QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BIENIEK c. POLOGNE
(Requête no 46117/07)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée conformément à l'article 81 du règlement de la Cour le 1er octobre 2010
STRASBOURG
1 juin 2010
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bieniek c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
Ján Šikuta,
Mihai Poalelungi,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 mai 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 46117/07) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Robert Bieniek (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 octobre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J.Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le requérant alléguait en particulier violation de l'article 5 § 3 de la Convention à raison de la longueur de la détention provisoire appliquée à son encontre, ainsi que violation de l'article 6 § 1 de la Convention, du fait de la durée de la procédure pénale dirigée contre lui.
4. Le 2 décembre 2008, le président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1975 et réside à Varsovie. Il est actuellement détenu à la maison d'arrêt de Varsovie.
6. Le 29 juillet 1999, le requérant fut arrêté. Le 31 juillet 1999, le tribunal de district de Varsovie ordonna sa mise en détention provisoire, au motif qu'au vue des éléments rassemblés par les autorités, notamment les témoignages des témoins oculaires, il pouvait être soupçonné d'avoir commis avec d'autres individus plusieurs meurtres par arme à feu. Le tribunal releva la sévérité de la peine encourue par le requérant et le risque qu'en cas de libération, il pourrait entraver le bon déroulement de l'enquête. Il souligna que cette dernière était évolutive et complexe.
7. La détention du requérant fut prolongée à des intervalles réguliers, notamment les 30 septembre 1999, 3 et 18 janvier ainsi que 14 juillet et 19 décembre 2000. Dans leurs décisions, les autorités se fondèrent de manière continue sur les forts soupçons, étayés par les éléments du dossier, que le requérant eût été l'auteur des faits graves, passibles d'une peine de prison importante. Elles soulignèrent la nécessité de recueillir des nombreuses preuves, notamment les expertises et les témoignages des repentis.
8. Le 19 février 2001, le parquet de Varsovie déposa un acte d'accusation mettant en cause le requérant et ses trois complices présumés. Ils furent accusés de double homicide par armes à feu et des tentatives d'homicide.
9. Pour motiver leurs décisions de prolonger la détention du requérant lors de la phase judiciaire de la procédure, les autorités invoquèrent les circonstances similaires à celles référées antérieurement. Elles observèrent que la procédure s'était prolongée en raison des non-comparutions des témoins dont certains devaient être localisés par les autorités.
10. Par un jugement du 24 avril 2003, le tribunal régional de Varsovie déclara le requérant coupable des faits et le condamna à la réclusion à perpétuité.
11. Par un arrêt du 22 avril 2004, la cour d'appel acquitta le requérant de l'un des meurtres et confirma le restant du jugement du tribunal régional.
12. Par un arrêt du 2 mars 2006, la Cour Suprême cassa les jugements prononcés par les instances inférieures et renvoya l'affaire pour réexamen au tribunal régional de Varsovie. Elle décida en même temps de prolonger la détention provisoire du requérant jusqu'au 1er septembre 2006. La Cour Suprême se fonda sur la gravité et le grand nombre d'infractions reprochées au requérant ainsi que sur la complexité de la procédure, facteurs qui justifiaient la crainte qu'en cas de son élargissement, il pourrait entraver le bon déroulement des actes.
13. Lors de la période subséquente les autorités continuèrent de maintenir la détention du requérant pour les motifs essentiellement similaires à ceux indiqués ci-dessus. Elles se prononcèrent notamment les 29 janvier, 15 mai, 15 août, 4 décembre 2007 et 18 mai 2008. Les recours formés par le requérant furent rejetés par la cour d'appel de Varsovie, notamment les 14 juin et 25 septembre 2007 ainsi que les 4 janvier et 27 mai 2008. D'ailleurs, la demande du requérant tendant à remplacer la détention provisoire par une mesure préventive plus clémente fut refusée le 7 avril 2008.
14. En juin 2008, le requérant forma un recours contre la durée de la procédure. Le 11 septembre 2008, la cour d'appel de Varsovie le rejeta. Ayant examiné seulement la phase de la procédure postérieure à l'arrêt de la Cour Suprême, la cour d'appel estima qu'aucun retard injustifié ne pouvait être imputé aux autorités.
