CJUE, 13 mai 1993, C-113/92, C-114/92, C-156/92

Synthèse

  • Juridiction : CJUE
  • Numéro de pourvoi :
    C-113/92, C-114/92, C-156/92
  • Date de dépôt : 10 avril 1992
  • Titre : Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi et Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.
  • Identifiant européen :
    ECLI:EU:C:1993:183
  • Lien EUR-Lex :https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:61992CC0113
  • Rapporteur : Murray
  • Avocat général : Darmon
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Texte intégral

Avis juridique important | 61992C0113 Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 13 mai 1993. - Enrico Fabrizii, Pietro Neri et Aldo Del Grosso contre Office national des pensions. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi et Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Pensions de retraite - Calcul des prestations - Règles anticumul nationales. - Affaires jointes C-113/92, C-114/92 et C-156/92. Recueil de jurisprudence 1993 page I-06707 Conclusions de l'avocat général ++++ Monsieur le Président, Messieurs les Juges, 1. Les tribunaux du travail de Charleroi et de Bruxelles vous soumettent une série de questions portant sur l' interprétation du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil (1) (ci-après "règlement") et plus particulièrement de son article 46, relatif à la liquidation des prestations de vieillesse et de décès. 2. Les quatre questions posées par le tribunal de Charleroi dans les affaires Fabrizii et Neri sont identiques et seront donc examinées ensemble et en premier lieu. L' affaire Del Grosso, pendante devant le tribunal de Bruxelles, qui pose - notamment - la question délicate de la conformité au droit communautaire des règles anticumul nationales, sera abordée en second lieu. 3. M. Fabrizii, ressortissant italien, né le 13 décembre 1919, travaille comme mineur de fond en Belgique pendant vingt-six ans. Par application de l' article 10, paragraphe 2, 1 , deuxième et troisième alinéas, de l' arrêté royal belge n 50 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, du 24 octobre 1967 (2) (ci-après l' arrêté royal), il bénéficie de quatre années d' occupation supplémentaires (dites "années fictives") lui permettant d' être admis en 1975 à la pension de retraite complète des ouvriers mineurs (soit 26/30 + 4/30 = 30/30). 4. Pour avoir fait son service militaire en Italie, il demande en 1989, la liquidation d' une pension de vieillesse italienne. Il y est fait droit par décision du 4 mai 1990, avec effet au 1er janvier 1980. 5. L' Office national des pensions belge (ci-après l' ONP) réexamine alors ses droits et fixe la carrière utile de Monsieur Fabrizii à 26/30 à dater du 1er janvier 1980. Par application de la clause anticumul nationale visée à l' article 10, paragraphe 2, 1 , dernier alinéa, de l' arrêté royal, le nombre d' années supplémentaires fictives est, en effet, diminué du nombre d' années pour lesquelles le travailleur peut prétendre à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu, notamment, d' un régime d' un pays étranger (soit, en l' espèce, quatre années, le service militaire en Italie équivalant à quatre années en régime minier belge). 6. C' est précisément la réduction de la durée de la carrière prise en compte pour le calcul de sa pension de retraite que Monsieur Fabrizii conteste: il revendique une pension non réduite égale à 30/30. 7. Né le 18 décembre 1919, Monsieur Neri compte trente années de travail salarié du régime général et quatre années comme ouvrier mineur en Belgique. Il est admis à la retraite des travailleurs salariés par décision du 25 septembre 1984, avec effet au 1er janvier 1985, prenant en compte une carrière incomplète égale à 39/45, l' article 11 bis de l' arrêté royal lui permettant de bénéficier de cinq années fictives (30 + 4 + 5 années fictives). 8. Le 14 novembre 1990, en raison d' un service militaire effectué en Italie, une pension de retraite lui est accordée par cet État, avec effet au 1er janvier 1980. Ces années de service militaire équivalent à sept années en régime belge. 9. Afin que le total des années prises en compte ne dépasse pas l' unité de carrière limitée en Belgique à quarante-cinq années, le nombre d' années supplémentaires fictives a été réduit de cinq à quatre (soit 34 + 7 + 4 = 45 années), par application de l' article 11 ter de l' arrêté royal. De plus, la pension a été réduite des sept années correspondant à la pension italienne, soit un résultat de 38/45, avec effet au 1er janvier 1985. 