Vu la procédure suivante
:
Par une requête enregistrée le 17 juin 2023, Mme D B G C, représentée par Me Touhlali, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2023 par lequel le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a prononcé à l'encontre du jeune mineur A G C une exclusion définitive du lycée Pierre Mendès France de Vitrolles ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au rectorat de l'académie d'Aix-Marseille de réintégrer A F au sein du lycée Pierre Mendès France dans le délai d'un mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et d'effacer l'inscription de la sanction au dossier administratif de l'élève ;
3°) à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de la situation de l'élève A F dans le délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée est entachée d'incompétence ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée méconnaît l'intérêt supérieur de l'enfant au sens de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'article 2 du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la mesure en cause viole le droit à l'éducation protégé par le préambule de la Constitution de 1946 et les dispositions de l'article
L. 111-1,
L. 113-1 et
D. 511-43 du code de l'éducation ;
- elle est entachée d'une inexactitude des faits et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- au regard des faits reprochés, la sanction prononcée est disproportionnée, compte tenu de l'existence de mesures alternatives et de la possibilité d'assortir la sanction d'un sursis.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 avril 2024, le rectorat de l'académie d'Aix-Marseille, représenté par son recteur en exercice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que l'élève A F ayant été réintégré au lycée Pierre-Mendès France, en classe de seconde, suite à la suspension de la décision d'exclusion par l'ordonnance de référé n° 2307936 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 14 septembre 2023, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête.
Vu :
- l'ordonnance n° 2307936 du 14 septembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ollivaux,
- les conclusions de M. Boidé, rapporteur public,
- et les observations de Me Touhlali pour Mme G C.
Considérant ce qui suit
:
1. Le jeune A G C, né le 17 avril 2007, alors âgé de seize ans, effectuait sa scolarité 2022-2023 en classe de seconde au lycée polyvalent Pierre Mendès France de Vitrolles lorsqu'il a fait l'objet, par décision du conseil de discipline de l'établissement du 7 février 2023, d'une sanction d'exclusion définitive. Cette décision a fait l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire auprès du recteur de l'académie d'Aix-Marseille qui, après avis de la commission académique d'appel réunie le 3 avril 2023, a confirmé cette sanction par un arrêté du 7 avril 2023. Par une ordonnance n° 2307936 du
14 septembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu cette décision et enjoint au rectorat de réintégrer l'élève en classe et d'effacer provisoirement la sanction de son dossier. Mme D B G C, agissant en qualité de représentante légale son fils mineur E F, demande au tribunal d'annuler la décision précitée du 7 avril 2023.
Sur les conclusions à fin de non-lieu :
2. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision./Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. ". Le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article
L. 521-1 précité, ne peut, sans excéder son office, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision administrative contestée ;
3. Par ordonnance du 14 septembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a suspendu l'exécution de la décision du recteur de l'académie d'Aix-Marseille du 7 avril 2023 portant exclusion définitive du jeune A G C du lycée Pierre Mendès France de Vitrolles et ordonné sa réintégration. En exécution de cette ordonnance, l'autorité rectorale y a procédé. Toutefois, eu égard au caractère provisoire de la mesure d'injonction ordonnée, la réintégration du jeune A en classe de seconde, une telle décision n'a pas eu pour objet ni pour effet de retirer ou rapporter la décision attaquée du 7 avril 2023 et n'a, dès lors, pas privé d'objet le recours pour excès de pouvoir contre cette décision. Par suite, il y a lieu de statuer sur la requête de Mme G C.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes des dispositions de l'article
R. 511-13 du code de l'éducation : " I. - Dans les collèges et lycées relevant du ministre chargé de l'éducation, les sanctions qui peuvent être prononcées à l'encontre des élèves sont les suivantes : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° La mesure de responsabilisation ; / 4° L'exclusion temporaire de la classe. Pendant l'accomplissement de la sanction, l'élève est accueilli dans l'établissement. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ; / 5° L'exclusion temporaire de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. La durée de cette exclusion ne peut excéder huit jours ; / 6° L'exclusion définitive de l'établissement ou de l'un de ses services annexes. / Les sanctions prévues aux 3° à 6° peuvent être assorties du sursis à leur exécution dont les modalités sont définies à l'article R. 511-13-1 () ".