15. Il ressort des éléments versés au dossier, notamment de la dernière lettre du requérant du 28 février 2010, que ce dernier est toujours détenu sans qu'un jugement ait été prononcé par le tribunal régional de Varsovie. A l'audience du 30 novembre 2009, le tribunal refusa d'accueillir la demande du requérant tendant à sa mise en liberté. La dernière prolongation de sa détention, jusqu'au 30 avril 2010, eut lieu le 22 décembre 2009 pour les motifs essentiellement identiques à ceux invoqués antérieurement par les autorités.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16. Le droit et la pratique pertinents concernant la détention provisoire (aresztowanie tymczasowe), les motifs de sa prolongation, la remise en liberté et les principes gouvernant les autres mesures dites « préventives » (środki zapobiegawcze) sont décrits dans les arrêts de la Cour rendus dans les affaires suivantes : Gołek c. Poland, no 31330/02, §§ 27-33, 25 avril 2006 et Celejewski c. Pologne, no 17584/04, §§ 22-23, 4 août 2006.
17. Le 17 septembre 2004 est entrée en vigueur la loi adoptée le 17 juin 2004, qui a introduit dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive des procédures judiciaires (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki). Les décisions Charzyński c. Pologne no 15212/03 (déc.), §§ 12-23, ECHR 2005-V, Ratajczyk c. Poland no 11215/02 (déc.), ECHR 2005-VIII et Krasuski c. Poland, no 61444/00, §§ 34-46, ECHR 2005-V décrivent le droit et la pratique internes pertinents concernant l'efficacité de la voie de recours interne instaurée par la loi de 2004.
EN DROIT
I. SUR LA DEMANDE DU GOUVERNEMENT DE RAYER LA REQUETE DU ROLE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 37 DE LA CONVENTION
18. Par une lettre du 20 octobre 2009, le Gouvernement a invité la Cour à rayer l'affaire du rôle et a joint le texte d'une déclaration unilatérale similaire à celle présentée dans les affaires Tahsin Acar c. Turquie ((question préliminaire) [GC], no 26307/95, ECHR 2003-VI), Haran c. Turquie, ((radiation du rôle) no 25754/94, 26 mars 2002) et autres. Dans ladite déclaration, il a reconnu qu'il y avait eu, dans la présente affaire, violation des articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention du fait de la longueur de la détention provisoire du requérant et de la durée excessive de la procédure pénale. Le Gouvernement a de surcroît proposé de verser au requérant la somme de 18 000 PLN au titre de la satisfaction équitable et a invité la Cour à rayer la requête du rôle en application de l'article 37 § 1 (c) de la Convention.
19. Le requérant s'est opposé à l'offre du Gouvernement et a prié la Cour de statuer par un arrêt. Il a souligné qu'en dépit de la reconnaissance par le Gouvernement polonais des violations de ses droits protégés par la Convention, le versement de la somme proposée par ce dernier n'améliore pas sa situation, vu que la détention préventive continue d'être appliquée à son égard.
20. La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive. Elle se réfère à cet égard aux principes établis dans sa jurisprudence (notamment Melnic c. Moldova, no 6923/03, §§ 20-31) en ce qui concerne l'examen des déclarations unilatérales. La Cour rappelle en particulier que c'est en fonction des circonstances particulières de la cause qu'elle pourra déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de l'affaire (voir Tahsin Acar, précité, § 75; Melnic précité, § 22).
21. Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour observe que le Gouvernement a accepté de dire, dans sa déclaration unilatérale, que la durée de la détention provisoire du requérant ainsi que de la procédure pénale étaient excessives. Le Gouvernement a également proposé de verser au requérant une somme d'argent au titre de satisfaction équitable.