10. C' est ce montant que conteste Monsieur Neri qui revendique une pension sans réduction égale à 39/45. 11. Le tribunal de Charleroi vous pose quatre questions portant successivement sur 1) le mode de calcul de la pension théorique visé à l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement; 2) le mode de calcul de la totalisation prévue par la même disposition; 3) la détermination de la durée totale des périodes d' assurance au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), et 4) l' application des règles anticumul nationales (3). 12. La première question nous paraît se poser en termes très différents dans les deux affaires. 13. Lorsque le travailleur salarié ou non salarié peut bénéficier d' une pension dans un État membre sans avoir recours aux périodes d' assurance accomplies dans d' autres États, la prestation vieillesse est liquidée en procédant à un double calcul: celui de la pension autonome et celui de la pension proratisée. La plus élevée de ces prestations est attribuée au demandeur (article 46, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas). 14. La première est égale au montant de la prestation correspondant à la durée totale des périodes d' assurance ou de résidence à prendre en compte en vertu de la législation du pays de l' institution qui liquide, à l' exclusion des règles anticumul nationales (conformément à l' article 12, paragraphe 2, du règlement) (4), mais avec prise en compte intégrale des années supplémentaires fictives octroyées par la législation nationale (5). 15. La seconde est calculée conformément à l' article 46, paragraphe 2, en plusieurs étapes. La première d' entre elles étant le calcul du montant théorique qui est, précisément, ici, au centre du litige. 16. Ce montant est égal au montant de la prestation auquel l' intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d' assurance par lui accomplies dans les différents États membres l' avaient été dans l' État de liquidation (6). 17. Une limite est toutefois posée par l' article 46, paragraphe 2, sous c), du règlement, aux termes duquel l' addition des périodes d' assurance a pour plafond la durée maximale requise pour le bénéfice d' une prestation complète par la législation de cet État. 18. Il nous semble, dès lors, que l' arrêt Di Prinzio (7) donne ici la réponse à la question posée: "(...) dans une situation telle que celle de l' espèce au principal (8), le travailleur a droit à une pension complète en vertu de la seule législation d' un État membre, de sorte que la comptabilisation des périodes accomplies par l' intéressé dans les autres États membres n' est pas nécessaire pour compléter les périodes accomplies par le travailleur sous la législation de l' État membre dans lequel la liquidation des prestations est demandée, en vue de l' acquisition du droit aux prestations. Il en résulte que, s' agissant d' une situation de ce type, le montant théorique des prestations doit être déterminé par l' institution compétente dont la législation donne droit à une pension complète, sans tenir compte des périodes d' assurance que le travailleur a accomplies dans un autre État membre" (9). 19. Le montant théorique de la prestation est ainsi égal à celui de la prestation autonome. Aucun résultat plus favorable ne pourrait donc résulter de l' application de l' article 46, paragraphe 2, du règlement (10). 20. Par conséquent, dans une hypothèse telle que celle de l' affaire Fabrizii, le point de savoir si les périodes d' assurance à l' étranger sont assimilables en droit national pour déterminer la carrière utile à la pension est indifférent. Le requérant au principal a une carrière complète de trente années en Belgique, ce qui rend inutile la reconnaissance dans ce pays de la période accomplie en Italie au titre du service militaire. 21. La situation est tout autre lorsque le travailleur n' a pas droit à une pension complète en vertu de la seule législation d' un État membre. Tel est le cas, est-il précisé, de Monsieur Neri. La prestation vieillesse du travailleur assujetti à la législation de deux ou plusieurs États membres est liquidée par application de l' article 46, paragraphe 2, qui prévoit trois étapes: le calcul des prestations théorique, proratisée et effective. 