Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 21 août
2024, et un mémoire, enregistré le 9
septembre 2024, la société Travaux Publics Rouennais (TPR), représentée par Me Roche, demande au juge des référés, statuant en application
de l'article
L. 551-1 du code
de justice
administrative :
1°) d'enjoindre, à titre principal, au Centre Hospitalier Universitaire (CHU)
de Rouen de suspendre l'exécution
de toute décision se rapportant à la procédure
de passation du lot n° 21 du marché relatif à des travaux d'entretien et
de réhabilitation du patrimoine immobilier du GHT
Rouen Cœur
de Seine, et à titre subsidiaire
de reprendre la procédure au stade
de l'analyse des candidatures et des offres ;
2°)
de mettre à la charge du Centre Hospitalier Universitaire (CHU)
de Rouen la somme
de 3 000 euros sur le fondement des dispositions
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
La société soutient que :
- la décision du 16 août
2024 par laquelle le CHU
de Rouen l'a informée du rejet
de sa candidature en application
de l'article
R. 2124-4 du code
de la commande publique est irrégulière dès lors que le règlement
de consultation du présent marché ne fait nullement référence à l'article
R. 2124-4 dudit code ;
- le CHU a commis une erreur
de droit en considérant que sa candidature et celle
de la société MBTP devaient être rejetées du seul fait qu'elles ont le même président, dès lors que les dispositions
de l'article
R. 2142-4 du code
de la commande publique ne concerne pas le représentant légal des candidats mais le signataire des candidatures, qui ne doit pas être la même personne physique pour plusieurs candidats.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5
septembre 2024, le Centre Hospitalier Universitaire
de Rouen conclut au rejet
de la requête et à ce que la somme
de 3 000 euros soit mise à la charge
de la société requérante.
Il fait valoir que :
- c'est à juste titre que l'offre
de la requérante pour le lot n° 21 a été jugée irrégulière en raison
de l'irrégularité
de la délégation
de pouvoir à Mme A, et que seule la société LPVP Participations, mentionnée comme président
de la société TPR, était habilitée à représenter la société TPR dans ce présent marché ;
- il est en droit
de demander la substitution du motif indiqué dans la lettre
de rejet par celui tiré
de l'irrecevabilité
de la candidature pour défaut
de capacité à engager la société TPR ;
- en tout état
de cause, les sociétés TPR et MBTP ne peuvent être regardées comme deux opérateurs économiques distincts dès lors qu'elles ne présentent pas d'autonomie commerciale en raison du président qui est identique pour les deux sociétés, du fait qu'elles interviennent dans la même zone géographique, que leur logo est identique faisant naître une confusion entre les deux sociétés,
de leurs mémoires techniques déposés qui sont quasi-identiques, que leurs offres présentent un prix similaire, qu'ils présentent des moyens humains et matériels identiques, que leurs moyens matériels affectés aux deux offres sont rigoureusement identiques, qu'enfin la société TPR envisage
de sous-traiter des prestations à la société MBTP en cours d'exécution du marché ; qu'il en découle qu'elles représentent un soumissionnaire ce qui rend leurs candidatures pour un même lots irrecevables.
Par un mémoire distinct, enregistré le 5
septembre 2024, le CHU
de Rouen a mentionné les motifs
de son refus
de soumettre au débat contradictoire des pièces jointes communiquées au greffe du
tribunal selon les modalités prévues aux articles
R. 412-2-1 et
R. 611-30 du code
de justice
administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code
de la commande publique ;
- le code
de justice
administrative.
Vu la décision du président du
tribunal désignant Mme Van Muylder, vice-présidente, pour statuer sur les demandes
de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour
de l'audience.
Ont été entendus au cours
de l'audience publique, en présence
de Mme Henry, greffière d'audience :
- le rapport
de Mme Van Muylder,
- les observations
de Me Roche pour la société TPR qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et insiste sur le fait que la société est bien représentée par une personne physique, à supposer que les sociétés TPR et MBTP constitueraient un seul et unique opérateur économique, le dernière offre déposée aurait dû être analysée, en application
de l'article
R 2151-6 du code
de la commande publique ;
- et les observations
de Me Villalard substituant Me Sery, pour le CHU
de Rouen qui reprend ses moyens
de défense et insiste sur l'irrégularité
de l'offre résultant
de l'irrégularité du mandat
de la personne ayant déposé l'offre et sur l'irrégularité
de l'offre dès lors que la société requérante et la société MBTP constitue un seul et même opérateur économique.
La clôture
de l'instruction a été prononcée à l'issue
de l'audience.
Une note en délibéré a été enregistré le 10
septembre 2024, présentée pour le CHU
de Rouen.
Une note en délibéré a été enregistrée le 11
septembre 2024, présentée pour la société TPR.
Considérant ce qui suit
:
1. Aux termes
de l'article
L. 551-1 du code
de justice
administrative : " Le président du
tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas
de manquement aux obligations
de publicité et
de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs
de contrats
administratifs ayant pour objet l'exécution
de travaux, la livraison
de fournitures ou la prestation
de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes
de l'article
L. 551-2 du même code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement
de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution
de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération
de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment
de l'intérêt public, que les conséquences négatives
de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ". Aux termes
de son article L. 551-3 : " Le président du
tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ".
