AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf décembre deux mille un, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de Me CHOUCROY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MARIN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...Emmanuel,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 6 février 2001, qui, pour fraude fiscale et omission de passation d'écritures en comptabilité, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles
1741 et
1743 du Code général des Impôts,
L. 227 du Livre des procédures fiscales, 6. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, renversement de la charge de la preuve, défaut de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Emmanuel X... coupable de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu, de dissimulation volontaire de sommes sujettes à la TVA et d'omission de passation d'écritures ;
" aux motifs que Emmanuel X... a opté pour un régime réel normal d'imposition étant rappelé que le système fiscal français est un système déclaratif ;
" qu'il résulte des éléments du dossier que la comptabilité n'était pas probante puisque les livres comptables étaient raturés et comportaient des adjonctions manuscrites et des surcharges et que la caisse enregistreuse ne permettait pas de suivre l'évolution des soldes quotidiens ni de centraliser mensuellement le compte caisse ; que Emmanuel X... ne peut soutenir raisonnablement qu'il a été contraint de réutiliser des livres comptables destinés initialement à une précédente activité commerciale en sommeil, alors qu'il ne pouvait ignorer les règles applicables aux livres obligatoires (livre journal et livre d'inventaire) ; qu'il ne peut non plus soutenir que la caisse enregistreuse présentait une particularité technique alors que ce type de machine est supposé faciliter la logique d'une comptabilité fiable et aisée ;
" que, par ailleurs, Emmanuel X... fait état de rétrocessions de recettes sur les ventes de boissons versées à une société Serotel mais n'a fourni aucune comptabilité probante sur ce point ; qu'enfin les recettes n'étaient ni justifiées ni individualisées pour les deux activités (plage et restauration) ;
" que la comptabilité ne présentait aucun caractère probant compte tenu au surplus des irrégularités ou omissions relevées sur les livres obligatoires, une des infractions reprochées se trouve ainsi établie, les explications peu convaincantes de Emmanuel X... sur ce point établissant également sa mauvaise foi et donc le caractère recherché d'une dissimulation à vocation de fraude fiscale ;
" que les anomalies comptables ont justifié les opérations de reconstitution du chiffre d'affaires par l'Administration fiscale ; que la Cour n'a pas vocation à contrôler le calcul final sur le montant de l'impôt éludé ;
" qu'en revanche les méthodes utilisées sont conformes aux méthodes habituelles et acceptables et elles ont au surplus fait l'objet d'un examen contradictoire avec Emmanuel X... ;
" qu'il apparaît peu raisonnable d'imaginer qu'une plage de 33 mètres de long et de 32 mètres de profondeur, particulièrement bien exposée sur la Croisette, à proximité du Palais accueillant le Festival de Cannes, soit peu fréquentée et n'implique qu'une activité de restauration minime, voire déficitaire ;
" que l'intention délictuelle déjà démontrée par les irrégularités comptables et les explications fournies résulte également de la volonté de Emmanuel X... de créer une confusion entre son activité commerciale au " GALION " et l'exercice de la profession de moniteur de ski ;
" alors que, d'une part, aux termes de l'article
L. 227 du Livre des procédures fiscales en cas de poursuites pénales tendant à l'application des articles
1741 et
1743 du Code général des Impôts, le ministère public et l'Administration doivent apporter la preuve du caractère intentionnel soit de la soustraction, soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts mentionnés dans ces articles, que de même, conformément aux principes généraux de la présomption d'innocence et qui régissent la charge de la preuve en matière pénale, c'est aux parties poursuivantes qu'il incombe de rapporter la preuve des éléments matériels des infractions poursuivies, une telle preuve ne pouvant en matière de dissimulation de sommes à l'impôt, résulter des seules évaluations que l'Administration a été amenée à faire selon ses procédures propres pour effectuer des redressements, qu'en l'espèce où les juges du fond ont manifestement raisonné comme si c'était au contribuable qu'il appartenait, grâce à une comptabilité correspondant aux exigences du vérificateur qui l'a contrôlé, de rapporter la preuve de l'absence de fraude fiscale et non à l'administration des Impôts qu'il incombait de prouver la réalité des dissimulations ou omission d'écritures qu'elle impute au prévenu, au vu d'estimation ayant motivé les redressements qu'elle a notifiés, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation des textes précités et renversement de la charge de la preuve ;
" alors que, d'autre part, les juges du fond ont laissé sans réponse les moyens péremptoires de défense du prévenu tirés de l'impact très négatif de la Guerre du Golfe sur les commerces touristiques de Cannes, sur l'absence de toute recherche concrète effectuée par les enquêteurs portant sur le montant de ses recettes et sur l'incohérence de la reconstitution du chiffre d'affaires notamment en raison de l'absence de ventilation des factures d'achat de boissons de la société sous-traitante Serotel qui avait par ailleurs une activité de restauration indépendante ;
" et qu'enfin, outre que l'intention délictuelle visée par les articles
1741 et
1743 du Code général des Impôts doit être concomitante ou antérieure aux faits de dissimulation poursuivis et ne peut donc résulter des arguments qu'un contribuable invoque devant la juridiction pénale pour démontrer qu'il n'a pas commis les infractions qui lui sont reprochées, les juges du fond ont, en imputant au prévenu une prétendue volonté de créer une confusion entre son activité de moniteur de ski et son activité commerciale de plagiste, laissé sans réponse le moyen de défense de Emmanuel X... tiré de la reconnaissance formelle de sa bonne foi par l'administration fiscale concernant ses déclarations de revenus pour son activité de moniteur de ski " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui n'a pas renversé la charge de la preuve, a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article
L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Marin ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;