22. Pour calculer le montant théorique, le juge a quo se demande s' il y a lieu de prendre en considération des périodes d' activité à l' étranger qui ne seraient pas prises en compte par le droit national pour le calcul de la pension. 23. Par application de l' article 46, paragraphe 2, sous a), le montant théorique se calcule en additionnant les différentes périodes d' assurance ou de résidence accomplies sous les législations des divers États membres comme si elles l' avaient toutes été dans l' État de l' institution qui procède à la liquidation de la pension, dans la limite de la durée maximale requise par la législation de l' État liquidateur pour le bénéfice d' une prestation complète (11). 24. Il n' est pas exigé que les périodes d' assurance dans les autres États membres soient en quelque sorte "convertibles" ou "transposables" dans le droit interne de l' État de l' institution qui procède aux opérations de liquidation. 25. Même si les années de service militaire effectuées en Italie n' ouvraient droit, en vertu de la législation belge, à aucune prestation, elles devraient être prises en compte pour le calcul de la pension théorique. D' une façon générale, en effet, des années d' assurance dans un État membre qui, si elles avaient été accomplies en Belgique ne donneraient lieu à aucun droit, devraient également être prises en considération. 26. Soutenir le contraire reviendrait à ruiner le principe posé par les septième et huitième considérants du règlement, selon lequel les intéressés doivent pouvoir bénéficier de l' ensemble des prestations acquises. 27. Le travailleur ne peut être empêché de faire valoir, dans le cadre de l' article 46, une période d' assurance dans un État membre au seul motif qu' effectuée dans les mêmes conditions dans l' État liquidateur, elle ne serait pas prise en compte par le droit de cet État. L' application du droit communautaire ne saurait, en effet, dépendre d' une législation nationale qui pourrait en paralyser l' application. 28. L' expression "et sous la législation qu' elle applique" ne signifie pas que les périodes d' assurance dans les autres États membres devraient être de nature à ouvrir des droits si la législation belge était applicable. 29. Les périodes d' assurance à prendre en considération sont, conformément à l' article 1er, sous r), du règlement n 1408/71, définies par renvoi à la législation sous laquelle elles ont été accomplies. 30. Dès lors que la législation d' un État membre reconnaît les périodes de service militaire y accomplies par les travailleurs comme des périodes d' assurance (12), celles-ci doivent être prises en compte pour le calcul du montant théorique, quelle que soit l' appréhension de ces périodes par l' État de l' organisme liquidateur. 31. C' est bien cette interprétation que vous avez retenue à propos de l' article 67 du règlement portant sur la totalisation des périodes d' assurance ou d' emploi, alors même que cet article est rédigé de telle façon qu' il paraît exiger que les périodes d' emploi acquises dans un autre État membre soient considérées comme des périodes d' assurance dans l' État de liquidation. 32. Ainsi avez-vous jugé dans l' arrêt du 15 mars 1978, Frangiamore (13), que: "(...) il ressort de l' article 1 r) du règlement que, pour déterminer si une période d' emploi est à considérer comme une période d' assurance, aux fins de l' application de la règle de la totalisation énoncée à l' article 67, paragraphe 1, c' est à la législation sous laquelle cette période a été accomplie qu' il convient de se référer" (14). 33. D' ailleurs, l' article 13, paragraphe 2, sous c), du règlement dispose que "la personne appelée (...) sous les drapeaux (...) d' un État membre est soumise à la législation de cet État (...)". 34. Enfin, comme le juge a quo l' a lui-même relevé dans l' énoncé de sa deuxième question, ne prendre en compte, pour le calcul de la pension théorique, que les périodes d' assurance considérées comme telles par la législation de l' État membre de l' organisme qui liquide la pension revient à ruiner le principe de totalisation. 35. Nous en concluons que le montant théorique de la prestation est fonction de toutes les périodes d' assurance admissibles, selon la législation en vertu de laquelle elles ont été accomplies. 36. La réponse que nous proposons à la première question étant négative, la deuxième n' a pas lieu d' être examinée. 