateur de fabrication au sein de la société [7] de souffre réunies, classée au titre des établissements ouvrant droit à l'ACAATA.
Il s'ensuit qu'il est démontré que la victime a bien été habituellement exposée à l'amiante dans le cadre de son activité professionnelle, ne serait-ce qu'au sein de son activité au sein de la société [7] de souffre réunies, pour la durée (10 ans) mentionnée au tableau.
Il est constant que la société était le dernier employeur de la victime. La caisse était donc fondée, comme elle l'a fait, à instruire la procédure de prise en charge à l'égard de la société, indépendamment de la question de l'imputabilité de l'exposition. Le litige portant, en effet, sur l'opposabilité de la décision reconnaissant le caractère professionnel de la maladie déclarée par la victime, et non sur la faute inexcusable de la société ou, dans le cadre de la tarification, sur le montant des cotisations inscrites à son compte employeur, la contestation de l'imputabilité s'avère inopérante (2e Civ., 25 novembre 2021, n° 20-18.477).
Le moyen tiré de l'absence d'exposition habituelle au risque amiante au sein de la société sera, dès lors, rejeté.
Sur le respect de la condition liée à la liste limitative des travaux
Vu les articles
L. 461-1 et L. 461-2 code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige, et le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles :
La société soutient que la victime n'a pas effectué de travaux listés au tableau n° 30 des maladies professionnelles, durant 10 ans, alors qu'elle travaillait pour son compte. Elle ne discute nullement de la nature des travaux accomplis par son salarié alors qu'il était employé par la société [7] de souffre réunies. Ce faisant, elle se borne, là encore, à discuter de l'imputabilité de la maladie à son égard, contestation inopérante dans le présent litige, ainsi qu'il résulte des développements qui précèdent, la caisse ayant, à bon droit, instruit la demande de reconnaissance à l'égard du dernier employeur de la victime.
En toute hypothèse, on observera au besoin qu'il ressort du procès-verbal du CHSCT versé aux débats que dans le cadre de son activité d'opérateur de fabrication au sein de l'usine [3] de [Localité 6], de 1996 à 2014, date de son départ en retraite, le salarié victime était exposé à des poussières d'amiante. Ce procès-verbal, corroboré par les autres éléments du dossier, en particulier, le questionnaire et les courriers de la victime, constitue un élément de preuve parmi d'autres et n'a pas lieu d'être écarté des débats, d'autant que la société ne produit aucun élément de nature à remettre en cause sa pertinence. Ce rapport expose notamment que des tresses en amiante étaient manipulées par les travailleurs de l'usine pour la maintenance des fours de synthèse de l'acide bromhydrique, bien après l'interdiction de l'utilisation de l'amiante par le décret n° 96-98 du 7 février 1996, et que la victime était amenée à ouvrir des isolants thermiques amiantés pour rétablir la production de l'unité. Il s'ensuit, comme l'ont retenu les premiers juges, que le salarié a accompli au sein de la société des travaux d'entretien ou de maintenance sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante, travaux figurant dans la liste limitative du tableau susvisé.
Le moyen tiré du non-respect de cette condition sera, dès lors, rejeté.
Sur la procédure d'instruction
Selon l'article
R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige, dans le cas où elle a procédé à une instruction conformément au dernier alinéa de l'article
R. 441-11 du même code, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief ainsi que la possibilité de venir consulter le dossier qui comprend, en application de l'article
R. 441-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-756 du 7 juin 2016, les informations parvenues à la caisse de chacune des parties, les divers certificats médicaux et l'avis du médecin conseil.
En l'espèce, la société a été informée, par lettre du 12 février 2018 dont elle a accusé réception, de la clôture de l'instruction et de la possibilité de consulter le dossier jusqu'à la date à laquelle l'organisme entendait prendre sa décision, de sorte que l'intéressée a été mise mesure de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de faire valoir ses observations avant cette décision, peu important les modalités de consultation du dossier et l'envoi d'une copie incomplète des pièces le constituant. Il importe peu, également, pour la régularité de la procédure, que la société n'ait pas été autorisée à prendre des photographies du dossier, dès lors qu'il n'a pas été fait obstacle à la consultation de ce dernier.
Concernant les pièces figurant dans le dossier, il ressort du courrier émanant du représentant de l'employeur, daté du 26 février 2018, qu'il lui restait à visualiser la fiche colloque, ce qui renvoie nécessairement au colloque médico-administratif ou à l'avis du médecin-conseil, daté du 6 février 2018. Il s'ensuit que cette pièce figurait bien au dossier constitué par la caisse et mis à la disposition de l'employeur. Certes, le bordereau de communication produit, établi à partir d'un formulaire pré-imprimé, distingue la fiche colloque de la 'liaison médico-administrative', mais il ne peut être déduit de l'examen de ce seul formulaire que l'avis du médecin-conseil n'a pas été versé au dossier, alors que le courrier précité du 26 février 2018 témoigne du contraire.
De même, contrairement à ce que soutient la société, le questionnaire de l'assuré se trouvait dans le dossier constitué par la caisse, ainsi qu'il ressort des termes du courrier précité, celui-ci mentionnant 'le questionnaire salarié' figurant en pièce jointe. La société admet elle-même, dans ses écritures reprises oralement à l'audience, que la caisse a accepté de lui faire parvenir une copie du questionnaire du salarié non visualisable sur écran (p. 45 des conclusions). Le courrier du 26 février 2018 mentionne également que la représentante de l'employeur a pu visualiser 'un courrier du CHSCT' et 'une enquête CERFA', ce qui démontre que l'enquête du CHSCT adressée par le salarié victime à la caisse a bien été versée au dossier constitué par celle-ci, contrairement aux affirmations de la société.
Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'instruction doit, dès lors, être rejeté.
Le jugement sera confirmé dans toutes ses dispositions.
Sur les dépens
La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société [3] France aux dépens exposés en appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,