22. Dans la mesure où il s'agit de savoir si, en l'espèce, il serait opportun de rayer la présente requête du rôle sur la base de la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour observe en particulier qu'en dépit de la reconnaissance par ce dernier de la violation du droit du requérant à être jugé dans un délai raisonnable ou être libéré pendant la procédure, celui-ci continue d'être privé de liberté, en violation de l'article 5 § 3 de la Convention. Eu égard à la longue détention provisoire déjà subie par le requérant et au fait que celui-ci se trouve en situation de la violation continue de l'article 5 § 3 de la Convention, la Cour estime que le versement de la somme proposée par le Gouvernement ne peut suffire pour fournir un redressement adéquat au requérant.
23. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le respect des droits de l'homme exige la poursuite de l'examen de l'affaire, conformément à la dernière phrase de l'article 37 § 1 de la Convention. La requête ne peut donc être rayée du rôle en vertu de l'alinéa c) de l'article 37 de la Convention, la déclaration n'offrant pas une base suffisante pour que la Cour puisse dire qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de l'affaire.
24. En conclusion, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l'examen de la recevabilité et du fond de l'affaire.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION
25. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et invoque l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »
A. Sur la recevabilité
26. Le Gouvernement affirme que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. En particulier, il aurait pu former un recours devant la Cour constitutionnelle et inviter celle-ci à se prononcer sur la question de la constitutionnalité des dispositions du code de procédure pénale polonais en vertu desquelles sa détention provisoire a été prolongée.
27. Le requérant combat les arguments du Gouvernement.
28. La Cour rappelle sa jurisprudence pertinente en l'espèce dont il ressort que l'article 35 § 1 de la Convention n'exige pas qu'un requérant, après avoir interjeté recours à l'encontre de décisions prolongeant sa détention provisoire, doive encore nécessairement tenter d'obtenir le redressement d'une violation alléguée de la Convention en saisissant la Cour constitutionnelle (voir, par exemple, Kacprzyk c. Pologne, no 50020/06, §§ 27-31, 21 juillet 2009 ; Wegera c. Pologne, no 141/07, 19 janvier 2010, § 47).
29. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception du Gouvernement.
30. Elle constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. La période à prendre en considération
31. La Cour constate que la durée de la détention provisoire du requérant correspond à la somme de deux périodes. La première s'étend du 29 juillet 1999, date de son placement en détention, au 24 avril 2003, date de sa condamnation en première instance, soit sur une durée de trois années et neuf mois environ. La Cour note que dans la mesure où entre cette dernière date et le 2 mars 2006, le requérant purgeait la peine d'emprisonnement prononcée par le tribunal régional le 24 avril 2003, sa situation pendant la période en question doit être regardée comme relevant de l'article 5 § 1 a), qui autorise une privation de liberté « après condamnation par un tribunal compétent ». En conséquence cette période ne peut être prise en considération aux fins de l'article 5 § 3 (cf. Kudła, précité, § 104).
La seconde période de détention provisoire de l'intéressé s'étend du 2 mars 2006, date de l'infirmation par la Cour Suprême des jugements de condamnation prononcés par les juridictions inferieures et du renvoi de l'affaire pour réexamen, soit à présent sur une durée d'environ quatre années et un mois.
La durée totale de la détention provisoire de l'intéressé est ainsi d'environ sept années et dix mois.
2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire
32. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant était en conformité avec les exigences de l'article 5 § 3 et qu'elle se justifiait par des indices sérieux.
33. Le Gouvernement met l'accent sur la gravité des infractions que le requérant était accusé d'avoir commis en complicité avec d'autres coaccusés. Il relève le caractère très complexe et évolutif de l'affaire portant sur les activités d'une association des malfaiteurs.
34. Le Gouvernement estime que la prolongation de la détention se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu'elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux, lesquels ont fourni à chaque fois des explications détaillées et fondées sur les circonstances concrètes de l'affaire. Il soutient que des raisons plausibles de soupçonner que le requérant avait commis les infractions reprochées ont persisté tout au long de la procédure. Selon lui, on pouvait raisonnablement croire qu'une fois remis en liberté l'intéressé tenterait de se soustraire à la justice et d'entraver le bon déroulement de la procédure. En particulier, on pouvait raisonnablement craindre qu'il puisse tenter d'influencer les témoins et de se mettre en connivence avec ses complices.