37. Examinons à présent les deux dernières questions. 38. On sait que la pension proratisée visée à l' article 46, paragraphe 2, sous b), est égale au montant théorique multiplié par la fraction A/B dans laquelle le numérateur est égal aux périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous la législation de l' État liquidateur et le dénominateur à la durée totale des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en cause (15). 39. Quelles sont les périodes d' assurance à prendre en compte au dénominateur? Faut-il tenir compte de toutes les périodes d' assurance admises comme telles par les législations de tous les États membres? Tel est le sens de la troisième question. 40. Vous y avez déjà répondu en constatant que "l' institution compétente calcule ensuite, conformément à l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, le montant effectif de la prestation, sur la base du montant théorique et au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en cause" (16). 41. Il n' est donc nullement exigé que ces périodes soient toutes reconnues comme des périodes d' assurance utiles par la législation de l' État liquidateur. 42. La dernière question porte sur le point de savoir si, pour établir le prorata de la durée des périodes accomplies sous la législation nationale, l' institution compétente peut appliquer ses propres règles anticumul externes. 43. En d' autres termes, et en l' espèce, l' institution en cause peut-elle, pour la détermination du numérateur, appliquer les règles nationales en la matière, tels les articles 10, paragraphe 2, et 11 ter de l' arrêté royal, et ainsi réduire le total d' années supplémentaires d' occupation fictive du nombre d' années pour lequel le travailleur peut prétendre à une pension dans un autre État membre? 44. Récemment, dans l' arrêt du 11 juin 1992, Di Crescenzo et Casagrande (17), vous avez rappelé que: "En vertu de l' article 12, paragraphe 2, du règlement n 1408/71, les clauses de réduction prévues par la législation d' un État membre en cas de cumul d' une prestation avec d' autres prestations de sécurité sociale, acquises au titre de la législation d' un autre État membre, ne sont pas applicables lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de même nature de vieillesse liquidées conformément aux dispositions de l' article 46 du même règlement. (...) (...) lors de la détermination de la prestation due en vertu du droit communautaire, l' institution compétente ne doit pas tenir compte des clauses anti-cumul nationales conformément à l' article 12, paragraphe 2, de ce même règlement, mais procéder, si cela s' avère nécessaire, à la correction du montant de la prestation due, conformément à l' article 46, paragraphe 3" (18). 45. Le ratio legis de l' article 46 impose une telle solution: l' institution d' un État membre ne saurait appliquer, pour la totalisation et la proratisation des périodes d' assurance, des règles nationales moins favorables au travailleur que les règles communautaires, alors qu' il s' agit précisément de calculer la pension conformément à l' article 46 du règlement (19). 46. Les dispositions de l' article 10, paragraphe 2, 1 , dernier alinéa, ou de l' article 11 ter de l' arrêté royal sont-elles des clauses de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement? 47. Votre jurisprudence est constante sur ce point: "(...) une disposition nationale qui réduit les années supplémentaires d' occupation fictive dont pourrait bénéficier le travailleur, en fonction du nombre d' années pour lequel il peut prétendre à une pension dans un autre État membre, constitue une clause de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement n 1408/71 (...)" (20). 48. Il en résulte que l' institution qui procède à la liquidation de la prestation conformément à l' article 46, paragraphe 2, ne doit pas tenir compte des clauses anticumul nationales, que ce soit pour le calcul de la pension théorique ou pour le calcul de la pension proratisée. 49. Cette solution s' impose d' autant plus que l' article 46 prévoit des clauses anticumul communautaires. Elle n' est en rien modifiée par le fait qu' une partie des années allouées par une législation nationale est "fictive". Vous admettez, en effet, depuis les arrêts Ruzzu et Romano (21) que la totalisation est possible même en cas de superposition de périodes fictives et de périodes réelles. 