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Cour de cassation, Chambre criminelle, 18 juin 2019, 18-84.209

Mots clés
diffamation • publication • presse • société • amende • sanction • pourvoi • preuve • rapport • condamnation • pouvoir • préjudice • production • produits • référendaire

Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
18 juin 2019
Cour d'appel de Paris
4 avril 2018

Synthèse

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Résumé

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Texte intégral

N° D 18-84.209 F-D N° 1192 VD1 18 JUIN 2019 REJET M. SOULARD président, R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant : La Cour de cassation statue sur le pourvoi formé par : - Mme C... F..., contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 4 avril 2018, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamnée à 500 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils. La COUR, statue après débats en l'audience publique du 21 mai 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : M. Bétron ; Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle BOULLOCHE, de la société civile professionnelle BOUTET et HOURDEAUX, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ; Des mémoires en demande et en défense ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit. Le 1er février 2016, la chaîne de télévision Canal + a diffusé un documentaire titré «Ukraine : les masques de la révolution», réalisé par M. A..., journaliste, fondateur de l'agence de presse Premières Lignes Télévision, qui, selon la présentation figurant en ligne sur le site internet de ce producteur, montrait que sans des "groupes paramilitaires", "corps-francs d'extrême-droite" et "véritables armées parallèles" ayant "commis des massacres de masse" demeurés impunis, "la révolution ukrainienne n'aurait jamais triomphé". 2. Dans un article, mis en ligne le 3 février 2016 sur le blog "Comité Ukraine", intitulé "Ukraine : les masques de la révolution ou la manipulation au montage", Mme F..., se présentant comme journaliste et traductrice ukrainienne, a, notamment, exposé qu'ayant accepté de prêter son concours à la traduction d'une partie du film et alors que "les images brutes, sans montage ni voix off, offraient une vision plutôt objective des protagonistes et de la situation en Ukraine" et que "Rien ne laissait présager qu'(elle) était en train de participer à l'élaboration d'un film de propagande", elle avait eu la surprise de découvrir qu'elle avait concouru à une "manipulation consciente et volontaire de l'opinion publique", de par, notamment, le montage des interviews. Dans cet article, l'auteur a précisé qu'elle s'exprimait comme "traductrice", "qui a vu des images brutes, puis le résultat final, qui dénature gravement le sens des propos des personnes interviewées, ainsi que la réalité du terrain", et qui ne cesse de se poser la « très bonne question par laquelle V... A... avait lui-même ouvert son film : "D'où me venait cette légère impression de m'être faite avoir" ?" ; 3. Selon un autre article de Mme F..., mis en ligne le 9 février 2016 sur le site du Huffington post, intitulé "Le Français auteur du documentaire polémique sur l'Ukraine accusé de plagiat", M. A... aurait utilisé sans l'autorisation d'une productrice ukrainienne plusieurs séquences tirées d'un documentaire ukrainien retraçant les événements de l'hiver 2013-2014 en Ukraine. 4. Estimant que ces deux articles contenaient des allégations qui portaient atteinte à son honneur ou à sa considération, M. A... a fait citer du chef de diffamation publique envers un particulier Mme F... devant le tribunal correctionnel, qui l'a relaxée s'agissant des propos publiés le 9 février 2016 et déclarée coupable pour le surplus. 5. Sur l'appel de la prévenue et de la partie civile, la cour d'appel a confirmé le jugement entrepris et prononcé sur les intérêts civils.

