Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 novembre 2023 et 16 avril 2024, M. A B et l'association " Alter Egaux ", représentés par Me Veran (selarl Vigier Veran avocats), demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler la délibération n° 2023-0246 du 18 septembre 2023 par laquelle le conseil municipal de la ville de Rennes a approuvé les propositions de modernisation et de simplification des critères d'attribution des subventions de fonctionnement aux associations sportives civiles et d'entreprises rennaises ainsi que le règlement y afférent ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Rennes la somme globale de 3 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'intérêt pour agir de M. B est établi par sa qualité de contribuable de la commune de Rennes et par l'importance des conséquences financières directes de la délibération sur les finances locales ;
- l'intérêt pour agir de l'association " Alter Egaux " est établi, dès lors que son objet social est en lien avec l'objet de la délibération attaquée qui a pour effet de porter atteinte au principe d'égalité et aux principes du règlement général sur la protection des données (RGPD) ;
- la délibération attaquée a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que le projet de délibération et le rapport annexé, transmis aux conseillers municipaux, ne leur ont pas permis d'appréhender les implications de leur décision et, ce en méconnaissance de l'obligation d'information des membres du conseil municipal prévue par les articles
L. 2121-12 et
L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'en subordonnant le montant des subventions allouées au genre sexuel, elle a pour effet de créer, dans le critère " effectifs ", un sous-critère relatif au genre non-binaire qui est dépourvu d'existence légale ;
- elle porte atteinte au principe d'égalité, dès lors que la différence de traitement entre les personnes du genre non-binaire et les hommes n'est justifiée ni par une différence de situation entre eux ni par une raison d'intérêt général ;
- elle méconnaît les articles 5, 6 et 9 du RGPD, dès lors qu'elle permet de collecter des données sur la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle des personnes physiques ainsi que sur leurs convictions philosophiques dont le traitement est interdit d'une part, et de conserver ces données durant une année sans exiger le respect du RGPD d'autre part ;
- elle méconnaît le droit au respect de la vie privée des membres mineurs des associations sportives qui se déclareront du genre non-binaire ainsi que les stipulations de l'article 16 et du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant, dès lors que la collecte et la conservation de ces données ne répond pas à des finalités légitimes et n'est ni adéquate ni proportionnée à ces finalités ;
- la délibération méconnaît le principe de neutralité du service public, dès lors que l'instauration du critère relatif au genre non-binaire ne répond pas à un intérêt public local mais à des considérations politiques ;
- l'impossibilité d'objectiver le genre non-binaire alors que cette catégorie permet d'augmenter le montant de la subvention allouée par la majoration du coefficient et l'absence de contrôle qui en découle méconnaissent l'objectif à valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics et le principe d'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 mars et 30 avril 2024, la commune de Rennes conclut, au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- l'intérêt pour agir de M. B n'est pas établi, dès lors qu'il ne démontre pas que l'application du sous-critère relatif à la déclaration de non-binarité d'adhérents à des associations sportives rennaises affecte les recettes de la commune de Rennes ;
- l'intérêt pour agir de l'association " Alter Egaux " n'est pas établi, dès lors qu'elle n'a été créée que pour les besoins de l'instance et que son objet statutaire est dépourvu de lien avec l'objet de la délibération attaquée relatif à la révision des critères d'attribution de subventions aux associations sportives ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pellerin,
- les conclusions de Mme Thalabard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Vigier substituant Me Veran, représentant les requérants.
Considérant ce qui suit
:
1. La commune de Rennes compte environ 280 associations sportives et 50 000 pratiquants. Afin de tenir compte de l'évolution des modalités de la pratique sportive et de l'égalité d'accès de toutes et tous à la discipline de leur choix et de l'égalité de toutes et tous à la discipline de leur choix, la commune de Rennes a souhaité réviser les critères d'attribution des subventions de fonctionnement aux associations sportives. Par une délibération du 18 septembre 2023, le conseil municipal de la ville de Rennes a approuvé les propositions de modernisation et de simplification des critères d'attribution de ces subventions et le règlement y afférent. Quatre critères ont ainsi été définis dont celui relatif aux effectifs qui correspond à 35 % du montant de la subvention allouée. Estimant que ce critère comporte, à tort, un sous-critère relatif aux personnes du genre non-binaire, M. B et l'association " Alter Egaux " demandent au tribunal d'annuler cette délibération.
2. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal (). ". Selon l'article
L. 2121-13 du même code : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. ".
3. Il résulte de ces dispositions que la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Cette obligation doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, et permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Cette disposition n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
4. Il ressort des pièces du dossier que les élus ont été convoqués à la séance du conseil municipal du 18 septembre 2023 de la commune de Rennes par un courriel du 12 septembre 2023 auquel était joint l'ordre du jour. Ce dernier rappelle que les projets de délibération et les pièces jointes ont été transmis à l'ensemble des élus par messagerie. En outre, l'ordre du jour joint à ce courriel fait état de l'objet de la délibération attaquée, du pourcentage de répartition de l'enveloppe budgétaire dédiée aux associations sportives entre quatre groupes de critères distincts, dont celui en litige relatif aux effectifs, des modalités de détermination de la valeur du coefficient attribué aux adhérents en fonction de la détention ou non d'une licence, de leur âge, de leur sexe et de leur identité de genre. Enfin, il est indiqué que l'évolution du groupe de critères " effectifs " est l'une des principales évolutions par rapport aux critères applicables jusqu'alors et qu'elle a pour objectif de renforcer l'égalité femmes-hommes et l'accès à la pratique sportive pour les jeunes, notamment les jeunes filles et les personnes neutres. Ainsi, l'ordre du jour comportait des informations suffisantes pour permettre aux conseillers municipaux de se prononcer en toute connaissance de cause sur la délibération attaquée et doit être regardé comme valant note explicative de synthèse. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles
L. 2121-12 et
L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales et de la violation du droit d'information des élus doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort de ses termes que la délibération attaquée attribue des coefficients différents selon que les pratiquants d'une association sportive sont respectivement " femme majeure ", " femme mineure ", " homme majeur ", " homme mineur ", " non-binaire majeur " ou " non-binaire mineur ". Ces coefficients sont, pour les pratiquants licenciés, de
40 points pour les femmes et les non-binaires mineurs, de 20 points pour les femmes et les non-binaires majeurs, de 30 points pour les hommes mineurs et de 10 points pour les hommes majeurs. Le coefficient pour les pratiquants adhérents non-licenciés est, pour chacune des catégories précitées, divisé par 10. Il ressort également des pièces du dossier que ces coefficients sont attribués par la commune de Rennes en fonction des déclarations des associations sportives rennaises sur leurs effectifs. Ainsi, l'identité de genre non-binaire, purement déclarative, est dépourvue d'effet sur l'état civil des adhérentes et adhérents des associations sportives civiles et d'entreprises rennaises. Par suite, si la délibération attaquée subordonne une partie du montant des subventions allouées au critère de l'identité de genre, elle n'instaure pas une troisième catégorie sexuelle. Le moyen tiré d'une erreur de droit doit, en conséquence, être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article
L. 100-1 du code du sport : " Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général (). ". Selon l'article
L. 100-2 du même code : " () les collectivités territoriales () contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives. / Ils veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l'ensemble du territoire. / Ils veillent également à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et
sportives (). ".
7. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
8. Il ressort des termes de la délibération attaquée que la refonte du critère " effectifs " et des coefficients applicables mentionnés au point 5 a pour objet de renforcer l'égal accès aux pratiques sportives prévu par les dispositions de l'article
L. 100-2 du code du sport. Dans ces conditions, l'attribution aux personnes du genre féminin et non-binaire d'un coefficient d'une valeur différente de celui attribué aux pratiquants du genre masculin, permettant de valoriser certaines pratiques sportives, y compris d'ailleurs, celle des hommes mineurs, est en rapport direct avec l'intérêt général qui s'attache à l'égal accès aux activités physiques et sportives. Par suite, le moyen tiré de la rupture d'égalité doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " I. - Lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité. Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l'exécution du service public s'assure du respect de ces obligations (). ".
10. En l'absence de dispositions législatives spéciales l'autorisant expressément à accorder des concours financiers ou le lui interdisant, une commune ne peut accorder une subvention à une association qu'à la condition qu'elle soit justifiée par un intérêt public communal.