50. Examinons, à présent, l' affaire Del Grosso qui porte principalement sur la compatibilité avec les articles 7, 48 et 51 du traité de l' article 10 bis de l' arrêté royal. 51. Ce dernier article prévoit que: "Lorsque le travailleur salarié peut prétendre à une pension de retraite en vertu du présent arrêté et à une pension de retraite ou un avantage en tenant lieu en vertu d' un ou plusieurs autres régimes et lorsque le total des fractions qui pour chacune de ces pensions en expriment l' importance dépasse l' unité, la carrière professionnelle qui est prise en considération pour le calcul de la pension de retraite comme travailleur salarié est diminuée d' autant d' années qu' il est nécessaire pour réduire ledit total à l' unité. (...). Pour l' application du présent article, il y a lieu d' entendre par 'autre régime' tout autre régime belge en matière de pension de retraite et de survie à l' exclusion de celui des travailleurs indépendants et tout autre régime analogue d' un pays étranger (...)" (22). 52. Ressortissant italien né le 10 décembre 1922, Monsieur Del Grosso exerce pendant quarante et un ans une activité professionnelle salariée en Belgique. Par décision du 13 juillet 1987, l' ONP lui accorde une pension de vieillesse provisoire calculée sur la base de quarante-quatre années d' assurance, trois années d' assurance "fictives" s' ajoutant aux années d' assurance effectives par application de l' article 11 bis de l' arrêté royal. Compte tenu de sept années d' assurance effectives en Italie, l' ONP, par décision du 29 avril 1988, réduit le montant de la pension 1) en supprimant les années fictives par application de l' article 10, paragraphe 2, 1 , dernier alinéa, de l' arrêté royal, 2) en réduisant les quarante-huit années de trois années pour arriver à l' unité conformément à l' article 10 bis précité, la carrière de l' intéressé ne pouvant, en droit belge, dépasser 45/45, 3) en calculant la pension belge sur la base d' une carrière de 38/45 (45/45 - 7/45), pour tenir compte de la pension italienne. 53. Monsieur Del Grosso conteste la limitation de sa carrière professionnelle à quarante-cinq ans puisqu' il n' y a pas dans son chef, selon lui, de "cumuls injustifiés" mais des périodes d' assurance effectives distinctes qui ne se superposent pas et qui doivent pouvoir s' ajouter les unes aux autres. Il revendique le bénéfice d' une pension belge calculée sur la base d' une carrière de 41/45. 54. En apparence, la situation de l' intéressé est paradoxale puisque, du fait des années prestées à l' étranger, l' État belge paye une pension inférieure à celle que le travailleur aurait perçue s' il n' avait jamais quitté la Belgique. 55. Le principe de l' unité de carrière est-il, dès lors, contraire aux articles 7, 48 et 51 du traité ainsi qu' aux articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement? Telle est l' interrogation du juge a quo. 56. Rappelons que, dans le cadre de l' article 177, la Cour n' est pas compétente pour appliquer les règles du droit communautaire à une espèce déterminée et pour qualifier des dispositions de droit national au regard d' une telle règle. Sa mission est ici de "fournir à la juridiction nationale tous les éléments d' interprétation relevant du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l' appréciation des effets de ces dispositions" (23). 57. Comment qualifier ce principe d' unité de carrière? 58. La notion de clause de réduction ou clause anticumul au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement inclut-elle une disposition qui, tel l' article 10 bis précité, fixe un plafond aux périodes d' assurance et qui réduit le nombre d' années supplémentaires d' occupation dont pourrait bénéficier le travailleur? 59. Vous avez déjà qualifié une telle clause de clause anticumul lorsqu' elle entraîne une réduction des années supplémentaires d' occupation fictives (24). Tel doit être a fortiori le cas lorsqu' elle entraîne une réduction des années d' assurance effectives. 60. Dans un domaine non harmonisé comme celui de la sécurité sociale, le principe même des clauses anticumul nationales et d' un plafond de carrière n' est pas, en soi, contraire au droit communautaire. 