Sur le premier moyen

de cassation

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. 7. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a déclaré Mme F... coupable de diffamation publique envers un particulier, l'a condamnée à une amende de 500 euros et l'a condamnée à payer à la partie civile 2 000 euros de dommages-intérêts, des frais de publication dans la limite de 2 000 euros H.T. et 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour l'ensemble de la procédure ; "1°) alors que Mme F... a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'intégralité des rushes des interviews dont elle avait assuré la traduction n'avait pas été versé aux débats par la partie civile, ce qui l'empêchait de pouvoir justifier de la vision tronquée donnée par le réalisateur, lors du montage, aux propos recueillis et qu'elle avait traduits, ce qui ne permettait pas à la cour d'appel de vérifier la réalité de ses propos ; qu'en déclarant Mme F... coupable de diffamation car elle ne rapportait pas la preuve de sa bonne foi sans répondre à ses conclusions d'appel sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé les textes susvisés ; "2°) alors que la liberté d'expression protégée notamment par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition d'être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que l'ingérence doit être examinée à la lumière de l'ensemble de l'affaire, y compris la teneur des propos reprochés au prévenu et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus, notamment lorsqu'il s'agit d'un débat d'intérêt général ou politique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a porté une atteinte excessive à la liberté d'expression et n'a pas légalement justifié sa décision en écartant la bonne foi de Mme F... sans égard pour le contexte d'intérêt général et politique dans lequel se sont inscrits ses propos, méconnaissant ainsi les dispositions citées au moyen ; "3°) alors que justifie de sa bonne foi, exclusive de diffamation, la personne qui établit la légitimité du but poursuivi, l'absence de toute animosité personnelle et dont les propos reposent sur une base factuelle suffisante ; qu'en l'espèce, il a été admis par les premiers juges que le but poursuivi par Mme F... était légitime, l'intéressée ayant doublement vocation, par sa qualité de traductrice d'une partie du reportage et de personne impliquée dans la révolution ukrainienne, à donner son point de vue sur le documentaire, et qu'aucun élément de nature à démontrer l'existence d'une quelconque animosité personnelle n'avait été versé aux débats ; que s'agissant de la base factuelle suffisante, Mme F... a produit de nombreux articles de presse ou attestations critiquant le reportage de M. A... et lui reprochant de donner une image déformée voire erronée de la situation politique en Ukraine ; qu'en refusant à Mme F... le bénéfice de la bonne foi aux motifs que la seule conception militante de cette dernière sur les personnes mises en cause dans le reportage litigieux ne pouvait constituer une base factuelle suffisante, sans examiner les éléments de preuve, articles de presse et attestations versés aux débats par cette dernière, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et violé les textes susvisés ; "4°) alors qu'en outre, la bonne foi de la personne poursuivie, lorsqu'elle n'est pas professionnelle de l'information, doit être appréciée différemment et plus souplement que pour un journaliste qui est tenu à des exigences déontologiques particulières ; qu'en refusant à Mme F... le bénéfice de la bonne foi aux motifs que la seule conception militante de cette dernière sur les personnes mises en cause dans le reportage litigieux ne pouvait constituer une base factuelle suffisante, sans prendre en considération sa qualité de traductrice et non de professionnelle de l'information, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et violé les textes susvisés ; "5°) alors que le droit de libre critique ne cède que devant les attaques personnelles ; qu'en l'espèce, Mme F... revendiquait à l'encontre du reportage de M. A... le droit de libre critique dont elle n'a pas abusé, notamment par des attaques personnelles à l'encontre de l'auteur du reportage ; qu'en déclarant Mme F... coupable de diffamation sans répondre à ses conclusions d'appel invoquant son droit de libre critique, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Sur le moyen

pris en sa première branche : 8. Il n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

pris en ses autres branches :

9. Pour refuser à Mme F... le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt énonce

, par motifs propres et adoptés, que, d'une part, la simple production d'articles de presse ou de pétitions rédigés par des personnes partageant le point de vue de la prévenue sur le parti pris pro-russe supposé du reportage, d'autre part, le regard qu'elle porte, qui ne peut exclure l'existence d'autres appréciations des événements s'étant déroulés en Ukraine et de l'action des personnes mises en causes dans le reportage, ne sauraient donner une base factuelle suffisante aux propos incriminés. 10. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, lequel ne saurait être admis.

Sur le second moyen

de cassation

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des principes de nécessité et de proportionnalité des peines, des articles 6-1 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1240 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale. 12. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a déclaré Mme F... coupable de diffamation, l'a condamnée à une amende de 500 euros, à payer à la partie civile 2 000 euros de dommages-intérêts, des frais de publication dans la limite de 2 000 euros H.T. et 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale pour l'ensemble de la procédure, alors que toute peine ou sanction doit être nécessaire et proportionnée ; que, par ailleurs, la liberté d'expression ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition d'être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que la condamnation de la personne poursuivie à des dommages-intérêts, à des frais de publication et sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale, outre l'amende, est disproportionnée au regard de l'infraction de diffamation commise et aboutit à créer un effet dissuasif quant à l'exercice du droit de critique, portant atteinte à la liberté d'expression ; qu'en condamnant Mme F... à payer à la partie civile 2 000 euros de dommages-intérêts, des frais de publication dans la limite de 2 000 euros H.T. et 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les principes et textes visés au moyen". Réponse au moyen

13. Après avoir rappelé la situation familiale et patrimoniale de la prévenue et constaté l'absence d'antécédent judiciaire, l'arrêt énonce

, par motifs adoptés, qu'au regard de ces éléments et de la nature des propos tenus, qualifiés de diffamatoires, une peine de 500 euros d'amende avec sursis est prononcée à son encontre. 14. Les juges relèvent, par motifs propres, que les réparations civiles doivent être réduites par rapport à celles prononcées par les premiers juges et adaptées au préjudice modeste subi par la partie. 15. Ils ajoutent que la publication judiciaire sera aussi limitée à une publication en ligne, pour un montant inférieur à 2 000 euros, et que l'équité conduit à fixer à 3 000 euros le montant de la somme à payer à la partie civile au titre des frais irrépétibles pour la totalité de la procédure. 16. En l'état de ces énonciations et constatations, procédant de son appréciation souveraine, dont il résulte qu'elle a vérifié que ni la sanction pénale ni les réparations civiles qu'elle a ordonnées ne portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression ou n'étaient de nature à emporter un effet dissuasif pour l'exercice de cette liberté, la cour d'appel a justifié sa décision. 17. Ainsi, le moyen doit-il être écarté. 18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : REJETTE le pourvoi ; FIXE à 2 000 euros la somme que Mme F... devra payer à M. A... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit juin deux mille dix-neuf ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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