AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Karim X...
Y..., demeurant ... (2ème), en cassation d'un arrêt rendu le 15 janvier 1993 par la cour d'appel de Paris (22ème chambre), au profit de la société anonyme Goy Hauvette, demeurant ... (2ème), défenderesse à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 novembre 1994, où étaient présents : M. Lecante, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Bèque, conseiller rapporteur, MM. Le Roux-Cocheril, Ransac, conseillers, Mmes Pams-Tatu, Barberot, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Melle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bèque, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat de la société Goy Hauvette, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 1993) que M. Y..., engagé le 1er août 1987 par la société Goy Hauvette, société de bourse, pour monter et commercialiser toutes les opérations dans le cadre de marché à terme des instruments financiers (Matif), a été licencié pour faute grave par lettre du 29 novembre 1990, après avoir été convoqué à un entretien préalable le 31 juillet 1990, et après avis de la commission paritaire professionnelle prévu par la convention collective applicable ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le pourvoi, de première part d'abord, que l'employeur doit adresser lui-même une lettre de licenciement circonstanciée et motivée, de telle sorte que le salarié ne puisse ignorer les faits qui lui sont reprochés et fondant la rupture, étant précisé que la lettre de rupture ne peut être adressée moins d'un jour franc après l'entretien préalable ;
qu'ainsi en ne recherchant pas, après avoir relevé que la décision de la commission paritaire avait été rendue le 22 novembre 1990 et la lettre de rupture avait été adressée au salarié le 29 novembre suivant, si l'entretien préalable s'était tenu entre ces deux dates dans les conditions ci-dessus visées, et en ne précisant pas davantage si la lettre de licenciement satisfait aux exigences légales de motivation, la cour d'appel en ne mettant pas à même la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur la procédure suivie en l'espèce, a privé sa décision de base légale au regard des articles
L. 122-8 et
L. 122-14 à
L. 122-14-2 du Code du travail ; alors ensuite qu'il appartient aux juges du fond de rechercher eux-même la réalité du motif du licenciement invoqué par l'employeur ; qu'ainsi, en restant totalement muette sur ce point et en déléguant son pouvoir d'appréciation des faits reprochés à M. Y... au regard des circonstances propres à l'espèce à la commission paritaire précitée, pour en déduire après s'être exclusivement référée à l'avis de cet organisme, que le salarié avait commis une faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L. 122-8 et
L. 122-14-3 du même Code ; alors encore que la situation des comptes débiteurs des trois clients de M. Y... étaient connue de l'employeur dès le début du mois de mars 1990, et que celle-ci contrairement aux articles 4, 6, 5 du réglement général du conseil des bourses de valeur n'a réagi par l'envoi de lettres recommandées à ces mêmes clients que le 15 mai 1990, pour finalement liquider les comptes de ces derniers à la fin de ce mois, ainsi que les juges du second degré l'ont relevé, démontrant par là même que M. Y... n'avait plus la responsabilité de l'activité dite "Back Office", puisqu'aux termes des réglements susvisés la liquidation des comptes doit intervenir dans de brefs délais ; qu'ainsi en jugeant le contraire et en ayant admis que l'absence de rigueur et de contrôle de l'entreprise avait concouru au préjudice financier subi par la société Goy Hauvette, la cour d'appel a violé l'article
L. 122-8 du Code du travail ; alors, en outre, que le salarié n'avait pas manqué de souligner en cause d'appel que, s'agissant du traitement administratif des comptes des clients, la BRED, adhérente au Matif comme l'était auparavant la société Goy Hauvette, laquelle a cessé, pour des raisons d'économie de gestion, d'appartenir à ce marché, pour ne conserver qu'une activité de "Font Office", l'exécution des ordres des clients et le traitement administratif de leurs comptes relevant désormais de la seule compétence de la BRED, et que dès lors la vérification de ceux-ci incombant à cette dernière prestataire de ce service, M. Y... n'avait plus la charge de cette activité ; qu'ainsi, en recherchant pas, comme le faisait valoir le salarié aux termes de ses conclusions délaissées, quel était le rôle respectif des deux sociétés précitées et si par conséquent, les fonctions de l'exposant s'en étaient trouvées par là même modifiées, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard des articles
L. 122-8 et
L. 122-14-3 du Code du travail ;
alors enfin, que ne saurait constituer une faute grave imputable au salarié, la baisse de résultats procédant d'une politique et d'une gestion défaillante de l'entreprise ;