61. La faculté, pour le législateur national, de limiter les cumuls est expressément reconnue par l' article 12, paragraphe 2, du règlement. L' article 46, paragraphe 2, sous c), de ce texte prévoit d' ailleurs que les législations internes peuvent prévoir une durée maximale d' assurance dont le dépassement ne permet pas de percevoir une pension d' un montant supérieur à celui de la pension complète. 62. Vous avez d' ailleurs relevé, dans l' arrêt du 5 avril 1990, Pian (25), que "(...) les dispositions du règlement n 1408/71 ne font pas obstacle, lorsqu' un travailleur salarié ou non reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, à ce que la seule législation nationale lui soit appliquée intégralement y compris les règles anticumul nationales, à moins que l' application de cette législation nationale ne se révèle moins favorable au travailleur que celle du régime de l' article 46 du règlement n 1408/71" (26). 63. Cependant, pour le calcul de la prestation due en vertu du droit communautaire, les règles anticumul nationales doivent être écartées lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de même nature (27) conformément à l' article 12, paragraphe 2, deuxième phrase du règlement. 64. Il s' ensuit que les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement ne s' opposent pas à l' application des clauses anticumul nationales lorsque, en cas de cumul de prestations, le calcul de la pension de vieillesse est effectué conformément à la seule législation nationale. 65. Qu' en est-il s' agissant des textes du traité cités par le juge a quo? 66. On le sait, l' article 7, qui interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité, n' a vocation à s' appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques (28). 67. Or, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs salariés, cette disposition a été mise en oeuvre par les articles 48 à 51. 68. Au vu de l' interprétation que vous donnerez de ces articles, le juge a quo aura à déterminer si l' article 10 bis de l' arrêté royal, qui prévoit la réduction des années d' assurance prises en compte lorsque le montant total des années d' assurance dans les différents États membres dépasse l' unité de carrière (soit 45/45 en l' occurrence), est ou non compatible avec ces articles. 69. S' agissant de ceux-ci, vous avez jugé que "(...) si, selon la jurisprudence de la Cour, l' article 51 du traité laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale de chaque État membre et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent (...), il est toutefois constant que le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint si, par suite de l' exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d' un État membre; une telle conséquence pourrait dissuader le travailleur communautaire d' exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté" (29). 70. L' article 51 exige donc que la personne qui a travaillé dans plusieurs États membres ne soit pas, en matière de sécurité sociale, moins bien traitée que celle qui a effectué toute sa carrière dans un même État membre. En revanche, la première ne doit pas se trouver nécessairement dans une situation plus favorable que la seconde (30). 71. Deux observations à ce stade. 72. Relevons en premier lieu que l' application du droit national conserve tout son intérêt en matière de liquidation de pension du travailleur migrant puisque, lorsque celui-ci peut recevoir une pension en vertu de la seule législation nationale, il a droit à la prestation la plus élevée entre d' une part celle à laquelle il peut prétendre au titre de la législation de ce seul État dans son intégralité, y compris toute disposition anticumul qu' elle peut contenir, et d' autre part la prestation à laquelle il peut prétendre en application des dispositions du règlement dans son ensemble (31). 73. En second lieu, si l' application du régime communautaire se révèle moins favorable au travailleur que celle de l' État membre en cause, le seul droit national avec ses clauses anticumul doit être appliqué (32). 74. Par conséquent, les dispositions du règlement ne s' opposent pas par principe à l' application, dans une situation de cumul de prestations versées par les institutions compétentes de deux ou plusieurs États membres, des clauses anticumul nationales lorsque le calcul de la pension de vieillesse est effectué conformément à la seule législation nationale de l' institution compétente sans faire appel au droit communautaire. 