35. Enfin, le Gouvernement fait valoir que les autorités ont apporté toute diligence nécessaire à l'affaire.
36. Le requérant combat les arguments du Gouvernement.
37. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d'un accusé doit s'apprécier dans chaque cas d'après les particularités de la cause (voir notamment l'arrêt Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 152, ECHR 2000-IV et Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 110, ECHR 2000-XII.).
38. Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence de l'exigence d'intérêt public susmentionnée justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle, et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention (voir, notamment les arrêts Weinsztal c. Pologne, no 43748/98, du 30 mai 2006, § 50 et McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43).
39. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, l'arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35).
40. La Cour observe qu'en l'espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention par la sévérité de la peine encourue, par la complexité de l'affaire ainsi que par le risque d'entrave à la bonne marche de justice.
41. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (environ sept années et dix mois au total) se justifiait au regard de l'article 5 § 3.
42. La Cour ne décèle aucune raison de la sorte en l'espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes de libération du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour observe de surcroît que tout au long de la procédure, les juges ont motivé leurs décisions par le caractère complexe de l'affaire, soulignant surtout la sévérité de la peine encourue du fait de la nature des infractions reprochées à l'intéressé.
43. La Cour rappelle à cet égard qu'à la lumière de sa jurisprudence établie, l'existence d'un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d'une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir, notamment, les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A no 7, p. 22, § 14 ; Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A no 10, p. 29, § 11 ; Letellier c. France précité, § 43 ; Scott c. Espagne du 30 novembre 1996, CEDH 1996 - VI, p. 2304, § 78).
44. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n'étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question. Dans ces circonstances, il s'avère inutile d'examiner si la procédure a été conduite avec la diligence nécessaire.
45. Il y a donc eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
46. Le requérant cite l'article 6 § 1 de la Convention considérant que la procédure, à laquelle il était partie, a connu une durée excessive.
L'article 6 § 1, en ses dispositions pertinentes, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
47. La période à considérer a débuté en juillet 1999 et n'a pas encore pris fin. Elle s'étend sur environ dix années et neuf mois pour trois degrés de juridiction.
A. Sur la recevabilité
48. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
49. Le Gouvernement a déclaré ne pas vouloir se prononcer sur la question.
50. Le requérant continue d'affirmer que l'article 6 § 1 de la Convention a été violé à son égard.
51. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir Czech c. Pologne, no 49034/99, § 44, 15 novembre 2005, Wojda c. Pologne, no 55233/00, § 9, du 8 novembre 2005).
52. La Cour note que la présente procédure a débuté en juillet 1999 et n'a pas encore pris fin. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Czech, Wojda précités).
53. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
54. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
55. Le requérant soutient qu'en raison de la longueur de sa détention préventive, il a subi une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale.
56. La Cour estime que le grief du requérant n'a pas été suffisamment étayé. Bien qu'elle reconnaisse que le requérant subit une détention particulièrement longue, ce dernier n'a pas indiqué de quelles autres restrictions, mises à part celles qu'entraîne habituellement le fait d'être soumis à l'isolement carcéral, son droit au respect de la vie familiale aurait pu faire l'objet. En particulier, l'intéressé ne se plaint pas de n'avoir pu maintenir le contact avec sa famille dans les formes habituellement prévues pour les personnes incarcérées, telles que notamment les visites familiales.
57. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et la rejette, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
58. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
59. Le requérant réclame environ 200 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi du fait des violations de ses droits protégés par les articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention.
60. Le Gouvernement juge exorbitante la somme sollicité par le requérant et s'en remet à la sagesse de la Cour.
61. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain. Au vu des circonstances de l'affaire, la Cour estime raisonnable de lui octroyer la somme de 7 800 EUR.
B. Frais et dépens
62. Le requérant demande également 1000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.
63. Le Gouvernement ne s'est pas exprimé à cet égard.
64. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 100 EUR au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
65. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Rejette la demande du Gouvernement de rayer la requête du rôle ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 7 800 EUR (sept mille huit cents euros) pour dommage moral et 100 EUR (cent euros) pour frais et dépens, à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement[1], plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 1 juin 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président
[1] Rectifié le 1er octobre 2010 : « à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement » a été ajouté.