CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 53727/13
François GORE
contre la France
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 18 février 2014 en un comité composé de :
Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
André Potocki, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 août 2013,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l'article 41 du règlement de la Cour,
Vu la demande d'information factuelle adressée au Gouvernement,
Vu les informations fournies par les parties.
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. François Gore, est un ressortissant français né en 1966 et actuellement détenu à Argentan.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant a été condamné à huit ans d'emprisonnement pour viol sur mineure commis par personne ayant autorité, deux ans d'emprisonnement pour violence sur mineur de quinze ans commise en récidive et six mois de prison pour escroquerie et dénonciation mensongère.
Il est détenu à Argentan depuis le 19 juillet 2011.
Le requérant indique avoir subi un infarctus du myocarde en 1997 et dit souffrir d'une cardiopathie ischémique. Il ajoute qu'il a également de gros problèmes d'hypertension, ainsi qu'une ostéonécrose des deux têtes fémorales.
Les copies d'ordonnances qu'il joint à sa requête et qui s'échelonnent entre 2009 et 2012 révèlent que lui ont été prescrits des médicaments pour : la tension, le cholestérol, les crises d'angine de poitrine (comprimés et spray), le diabète, un anti agrégeant plaquettaire, ainsi que de la morphine.
GRIEF
Le requérant se plaint de ce que, depuis son transfert au centre de détention d'Argentan, il n'est pas correctement soigné, le médecin ne lui prescrivant plus les médicaments nécessaires à son traitement. Il indique s'être adressé à l'ordre des médecins, sans succès. Il n'invoque aucun article de la Convention.
EN DROIT
Le requérant se plaint de ne pas bénéficier en détention du traitement médical adapté à son état de santé. Il n'invoque aucun article de la Convention.
Étant maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime qu'en l'espèce le grief du requérant appelle un examen sur le terrain de l'article 3 de la Convention qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Le Gouvernement
Le Gouvernement souligne d'emblée que le requérant a un comportement agressif en détention, y compris à l'égard des membres du service médical. Il produit ainsi trois rapports d'incidents, dont un daté du 4 septembre 2011, relatant les propos agressifs tenus par le requérant à l'égard d'une infirmière.
Il ajoute que le requérant a été suivi constamment sur le plan somatique, entre 2011 et 2013, par les médecins de l'unité de soins en milieu pénitentiaire et fournit un récapitulatif des différents examens, consultations et soins dont le requérant a bénéficié ou aurait pu bénéficier entre 2011 et 2013.
Sont ainsi mentionnés vingt-huit rendez-vous médicaux avec le médecin de l'unité sanitaire, dont cinq que le requérant a refusés ou auxquels il ne s'est pas rendu, huit consultations dentaires prévues, dont quatre où le requérant était absent, six consultations en milieu hospitalier, huit rendez-vous en milieu hospitalier annulés en raison de l'absence du requérant ou de son refus de s'y rendre, cinq consultations psychiatriques, avec une absence du requérant, trois consultations ophtalmologiques et une annulée en raison de l'absence du requérant. Deux extractions en urgence pour emmener le requérant au centre hospitalier d'Argentan sont également mentionnées, les 9 octobre et 11 novembre 2011, ainsi que quarante-deux soins techniques et infirmiers prodigués au requérant, qui en a refusé ou était absent pour vingt-deux autres. Des lunettes et un fauteuil roulant lui ont également été fournis.
Le Gouvernement produit également une copie du registre des convocations à l'Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison qui détaille les dates de ces convocations et leur résultat.
B. Le requérant
Le requérant se plaint de ce que, depuis son transfert au centre de détention d'Argentan, il n'est pas correctement soigné, le médecin ne lui prescrivant plus les médicaments nécessaires à son traitement. Il indique s'être adressé à l'ordre des médecins, sans succès.
Il ajoute qu'il a arrêté d'aller voir le médecin car le 9 janvier 2013, son traitement cardiovasculaire n'a pas été renouvelé sans aucun motif. Il expose avoir demandé à changer de médecin généraliste, sans résultat.
Le requérant indique également ne rien savoir d'une consultation de cardiologie ou d'un éventuel examen par imagerie par résonance magnétique (IRM) mentionnés par le Gouvernement.
Dans sa réponse au Gouvernement, le requérant mentionne pour la première fois une double fracture du poignet gauche intervenue après une chute le 9 novembre 2011. Il se plaint de la manière dont cette fracture a été soignée à l'hôpital et estime qu'il aurait dû être opéré.
C. Appréciation de la Cour
La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l'article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, de ses modalités d'exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, et parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, et Kaja c. Grèce, no 32927/03, 27 juillet 2006, § 46).
En outre, l'article 3 de la Convention impose à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis (McGlinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 46, CEDH 2003-V, et Rivière c. France, no 33834/03, § 55, 11 juillet 2006).
Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées devant la Cour par des éléments de preuve appropriés. Pour l'établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 88, CEDH 1999-V).
En l'espèce, la Cour constate qu'il ressort des documents fournis par le Gouvernement que le requérant a bénéficié de nombreuses consultations médicales spécifiques aux affections dont il souffre, que ce soit au sein de la prison ou en milieu hospitalier. Elle note encore que le requérant a refusé de se rendre à de nombreuses consultations ou examens spécialisés programmés, ce qu'il ne conteste pas, et qu'il ne fournit pas d'explication convaincante de son refus de se rendre aux rendez-vous qui lui ont été fixés.
Après s'être livrée à une appréciation globale des faits pertinents sur la base des preuves produites devant elle, la Cour conclut que le requérant bénéficie en détention des soins que son état de santé nécessite et que le niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champ d'application de l'article 3 de la Convention n'est pas atteint en l'espèce (I.T. c. Roumanie (déc.), no 40155/02, 24 novembre 2005 et Staicu c. Roumanie (déc.), no 17396/04, 20 septembre 2011).
Il s'ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Stephen Phillips Angelika Nußberger
Greffier adjoint Présidente