75. Encore faut-il, nous l' avons dit, que ce droit ne place pas le travailleur migrant dans une situation moins favorable que celui qui n' a jamais quitté le même État. 76. Qu' en est-il à cet égard de l' article 10 bis de l' arrêté royal? 77. Cet article présente deux caractéristiques: 1) il s' applique indistinctement aux travailleurs nationaux et à ceux des autres États membres, 2) dans la limite du plafond, la carrière accomplie dans l' État membre liquidateur peut être réduite à concurrence du nombre d' années prestées sous un autre régime, quel que soit l' État membre dont relève celui-ci, y compris donc l' État de liquidation. 78. Autrement dit, lorsque la totalisation des années d' assurance dépasse l' unité de carrière, la diminution de celles-ci pour réduire le total à l' unité s' opérera dans les mêmes conditions, que le travailleur relève de plusieurs régimes de l' État de l' institution liquidatrice ou qu' il relève d' un régime de cet État et de régimes d' autres États membres. 79. Pour déterminer la carrière de l' intéressé, il appartiendra au juge national d' apprécier si l' application de la clause anticumul de l' article 10 bis précité, donne un résultat au moins aussi favorable lorsque toutes les années effectivement prestées l' ont été dans plusieurs États membres que lorsqu' elles l' ont été dans le seul État de l' institution liquidatrice. 80. En conclusion, dès lors qu' elle n' interdit pas au travailleur migrant de bénéficier d' une carrière au moins égale à celle qu' il aurait obtenue s' il avait accompli une même période totale de travail sans avoir jamais quitté l' un des États membres, une clause anticumul nationale n' est pas contraire aux articles 48 et 51 du traité. 81. Vous avez pris soin d' interroger la Commission sur les effets du règlement (CEE) n 1248/92, du 30 avril 1992, modifiant le règlement n 1408/71 et notamment ses articles 12 et 46 à 51. 82. Le règlement n 1248/92 n' ouvre aucun droit pour la période antérieure au 1er juin 1992 (33) pour les travailleurs qui ont obtenu la liquidation de leur pension avant cette date. 83. Il appartiendra donc au juge national, s' il l' estime utile, de vous saisir en interprétation de cette nouvelle disposition. 84. Nous vous proposons, en conséquence, de dire pour droit: I - Dans les affaires C-113/92 et C-114/92 1) a) Le montant théorique visé par l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n 1408/71 est égal à la totalisation des périodes d' assurance ou de résidence reconnues comme telles par les législations sous lesquelles elles ont été accomplies, même si ces périodes ne sont pas reconnues comme des périodes d' assurance en vertu de la législation appliquée par l' institution qui liquide la pension. b) Toutefois, lorsque l' intéressé a droit à une pension complète en vertu de la seule législation dont relève l' institution compétente, cette dernière n' est pas tenue de prendre en compte les périodes accomplies sous les législations des autres États membres. 2) Pour la détermination du montant effectif de la prestation visé à l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement précité, l' institution compétente doit tenir compte, au dénominateur, de toutes les périodes d' assurance ou de résidence accomplies et admises comme telles par les législations de tous les États membres. 3) Une disposition nationale qui réduit les années supplémentaires d' occupation fictives dont pourrait bénéficier le travailleur en fonction du nombre d' années pour lequel il peut prétendre à une pension dans un autre État membre constitue une clause de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 1408/71, dont l' application doit être écartée en cas d' application de l' article 46 du même règlement. II - Dans l' affaire C-156/92 1) Les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement (CEE) n 1408/71 ne s' opposent pas à une disposition nationale réduisant la durée de la carrière professionnelle à prendre en considération pour le calcul d' une pension de retraite de telle manière que le total des années prestées dans l' État de l' organisme liquidateur et dans tout autre État membre ne dépasse pas un certain plafond. 