11. Il ressort des pièces du dossier et notamment de l'exposé des motifs de la délibération attaquée que la mise en place d'un mode de calcul du montant des subventions à allouer aux associations sportives qui prend notamment en considération l'identité de genre non-binaire est justifiée par l'intérêt public communal qui s'attache à l'égal accès aux pratiques sportives et à la lutte contre toute discrimination en ce domaine. En outre, il ressort des écritures de la commune de Rennes, sans que cela ne soit contredit par les pièces du dossier, que la déclaration de l'identité de genre non-binaire est facultative et relève de la décision de chaque pratiquant ou de son représentant légal. Dans ces conditions, la délibération attaquée répond à un intérêt public local et préserve la liberté de conscience. Les requérants ne sauraient utilement faire valoir à cet égard, pour contester la légalité de la délibération attaquée, qu'elle constitue " une mesure idéologique ". Par suite, le moyen tiré de l'atteinte au principe de neutralité du service public doit être écarté.
12. En cinquième lieu, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance des articles 5, 6 et 9 du règlement général sur la protection des données relatif à la collecte et à la conservation des données personnelles, dès lors qu'il ne ressort ni des termes de la délibération attaquée ni de ceux du règlement lui étant annexé que les données recueillies par les associations sportives feront l'objet d'un traitement relevant des dispositions du RGPD, lesquelles seraient alors, en tout état de cause, soumises au contrôle de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
13. En sixième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération
primordiale (). ". Selon l'article 16 de la même convention : " 1. Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. / 2. L'enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes (). ".
14. Les stipulations de l'article 16 de la convention internationale des droits de l'enfant
ne font pas obstacle à ce que soit autorisé l'enregistrement, dans un traitement automatisé, de données relatives à des mineurs, sous réserve que, conformément aux exigences générales applicables aux traitements de données personnelles, l'ingérence dans l'exercice du droit de toute personne au respect de sa vie privée réponde à des finalités légitimes et que le choix, la collecte et le traitement des données soient effectués de manière adéquate et proportionnée au regard de ces finalités.
15. Ainsi qu'il a été dit au point 12, ni la délibération, ni le règlement annexé ne prévoient que les données personnelles des pratiquants des associations sportives et d'entreprises rennaises feront l'objet d'un traitement automatisé. En outre, la déclaration de l'identité de genre prévue par la délibération attaquée est purement déclarative et facultative. Dans ces conditions, la commune de Rennes, en collectant les données des pratiquants mineurs non-binaires n'a pas fait une inexacte application des stipulations du point 1 de l'article 3 et de l'article 16 de la convention internationale des droits de l'enfant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
16. En dernier lieu, aux termes de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. ". Aux termes de l'article 15 de la même Déclaration : " La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. ".
17. Il ressort des termes de la délibération attaquée et du règlement lui étant annexé que l'identité du genre non-binaire majeur ou mineur est le troisième sous-critère du critère " effectifs ", lequel représente 35 % de l'enveloppe globale des subventions de fonctionnement attribuée aux associations sportives et d'entreprises rennaises. En outre, la subordination du montant de la subvention à l'identité du genre non-binaire répond à l'objectif d'intérêt général que constitue l'égal accès aux activités physiques et sportives prévu par les dispositions de l'article
L. 100-2 du code du sport ainsi qu'il a été dit au point 8. Ainsi, ce sous-critère, équivalent, au demeurant, aux points alloués aux femmes mineures ou majeures et qui comporte une différence de 10 points seulement avec le coefficient attribué respectivement aux hommes mineurs et majeurs, laquelle n'est pas disproportionnée au regard de l'objet d'intérêt général poursuivi, ne constitue pas un élément déterminant dans le mode de calcul du montant de la subvention de fonctionnement à allouer. Dans ces conditions, la seule circonstance que le sous-critère en litige présente un caractère subjectif ainsi que le soutiennent les requérants, ne saurait suffire à établir l'existence d'une atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Par suite, le moyen doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que les conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B et de l'association " Alter Egaux " est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, à l'association " Alter Egaux " et à la commune de Rennes.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Poujade, président du tribunal,
Mme Grenier, vice-présidente,
Mme Pellerin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.
La rapporteure,
Signé
C. Pellerin
Le président,
Signé
A. PoujadeLa greffière,
Signé
I. Le Vaillant
La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.