2. En vertu des dispositions précitées
de l'article
L. 551-1 du code
de justice
administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations
de publicité et
de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par
de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels
de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut
de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade
de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles
de l'avoir lésé ou risquent
de le léser, fût-ce
de façon indirecte en avantageant un opérateur concurrent.
3. Le Centre Hospitalier Universitaire
de Rouen a lancé une procédure
de passation, portant sur la conclusion d'un accord-cadre ayant pour objet les " travaux d'entretien et
de réhabilitation du patrimoine immobilier du GHT
Rouen Cœur
de Seine pour les années
2024-2028 ". La consultation a été engagée sous la forme d'un appel d'offres ouvert, selon une procédure formalisée. Le marché public a été alloti en 27 lots, le lot n° 21 concernant les " travaux
de VRD, commun au GHT
Rouen Cœur
de Seine ". La société Travaux Publics Rouennais (TPR) a ainsi déposé sa candidature et son offre pour le lot n° 21. A l'issue
de la sélection des candidatures, la société requérante a été informée par un courrier du 16 août
2024 que sa candidature avait été rejetée comme irrecevable. La société TPR demande au juge des référés, statuant en application
de l'article
L. 551-1 du code
de justice
administratif, à titre principal, d'enjoindre au CHU
de Rouen de suspendre l'exécution
de toute décision se rapportant à la procédure
de passation du marché en litige, à titre subsidiaire,
de reprendre la procédure au stade
de l'analyse des candidatures et des offres.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions
de l'article
L. 551-1 du code
de justice
administrative :
4. Le CHU
de Rouen soutient que l'offre
de la société requérante était irrégulière
de sorte qu'elle ne peut se prévaloir d'avoir été lésée par des manquements aux obligations
de publicité et
de mise en concurrence. Il fait valoir que les offres
de la société TPR et la société MBTP qui a également présenté une offre pour le lot du marché litigieux, révèlent une absence d'autonomie commerciale et que les deux sociétés peuvent en conséquence être considérées comme un seul et même opérateur économique.
5. Aux termes
de l'article
L. 1220-3 du code
de la commande publique : " Un soumissionnaire est un opérateur économique qui présente une offre dans le cadre d'une procédure
de passation d'un marché public. ". Aux termes
de l'article
R. 2151-6 du même code : " Le soumissionnaire transmet son offre en une seule fois. Si plusieurs offres sont successivement transmises par un même soumissionnaire, seule est ouverte la dernière offre reçue par l'acheteur dans le délai fixé pour la remise des offres. " Il résulte
de ces dispositions qu'un même soumissionnaire ne peut présenter qu'une seule offre pour chaque lot.
6. Si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même candidat lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d'autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l'absence totale ou partielle
de moyens distincts ou la similarité
de leurs offres pour un même lot.
7. Il résulte
de l'instruction et notamment des mémoires techniques
de la société requérante et
de la société MBTP, qui a présenté une offre pour le lot n° 21 du marché litigieux que les sociétés disposent en partie des mêmes moyens humains, plusieurs personnes occupant les mêmes fonctions dans les deux sociétés, des mêmes moyens matériels, la présentation des moyens logistiques est identique, les deux sociétés utilisent les services
de la même société
de transport et travaillent avec les mêmes fournisseurs, présentent une méthodologie d'étude du besoin
de l'établissement similaire et proposent des prix identiques à la différence près que ceux
de la société requérante sont 3% plus élevés que ceux
de la société MBTP. Dans ces conditions, outre la circonstance que les deux sociétés sont présidées par la même société, les offres des sociétés TPR et MBTP ne peuvent être regardées comme formulées
de manière indépendante et révèlent une absence d'autonomie commerciale.
8. La société requérante fait valoir que si les deux sociétés doivent dès lors être regardées comme un seul opérateur économique, en application des dispositions rappelées
de l'article
R. 2151-6 du code
de la commande publique, la dernière offre déposée devait être analysée par le pouvoir adjudicateur.
9. Toutefois, il appartient au pouvoir adjudicateur d'examiner et d'apprécier les faits, afin
de déterminer si le rapport existant entre deux entités a exercé une influence concrète sur le contenu respectif des offres déposées dans le cadre d'une même procédure d'adjudication publique, la constatation d'une telle influence, sous quelque forme que ce soit, étant suffisante pour que lesdites entreprises puissent être exclues
de la procédure.
10. Compte tenu
de ce qui a été dit au point 7, il résulte
de l'instruction que les offres des sociétés MBTP et TPR ont eu une influence certaine l'une sur l'autre. Les deux offres étaient dès lors irrégulières. La société requérante n'est ainsi pas susceptible, en l'espèce, d'avoir été lésée. Par suite, la demande
de la société TPR ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais
de l'instance :
11. Il y a lieu
de mettre à la charge
de la société TPR une somme
de 1 000 euros au profit du CHU
de Rouen sur le fondement
de l'article
L. 761-1 du code
de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que la société TPR présente sur ce même fondement.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société TPR est rejetée
Article 2 : La société TPR versera au CHU
de Rouen Normandie la somme
de 1 000 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Travaux Publics Rouennais et au centre hospitalier universitaire
de Rouen Normandie.
Fait à
Rouen, le
13 septembre 2024.
La juge des référés,
Signé : C. Van Muylder
La greffière,
Signé : C. Henry
La République mande et ordonne au ministre du travail,
de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous huissiers
de justice à ce requis en ce qui concerne les voies
de droit commun, contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution
de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. HENRY