qu'ainsi après avoir admis que le rôle de l'employeur au moment des faits reprochés à M. Y... avait concouru au dommage financier subi par la société Goy Hauvette, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres énonciations et a violé l'article
L. 122-8 du même code ; alors, de deuxième part, d'abord, que la cour d'appel ne pouvait énoncer d'une part, que l'employeur avait eu connaissance des faits prétendûment constitutifs d'une faute grave, reprochés au salarié, à savoir que la position de débit des trois comptes litigieux constituait à elle seule le fait générateur d'une telle faute, ainsi que le stipulent tour à tour très expressément le réglement général du conseil des bourses de valeurs et le règlement intérieur de l'entreprise et comme l'a relevé la cour d'appel, au plus tard le 13 mai 1990, et d'autre part, qu'en engageant la procédure de licenciement le 31 juillet 1990, l'employeur n'a pas dépassé le délai légal de deux mois, prenant effet à compter de sa connaissance précise des faits à reprocher au salarié, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs et a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, ensuite, qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ;
qu'ainsi après avoir relevé que la société Goy Hauvette avait eu connaissance des faits reprochés au salarié au plus tard le 13 mai 1990, et que l'engagement de la procédure de licenciement, à raison de ces mêmes faits, avait été engagée le 31 juillet suivant, soit plus de deux mois plus tard, la cour d'appel ne pouvait en déduire que l'employeur n'avait pas dépassé le délai légal de deux mois en exigeant que ce dernier ait eu connaissance précise de ces mêmes faits, ces derniers étant clairement définis tant par le conseil des bourses de valeurs que par le réglement intérieur de l'entreprise, sans ajouter une condition que la loi ne comporte pas et violer l'article
L. 122-44 du Code du travail ; alors encore, qu'en exigeant que le salarié apporte son concours à l'employeur pour l'aider à rechercher le bien-fondé des faits qui lui étaient reprochés, et motivant son licenciement, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé par fausse application l'article
1315 du Code civil ; alors enfin qu'aucune sanction ne peut être infligée au salarié sans que celui-ci soit informé dans le même temps, et par écrit des griefs retenus contre lui tout en respectant la procédure prévue à l'article
L. 122-41 du Code du travail ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que cette procédure n'a nullement été réspectée en l'espèce ;
qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles
L. 122-8,
L. 122-41 et
L. 122-43 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que le salarié ait soutenu devant la cour d'appel que la lettre de licenciement aurait été insuffisamment motivée, ni qu'elle aurait été expédiée moins d'un jour franc après la date pour laquelle il a été convoqué à l'entretien préalable ;
Attendu ensuite que le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'employeur, pour apprécier le degré de gravité des faits reprochés au salarié, n'est pas exclusif pour ce dernier d'invoquer l'existence d'une faute grave ;
Attendu que la cour d'appel, ayant constaté que l'employeur avait connu le 13 mai 1990 l'existence d'un découvert important sur le compte de trois clients géré par le salarié, a relevé que des vérifications avaient été nécessaires pour établir la responsabilité du salarié, vérifications rendues difficiles à partir du 20 juin 1990 en raison de l'absence pour raison de maladie de M. Y... ; que, dès lors, la procédure de licenciement, engagée le 31 juillet 1990, l'a été dans le délai de deux mois prenant effet à compter de la connaissance précise des faits par l'employeur ;
Et attendu que, sans contradiction et sans inverser la charge de la preuve, la cour d'appel a relevé qu'il était établi que le salarié avait laissé pendant plusieurs mois les comptes de trois clients débiteurs, alors qu'il avait l'obligation de liquider sans délai les positions insuffisamment couvertes ; qu'en l'état de ces énonciations, elle a pu décider que ces faits, une fois établis, rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constituaient une faute grave ; d'où il suit que le premier moyen en sa première branche est nouveau et, mélangé de fait et de droit, dès lors irrecevable ; qu'en ses autres branches il est infondé ainsi que le second moyen ;
Sur les demandes présentées au titre de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que, sur le fondement de ce texte, M. Y... sollicite l'allocation d'une somme de 15 000 francs et la société Goy Hauvette, l'allocation d'une somme de 12 000 francs ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir ces demandes ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Rejette les demandes formées au titre de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne M. Y..., envers la société Goy Hauvette, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.