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un élève ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire sont matériellement établis, constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. Il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que, pour prononcer la sanction à l'encontre du jeune A G C, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille s'est fondé sur les propos à caractère sexuel et sexiste tenus, la circonstance qu'il a apposé sa " main sur les fesses d'une élève " et affirmé " je vais la frapper ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 27 janvier 2023 adressé à la direction du lycée Pierre Mendès France, une élève de la classe de l'intéressé a dénoncé, dans un courrier adressé à la direction de l'établissement, avoir subi à la fois de sa part des propos à caractère sexuel et sexiste et une " main aux fesses " ainsi que des menaces de " frapper " cette dernière, exprimées sur un fil de discussion de la classe. Il ressort également des mêmes pièces que le jeune A n'a reconnu que le dernier grief, en faisant valoir auprès du conseil de discipline du 7 février 2023, ainsi qu'il résulte des termes du compte-rendu versé aux débats, qu'il a réagi vivement à cette dénonciation. En l'absence d'éléments sur les circonstances au cours desquelles le comportement et les propos seraient intervenus et tenus, seul le grief de menaces de violences sur l'élève est établi.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des bulletins scolaires versés, mais aussi du compte-rendu de l'instance disciplinaire précitée, que si A F est un élève qui connaît des difficultés dans certaines matières, il n'a néanmoins jamais présenté de difficultés de comportement au cours de sa scolarité. En outre, en dépit de la mention, dans le rapport du proviseur du 31 janvier 2023, d'une exclusion d'un jour avec sursis, à une date indéterminée, pour un non-respect des consignes d'un enseignant, il n'est pas établi que l'intéressé a été sanctionné disciplinairement avant le prononcé de cette sanction, qui correspond à la mesure la plus sévère dans l'échelle des sanctions prévues par les dispositions précitées du code de l'éducation. Dans ces conditions, eu égard aux seuls faits reprochés, la sanction attaquée est disproportionnée. Par suite, la décision du recteur de l'académie d'Aix-Marseille du 7 avril 2023 est entachée d'illégalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme G C est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Aux termes de l'article
R. 511-13 du code de l'éducation : " () IV.- Sous réserve des dispositions du III, les sanctions, même assorties du sursis à leur exécution, sont inscrites au dossier administratif de l'élève. L'avertissement est effacé du dossier administratif de l'élève à l'issue de l'année scolaire. Le blâme et la mesure de responsabilisation sont effacés du dossier administratif de l'élève à l'issue de l'année scolaire suivant celle du prononcé de la sanction. Les autres sanctions, hormis l'exclusion définitive, sont effacées du dossier administratif de l'élève à l'issue de la deuxième année scolaire suivant celle du prononcé de la sanction ".
11. D'une part, eu égard au motif d'annulation de la décision, l'exécution du présent jugement implique que le recteur de l'académie d'Aix-Marseille procède à l'effacement de l'inscription de la sanction au dossier administratif de l'intéressé. Il sera, dans les circonstances de l'espèce, enjoint à cette autorité d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction d'une astreinte.
12. D'autre part, pour le même motif, l'exécution du présent jugement implique également que le recteur de l'académie d'Aix-Marseille procède à la réintégration de l'élève au sein du lycée Pierre Mendès France de Vitrolles.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme G C au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du recteur de l'académie d'Aix-Marseille du 7 avril 2023 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie d'Aix-Marseille, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement, de procéder à l'effacement de l'inscription de la sanction au dossier administratif A F, et de le réintégrer au lycée Pierre Mendès France de Vitrolles.
Article 3 : L'Etat versera à Mme G C la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme G C est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme D B G C et à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie pour information en sera adressée au recteur de l'académie d'Aix-Marseille et au proviseur du lycée polyvalent Pierre Mendès France.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Lopa Dufrénot, présidente,
Mme Niquet, première conseillère,
Mme Ollivaux, première conseillère,
Assistées de M. Giraud, greffier.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024.
La rapporteure,
Signé
J. OLLIVAUX
La présidente,
Signé
M. LOPA DUFRENOTLe greffier,
Signé
P. GIRAUD
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Le greffier,