2) Les articles 48 et 51 du traité CEE ne s' opposent pas à une telle disposition dès lors qu' elle s' applique indistinctement aux années de carrière prestées dans l' État membre liquidateur et à celles prestées dans tout autre État membre. (*) Langue originale: le français. (1) - Règlement, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté (JO L 148, p. 2) tel que modifié et mis à jour par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6, annexe 1). (2) - Moniteur belge du 27 octobre 1967, p. 11258, arrêté modifié par l' article 2 de la loi du 26 juin 1972 (Moniteur belge du 30 juin 1972, p. 7738) et par l' article 1er de la loi du 28 mars 1975 (Moniteur belge du 8 avril 1975, p. 4108). (3) - Le libellé des questions préjudicielles figure au rapport d' audience (II). (4) - Voir article 46, paragraphe 1, premier alinéa, et arrêts du 2 juillet 1981, ONPTS/Celestre, point 12 (116, 117, 119, 120 et 121/80, Rec. p. 1737) et du 13 mars 1986, Sinatra, point 21 (296/84, Rec. p. 1047). Le montant de la prestation visée à l' article 46, paragraphe 1, est acquis, non pas strictement en vertu de la législation nationale, mais en appliquant le droit communautaire en tant qu' il neutralise les effets de la clause anticumul nationale. (5) - Voir l' arrêt du 18 février 1992, Di Prinzio, point 39 (C-5/91, Rec. p. I-897). (6) - Voir l' article 46, paragraphe 2, sous a). (7) - Arrêt précité, note 5. (8) - L' affaire est parfaitement transposable: le travailleur concerné a droit à une pension complète par la seule application du droit national: la prestation autonome - compte non tenu des clauses anticumul nationales - est égale à la pension complète: 30/30. (9) - Points 25 et 26, soulignés par nous. Voir également points 43 et 48 du même arrêt. Voir en ce sens les conclusions de Monsieur l' Avocat général Lenz, du 29 avril 1993, Larsy, point 19, sous b) (affaire C-31/92, en cours). (10) - Arrêt Di Prinzio précité, points 39, 44, 48 et 58. (11) - Article 46, paragraphe 2, sous c). (12) - Ce qui est incontestable: voir p. 14 des observations de la Commission. (13) - Arrêt 126/77, Rec. p. 725. (14) - Point 9, souligné par nous. Voir également, à propos du règlement n 3 du Conseil, du 25 septembre 1958, concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants, l' arrêt du 6 juin 1972, Murru (2/72, Rec. p. 333). (15) - Voir nos conclusions dans l' affaire Di Prinzio, précitée, point 62. (16) - Arrêt Di Prinzio, précité, point 49, souligné par nous. (17) - Arrêts C-90/91 et C-91/91, Rec. p. I-3851. (18) - Points 18 et 35, souligné par nous. (19) - Voir arrêt du 2 juillet 1981, Celestre, point 15 d) (116 à 121/80, Rec. p. 1737). (20) - Point 21 de l' arrêt du 11 juin 1992, Di Crescenzo et Casagrande précité. Voir également point 36 de l' arrêt du 18 févier 1992, Di Prinzio, précité, citant les arrêts du 4 juin 1985, Romano (58/84, Rec. p. 1679) et Ruzzu (117/84, Rec. p. 1627). (21) - Voir références supra note 20. (22) - Cette disposition a été insérée dans l' arrêté n 50 par l' article 2 de l' arrêté royal n 205 du 29 août 1983. (23) - Voir point 8 de l' arrêt du 24 septembre 1987, Coenen, 37/86, Rec. p. 3589. (24) - Voir les arrêts Romano (point 15) et Ruzzu (point 16), supra note 20. (25) - C-108/89, Rec. p. I-1599. (26) - Point 16, souligné par nous. (27) - Voir l' arrêt Di Prinzio, précité, points 38, 46 et 55, et l' arrêt du 11 juin 1992, ONP/Di Crescenzo et Casagrande, points 20 et 27 (C-90 et 91/91, Rec. p. I-3851). Cette règle a été consacrée par l' article 46 ter, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 1248/92 du Conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement (CEE) n 1408/71 relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté et le règlement (CEE) n 574/72 fixant les modalités d' application du règlement (CEE) n 1408/71 (JO L 136, p. 7). (28) - Arrêt du 30 mai 1989, Commission/Grèce (305/87, Rec. p. 1461). (29) - Arrêt du 4 octobre 1991, Paraschi, point 22 (C-349/87, Rec. p. I-4501). Voir également nos conclusions du 14 janvier 1993 dans l' affaire en cours S.J.M. Van Munster, points 37 à 40 (C-165/91). (30) - Voir en ce sens le point 19 des conclusions de Monsieur l' Avocat général Jacobs dans l' affaire Cabras (C-199/88, Rec. 1990, p. I-1044). (31) - Voir points 15 à 17 de l' arrêt ONP/Di Crescenzo et Casagrande précité. (32) - C' est le cas dans l' affaire Del Grosso. Pour un autre exemple, voir l' arrêt du 13 mars 1986, Sinatra, point 13 (296/84, Rec. p. 1047). (33) - Voir les articles 4 de ce règlement et 95 bis, paragraphe 4, nouveau du règlement n 1408/71.